1. Introduction
  2. la chasteté dans la vie du fondateur
  3. les directives du fondateur
  4. la chasteté dans les constitutions et règles
  5. la spiritualité oblate et la chasteté
  6. conclusion

INTRODUCTION

Sur le célibat pour le Royaume des cieux, il existe une littérature abondante qui couvre une multitude d’aspects différents. Dans le présent article, il ne s’agit pas de présenter une théologie du vœu de chasteté, ni de résumer les résultats des discussions qui ont eu lieu sur ce sujet dans l’Église au cours des dernières décennies. Il ne s’agit pas, non plus, de donner des conseils pratiques ou de proposer une ascèse pour vivre selon les conseils évangéliques. Le but visé est uniquement de présenter, à partir des textes qui existent, la façon dont les Oblats ont compris et comprennent encore le vœu de chasteté, dans le cadre de leur spiritualité, en observant les signes des temps et en demeurant à l’écoute des directives de l’Église. On essaiera, ensuite, de faire ressortir les liens qui existent entre le célibat consacré et certains éléments du charisme oblat et, enfin, d’inviter à réfléchir sur les possibilités que donne notre spiritualité oblate d’accéder à cette forme de vie, si souvent contestée de nos jours.

LA CHASTETÉ DANS LA VIE DU FONDATEUR

Dans une lettre concernant son fils Eugène, Charles-Antoine de Mazenod, père du Fondateur, écrit de Palerme, le 6 mai 1814: «Il est ferme comme un roc et pur comme un lys» [1]. Eugène a alors trente-deux ans et est prêtre depuis deux ans et demi. Le choix d’une vie de célibat ne semble pas lui avoir créé de difficulté. Avant son ordination au sous-diaconat, il a écrit à sa mère: «Mais le sous-diaconat qu’a-t-il donc de si effrayant? Est-ce le vœu de chasteté qu’on y fait? Mais, de bonne foi, y pense-t-on?» [2] Ce n’est pas qu’il nie les valeurs du mariage, dont il reconnaît les valeurs naturelles et surnaturelles. «Le mariage est saint, il ne peut donc être un obstacle à la sainteté», écrit-il à sa sœur à l’occasion de son mariage [3]. Il est «une bonne chose pour ceux qui y sont appelés» [4]. Lui-même ne ressent pas d’attrait dans ce sens; au contraire, il en a «une aversion et un dégoût tel que la seule idée [lui] fait mal au cœur» [5]. Le projet de mariage que sa mère a ourdi pour lui quelques années auparavant révèle déjà clairement ce malaise [6]. De nos jours, on avertit les candidats au sacerdoce de ne pas simplement «s’accommoder» du célibat; on aurait été obligé d’avertir le jeune Eugène de Mazenod de ne pas s’accommoder du mariage uniquement pour des «raisons de famille».
Le jeune noble ne s’est jamais prêté aux aventures amoureuses. Dans ses relations avec les jeunes dames de son âge, il était réservé au point que son entourage s’en amusait et «qu’il attirait des plaisanteries» [7]. Une telle réserve, de la part d’un jeune homme, peut provoquer l’étonnement. Mais selon l’esprit de son temps, elle convient fort bien au jeune prêtre. N’écrit-il pas à son propre sujet: «Je n’ai rien à démêler avec les femmes avec lesquelles, en général, je n’ai que des rapports très éloignés et accompagnés de beaucoup de précautions» [8]. Cette réserve n’est cependant pas une autodéfense instinctive, mais plutôt, quoiqu’on en pense, une attitude clairement voulue.
Par ailleurs, il a de tout temps eu une véritable horreur de tout amour vénal et de toute sensualité grossière: « […] la seule vue de ses objets si vilement prostitués dans leurs sales adorateurs […] m’a éloigné pour toujours du palais royal aux heures qui paraissent consacrés à la débauche», écrit-il depuis Paris en 1805 [9]. Il faut noter ici qu’Eugène de Mazenod n’était aucunement étranger au monde. À Palerme, à Paris comme à Aix, il a eu amplement l’occasion de le connaître [10]. Ce n’est pas parce qu’il a très bien été protégé qu’il est «ferme comme un roc et pur comme un lys», mais bien parce qu’il veut en toute circonstance rester fidèle à lui-même. Il attribue d’ailleurs tout à la grâce de Dieu: «J’ai dilapidé mon patrimoine, écrit-il dans ses notes de retraite préparatoire au sacerdoce, sinon avec les filles de Babylone, puisque le Seigneur par son inconcevable bonté m’a toujours préservé de cette espèce de souillure […]» [11].
À sa force de caractère se joint une grande nostalgie d’amitié et d’amour. L’idéal qu’il en a est cependant si haut et les exigences qu’il y attache sont tellement grandes qu’il y fait à peine entrer les domaines de l’érotisme et de la sensualité. «Rien de charnel ne se mêle pourtant à ces vœux qui partent de la partie la plus noble de mon cœur. Cela est tellement vrai qu’il a toujours dédaigné toute liaison avec les femmes parce que ces sortes d’amitiés entre différents sexes sont plutôt l’affaire des sens que du cœur» [12]. Il n’y a pas lieu ici de déterminer le rôle joué par les dispositions psychologiques, la part à attribuer à l’éducation et au contrôle de soi, et ce qui y est l’œuvre de la grâce. Il semble, cependant, que son attitude d’ensemble lui a permis de prendre plus facilement la décision de vouer sa vie à un amour sans partage pour Dieu et pour l’humanité. En tout cas, elle a mûri et s’est transformée en cette «charité sacerdotale» qui va devenir, pour lui et pour tant d’Oblats après lui, la force motrice de leur engagement missionnaire.

LES DIRECTIVES DU FONDATEUR

«[…] le vœu de chasteté: il me serait[…] bien facile d’en faire sentir les grands avantages», écrit le séminariste Eugène à sa mère [13]. Il est regrettable qu’il ne l’ait jamais fait. Contrairement aux louanges abondantes et aux justifications détaillées que le Fondateur des missionnaires de Provence consacre à la pauvreté et à l’obéissance dans la Règle de 1818, il se contente, dans le cas de la chasteté, de cette indication: «Cette vertu étant si chère au Fils de Dieu et si nécessaire à un ouvrier évangélique […]» [14]. Significative dans l’esprit de son temps, mais moins convaincante pour nous est la référence qu’il fait à la «pureté des anges» [15] que les missionnaires doivent imiter. Il n’en dira pas plus sur les «avantages».
Les règles de conduite, d’un autre type, sont plus fréquentes, bien qu’elles aussi soient peu nombreuses. Elles traitent surtout de prudence dans la fréquentation des femmes, d’«extrême prudence» également au confessionnal. «On ne saurait recommander trop de précautions en confessant les personnes du sexe» [16]. Les visites dans les maisons des laïques requièrent la permission du supérieur, qui désignera un compagnon. Le Fondateur a pris dans la Règle de saint Alphonse de Liguori et dans celle de saint Ignace de Loyola tout le texte de la Règle traitant de la chasteté. Du temps du Fondateur, on n’ajouta, lors de la révision de 1850, que la référence explicite au vœu. Dans la circulaire n° 2 qu’il adresse à la Congrégation, il en vient à parler de cet article de la Règle: «Que dirai-je du vœu de chasteté? Que ce n’est pas trop, pour conserver cette précieuse vertu, que d’observer fidèlement tout ce que la Règle prescrit pour faire de nous des hommes de Dieu, de vrais religieux […] Ajoutez que si l’on n’est pas pénétré de l’esprit de mortification et de pénitence, si l’on ne s’applique pas à dompter sa chair […] on s’expose à devenir le jouet de la concupiscence […]» [17].
C’est dans la mortification que le Fondateur voit le moyen le plus efficace de sauvegarder la vertu de chasteté. Il se plaint «avec étonnement et douleur» du fait que certains, «méconnaissant l’esprit de notre Institut», relèguent les pratiques de la mortification au noviciat ou au scolasticat, bien qu’ils aient beaucoup plus besoin de ce «préservatif» que les jeunes gens [18]. Dans ce contexte, il rappelle une fois de plus l’article de la Règle: «Personne ne doit se permettre de manger hors de la maison» [19]. Et il écrit à ce sujet: «Autrement ne s’exposerait-on pas au danger que la Règle veut faire éviter aux membres de l’Institut par rapport à la chasteté […]?» [20].
Il semble que le Fondateur n’a eu aucune raison d’avertir ses Oblats du danger du théâtre, des spectacles et des bals. De son temps, il était inconcevable qu’un religieux y aille. Par contre, il ne cesse de littéralement conjurer sa sœur [21], ses congréganistes [22], ses diocésains [23] de s’en abstenir, car «ce démon, ce vice d’impureté, puisqu’il faut prononcer ce mot, n’est-ce pas au spectacle qu’il se montre dans toute sa puissance?» [24].
En ce qui concerne les religieux, un autre genre d’avertissements semble au Fondateur plus opportun. Le 16 mars 1846, il écrit au maître des novices, le père Jacques Santoni, à Notre-Dame de l’Osier, dans quel esprit les novices doivent vivre les vœux: «La chasteté les oblige non seulement à éviter tout ce qui est défendu en cette matière, mais à se préserver des moindres atteintes que pourrait éprouver cette belle vertu. C’est d’après ce principe que nous avons tant en horreur ces prédilections sensuelles que l’on appelle des amitiés particulières, pour leur donner un nom honnête, tandis qu’elles blessent réellement la vertu si délicate qu’un souffle ternit. Soyez inexorable à ce sujet […]» [25].
Les directives du Fondateur sont donc avant tout des incitations à la prudence, des avertissements du danger qu’il exprime sous forme d’interdictions concrètes. La meilleure protection est de mener une vie religieuse pure et solide dans un «continuel recueillement de l’âme» et de «marcher constamment en présence de Dieu». L’esprit de mortification occupe ici une importance particulière [26]. «Au reste cet article n’a pas besoin d’explication» [27]. La devise prédominante du temps était; moins on en parle, mieux cela vaut.
On peut alors voir, d’une façon positive, combien, jadis, les choses étaient simples et moins préoccupantes, ou bien, négativement, combien de valeurs restaient ignorées et de richesses inexploitées. Le peu qui est dit nous laisse facilement mal à l’aise. Tout cela nous paraît bien négatif et chargé de craintes. On ne peut pas nier qu’il y a là une certaine façon unilatérale de voir les choses et une certaine fixation sur les dangers. On peut se réjouir qu’elles soient dépassées. Par contre, l’expérience douloureuse de l’échec d’un grand nombre de vocations au célibat pour le règne de Dieu devrait nous préserver de toute présomption et de tout jugement méprisant. Le danger subsiste encore aujourd’hui telle une réalité. Les saints parlent la langue de leur temps, mais leur voix nous invite aussi fortement à examiner nos propres chemins. Lorsque le Fondateur dit que «nous avons fait vœu de renoncer à nous-mêmes par l’obéissance, aux richesses par la pauvreté, aux plaisirs par la chasteté» [28], cela peut nous sembler ne présenter qu’un côté de la réalité. Mais si on considère le contexte où il situe ces paroles, on découvre bientôt, dans sa nécessité et son ampleur, le fondement de cette attitude de renoncement: «La charité est le pivot sur lequel roule toute notre existence. Celle que nous devons avoir pour Dieu nous a fait renoncer au monde et nous a voués à sa gloire par tous les sacrifices, fût-ce même celui de notre vie» [29]. C’est à partir du caractère essentiel et absolu qu’il reconnaît à la charité, que le Fondateur a compris sa propre vocation religieuse et son vœu de chasteté.

LA CHASTETÉ DANS LES CONSTITUTIONS ET RÈGLES

1. DE 1818 A 1966

Pendant près de cent cinquante ans, le texte qui a déterminé comment les Oblats devaient vivre la chasteté est resté pratiquement inchangé. Il se réduisait à cinq articles d’une grande concision. Deux raisons justifient la chasteté: elle est «si chère au Fils de Dieu et si nécessaire à un ouvrier évangélique». Son but est placé très haut: «imiter la pureté même des anges». La Règle ne donne qu’un seul conseil pratique: «[…] avec les personnes du sexe […] extrême précaution».
En 1850, on y ajoute explicitement que les Oblats s’engagent à la chasteté par des vœux. Au cours de ce même Chapitre général, on laisse tomber la formulation de 1826 «angelicam puritatem fovere» et on reprend l’expression originelle de 1818 dans sa traduction latine «angelorum puritatem imitari (imiter la pureté même des anges)» [30].
En 1910, on distingue nettement, dès le titre du paragraphe sur la chasteté, le vœu de la vertu et, dans le premier article (217), on précise, en réponse aux normes émises par l’Église en 1909 [31], les obligations qui découlent du vœu. Les directives pratiques viennent compléter le paragraphe: la prière, la mortification et surtout (præsertim vero) la dévotion envers l’Immaculée aident à vivre selon le vœu [32].
2. LES CONSTITUTIONS ET RÈGLES DE 1966

La nouvelle rédaction de 1966 représente un saut d’ordre qualitatif dans l’histoire de nos Constitutions et Règles. Dans le cas de la chasteté, il suffit de voir la longueur du texte qui a été considérablement augmenté. La nouvelle version contient six constitutions et cinq règles, presque toutes plus longues que les cinq brefs articles antérieurs. Voici comment ce nouveau texte a été composé.
a. Un nouveau contexte

Durant les décennies qui ont précédé le deuxième concile du Vatican, les sciences de l’homme ont précisé l’importance de la dimension corporelle de l’homme et de sa sexualité. La connaissance de leurs structures biologiques et psychologiques s’est étendue. On ne se contente pas d’expliquer scientifiquement les conditions et le déroulement de la croissance et de la maturation de la personne humaine. Les résultats ont également un impact sur l’éducation, la formation et les autres formes de connaissances. La conscience sociale et le comportement qui en découle se sont également modifiés dans le sens d’une acceptation du corps et d’une suppression des tabous dans le domaine sexuel. On insiste davantage sur le droit à un développement individuel et libre, et à une rencontre beaucoup plus libre entre les sexes. L’égalité des droits de la femme et sa place dans tous les domaines de la vie sociale sont des exigences et des thèmes incontournables. Tout ceci n’est pas sans avoir un certain impact sur la vie religieuse. La théologie de la vie religieuse a continué de progresser. Elle soulève la question de la valeur et du sens de la vie religieuse par rapport aux autres vocations chrétiennes, en particulier le mariage et la famille, de la valeur significative des vœux et de leur relation à la grâce baptismale.
Tout ceci a créé un urgent besoin d’aggiornamento de la vie religieuse dans l’Église et a conduit à une reformulation correspondante des règles qui la gouvernent. Vatican II s’est attaqué à la question. La constitution dogmatique sur l’Église (Lumen Gentium, n° 43-47) et le décret Perfectæ Caritatis donnent les motifs et les lignes directrices du renouvellement de la vie consacrée. Dans le décret Presbyterorum Ordinis, le Concile s’explique sur le célibat. C’est dans ce contexte et en suivant les normes établies par le Concile que le Chapitre général de 1966, s’inspirant nettement des textes conciliaires mêmes, s’est engagé dans la reformulation des Constitutions et Règles.
En plus des textes du Concile, le Chapitre disposait d’un texte révisé qu’une commission avait élaboré à la demande du Chapitre général de 1959. Dans les quatre constitutions qui traitent du vœu de chasteté (il n’y a pas de règles du chapitre comme ailleurs dans ce texte), les auteurs du document reconnaissent que «le vœu de chasteté n’est pas l’enregistrement d’un tabou» [33]. En effet, on remarquera l’effort mis à présenter la question de façon positive en lui donnant une motivation solide et en tenant compte des facteurs anthropologiques et d’une ascèse positive. Par ailleurs, on met encore beaucoup l’accent sur les avis de prudence. Dans l’apostolat auprès des femmes, on conseille aux Oblats de limiter leur zèle expressément à ce qu’exigent la politesse et le devoir d’une authentique charité: «suam navitatem iis continent limitibus quos urbanitas et officium authenticæ caritatis postulent» [34]. Dans la définition de l’obligation du vœu, «on a gardé la formulation négative pour parler avec précision»: «s’abstenir de tout acte contraire à la chasteté» [35].
b. Un nouvel «ordre de valeurs»

Il faut souligner, en premier lieu, que, contrairement à la séquence usuelle dans l’énumération des conseils évangéliques, le vœu de chasteté occupe maintenant la première place. Le texte suit en cela la présentation du Concile dans la constitution sur l’Église (Lumen Gentium, n° 43), qui attribue à la chasteté pour le Royaume des cieux une place éminente; elle est un «don précieux de la grâce, que le Père accorde à quelques-uns» et «une source peu commune de fécondité spirituelle dans le monde» (Lumen Gentium, n° 42).
Les commentateurs signalent que l’Église entend ainsi exprimer clairement qu’elle considère la virginité librement choisie «comme le fondement de l’état religieux» (R. Shulte). En effet, la pauvreté et l’obéissance peuvent être vécues dans diverses vocations, tandis que, par la virginité librement choisie pour le Royaume des cieux, une personne s’abandonne à Dieu d’une façon particulièrement radicale. À une époque où, dans l’Église, la doctrine et les maîtres insistent tellement sur le sens et la valeur de la vocation au mariage sacramentel, il est assez important de présenter en contrepartie la vocation au célibat pour le Royaume des cieux.
On peut également faire remarquer que cette préférence est conforme à l’Écriture sainte: «Le nouveau Testament atteste l’existence d’un état de vie consacré à Dieu, en relation avec les charismes, et qui s’exprime avant tout par la virginité» (Jean Daniélou). Nous pouvons également voir dans cette préférence le fait que la vocation religieuse est une vocation à l’amour et non pas un renoncement à aimer, car, dans la virginité plus que partout ailleurs, il s’agit d’un «cœur indivis» [36]. «Ce vœu, écrit le père Fernand Jetté […] constitue notre réponse, une réponse radicale, au premier commandement: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur […]» Il est également l’expression privilégiée de notre amour pour nos frères et sœurs de la terre […] En ce sens, il répond au second commandement» [37]. Il est vrai que le père Jetté dit cela dans un autre contexte; mais cela n’en constitue pas moins une indication précieuse de la place harmonieuse et spirituellement significative accordée à la chasteté.
c. Une vision renouvelée

«En empruntant le langage théologique conciliaire de préférence à celui du siècle dernier, l’on a recherché une formulation plus inspiratrice d’attitudes que directive, positive plutôt que négative, stimulante plus qu’impérative» [38]. Ce qui est dit ainsi de la Règle de 1966 en général vaut tout aussi bien pour la nouvelle formulation des articles sur la chasteté.
Il ne s’agit pas tant de se préserver que de s’épanouir: «L’Oblat ne se contentera pas de se garder chaste, mais développera sans cesse les richesses d’amour déposées en lui par Dieu» (C et R 1966, C 21).
Il est moins question de pureté angélique que de maturité humaine: «[…] affection franche, profondément humaine, directe et pure[…]» (ibidem, C 22).
Elle entre dans une perspective apostolique: «Par la chasteté religieuse l’Oblat […] se donne directement à Lui (le Christ) et aux hommes, ses frères (ibidem, C 19), «aimer les hommes avec le cœur du Christ» (ibidem, C 23).
Il s’intègre dans une ascèse vécue:
— dans la communauté: «La vie en communauté tiendra une place capitale dans cette maturation. Chacun s’efforcera d’y entrer sans réserve» (ibidem, R 42).
— dans l’engagement apostolique, dans lequel les Oblats «trouveront l’épanouissement de leur personnalité et la sauvegarde authentique de leur chasteté» (ibidem, R 43).
— dans la prière: «Les missionnaires […] recourront assidûment à la prière» (ibidem, R 46).
— dans la mortification: «[…] la mortification, la sobriété, la garde des sens» (ibidem, R 46).
— dans un équilibre sain entre travail et repos: «Ils éviteront la fatigue excessive et l’épuisement nerveux tout autant que l’oisiveté» (ibidem, R 44).
— dans la relation à l’Immaculée: «Marie Immaculée, Vierge et Mère, sera pour lui l’image et la garde de son amour consacré» (ibidem, C 24).
Enfin, le vœu a une valeur de signe: «Il manifestera ainsi la profondeur de la foi que l’Église voue au Christ, son unique Époux, et la fécondité apostolique de cette mystérieuse union. Il évoquera aux yeux des hommes la charité parfaite, qui ne sera pleinement révélée que dans le Royaume à venir (ibidem, C 21).
On pourrait résumer cette nouvelle vision en quelques mots par les trois titres placés en marges des constitutions 19 à 21: «Chasteté, vœu, charité» ou celui que le père Maurice Gilbert donne à son commentaire de ce vœu: «La chasteté, un amour consacré» [39].
3. LES CONSTITUTIONS ET RÈGLES DE 1982

a. Prise de position sur le projet de texte

Les Constitutions et Règles de 1966 sont entrées en vigueur à titre expérimental. De l’aveu de plusieurs, on les a peu mises en pratique. Perçues comme provisoires et inhabituelles, elles n’ont pas exercé une grande influence sur la vie des Oblats. Sans doute l’impact de 1968 s’y est-il ajouté avec sa remise en question de toute règle, norme, autorité ou preion et, comme conséquence fréquente, leur déconsidération. Tout cela a changé avec la préparation du Chapitre de 1980, auquel on avait donné comme tâche principale l’approbation d’un texte renouvelé et définitif de la Règle. La Congrégation entière s’est vue impliquée dans cette préparation. Tenant compte des nombreuses recommandations qu’elle avait reçues, la commission précapitulaire a proposé un texte à soumettre au Chapitre [40]. Les remarques suscitées d’un peu partout par ce texte ont été remises aux capitulants comme outil de travail dans l’élaboration d’un texte définitif. Les réactions au texte proposé par la commission ne manifestent certes pas toute l’ampleur de la vie spirituelle oblate telle qu’elle était vécue. Elles sont cependant assez instructives pour mériter d’être citées. Elles constituent une mine de renseignements pour quiconque veut commenter le texte de la Règle.
Sur la question du vœu de chasteté, on peut discerner les tendances suivantes:
Les Oblats voulaient un texte qui ne laisserait paraître aucune pensée ou attitude élitiste sur le célibat consacré, comme si le choix de cette forme de vie était d’emblée le meilleur et celui qui plairait davantage à Dieu. Tous les baptisés sont appelés à la perfection et toutes les vocations peuvent témoigner de l’amour de Dieu et être des signes de la venue du Royaume de Dieu.
La chasteté, ou célibat consacré, ne doit en aucune façon être présentée de manière à donner l’impression de vouloir diminuer la dignité et l’importance du mariage sacramentel, qui porte en soi une capacité de signe tout aussi valable.
On désire clairement que, surtout dans ce domaine, le langage théologique soit précis, correct et spirituellement stimulant. Dans un bon nombre de remarques, on voudrait que le mot chasteté soit remplacé par célibat; dans d’autres, au contraire, on souhaite l’inverse. Se pose également la question de la mortification. Plusieurs essaient de lui donner un sens plus positif. On y relève aussi (déjà) une suggestion claire et massive d’utiliser le langage inclusif.
On insiste fortement sur l’importance de la communauté et de la vie fraternelle en commun, pour trouver son épanouissement personnel dans une vie de célibat. Par ailleurs, on soulève quelques points d’interrogation sur la recommandation de l’amitié.
On désire voir clairement exprimé le fait que nous choisissons ce mode de vie non seulement par amour de Dieu, mais également par amour des hommes. Cela témoigne de la spiritualité missionnaire des Oblats [41].
b. La nouvelle version du texte

Le Chapitre avait accepté le projet présenté par la Commission précapitulaire comme document de travail. Chacune des quatre parties de ce texte a été retravaillée par une commission qui devait soumettre par étapes les résultats de son travail à la session plénière. Nous ne parlerons des modifications apportées par le Chapitre que dans la mesure où elles représentent des intuitions sur des aspects essentiels du vœu. Nous ne tiendrons pas compte des modifications purement linguistiques et de stylistiques, ni des améliorations apportées en vue d’une plus grande précision.
c. Modification de la structure du texte

Le Chapitre en session plénière a décidé presque à la dernière minute d’unir les parties I et II sous le titre «Le charisme oblat» pour qu’il soit bien clair que l’envoi en mission et la vie religieuse des Oblats forment un tout indivisible, que nous sommes religieux afin d’être missionnaires et que c’est comme religieux que nous sommes missionnaires. Cette innovation spirituelle, adoptée consciemment, attribue aux vœux une place dans la structure d’ensemble — ils forment la première section du deuxième chapitre intitulé «Vie religieuse apostolique» — et leur reconnaît ainsi une valeur nettement missionnaire. L’expression du Fondateur dans la première Règle qui déclare la chasteté «si nécessaire à un ouvrier évangélique» [42] se trouve ainsi d’une certaine manière reconfirmée. Faisant écho à cette tradition oblate, le texte sur les vœux commence par les paroles: «Comme l’exige leur mission […] par un don du Père, ils adoptent la voie des conseils évangéliques» (C 12).
— «Par un don du Père». C’est par ces mots que le projet de la commission précapitulaire introduit le passage sur le vœu de chasteté. Il suit en cela une longue tradition de même que le concile Vatican II: «[…] le don précieux de la grâce, que le Père accorde à quelques-uns» [43]. Le Chapitre ne voulait certainement rien enlever au poids de ces affirmations. Il était, au contraire, d’avis que le lien indissoluble qui existe entre les conseils évangéliques, expressions du don de soi radical à Dieu en même temps que de la «suite du Christ», justifie amplement qu’on les considère dans leur totalité comme don du Père. Il a donc incorporé cette affirmation dans le texte qui traite des vœux dans leur ensemble.
— «Marie Immaculée est le modèle et la gardienne». Cette affirmation est placée dans le contexte du vœu de chasteté aussi bien dans le texte de 1966 (C 24) que dans le texte révisé. L’adjonction des mots «Vierge et Mère» en donne une justification implicite. Le Chapitre de 1980 a ici aussi suivi la suggestion de la commission précapitulaire de regarder Marie comme «modèle et gardienne de [toute] notre vie consacrée» (C 13). La signification de la Vierge Mère pour une vie de célibat n’est en rien diminuée. Mais le danger d’un certain mysticisme porté à considérer Marie comme une «épouse de substitution», est réduit en même temps que se trouve clarifiée la structure profondément mariale d’une vie vécue dans le contexte de la «suite du Christ» [44].
Notons encore que ce n’est plus dans le contexte du vœu de chasteté qu’on parle de l’équilibre sain à conserver entre travail et repos pour éviter l’épuisement nerveux (R 44 de 1966), mais dans un article qui traite de la communauté apostolique (R 25 de 1982).
— Célibat consacré. Conformément à la tradition, c’est le titre La chasteté qui coiffe les articles qui traite de ce vœu. Dans la constitution 14 cependant, le Chapitre a changé l’expression «vœu de chasteté» en «célibat consacré». Pour les capitulants il s’agissait peut-être avant tout d’unifier la terminologie. On aurait pu atteindre le même but en faisant l’inverse et en utilisant de façon consistante l’expression «chasteté». Il est évident que le Chapitre a tenu compte ici de certaines remarques (voir ci-dessus). Il a correctement et de façon cohérente mis en parallèle la vocation au sacrement du mariage et celle au célibat consacré pour le Royaume des cieux. Lorsqu’il s’agit de la vocation comme telle, le terme «célibat» semblerait le plus approprié. «Nous pensons que le terme le moins équivoque est celui de «célibat». La chasteté, en effet, est une loi qui concerne tous les chrétiens, même les gens mariés. Quant à la virginité, c’est là un terme biologique ou sacralisé qui est trop chargé de signification ascético-religieuse» [45].
— Laïques et religieux dépendant les uns des autres. Dans ce même contexte il faut placer l’élargissement que le Chapitre a apporté à la règle 13. Ce n’est pas seulement nous, les religieux qui, par notre fidélité au vœu, apportons soutien et appui aux gens mariés ou non dans leur fidélité. Nous recevons également, à l’inverse, aide et stimulant de l’exemple des laïques. La raison de cet élargissement se trouve dans la reconnaissance de la dignité des autres vocations chrétiennes qui toutes visent à la charité parfaite et sont au service de la vitalité de tous les membres du corps du Christ. L’appel au célibat pour le Royaume des cieux et la force nécessaire pour suivre cette voie sont un don de Dieu et pas seulement le produit d’un «surplus» chez des gens particulièrement saints. Il ne conduit pas à une «isolation splendide» mais à un échange fécond. Cet élargissement, qui n’est pas très important en soi, donne cependant à la règle 13 un poids d’autant plus important qu’elle s’oppose à la restriction du champ de vision et à l’égocentrisme qu’on reproche si souvent au célibataire.

LA SPIRITUALITÉ OBLATE ET LA CHASTETÉ

De ce que nous venons de dire dans la section précédente, il ressort clairement que le texte des Constitutions et Règles de 1982 a été conçu dans le cadre d’une écoute attentive de la doctrine de l’Église et d’une réflexion sérieuse sur la problématique contemporaine. Dans cette dernière section, nous ne traiterons donc pas spécialement de cette question.
Il est évident qu’il n’existe pas de chasteté spécifiquement oblate. Tous les religieux et religieuses sont appelés à vivre le célibat pour le Royaume et à s’entraîner à pratiquer les vertus correspondantes. Le vœu de chasteté se prête encore moins que les vœux de pauvreté et d’obéissance à une expression qui serait caractéristique de la Congrégation. Par ailleurs, le sacrement du mariage et l’idéal du mariage chrétien et de la famille peuvent se vivre de diverses façons qui doivent être conformes au temps et aux conditions sociales. De même, la vie de célibat pour le Royaume sera empreinte aussi bien de la spiritualité d’une communauté religieuse que de son activité apostolique [46]. C’est dans ce sens, à partir des Constitutions et Règles, que nous essaierons maintenant de donner quelques indications permettant de pousser plus loin la réflexion, sans vouloir cependant en aucune façon remplacer ou reprendre un commentaire sur les Constitutions et Règles.
Pour l’essentiel, nous suivrons la ligne tracée par la commission de révision, à laquelle le Chapitre général s’est en grande partie tenu. Dans son introduction de la première partie du Projet des Constitutions et Règles que la commission a soumis au Chapitre de 1980, le père Alexandre Taché écrit à propos des vœux: «Le projet présente d’abord les conseils évangéliques: pour chacun son origine évangélique; puis, sa valeur de signe et son sens eschatologique, sa dimension communautaire et enfin l’objet du vœu» [47]. Nous placerons pareillement nos indications sous quatre titres: 1. la dimension christologique; 2. la dimension prophétique; 3. la dimension communautaire et enfin 4: la dimension mariale.

1. LA DIMENSION CHRISTOLOGIQUE

Le motif premier et décisif du choix de cette forme de vie est la suite du Christ, «qui a été chaste et pauvre, et a racheté le monde par son obéissance» (C 12). Les Oblats sont «des inconditionnels de Jésus Christ» (titre de C 12), c’est-à-dire que la suite du Christ est la condition sine qua non de leur existence. «C’est l’appel de Jésus Christ […] qui réunit les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée (C 1). «[…] les Oblats abandonnent tout à la suite de Jésus Christ» (C 2). «La communauté des Apôtres avec Jésus est le modèle de leur vie» (C 3). «La croix de Jésus est au cœur de notre mission» (C 4). «Les Oblats ne réalisent l’unité de leur vie qu’en Jésus Christ et par lui» (C 31).
«En réponse» — Ce n’est pas avant tout pour trouver une liberté intérieure et extérieure plus grande, ni non plus pour une bonne cause que nous choisissons la forme de vie du vœu de chasteté, mais avant tout pour la personne de Jésus Christ. Cette option se fait «en réponse à une invitation spéciale du Christ» (C 14). «Cette invitation s’inscrit dans l’Écriture et la tradition chrétienne» [48], mais elle est également une invitation personnelle qui «se fait connaître à travers le désir ou attrait intérieur à se livrer au Christ, en vue du Royaume» [49]. Cela laisse transparaître dès le départ la relation personnelle que ce vœu, tout particulièrement, établit entre l’Oblat et Jésus Christ et qui n’en permet donc pas une interprétation purement fonctionnelle. Le vœu est ainsi placé presque au niveau du «oui» que se donnent les fiancés dans le consentement du mariage. Il demande par conséquent une vie entière vécue dans le «dialogue de l’amour». En effet, cette invitation, comme toute vocation, n’est pas un acte unique et ponctuel, mais une interpellation continue qui demande toujours une nouvelle réponse. Elle est une invitation à une amitié pour la vie, dans laquelle le novice doit graduellement entrer (C 56), qui fonde l’unité de la vie de l’Oblat (C 31) et qui, dans l’esprit du Fondateur, a pour objet ultime «de devenir d’autres Jésus Christ» [50] (C et R de 1818). Dans ce sens, on remarquera également l’expression «voie du célibat consacré» (C 14), à laquelle le père Jetté renvoie explicitement dans son commentaire comme «un point à noter» [51]. Piet van Breemen a également des mots évocateurs dans ce sens: «C’est un chemin long et parfois difficile que celui de devenir, en vue du Royaume, inapte au mariage» [52].
Dans une Congrégation dont la tâche est le service de la Parole, cet «aspect dialogique» des vœux mis en évidence dans la Règle mérite un développement. Dans ce contexte, on notera que les moralistes et les psychologues utilisent volontiers le champ conceptuel du langage comme clé d’une compréhension plus approfondie de la sexualité en tant qu’expression de l’amour. Pour celui qui choisit le célibat en vue du Royaume, la sexualité n’est pas tout simplement une langue étrangère et encore moins une langue morte. Il doit lui aussi apprendre à la parler à sa façon. C’est dans ce sens également que l’expression «en réponse» (C 14) peut être stimulante [53].
L’amour fait homme — Les vœux sont une expression de la suite radicale du Christ. Ils permettent à l’Oblat «de s’identifier à lui, de le laisser vivre en eux […], de le reproduire dans leur vie» (C 2). La structure fondamentale de la façon d’être du Christ consiste en ceci: il vit entièrement en union avec le Père et il est en même temps, par tout son être, sa parole et son action, avec les hommes. C’est la structure de l’incarnation, de l’amour fait homme. Vivre en Dieu et être présent aux hommes: voilà également la structure fondamentale de toute suite du Christ à laquelle le chrétien, en raison de son baptême, est appelé et habilité, et dans laquelle le religieux s’engage d’une manière plus radicale et irrévocable. C’est ce qu’exprime le vœu de chasteté: «Ce choix nous consacre au Seigneur et, en même temps, nous rend disponibles au service de tous» (C 15). «Le célibat consacré […] exprime vie et amour; il est don de nous-mêmes à Dieu et aux hommes […]» (C 16).
Tout ceci n’est évidemment pas particulier à l’Oblat et s’applique aussi bien au Chartreux qu’au missionnaire actif. Le don total aux hommes et la disponibilité au service de tous deviennent cependant pour lui le contenu concret de tout apostolat et de l’esprit de la Congrégation. Tout religieux choisit «le célibat consacré en vue du Royaume» (C 14); mais pour l’Oblat cela ne signifie pas seulement «se mettre totalement au service de l’Église et du Royaume» (C 46), mais encore «faire connaître […] le Christ et son Royaume» (C 5), «proclamer le Royaume» (C 11), «annoncer son Royaume») C 37), «prêcher le Royaume» (C 52). Pour le missionnaire oblat, cela signifie que toute son activité apostolique doit être pénétrée de l’amour de Dieu et des hommes, amour pour lequel la vie dans le célibat consacré le libère. L’expérience montre combien notre engagement missionnaire peut être influencé par les contraintes psychologiques, combien les motifs égoïstes ou idéologiques peuvent occuper le devant de la scène et combien ils peuvent refouler ou du moins troubler le seul motif christiforme, à savoir l’amour. Nous devenons ainsi des «seigneurs de la foi» au lieu d’être des «serviteurs de la joie» (voir 2 Co 1, 24). La dimension missionnaire du vœu de chasteté devient ainsi claire. Notre décision en sa faveur est un «choix libérateur» (C 15). Il ne s’agit pas d’une simple libération extérieure, c’est-à-dire d’une liberté de mouvement ou d’une plus grande disponibilité, mais d’une liberté intérieure, d’un «cœur non divisé». Le texte de la constitution 16 montre clairement qu’il ne s’agit pas simplement de vivre une morale. Il détache notre regard d’une casuistique craintive et nous indique le chemin d’un amour dont la force libère la vie.
Ce «don total» est peut-être la façon radicale de prendre au sérieux la parole du Christ: «en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire» (Jn 15, 5). Lorsqu’il est vécu authentiquement, c’est-à-dire lorsque la chasteté devient «charité sacerdotale», il contribue subs- tantiellement à l’efficacité de notre apostolat. Les enquêtes sociologiques, d’une part, sont utiles et même précieuses et, d’autre part, l’étude et la mise à l’essai de nouvelles formes d’évangélisation sont nécessaires; mais les premières ne nous conduisent pas automatiquement à être «proches des gens» (C 8) et les dernières restent inefficaces lorsqu’elles ne sont pas nourries de la «charité sacerdotale de Jésus» [54]. C’est pour elle que le vœu de chasteté veut libérer l’Oblat. À l’inverse, notre apostolat a un effet purificateur et stimulant pour notre vie et notre amour envers Dieu et les hommes. Il nous rend capables de fidélité dans le célibat: «Pour y être fidèles, ils comptent […] sur leur engagement apostolique envers tous» (C 18).
«Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux pauvres» (Lc 4, 18) — C’est là l’aspect christologique qui a déterminé de façon substantielle le charisme du Fondateur et, par conséquent, celui des Oblats. Les pauvres incluent également les solitaires, les mal-aimés, ceux qui désespèrent de la vie et de l’amour. Y a-t-il une pauvreté plus grande que celle de ne pas être aimé? La vie dans le célibat est une forme radicale de pauvreté qui nous rend solidaires de tous ceux et celles qui souffrent de cette pauvreté. Dans son commentaire de la règle 13, le père Jetté écrit: «Dans notre chasteté consacrée, nous ne sommes jamais seuls; nous portons tous nos frères et sœurs de la terre» [55]. Elle nous rend également capables de participer à l’amour du Christ, qui témoigne à tous les hommes que chacun est aimé. Cela suppose, évidemment, qu’elle ne soit pas vécue comme une performance élitiste ou un renoncement héroïque, mais dans l’action de grâce pour le «don du Père» (C 12) et dans la joie de répondre à l’invitation du Seigneur; comme un oui qui «exprime vie et amour» (C 16).
Chasteté et inculturation — Parler d’incarnation veut dire, dans le contexte de la mission, parler également d’inculturation. L’inculturation des conseils évangéliques, comme forme essentielle de la suite du Christ, est une partie essentielle de l’évangélisation intégrale dans l’Église. Le grand nombre de prêtres, de religieux et de religieuses dans les jeunes Églises montre que l’Esprit a été et reste toujours puissamment à l’œuvre.
Dans ce domaine, la chasteté consacrée a soulevé et soulève encore des problèmes. Ce n’est pas ici le lieu de les traiter. Pour le missionnaire, il est important de soutenir l’action de l’Esprit et de rendre audible l’appel du Seigneur par la fidélité à sa vocation ainsi que par la manifestation de la joie et de la liberté qu’elle nous donne. Ce n’est pas toujours chose facile. Le missionnaire doit être en mesure de vivre le vœu dans la rencontre avec des cultures, des mentalités et des coutumes qui peuvent être assez différentes de celles auxquelles il est habitué. Le Fondateur semble s’être déjà posé des questions à ce sujet [56]. Au premier congrès des supérieurs de scolasticats, tenu à Rome en 1947, on était conscient de ce problème et on a parlé d’une «crise de transition dans les missions étrangères» en citant quelques difficultés concernant le vœu de chasteté (solitude, climat) et en donnant quelques indications [57]. Le texte approuvé de la règle 12 § 2, donne une brève règle de conduite pratique.
Par ailleurs, le problème ne se réduit pas à la mission ad gentes. Dans le monde occidental aussi, l’environnement culturel, religieux, moral et social s’est considérablement modifié. Le nouveau texte des Constitutions et Règles essaie d’y répondre par un appel à l’inculturation du don de Dieu dans un monde en mutation.

2. LA DIMENSION PROPHETIQUE

Lorsqu’on participe de nos jours à la discussion sur la vie religieuse, on a souvent l’impression que la participation des religieux au ministère prophétique du Christ se réduit uniquement à l’engagement pour la justice et la paix. Sur ce point, le texte fondamental pour les Oblats, celui de la constitution 9, ouvre des horizons plus vastes: «Membres de l’Église prophétique, ils doivent être témoins de la justice et de la sainteté de Dieu». Témoigner de la sainteté signifie s’engager pour que Dieu soit saint pour tout homme et que par conséquent tous les dix commandements soient tenus pour saints: la vie et la dignité des hommes, le mariage et la famille, la création et son achèvement, le pouvoir et la dépendance, la possession et le partage. Le prophète dévoile le mensonge dans les relations de l’homme à Dieu, des hommes entre eux et de chaque homme avec lui-même. Il insiste sur les droits de Dieu, sans lesquels l’homme ne saurait pas vivre comme il faut, et il témoigne de la primauté de l’amour de Dieu dans tout l’agir humain. Ce témoignage, il ne le rend non seulement en paroles, mais également en actes et souvent à travers son existence même: mariage ou célibat, témoignage ou contre-témoignage, insulte ou consolation, tristesse ou joie: tout cela peut témoigner. En Jésus Christ, le Prophète par excellence, la parole, le geste et l’existence forment une seule réalité prophétique.
La vie selon les conseils évangéliques est un geste prophétique dans la mesure où elle établit radicalement les relations de celui qui la vit en accord avec la volonté de Dieu, et cela à la condition qu’elle ne soit pas uniquement un témoignage rendu en paroles, mais un signe existentiel de la sainteté de Dieu, de la primauté de son amour et de la venue de son Royaume. Ainsi la vie devient-elle un défi.
«Le fait que la prophétie n’implique pas en priorité la prédiction de l’avenir, fait partie de sa propre définition. Elle consiste bien plutôt à témoigner devant les hommes, par la parole et le geste, et d’une manière qui soit en même temps provocatrice, de la réalité de Dieu. Le célibat n’est au fond qu’un des trois noms donnés à la communication que Dieu fait de lui-même aux hommes et au monde. Ce don particulier de l’amour inconcevable de Dieu pour l’homme a, pour ainsi dire, trois faces, à savoir la pauvreté, l’obéissance et le célibat consacré» [58].
Le célibat pénètre d’une façon particulièrement profonde la réalité corporelle et spirituelle de l’homme pour devenir le signe prophétique par excellence de la primauté de l’amour de Dieu.
Dans le cas des vœux de pauvreté et d’obéissance, cet aspect prophétique se manifeste clairement dans le choix des mots: l’Oblat «conteste ainsi les excès du pouvoir et proclame la venue d’un monde nouveau» (C 19); «[…] nous contestons l’esprit de domination et nous voulons témoigner de ce monde nouveau […]» (C 25). Dans la version anglaise de la constitution 15, sur le vœu de chasteté, cette approche est maintenue: «challenge the tendency to possess and to use others for selfish purposes», tandis que dans le texte français elle est bien plus terne et centrée uniquement sur l’attitude personnelle: «Ce choix [de la chasteté…] nous aide à maîtriser la tendance aux relations égoïstes».
L’autre aspect de la dimension prophétique, à savoir celui de l’eschatologie, est présenté d’une façon prudente, tout en étant assez claire: «Nous vivrons notre célibat comme un signe de la charité parfaite qui ne sera complètement révélée que dans le Royaume» (C 15). Le célibat reste incompréhensible et, en fin de compte, inacceptable sans cette visée sur la venue du Règne. Cette provocation est nécessaire précisément parce que cette ouverture sur un avenir plus grand menace d’échapper à l’homme moderne et postmoderne, et que, par le fait même, sa compréhension du célibat tend à diminuer. Dans ce sens, on peut sans doute dire que la valeur significative du célibat surpasse ou complète celle du mariage. Le mariage et le célibat sont, tous les deux, des signes de l’amour du Christ pour son Église, des signes de l’intimité et de la fertilité de cet amour. Le célibat est, en outre, une existence prophétique en autant qu’il désigne la nouvelle famille de ceux qui font la volonté de Dieu (voir Mt 12, 46-50), le festin de noce de la vie éternelle (voir Ap 19, 9) et la résurrection des morts (voir Mc 12, 25; Lc 20, 35; C 16) [59].
Le texte des Constitutions ne touche pas au côté individuel de cette visée eschatologique, bien que cela soit également important pour la compréhension des vœux. Il révèle, en effet, la solitude, la pauvreté et l’impuissance radicales qui apparaissent dans la mort et qui renvoient à l’accomplissement final de l’amour donné et reçu, dans le mien et le tien, dans la liberté et la communion totales. L’accomplissement de l’individu et la venue du Royaume coïncident pour tous, car alors Dieu est «tout en tous» (1 Co 15, 28).

3. LA DIMENSION COMMUNAUTAIRE

Il n’est pas possible de déterminer de façon univoque ce qu’on entend pas «dimension communautaire» dans la ligne directrice indiquée plus haut. Nous voudrions la comprendre par rapport à la communauté de l’Église, à la communauté avec ceux auxquels nous sommes envoyés, ainsi qu’à la communauté de vie des Oblats. Chaque charisme est donné pour le bien commun et possède par conséquent une dimension communautaire. Ainsi ne vivons-nous pas nos vœux uniquement pour Dieu et pour nous-mêmes, mais encore et toujours dans et pour l’Église, comme un élément essentiel de notre mission. La constitution 12, d’ailleurs, nous donne dans ce sens un élan spirituel précieux: «Les vœux […] marquent d’un caractère particulier ce milieu vital qu’est la communauté».
C’est évident en ce qui concerne la pauvreté et l’obéissance, mais il est également clair que le célibat rend possible une intensité de communauté de vie que seule la famille peut dépasser. D’autre part, la psychologie et l’expérience nous enseignent que la vie en communauté est un soutien puissant pour le célibat [60]. La règle 11 souligne l’importance, pour la maturation de la personne, de vivre avec les autres et pour les autres. Le père Jetté commente ce passage ainsi: «Si l’Oblat est vraiment épanoui dans son milieu et profondément attaché à l’un ou l’autre confrère, l’évolution de la chasteté chez lui s’accomplira plus facilement» [61]. Nous lisons également dans le document principal du Chapitre de 1992: «La vie communautaire […] permet de faire la vérité en soi-même et de clarifier ses motivations […] la communauté a un rôle de guérison et de réconciliation […]» [62]. Bien qu’il ne traite pas directement de la chasteté, ce texte confirme ce qui précède.
La dimension communautaire va, cependant, encore plus profond. Par les vœux, l’Oblat assume trois liens: le lien à Dieu par le Christ, le lien au peuple de Dieu qui est l’Église, le lien à la communauté, la Congrégation et, par voie de conséquence, à sa communauté immédiate. «Les vœux les unissent […] au Seigneur et à son peuple, et marquent […] la communauté» (C 12). L’appartenance à la communauté devient, pour ainsi dire, une partie de son identité. Nous ne vivons pas seulement nos vœux avec d’autres qui les vivent également; nous les vivons en commun: «Le groupe comme tel vit la chasteté, la pauvreté, l’obéissance, la persévérance, s’il veut remplir son rôle de signe dans l’Église et dans le monde, ce qui dépasse une pratique seulement personnelle des conseils évangéliques» [63]. La valeur du signe se manifeste beaucoup plus clairement à travers la communauté. En communauté, nous représentons l’Église, nous sommes «une cellule vivante de l’Église» (C 12) et, par le célibat vécu en communauté, nous témoignons «de la profondeur de l’alliance qui unit l’Église et le Christ, son unique Époux, et de la fécondité spirituelle de cette union» (C 15). Ainsi la racine et le fruit du célibat consacré deviennent-ils manifestes: «témoigner ensemble (la version anglaise dit «as a group») de l’amour du Père pour nous et de notre amour fidèle pour lui» (C 16). La chasteté de l’Oblat vit de l’appel du Christ à cette communauté [64] et le libère pour exercer sa charité dans sa communauté et envers les hommes.
Pour un Oblat, la façon de vivre la chasteté n’est donc pas simplement une affaire personnelle. Il ne doit pas seulement l’apport de son effort personnel au Seigneur et à lui-même, mais aussi à la communauté; d’abord à la communauté de l’Église, car, lorsque la racine de l’amour apostolique se dessèche et meurt, la «cellule vivante» se transforme en abcès cancéreux; ensuite, à la communauté oblate, car ce n’est qu’ainsi qu’elle est, selon l’exemple des Apôtres, en chemin unie radicalement au Christ Seigneur: «Tels des pèlerins, ils font route avec Jésus dans la foi, l’espérance et l’amour» (C 31); enfin, à la communauté de ceux et celles à qui nous sommes envoyés, car ce n’est qu’ainsi que nous sommes vraiment «disponibles au service de tous» (C 15) [65].
Les amitiés qui le lient de façon particulière à une personne ou l’autre dans la communauté ou hors d’elle ne font pas obstacle à cela. Les Constitutions et Règles les recommandent même avec une certaine insistance, contrairement à ce qui, dans le temps, était l’usage chez les Oblats, surtout dans la formation (rarement un, jamais deux, toujours trois). Il est évident que les amitiés peuvent contribuer au développement des valeurs essentielles qui peuvent profiter aussi bien à la vie de communauté qu’à l’apostolat. Elles font obstacle au danger de devenir des vieux garçons invétérés et des originaux, le contraire d’«hommes apostoliques». Nous avons déjà mentionné combien le Fondateur appréciait l’amitié [66].
Il faut cependant noter que la vie dans le célibat consacré se vit dans une tension entre la solitude et la vie commune. C’est précisément de cette tension que le célibat tire sa force pour sa dimension prophétique. Il existe une fuite vers la vie à deux qui desserre la corde de l’arc et qui affadit le sel du célibat jusqu’à lui enlever toute valeur au point d’être finalement rejeté.
Trois critères sont utiles pour juger d’une amitié. Elle ne doit ni intérieurement, ni extérieurement éloigner de la communauté; elle ne doit pas, non plus, entraver l’engagement apostolique; elle doit promouvoir l’amitié avec le Christ. C’est lui qui a porté toutes nos solitudes jusqu’à l’ultime «abandon» sur la croix. C’est lui qui a fondé toute vie en commun dans son Corps mystique.
«Je ne vous appelle plus serviteurs… je vous appelle amis» (Jn 15, 15). Cette amitié profonde avec le Christ doit marquer toute relation et toute communion. Elle est ouverte également à celui qui, pour quelque raison que ce soit, ne réussit pas à trouver ailleurs des amis dans le sens propre du mot. C’est dans le sens de cette amitié que nous devons, surtout et avant tout, nous engager. Il n’est pas nécessaire de craindre et de se faire trop de souci pour tout le reste: cela nous sera donné par surcroît. C’est à partir de cette amitié qu’une véritable communauté se développera. Elle rendra l’Oblat «plus apte à aimer avec le cœur du Christ» (R 12) [67].

4. LA DIMENSION MARIALE

Même si, dans les Constitutions et Règles de 1982, Marie n’est plus mentionnée en relation immédiate avec le vœu de chasteté [68], on ne peut pas éviter entièrement d’en parler dans un article même bref et incomplet sur la spiritualité oblate et la chasteté. Marie est «le modèle et la gardienne de notre vie consacrée» (C 13). Cela concerne évidemment aussi le célibat consacré.
Dans le domaine de la chasteté, Marie est le modèle surtout en tant que vierge et mère [69]. Elle nous rappelle que notre don à l’amour tel qu’il s’exprime dans le vœu de chasteté doit devenir fécond en donnant le Christ au monde (voir C 10). Notre amour consacré ne doit pas devenir quelque chose qui soit détaché de la vie, une sublimation de notre capacité d’aimer dans une sphère toute surnaturelle. Il ne doit pas non plus se réduire à n’être qu’un instrument de notre perfection individuelle. Au contraire, il doit servir à la vie concrète en nous et autour de nous. «Le climat normal de la chasteté n’est pas celui de repliement sur soi ou de l’égoïsme, mais celui de l’ouverture au prochain et du don de soi aux autres», écrit le père Jetté. La virginité de Marie, à travers sa maternité, a servi très concrètement le Verbe de vie. De même, le célibat consacré au service de la vie doit-il s’épanouir en une paternité spirituelle, sinon il deviendra comme le sel qui perd sa saveur [70].
Ouvert à l’Esprit — Le contraste entre Esprit et chair ne se réduit évidemment pas au domaine de la génitalité mais c’est dans ce contexte que Paul lui-même parle des œuvres de la chair, en nous encourageant à marcher «sous l’impulsion de l’Esprit» (Ga 5,16).
Dans sa maternité virginale, Marie est l’épouse de l’Esprit Saint. En tant que telle, elle est pour nous, Oblats, «par sa réponse de foi et sa totale disponibilité […] le modèle et la gardienne de notre vie consacrée» (C 13). Pour celui qui y est appelé, la chasteté est, d’une part, le chemin vers cette disponibilité mariale; d’autre part, elle ne peut être vécue que par la puissance de l’Esprit, en vue de produire «le fruit de l’Esprit» (Ga 5, 22). Notre dévotion à Marie doit être telle qu’elle nous fasse devenir des hommes vraiment spirituels. Elle nous aidera ainsi à apprécier toujours plus profondément ce don de Dieu et à lui faire porter du fruit.
«Ils la regarderont toujours comme leur Mère» — Cet héritage du Fondateur est un élément marquant de la spiritualité oblate. Pour une vie dans le célibat, une relation saine à la mère, parfois après guérison, est d’une grande importance. La confiance dans la vie, la maturité affective, une saine sensibilité, le respect et la pudeur ont ici leurs plus profondes racines. Marie ne peut être ni épouse ni mère de remplacement, mais elle peut être «une de ces présences intimes bienfaisantes, qui nous gardent fidèles au Dieu très saint à travers nos souffrances et nos joies de missionnaires» [71]. Une telle présence intime peut aider à dépasser des phénomènes de marginalisation et de blessures d’enfance, et à atteindre une véritable liberté pour pouvoir vivre le célibat dans la paix et la joie. Cela présuppose, évidemment, que la relation à Marie comme notre mère ne soit pas elle-même vécue de façon infantile, mais à la manière d’un adulte et guidée par la parole de Dieu [72].
Cette intimité avec Marie peut prendre des formes très diverses, selon le caractère humain et le profil spirituel de chacun. Là où elle est vécue d’une façon saine, elle contribuera à l’intimité de l’amitié avec le Christ, qui est absolument nécessaire pour le célibataire. Sans cette dernière, le vœu ne pourra pas pleinement développer sa force de liberté et de bonheur. Sans l’expérience de la familiarité avec le Seigneur, rencontré dans la vie et dans l’action, il faudrait faire un effort psychologique qui dépasserait les forces. La constitution 36 nous dit: «C’est en union avec Marie Immaculée, fidèle servante du Seigneur, que, sous la conduite de l’Esprit, ils approfondiront leur intimité avec le Christ».
L’Immaculée — «Leur inculquer une grande dévotion à Marie Immaculée», tel est le conseil donné lors du congrès des supérieurs de scolasticats déjà mentionné [73]. Certes il serait funeste pour la spiritualité oblate de vouloir réduire la richesse du dogme de l’Immaculée Conception à un aspect de pureté morale, de quelque façon que celle-ci soit d’ailleurs comprise. Mais il y aura toujours des Oblats qui trouveront spontanément dans ce privilège de Marie une source de force spirituelle, y compris pour leur vie de chasteté consacrée.
Ce privilège a été donné à Marie en vue de son don sans partage à Jésus comme vierge et mère, et lui a permis d’être les deux à la fois, avec toute sa personnalité, dans son esprit, son âme et son corps. Elle est assumée dans la totalité de sa vie dans le «oui» de son Fils [74]. Le «non» du péché n’a jamais touché Marie. Les conséquences du péché originel ne l’ont jamais troublée dans la claire ouverture de tout son être à Dieu et à son Règne; «personne structurairement ordonnée», c’est ainsi qu’on l’a nommée lors du congrès marial des Oblats à Rome en 1954 [75]. «C’est l’Immaculée, c’est la personne en ordre, c’est l’ordre qui devient principe maternel pour nous» [76].
Ce qu’on nomme ici «personne en ordre» peut sans doute être mis en relation avec ce qu’on appelle aujourd’hui «la maturité affective» ou «maturité de la personnalité», même si les deux concepts ne se recouvrent pas entièrement. Nous savons combien les deux sont importants pour une vie dans le célibat. Certes, la vénération de l’Immaculée seule ne fait pas de notre vie dans le célibat consacré une «chasteté adulte» [77], mais on voit facilement qu’il peut être utile de le vivre avec un regard sur l’Immaculée et, d’une certaine façon, en nous laissant tenir par sa main [78].
Les idées développées ici ne voudraient pas conduire à une dévotion mariale fixée sur l’aspect de la chasteté, mais seulement indiquer quelques pistes de réflexions reliant le vœu et le caractère marial de notre charisme.

CONCLUSION

La chasteté est un domaine qui suscite actuellement de l’effervescence: l’effort positif fait pour comprendre correctement, dans un monde en mutation, l’identité sexuelle de l’individu et les relations entre partenaires; le climat surchauffé qui existe dans beaucoup de domaines de la société moderne ou post-moderne; la suppression presque effrénée des tabous, d’une part, et la dénonciation quasi inquisitionnelle des manquements des prêtres et des religieux et religieuses, d’autre part; la discussion animée portant sur le célibat des prêtres… Ces questions, parmi d’autres, imposent, de nos jours, de plus en plus d’exigences au discernement et à la formation des futurs prêtres et des religieux. Il n’a pas été possible d’entrer dans cette problématique dans le cadre de cet article. Le document du comité général de la formation (Rome 1994) parle de la nécessité de traiter du phénomène de l’homosexualité dans le contexte de notre vocation à la vie religieuse et recommande d’intégrer, dans notre programme de formation, un accompagnement psychosexuel progressif [79]. Nous voudrions souligner et appuyer ces deux recommandations.
Indépendamment de cette effervescence entourant la chasteté, il demeure nécessaire de réfléchir sur l’essentiel. Pour cela, à mon avis, les principes qui suivent sont déterminants:
1. La parole de Dieu est et reste le fondement;
2. La doctrine de l’Église nous montre le chemin;
3. La primauté de l’amour doit toujours être respectée;
4. Prière et ascèse, engagement missionnaire et communauté sont des appuis indispensables;
5. Le mystère de Marie et l’exemple de nos saints apportent lumière et encouragement. Ils nous enseignent que le «don du Père», lorsqu’il est vécu authentiquement comme réponse à un appel du Seigneur, nous conduit au cœur de la suite du Christ, c’est-à-dire de l’«être chrétien», qui est amour sans partage pour Dieu et pour les humains. «La virginité n’existe pas pour être admirée par les hommes. La seule chose qui compte, c’est d’être saisis par le Christ et d’annoncer le message de son amour» [80].

Hans Josef Trümper