Le 75ème anniversaire de la délégation de l’Uruguay

Entretien avec Pippo MAMMANA, OMI

 

En cette année 2005, les Oblats de Marie Immaculée célèbrent 75 ans de présence en Uruguay. A cette occasion, le P. Pippo MAMMANA, missionnaire dans ce pays depuis 25 ans et actuel supérieur de la Délégation, a bien voulu accorder à Omiworld une entrevue via Internet. L’Uruguay est connu en Amérique du Sud pour être un pays “laïciste”. Nous sommes heureux d’offrir à nos lecteurs la possibilité de connaître du moins en partie l’histoire des Oblats en cette région et leur travail aujourd’hui.

  • Pourrais-tu nous dire en quelques mots comment les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée sont arrivés dans la République Orientale de l’Uruguay ?

Rappelons d’abord qu’en 1928, Mgr. Fernando Damiani, Vicaire général du Diocèse de Salto (Uruguay), fit un voyage à Rome. Il portait dans ses bagages, entre autres choses, la demande de Mgr. Arrospide, premier évêque de Melo, de faire venir des Congrégations religieuses qui voudraient répondre aux besoins pastoraux de ce nouveau diocèse. Le diocèse de Melo comprenait la moitié de la République de l’Uruguay, avec un million et demi d’habitants mais seulement sept paroisses, desservies par autant de prêtres, certains âgés ou infirmes, qui devaient s’occuper chacun d’un département ou d’un territoire, jamais inférieur à 9.000 kilomètres carrés, avec 40 ou 50.000 habitants…

  • Mgr. Damiani a-t-il obtenu quelque chose ?

A Rome, la Providence guida ses pas vers la Maison générale des Oblats (on peut lire le manuscrit du P. Álvaro Vallée, Histoire de la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, San Esteban, Cordoue, 1971, p 47).

  • Peux-tu nous dire ce qui s’est passé ensuite ?

En 1929 le P. Théodore Labouré visita l’Uruguay pour connaître directement la nouvelle fondation. Il était accompagné du P. Prieto : l’Espagne faisait encore partie de la deuxième Province des Etats-Unis (Texas). Plus tard, le P. Labouré sera nommé Supérieur général de la Congrégation. Le P. Labouré et le P. Prieto étaient encore en Uruguay, quand José Batlle y Ordóñez tomba malade. C’était un homme génial, devenu ennemi de l’Eglise. Il avait fondé l’Uruguay moderne, en donnant vie à un Etat laïciste sous plusieurs aspects. Batlle mourut le 20 octobre 1929, durant la visite du P. Labouré. On raconte qu’avant de mourir, il voulut se confesser et que le prêtre, pour s’approcher de sa chambre, dut se déguiser en médecin. La chose est possible et significative : une Sœur capucine l’assista au cours sa maladie et l’accompagna durant les funérailles, restant au milieu de la famille.

  • C’est alors certain que pendant des décennies en Uruguay a régné une atmosphère laïciste ?

Le fait raconté précédemment indique le climat dans lequel les Oblats ont commencé leur mission en Uruguay. Souvent l’État a martyrisé d’une manière subtile l’Église Catholique, bien que sans verser le sang. Celle-ci après s’être opposé à l’État, s’est adaptée à la réalité et s’est taillée une place importante non seulement dans le cadre religieux, mais aussi culturel, social et politique.

  • Nous savons qu’à la fin des années ‘80 le Pape Jean-Paul II a visité l’Uruguay. Est-ce que cette visite a eu des répercussions ?

La visite de Jean-Paul II en 1987 et 1988 a donné à l’Église la visibilité et la reconnaissance dont elle avait besoin et qu’elle avait conquise par son travail humble et profond. Les laïcs et beaucoup de missionnaires, parmi lesquels les Oblats de Marie Immaculée, ont contribué à consolider cette perception.

  • Merci pour cet éclaircissement initial, mais nous aimerions, si possible, revenir un peu aux débuts de cette mission oblate. Comment cela s’est-il passé?

Le P. Prieto, premier Oblat destiné à l’Uruguay, tomba malade et fut remplacé par les PP. Centurioni, supérieur, et E. Diez y Calleja. Je vous lis un extrait d’une lettre du P. Centurioni :

« Partis de New York le 10 juillet, nous sommes arrivés à Montevideo le 3 août et à Salto le 6. Ce même jour nous avons logé au Palais épiscopal, une construction récente, assez grande et confortable » (Lettre du P. Centurioni au Supérieur provincial, le 4 février 1931, en Missions, décembre 1932, p. 665). Le 27 août, 24 jours après leur arrivée, il commencèrent leur apostolat principal : les missions populaires. « Nous avons fait douze missions, dont cinq dans le diocèse de Salto, deux dans celui de Melo et cinq dans l’archidiocèse de Montevideo » (idem, p. 667).

Les missionnaires hier.

  • Et la première maison fondée par les Oblats ?

La maison de Salto ouvre le 1 er janvier 1931 « quelques jours après l’arrivée du Frère Santiago Martinez, précieuse étrenne que nous a apportée l’enfant Jésus le 24 décembre. La maison est confortable. Si les Pères du Texas nous voyaient, ils envieraient notre chance ». (Voir la relation écrite par le P. Centurioni au Supérieur provincial, le 4 février 1931, en Missions, décembre 1931, p. 674-675).

  • Tout à l’heure tu as fait une allusion à la sécularisation. Pourrais-tu en dire un peu plus ?

Tout paraissait aller le vent en poupe, mais la sécularisation portée en avant par une maçonnerie intelligente, avec des réformes sociales paternalistes, mais bien reçues par les gens, eut comme effet de miner la popularité de l’Église et de lui poser constamment des problèmes. Le travail des Oblats se révéla plus difficile que prévu. Ils s’en rendirent compte peu à peu, en prenant conscience de leur ignorance de ce qu’était une culture sécularisée.

  • Est-ce que d’autres fondations eurent lieu, outre de la maison de Salto ?

Oui. Vers la fin de 1931, les Oblats se chargèrent d’un territoire très étendu qui comprenait Paso de los Toros, Achar, Curtina, Piedra Sol, et San Gregorio de Polanco. En 1932, ils prêchèrent 32 missions populaires « de 7 jours, en administrant 462 baptêmes, 1242 confirmations, près de 3000 communions et en régularisant 49 mariages. C’est le résultat du travail de deux Pères qui se sont consacrés à la prédication des missions rurales (Voir P. Centurioni, juin 1933, en Missions, décembre 19933, p. 503).

En 1939, ils fondèrent la Paroisse de San Rafael au Cerro de Montevideo, une zone peuplée d’ouvriers et d’immigrants. En 1976, ils prennent en charge la Paroisse de San José Obrero, dans le diocèse de San José, une zone ouvrière en périphérie, où vivent également beaucoup d’employées domestiques. En 2000, les Oblats arrivent dans la Paroisse de Nuestra Señora de los Dolores en Libertad (diocèse de San José).

  • Jusqu’à présent êtes-vous satisfaits du travail accompli ?

Le travail le plus important des Oblats en Uruguay est la fondation de nombreuses communautés chrétiennes. A noter aussi la présence efficace dans beaucoup de milieux marginaux, le bon rapport à l’Église locale et les nombreuses vocations : prêtres, consacrés et consacrées, laïcs. Le premier Oblat uruguayen, le P Robert Berroa, a été ordonné en 1983 et le deuxième en 1985.

La délégation aujourd’hui.

  • Vois-tu un avenir pour cette mission ?

Bien sûr ! Bien que la sécularisation dure depuis plus de cent ans en Uruguay, ses résultats ont été très négatifs : la perte du sens de la famille et le vide causé par l’absence du religieux, en particulier. Il y a une demande croissante de propositions religieuses et l’Église, au lieu de diminuer, a trouvé un rôle indispensable dans la société, évidemment plus en qualité qu’en quantité.

Il faut avoir un peu de patience et le futur pourrait être un eldorado pour des vocations abondantes et de qualité, à tous les niveaux.

  • Quelle est la réalité actuelle de la Délégation oblate en Uruguay ?

Il y a moins de demandes de missions populaires de la part des paroisses non oblates. Mais nous continuons à annoncer la Bonne Nouvelle aux plus pauvres dans les périphéries marginalisées du Cerro, de Rincón de la Bolsa, de San Gregorio, Achar, Curtina et Piedra Sola. Nous travaillons aussi beaucoup avec les adolescents et les jeunes, nous favorisons la mise sur pied de Centres éducatifs non formels pour enfants et adolescents pauvres, nous sommes présents dans les Communautés Ecclésiales de base et animons les laïcs qui désirent partager le charisme oblat.

  • Les Oblats d’Uruguay ont-ils des caractéristiques spéciales, qui sont aussi reconnues par les autres ?

Évidemment que oui ! La première est une intense vie communautaire des trois communautés qui passent ensemble un jour par semaine pour la prière, la formation, l’organisation, le partage. La deuxième est la capacité d’être au milieu des plus pauvres et de constituer des communautés dans les milieux les plus marginaux. La troisième est l’amour de l’Eglise et les liens affectifs et effectifs avec les autres ouvriers de l’Evangile.

Pour finir je voudrais rappeler que l’Uruguay est la deuxième fondation oblate en Amérique latine après le Paraguay.