Paraphrasant une parole de Pie XI, nous pourrions dire : « Le jardin le mieux adapté à l’éclosion des fruits de sainteté, c’est bien la famille vraiment chrétienne. » Prenons pour exemple la famille d’Eulalie Durocher que le pape Jean-Paul II a déclarée bienheureuse, le 23 mai 1982. Cette famille a donné à l’Église trois prêtres et deux religieuses. En plus d’Eulalie, la cadette de dix enfants, qui devint la fondatrice des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, il est juste de mentionner son grand frère, Flavien, Oblat de Marie Immaculée. D’abord missionnaire des Amérindiens à Oka et sur la Côte-Nord, il fonde, en 1853, la paroisse de Saint- Sauveur, à Québec. Quand il meurt en 1877, à l’âge de soixante-dix-sept ans, sa réputation de sainteté était établie non seulement à Saint-Sauveur, mais dans la ville entière. On le surnommait « le saint père Durocher ».

Flavien DUROCHER

Eulalie et Flavien n’ont fait que suivre les exemples de leurs parents. M. Olivier Durocher, leur père, savait exercer une charité discrète en aidant les personnes dans le besoin. Homme d’une parfaite honnêteté et droit comme l’épée du roi, il faisait entièrement confiance aux autres, refusant de croire que des « Canayens » comme lui pouvaient le tromper. Il se contentait de la parole donnée. Le père Zacharie Lacasse, o.m.i., nous rapporte à ce sujet un exemple à retenir. Lors d’une conférence qu’il donnait à Sainte-Emmélie-de-Lotbinière, il rencontra un patriote de 1837. Ce brave cultivateur, âgé de quatre-vingt-cinq ans, aimait rappeler certains souvenirs de cette époque troublée.
Parole donnée
« Lors du grand ralliement, dit-il, j’ai pris les armes et me suis rendu jusqu’à Saint-Antoine-sur-Richelieu. Je me retirais chez un nommé Durocher, tout justement le père du révérend Flavien Durocher, curé de Saint-Sauveur. J’avais vu du beau blé dans ces endroits-là. Une dizaine d’années plus tard, étant marié, je dis à ma famille que j’avais envie d’aller chercher du blé, « du grand moral ». Je n’avais pas d’argent. Je partis tout de même et j’allai à Saint-Antoine. J’arrive, je cogne à la porte puis j’entre : « Bonjour la compagnie! Me reconnaissez-vous? Je suis un des soldats qui pensionnèrent ici trois jours, il y a dix ans. » « Personne ne me reconnut à l’exception d’une fille qui avait remarqué ma figure plus que les autres. Elle me reconnut et dit à M. Durocher : C’est lui qui nous disait qu’il viendrait chercher du blé et une femme par ici. Tout justement, dis-je, je viens remplir ma promesse, du moins quant au blé. » Ce dernier mot parut taquiner la fille qui approchait la trentaine. « Mais, M. Durocher, je n’ai pas d’argent; je vous promets, par exemple, que je vous paierai l’an prochain à la Toussaint. » « Oh! il n’y a pas de soin, me répondit-il, l’argent n’y fait rien; vous aurez le blé que vous voudrez. » Il me donna mon blé et je lui donnai ma parole. Change pour change, ni papier ni rien, je m’en revins chez-moi, oubliant même de lui laisser mon nom. Eh bien! l’année suivante, la veille de la Toussaint, j’étais rendu là avec mon argent.

Parole honorée
Oui, juste la veille de la Toussaint, croyez-le ou non! Quant à moi, il n’y avait rien d’étonnant de m’y voir : je devais y être. Mais ce qui montre le cas qu’on faisait de la parole d’un homme, c’est qu’en entrant là, je vis un lit tout prêt pour un étranger et tous les gens de la maison endimanchés. « Ah! monsieur, me dirent-ils, on savait bien que vous alliez venir; on vous attendait depuis le matin; de loin ou de proche un Canadien ne manque pas à sa parole. »

À ce moment du récit, le père Lacasse ne put dissimuler deux larmes qui coulèrent le long de ses joues. Le vieillard à la tête blanche s’en aperçut. Il se dressa sur sa chaise et prononça solennellement : « On avait bien nos défauts, mais on était honnête par exemple ! »

André DORVAL, OMI