Il m’a été demandé de partager mon expérience de travail parmi les drogués, un long chemin d’apprentissage, d’ombre et de lumière, à l’intérieur et à l’extérieur de la Congrégation ; un chemin marqué par la croix, mais aussi par la résurrection. Je suis le Frère Luis Lorenzo LUJAN. J’ai 33 ans et actuellement, je termine la théologie au scolasticat du Paraguay. Dès mon arrivée à La Matanza, dans les environs de Buenos Aires, Argentine, en 2005, je me suis senti interpellé par la réalité de ceux qui sont adonnées à la drogue. J’ai donc commencé lentement à me rapprocher de ces personnes pour connaître ce monde si différent, qui a tant besoin d’être aimé.

En 2010, j’ai écrit le “Chemin de Croix pour Jeunes en risque” afin que l’on prie et contemple la Passion de Jésus, qui continue à être crucifié aujourd’hui en ces frères. Ce charisme d’être Oblat de Marie Immaculée m’a conduit vers ces périphéries existentielles, pour accompagner les peurs, la souffrance devant la mort, mais aussi l’espérance de récupérer tant de personnes. Aujourd’hui, après plusieurs années, l’espoir a grandi autour des groupes d’aide mutuelle, aussi bien en Argentine qu’au Chili et au Paraguay. C’est une pastorale délicate parce qu’elle met la vie en jeu, aussi bien la vie personnelle que celle des personnes que l’on accompagne. Nous nous confrontons sans cesse à la souffrance, ce qui n’est pas très agréable. Souvent on fait l’expérience de l’échec, de ne pas pouvoir aider, expérience encore des menaces des marchands de mort, et de la pression continuelle qu’ils font subir pour que tu saches bien  que tu es dans la ligne de mire. Alors que nous sommes quelques-uns à rêver et à lutter, jour après jour, contre ce fléau, les filets des narcotrafiquants travaillent et rassemblent des milliers de personnes, pour les mener sur un chemin qui pour beaucoup n’a pas d’issue.

Pendant trois ans j’ai vécu dans une communauté thérapeutique « Fazenda de la Esperanza » (Ferme de l’espérance) pour accompagner jour après jour le chemin de guérison des nombreuses personnes qui y passent. En janvier 2013, après avoir vécu dans un centre avec 70 résidents, on m’a demandé d’aller comme responsable, ouvrir une nouvelle communauté de ‘Fazenda’, dans l’Archidiocèse de Bahia Blanca, au sud de Buenos Aires. Après avoir commencé, j’ai compris que seul je n’y arriverais pas, qu’il fallait s’articuler avec d’autres groupes. J’ai donc fait la connaissance de diverses organisations et collaboré avec elles, comme le Forum Œcuménique National, lié au « Parvis des Gentils », un programme proposé par le Vatican. Ceci m’a amené à présenter  au Département des Affaires étrangères d’Argentine, pendant la visite du Cardinal Ravasi, le travail réalisé sous l’angle de la prévention. Les invitations à parler dans divers diocèses m’ont aussi permis de rencontrer beaucoup d’ouvriers de l’Evangile.

Comme missionnaire, je ne me contente pas de ces quelques jeunes qui participent dans les groupes des communautés paroissiales. J’ai de la peine et suis préoccupé de voir que sont beaucoup plus nombreux ceux qui sont autour de l’église, dans les coins, prenant de la drogue, criant par leur silence, attirant notre attention. Et chaque jour je constate davantage que la grande majorité de ces jeunes qui manquent dans les communautés, sont ceux qui aujourd’hui perdent leur vie. Au milieu de situations limites, débordantes de violences et d’abandons en tous genres, une parole de saint Eugène me stimule à ne pas me fatiguer, à continuer de tout tenter ; cette phrase dit : « Nous avons une grâce pour leur faire quelque bien ». Pouvoir embrasser une famille désespérée, donner du temps pour écouter et lutter pour la vie, au milieu de tant de menaces de mort, marcher par les quartiers abandonnés, entrer, pieds nus, et inviter les gens, parce que nous nous sentons proches, à mener une vie nouvelle.

Pensant que je ne pourrais pas continuer ce travail, harcelé de menaces dues au travail de conscientisation et à l’ouverture de groupes d’aide mutuelle, donc avant mon retour à la vie en communauté, j’ai écrit le livre qui porte comme titre : ‘Apprendre à marcher en liberté face aux dépendances’, qui a été édité cette année avec l’appui de mes frères Oblats d’Argentine et du Chili.

Je suis convaincu que la vie nous convoque aujourd’hui, non pas demain, et que nous devons arriver avant et non après les événements. Depuis que je suis arrivé à Asunción, Paraguay, j’ai découvert l’absence d’une pastorale des marginaux. Pour beaucoup ce n’est pas une réalité importante. Cependant, quand j’ai pénétré dans les quartiers le long du fleuve, quand j’ai vu le trafic en plein jour, et les jeunes agoniser et mourir sans être écoutés, cela m’a incité à présenter un projet pastoral pour que se mette en route une pastorale des addictions. Dans un premier temps, mon projet n’a pas été reçu. Ces derniers mois, grâce à Dieu, nous commençons à rassembler le travail de divers groupes, ce qui nous a amenés à vivre avec beaucoup d’espérance cette étape. Depuis le 14 octobre nous sommes en train de former cent agents pastoraux, de trente paroisses, afin qu’ils initient la pastorale dans leurs communautés, et cela, grâce à l’appui de l’Archevêque d’Asunción, Mgr Edmundo Valenzuela.

La drogue est synonyme d’esclavage et de mort ; comme chrétien, convaincu que Dieu aime la liberté et la vie, et mû par le désir d’écouter et de faire que l’on écoute le cri de ces jeunes qui souffrent, je crois que ce travail est bien une réalité de missionnaire, une frontière sur laquelle il faut être présents pour y proclamer l’évangile de la vie.