Le changement du cœur

Entretien avec le P. Wilhelm Steckling, OMI, Supérieur général

 

  • Comment la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée se prépare-t-elle au prochain Chapitre général?

Tous les six ans, notre Congrégation se réserve un temps de discernement, c’est le Chapitre général. On y fait appel à la sagesse et pas seulement à la planification. Nous nous efforçons de saisir les besoins missionnaires d’aujourd’hui, et ensuite nous nous demandons quelle réponse nous pouvons leur donner, en tant qu’Oblats. La grande famille Oblate y est aussi engagée ; il y aura par exemple, des représentants des Associés laïcs, pendant quelques jours.

La préparation d’un tel effort demande avant tout la prière. Nous avons besoin de la conduite du Saint Esprit, afin d’estimer la situation avec charité et justice ; nous avons besoin du feu de l’Esprit, dans l’amour mutuel, afin de nous unir tous, dans une tâche commune. La prière pour notre Chapitre que nous prions souvent, parfois chaque jour, exprime ce besoin d’assistance divine.

Il y faut aussi une réflexion saine et la discussion. Ce processus a commencé l’an dernier, dans des rencontres de communauté et dans la rédaction de rapports sur notre travail, en chaque pays et chaque continent. Dans les mois suivants ce fut le tour des capitulants, élus ou ex officio, de se rencontrer. Un Chapitre et sa préparation sont des exercices très démocratiques. Chaque Oblat peut faire des propositions à discuter. Un comité d’évaluation de nos structures de gouvernement étudie les changements possibles, dans nos Constitutions et Règles, changements qui doivent être soumis au vote plus tard, au Chapitre. Quant à moi, je dois écrire un rapport sur l’état de la Congrégation ; ce rapport est écrit, autant que possible, dans un travail d’équipe.

Comme il y a beaucoup d’activités en route, nous avons nommé une commission spéciale pour régler tous les détails du Chapitre. Il y aura, pour la première fois, des facilitateurs qui aideront les discussions à progresser sans accrocs. Au plan mondial, nous essayons de rester en contact à travers notre site web, qui a été récemment complété par un « blog ».

  • Le thème du 35 e Chapitre sera : « La Conversion : un cœur nouveau, un esprit nouveau, une nouvelle mission. » Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce thème ? D’où vient ce slogan ?

Le slogan porte, avant tout, sur la conversion : conversion dans le renouveau des cœurs, conversion en notre esprit, conversion dans la manière d’être missionnaires. Le logo exprime assez bien cette idée : une dynamique circulaire de conversion entoure le symbole OMI et le monde entier.

Comment ce thème est-il apparu ? Il est apparu tout soudainement, pendant la rencontre de tous les Supérieurs provinciaux de la Congrégation, en 2007, en Afrique du Sud. Nous appelons ce type de rencontre l’ « Inter-chapitre ». Quand nous y avons examiné l’état de la Congrégation, nous avons trouvé beaucoup de points positifs. Dans ces dernières années, nous sommes tombés d’accord sur la nécessité de développer l’internationalité, d’améliorer la vie de communauté, de donner une formation plus solide à nos candidats. Beaucoup de ces choses se font déjà, mais nous avons aussi perçu clairement des éléments de résistance. «De quoi avons-nous encore besoin?” nous sommes-nous demandés. Nous n’avons pas besoin de plus ou de meilleur documents de base ou d’énoncé de mission, ni de meilleures directives et règles ; nous avons senti qu’une chose nous manquait et c’était le changement du cœur, afin de réaliser vraiment ce sur quoi nous étions d’accord. Ou plutôt, la question n’était pas de faire plus ou mieux les choses, mais d’être différent dans nos attitudes, dans notre façon de vivre. La parole biblique qui désigne un tel changement est conversion. “Conversion”, voilà la chose qui manquait, ce fut notre découverte.

Je dois admettre que notre thème n’est pas vraiment original. Nous pouvons apparaître comme des gens qui essayons de réinventer la roue. Le défi de la conversion ne se trouve pas dans les conversations ou les études scientifiques, autour d’idées vraiment nouvelles. Par-dessus tout, il doit toucher ma personne et ma communauté. Nous ne devons pas simplement en discuter ! La force de ce thème se révélera si nous le vérifions dans nos vies, si réellement nous changeons notre cœur, notre esprit et notre mission.

  • Comment la Congrégation a-t-elle vécu, ces dernières années? Quelle est la ‘santé’ de la Congrégation, à la veille du Chapitre général ?

Il y a six ans, au dernier Chapitre, nous avons utilisé une métaphore pour décrire la Congrégation : elle est comme un jardin dont une partie vit le printemps et l’autre, l’automne. Cette comparaison sonne juste, aujourd’hui encore.

En certains endroits, la Congrégation a diminué, en d’importants secteurs du monde occidental, par exemple, et ce déclin s’accélè

re encore maintenant. D’autres Provinces, Délégations et Missions croissent régulièrement et parfois rapidement. Il y a des cas où le nombre a presque doublé en six ans ! Globalement, le nombre total des Oblats diminue chaque année ; mais en termes de vocations, nous sommes restés stables pendant ces dernières décades : nous comptons, bon an mal an, entre six et sept cents Oblats en vœux temporaires. Le nombre total d’Oblats est, en ce moment de 4.138 ! 

Ces données sont celles d’une Congrégation en bonne santé, mais les chiffres ne sont pas tout. Ce qui compte davantage c’est l’esprit et la fidélité à notre vocation. Par exemple, parmi les Oblats très âgés, il y en a beaucoup qui se disent heureux de leur vocation, quand ils répondent à ma lettre de félicitation. Il y a des Oblats plus jeunes, ou d’âge moyen qui vivent leur appel, risquant même leur vie, en des endroits dangereux, et quelques uns l’ont effectivement perdue, ces dernières années. Nous avons encore la chance d’avoir nos propres martyrs et nos propres saints. En général, je crois que nous sommes plus au clair sur notre charisme, consistant à évangéliser les pauvres, dans un esprit de communauté. La canonisation d’Eugène de Mazenod et les béatifications de Joseph Gérard et de Joseph Cebula ont favorisé cette clarification et ont été de grandes bénédictions ; bénédictions qui ne valent pas que pour nous, mais aussi pour tous les amis de Saint Eugène, et pour l’Eglise tout entière.

 Cette santé de fond ne veut pas dire que nous n’avons pas à faire attention. Il se peut qu’aujourd’hui on se rende mieux compte, combien nous sommes vulnérables ; ce qui autrefois était une place forte oblate devient soudain très modeste. Nous réalisons à quel point tout dépend de la grâce de Dieu, et que toute vocation est un don. Soyons reconnaissants pour chaque vocation ! Reconnaître cela nous entraîne à investir encore plus dans la formation, des jeunes surtout, et la pastorale des vocations.

  • Quels sont les défis qui semblent les plus urgents, à l’aube du troisième millénaire ?

Une question que je me pose souvent : que se passe-t-il dans l’Eglise et la Congrégation, dans les pays occidentaux ? Pourquoi n’y a-t-il plus la même croissance exubérante, que dans certains pays d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine ? J’essaie d’expliquer : en Occident les familles sont plus petites, il y a davantage de distraction, etc. Mais je réalise que le défi est plus vaste. Au-delà de la surface, à l’Ouest nous sommes confrontés à l’idéologie du sécularisme. Je crois que le sécularisme est l’un des pires défis que la mission de l’Eglise doit relever, et qui nous pose tant de questions, pour lesquelles nous continuons à chercher des réponses. Comment réagissons-nous à un monde qui s’organise sans référence à son Créateur ? Sommes-nous déjà infectés de sécularisme et commençons-nous aussi à oublier Dieu ? Pour nous aider à trouver des réponses, nous pourrions prendre une orientation : celle de collaborer avec les Laïcs Associés ; et en particulier, de partager notre mission avec la jeunesse d’aujourd’hui.

L’affaiblissement de l’Occident fait que la force de l’Eglise et de notre Congrégation se déplace au Sud. Ceci constitue un autre défi en soi, spécialement pour nous, dont la mission se déploie au plan du monde. Les missionnaires ne partent plus des « pays chrétiens » vers les « pays de mission », comme dans le passé, ils s’échangent dans toutes les directions. C’est un très beau développement, mais il nous faut encore nous y habituer, et nous organiser en conséquence.

Les chantiers missionnaires ouverts récemment, font apparaître les nouveaux problèmes et les nouvelles voies d’accès à la mission, tels que nous les percevons. C’est ainsi que nous avons fait des symposiums sur le Dialogue interreligieux, sur les Peuples indigènes, sur la Mission avec les jeunes, sur les Migrations. Il y a eu des rencontres sur les Associés Laïcs et sur la vocation de Frère, et nous renforçons le ministère de Justice et Paix.

  • Une dernière question à propos de la tragédie du tremblement de terre à Haïti. Comment les Oblats haïtiens vivent-ils cette catastrophe ? Comment se passe la reconstruction des œuvres oblates (la maison provinciale, le scolasticat, etc.) ?

Plus j’entends parler du tremblement de terre à Haïti et de ses conséquences, plus je réalise l’énormité de la tragédie.

On a retrouvé 170.000 corps ; d’autres sont encore sous les décombres, et l’essentiel s’est passé juste en une ville, la capitale, elle-même. On a dit que trois quarts des bâtiments de Port au Prince sont détruits !

Les Oblats, nous avons été préservés du pire ; un seul d’entre nous est mort, le Frère Weedy Alexis. Nous avons aussi perdu la maison provinciale et le théologat. Par ailleurs, dans l’intérieur du pays, les populations fuyant la Capitale arrivent en masse, nous essayons de les aider du mieux que nous pouvons, dans nos paroisses et autres structures. Notre orphelinat, aux Cayes accueille beaucoup de nouveaux orphelins – ils sont plus de 600 actuellement – et aide les blessés et les affamés. Nous n’avons pas beaucoup de nouvelles de notre paroisse, dans la Capitale, où les communications sont plus difficiles.

L’administration provinciale de nos 120 Oblats a été déplacée. Il sera très difficile d’organiser les études pour nos scolastiques cette année ; un groupe va peut-être essayer. On a débattu l’idée de faire étudier les jeunes Oblats en formation initiale – environ 35 – à l’étranger, mais le Provincial qui est lui-même professeur de théologie, dit qu’ensemble avec les autres Congrégations, ils resteront au pays et feront leur théologie dans le contexte de leur pays. Une telle tragédie met en question notre foi, notre vie morale et la façon dont nous sommes missionnaires, et ces questions sont mieux étudiées sur place, même s’il faut perdre un semestre ou deux à cause des circonstances. La reconstruction totale des lieux prendra du temps et doit suivre le rythme de la ville.

Entrevue réalisée par la revue Missioni OMI
Avril 2010