1. Les constitutions et règles en général: nature et approbation par l’église
  2. Les constitutions et règles des oblats de marie immaculée: évolution
  3. Constitutions et règles de 1982
  4. Le fondateur et les constitutions et règles
  5. Les supérieurs généraux et les constitutions

LES CONSTITUTIONS ET RÈGLES EN GÉNÉRAL: NATURE ET APPROBATION PAR L’ÉGLISE

Dans la littérature religieuse des premiers siècles, le mot «règle» (regula) désigne une manière de vivre selon un modèle déterminé: celui des moines ou d’un maître spirituel, mais toujours et surtout celui du Christ et des Apôtres. Graduellement, la «règle» prendra un sens plus formel pour s’appliquer à un ensemble de textes à la fois spirituels et normatifs destinés à organiser et à animer la vie d’une communauté: Règles de saint Basile, de saint Benoît, de saint Augustin.

À une époque plus proche de nous (XVIe siècle), les clercs réguliers (Jésuites, Théatins) se font approuver non plus à partir d’une règle forte du prestige de sainteté de son auteur et de sa durée multiséculaire, mais d’une «formule de vie» (formula vitae, forma vivendi), expression de l’inspiration initiale et de l’expérience spirituelle et pastorale d’un petit noyau fondateur. Bientôt, toutefois, ces fondateurs passeront à la rédaction de «constitutions» (constitutiones) qui élaboreront de façon plus complète et systématique leur charisme et sa mise en oeuvre. Puis, aux côtés du texte fondamental des constitutions viendront prendre place des «règles» (regulae) qui l’expliciteront et l’adapteront aux circonstances. C’est ainsi qu’à partir du 17e siècle, les nouvelles congrégations à voeux simples (Lazaristes, Passionistes et, plus tard, les Oblats de Marie Immaculée) se donneront des «Constitutions et Règles» approuvées ensuite par le Saint-Siège.

Le Code de droit canonique de 1983 présente les constitutions comme «le code fondamental» qui doit contenir les normes essentielles concernant «la nature, le but, l’esprit et le caractère de l’Institut» (can. 578), de même que «son gouvernement, la discipline des membres, leur incorporation et leur formation, ainsi que l’objet propre des liens sacrés» (can. 587, § 1). Les autres éléments plus mobiles, ou «règles», doivent se retrouver dans d’autres recueils (can. 587, § 4).

Si la formulation d’une règle ou de constitutions relève de l’expérience spirituelle d’un fondateur et d’un groupe originel de disciples, une intervention de l’autorité de l’Église ne tarde pas habituellement à venir donner un sceau d’authenticité à l’inspiration divine initiale. «Suivant avec docilité les impulsions de l’Esprit Saint, [la hiérarchie de l’Église] accueille les règles proposées par des hommes ou des femmes de premier ordre et, après leur mise au point plus parfaite, elle leur donne une approbation authentique; enfin, avec autorité, elle est là pour veiller et étendre sa protection sur les instituts créés un peu partout en vue de l’édification du Corps du Christ, afin que, dans la fidélité à l’esprit de leurs fondateurs, ils croissent et fleurissent» [1].

L’approbation de l’Église, dans les débuts du monachisme et d’autres formes de vie consacrée, a été donnée par l’évêque dont l’autorité s’unissait parfois à celle du fondateur et rédacteur de la règle. On voit ensuite les conciles et, en Orient, le pouvoir séculier, intervenir en établissant des normes à observer par tous ceux et celles qui s’engagent par voeux à la suite du Christ. Puis, déjà au 9e siècle, et plus fréquemment à partir du 12e siècle, se développe l’institution de la «protection pontificale» et la dépendance directe du Saint-Siège concédée à des monastères pour les soustraire de l’assujettissement aux seigneurs temporels et à certains évêques, et leur permettre ainsi de mieux poursuivre leurs fins. Désormais, la législation officielle des religieux émanera soit des papes, soit des grands conciles, et l’approbation pontificale viendra reconnaître l’authenticité du charisme fondateur, garantir la légitimité des fondations et la conformité des règles avec la législation de l’Église.

L’approbation par le Saint-Siège a pris dans le passé des formes plus ou moins solennelles: bulle, bref, décret. En étendant ainsi sa «protection» aux congrégations religieuses, le Saint-Siège accentuait leur dépendance par rapport à lui et la nécessité pour les instituts de réviser périodiquement leurs constitutions selon l’évolution du droit commun de l’Église: ainsi en fut-il particulièrement après la promulgation du Code de 1917, après le concile Vatican II et le Code révisé de 1983. À la suite de la constitution Lumen Gentium par laquelle le Concile mettait en relief la signification théologique et ecclésiologique de la vie religieuse [2], le décret Perfectae caritatis invitait les religieux à opérer une rénovation adaptée comprenant à la fois «le retour continuel aux sources de toute vie chrétienne ainsi qu’à l’inspiration originelle des instituts et, d’autre part, la correspondance de ceux-ci aux conditions nouvelles de l’existence» [3].

En 1966, le motu proprio Ecclesiae sanctae donnait des directives concrètes pour mener à bien cette réforme, directives qui conduiraient à l’élimination des éléments désuets des constitutions et adapteraient «l’organisation de la vie, de la prière et de l’activité aux conditions physiques et psychiques des religieux, et aussi, dans la mesure où le requiert le caractère de chaque institut, aux besoins de l’apostolat, aux exigences de la culture, aux circonstances sociales et économiques; cela en tout lieu, mais particulièrement dans les pays de mission» [4].

Par-dessus tout, ces lignes directrices de la législation postconcilaire veulent mettre en relief la réalité profonde de la «suite du Christ» (sequela Christi) et démontrer comment les normes concrètes régissant la vie religieuse découlent de considérations théologiques et spirituelles. Pour sa part, l’autorité ecclésiale y affirme son devoir de veiller sur la fidélité des constitutions au charisme des fondateurs, car celui-ci n’est pas seulement un don fait à une famille religieuse particulière, mais à l’Église tout entière dont il est l’un des fruits les plus précieux.

LES CONSTITUTIONS ET RÈGLES DES OBLATS DE MARIE IMMACULÉE: ÉVOLUTION

1. AU TEMPS DU FONDATEUR

a. Première esquisse: 1816

Dès sa première lettre à l’abbé Henry Tempier, le 9 octobre 1815, Eugène de Mazenod brossait à grands traits son programme apostolique. Il précisait: «Nous vivrons ensemble dans une même maison que j’ai achetée, sous une règle que nous adopterons d’un commun accord, et dont nous puiserons les éléments dans les statuts de saint Ignace, de saint Charles pour les Oblats, de saint Philippe de Néri, de saint Vincent de Paul et du bienheureux Liguori» [5].

Le jeune Fondateur, homme d’action avant tout et non théoricien, n’établissait donc pas d’emblée un programme définitif et immuable. Tout en maintenant ferme le cap sur ce qui lui apparaissait essentiel, il saurait rester souple et ouvert aux inspirations de l’Esprit à travers les appels, les nécessités, les circonstances diverses de la vie de sa «petite Société», «petite», comme il aimait à le dire, non seulement par le nombre, mais dans son intention première.

Le premier texte officiel de la Société est daté du 25 janvier 1816, jour même de la réunion des premiers compagnons dans le vieux Carmel d’Aix: c’est la Demande d’autorisation adressée à Messieurs les Vicaires généraux d’Aix [6]. On peut déjà y déceler les grandes lignes des futures Règles: la Préface (situation déplorable de la Provence); la 1re partie, sur la fin de la Société (missions populaires et sanctification des membres); la 2e partie ou règlement de vie (ministère et vie communautaire); la 3e partie, sur le gouvernement de la société. Pas de vie religieuse encore, mais celle-ci est discrètement suggérée comme un idéal. Notons enfin l’engagement de «persévérer toute la vie» dans la Société. Des statuts et règlements seront en outre élaborés au cours des années 1816-1817, comme en témoignent plusieurs documents de cette époque: des lettres du Fondateur, divers coutumiers et la Demande d’autorisation légale auprès du Ministre de l’Intérieur, au nom de la «Société des Missionnaires pour les pays méridionaux de la France» [7].

b. Première rédaction complète: 1818

L’appel de l’évêque de Digne à desservir Notre-Dame du Laus, le 16 août 1818, marque un tournant dans la vie de la Société. Une nouvelle fondation dans un autre diocèse apportait un changement au projet initial qui ne prévoyait qu’une seule maison. La chose était d’une telle importance que le Fondateur résolut de réunir tous ceux qui composaient alors sa petite Société, même les plus jeunes qui n’étaient point encore dans les Ordres sacrés. «C’était, écrit-il, pour leur faire comprendre qu’étant appelés dans un autre diocèse pour y former un nouvel établissement, il était nécessaire d’élargir le règlement qui nous régissait, et de s’occuper à faire des constitutions plus étendues, de former des liens plus étroits, d’établir une hiérarchie, de coordonner, en un mot, toutes choses de façon qu’il n’y eût qu’une volonté et un même esprit de conduite. Tous furent de cet avis, et l’on me pria de m’occuper sérieusement et promptement de rédiger la constitution et la règle qu’il nous faudrait adopter» [8].

Afin de rédiger cette Règle dans une solitude favorable, Eugène de Mazenod se retira au château que sa famille possédait à Saint-Laurent-du-Verdon [9]. Puis, revenu à Aix, il présenta le texte aux membres de la Société pendant la retraite annuelle qui se déroula du 23 octobre au 1er novembre 1818, retraite qu’il prêcha lui-même en commentant chaque jour la Règle proposée.

L’introduction des voeux souleva de sérieuses difficultés chez plusieurs de ses confrères. Une majorité des prêtres voulaient maintenir à la Société son caractère de simple association de missionnaires diocésains et conserver leur entière liberté d’y rester ou de s’en retirer. Ayant appelé les trois scolastiques, Eugène de Mazenod leur lut la Règle, en particulier le paragraphe traitant des voeux, et il leur demanda ce qu’ils en pensaient. Puis, leur accordant voix délibérative à une assemblée générale de la communauté, il soumit à tous les membres son projet. Ce fut le premier Chapitre général de la Congrégation et c’est alors que, à six voix contre quatre, furent acceptés les voeux dans la Congrégation [10]. Le 1er novembre 1818, tous, sauf deux, firent leur profession religieuse par les voeux de chasteté, d’obéissance et de persévérance devant le Fondateur dûment autorisé à les recevoir. Le 13 novembre 1818, le Fondateur obtenait de la Curie épiscopale d’Aix une nouvelle et définitive approbation de l’Institut et de la Règle adoptée. Ce texte de 1818 porte le titre de «Constitutions et Règles de la Société des Missionnaires de Provence». Il est composé d’un avant-propos et de trois parties: I. La fin de l’Institut et ses ministères; II. Les obligations particulières des missionnaires, l’esprit de pauvreté, les voeux de chasteté, d’obéissance et de persévérance, et les observances communautaires; III. Le gouvernement de la Société et la formation des candidats.

Déjà, dans sa lettre au père Tempier du 9 octobre 1815, Eugène de Mazenod indiquait les sources où il voulait puiser les éléments qui inspireraient la vie et le ministère des futurs missionnaires. En fait, la Règle des Rédemptoristes est la source principale de notre Règle de 1818, à laquelle on peut ajouter les autres règles mentionnées dans la lettre au père Tempier, les usages de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, l’ouvrage d’Alfonso Rodriguez, Pratique de la perfection chrétienne, et quelques autres auteurs.

La Règle d’Eugène de Mazenod a aussi une saveur biblique et, en particulier, elle prend parfois très clairement des accents pauliniens. Malgré ces emprunts nombreux, la première Règle se distingue par des passages sortis directement de la plume et du coeur du Fondateur. Quelques thèmes centraux comme l’amour de l’Église, la constatation des besoins de salut, le zèle pour les âmes, l’esprit de réparation, la tendance à la perfection aboutiront quelques années plus tard à ce monument très mazenodien que sera la Préface de 1826 et qui demeure encore aujourd’hui la plus claire expression du charisme oblat.

c. Premier texte approuvé par Rome: 1826-1827

Le texte de 1818 contient donc déjà la substance des rédactions postérieures; mais les archives conservent plusieurs manuscrits des années qui suivirent et qui témoignent d’un travail continu de correction et d’adaptation du premier texte [11]. Ainsi, un paragraphe sur les «Frères convers» est ajouté après l’entrée du premier frère en 1820. Le voeu de pauvreté est introduit en octobre 1821 par le deuxième Chapitre général. La Préface apparaît dans sa forme à peu près définitive en 1824 ou 1825. Enfin, en 1825, la Congrégation sort des limites de la Provence par la fondation d’une quatrième maison à Nîmes; elle change de nom et adopte celui d’«Oblats de saint Charles».

Devant les dangers, intérieurs et extérieurs, qui menaçaient l’avenir du jeune Institut, il fut décidé de solliciter l’approbation pontificale. À cette fin, le texte des Constitutions et Règles fut revu, corrigé et complété par le Fondateur, puis confié à des latinistes, notamment aux pères Albini et Courtès. Le Fondateur se rendit lui-même à Rome pour implorer l’approbation désirée [12]. Le texte n’y subit que des retouches mineures de la part de la commission cardinalice chargée de son examen. Le principal changement fut celui du nom de la Société qui s’appellerait désormais «Congrégation des Missionnaires Oblats de la très Sainte et Immaculée Vierge Marie». Le 17 février 1826, le pape Léon XII approuvait la Congrégation et ses Constitutions. Le Fondateur exulte: «Avortons en quelque sorte par notre faiblesse et par notre petit nombre, nous n’avons pas néanmoins une moindre existence dans l’Église que les plus célèbres corps… Nous voilà constitués» [13].

Les Constitutions et Règles approuvées par Léon XII furent imprimées et distribuées à tous les Oblats dès l’année suivante. Il convient de signaler un changement qui a son importance par rapport aux textes français antérieurs. Ceux-ci disaient: «Ils ne se chargeront pas de la direction des séminaires». Le texte de 1826-1827 omet ces mots à dessein, car la question se posait alors au sujet du grand séminaire de Marseille. Ce détail est révélateur de la disponibilité du Fondateur à répondre aux besoins nouveaux et de son obéissance au Pape qui avait fait inclure ce ministère dans le Bref pontifical. Toutefois, le paragraphe sur la direction des séminaires ne viendra que plus tard, en 1850, après un temps d’expérience.

d. Modification de 1843

Le Chapitre général de 1843 (du 10 au 13 juillet) introduisit une seule modification aux Constitutions de 1826-1827; elle concernait la fréquence des chapitres généraux fixée jusque-là à tous les trois ans. Devant les difficultés rencontrées pour se réunir à intervalles aussi courts et avec le développement que venait de prendre la Congrégation en s’établissant dans les îles Britanniques et au Canada, le Fondateur lui-même proposa d’espacer les chapitres à tous les six ans et de donner la même durée au mandat des officiers élus. La modification fut approuvée unanimement et confirmée par un décret de la Sacrée Congrégation pour les Évêques et Réguliers du 14 mars 1846 et un Bref apostolique du 20 du même mois.

e. Première révision: 1850-1853

La première véritable révision des Constitutions et Règles fut faite au Chapitre général tenu à Marseille du 26 au 31 août 1850. Elle était motivée par le désir d’en harmoniser le texte avec l’extension grandissante de la Congrégation et avec les oeuvres nouvelles qu’elle avait acceptées. La révision fut préparée par une commission spéciale composée des pères Henri Tempier, Hippolyte Courtès, Casimir Aubert, Ambroise Vincens et Charles Bellon.

Les modifications apportées se divisent en deux groupes: 1. addition de nouveaux paragraphes sur la direction des grands séminaires et sur la division de la Congrégation en provinces, ainsi qu’une annexe sur les missions étrangères; 2. plus de deux cents modifications, additions et changements d’articles dans le texte existant.

C’est le Fondateur lui-même, accompagné du père Tempier, qui se rendit à Rome, en janvier 1851, pour obtenir l’approbation des Constitutions et Règles révisées. Celle-ci fut accordée par un décret de la Sacrée Congrégation pour les Évêques et Réguliers, le 20 mars 1851, qui fut suivi par un Bref apostolique du 28 mars approuvant à nouveau la Congrégation et ses Constitutions. Pour diverses raisons, la promulgation n’en fut faite à Marseille que le 17 février 1853, puis, dans toute la Congrégation, par une circulaire du 2 août qui accompagnait le volume des Constitutions nouvellement imprimé [14].

L’importance du Chapitre de 1850 apparut si exceptionnelle que le père Achille Rey l’appelle «un Chapitre général fondateur». De fait, Mgr de Mazenod put y voir le couronnement de son oeuvre; cette révision des Constitutions fut la dernière faite de son vivant.

2. APRÈS LE FONDATEUR

a. Deuxième révision: 1867-1894

Au lendemain de la mort de Mgr de Mazenod, son premier successeur, le père Joseph Fabre, apprit de Rome que la Congrégation ne jouissait pas du privilège de l’exemption, comme l’avait toujours cru le Fondateur. En conséquence, un certain nombre de points des Constitutions et Règles relevés par le prosecrétaire de la Sacrée Congrégation pour les Évêques et Réguliers et discutés lors d’une audience avec Pie IX, le 14 août 1863, furent signalés au Supérieur général par l’intermédiaire du procureur général, le père Ambroise Tamburini, et firent l’objet d’un décret en date du 5 janvier 1866. Il s’ensuivit une révision du texte par le Chapitre général tenu à Autun du 5 au 18 août 1867.

Le résultat comportait notamment deux nouveaux paragraphes: le premier sur la direction des paroisses, l’autre sur le procureur auprès du Saint-Siège. En outre, on fit çà et là une trentaine d’additions et de changements mineurs.

Les Actes du Chapitre général de 1867 contenant les modifications des Constitutions furent présentés à Rome en 1868. La Sacrée Congrégation porta un jugement assez sévère sur la conformité du texte avec ses remarques de 1866. L’Administration générale dut donc revoir les Actes du Chapitre avant de les soumettre de nouveau au Saint-Siège. C’est le 10 janvier 1870, un mois après l’ouverture du premier Concile du Vatican, que fut finalement signé le décret d’approbation [15].

Les Chapitres de 1873, 1879 et 1887 n’apportèrent que de simples précisions à la révision de 1867. Pour diverses raisons, on dut attendre après le Chapitre de 1893 pour qu’une nouvelle édition des Constitutions et Règles soit imprimée. Elle parut chez Mame, à Tours, en 1894, et fut préfacée d’une lettre du nouveau supérieur général, le père Louis Soullier, en date du 17 février, expliquant que ces nouvelles Règles étaient une réédition de celles de 1853 modifiées par le Chapitre général de 1867 et approuvées par le Saint-Siège en 1870. Elles contenaient neuf cent trois articles et un certain nombre de documents, soit en introduction, soit en annexe. Enfin, par la Circulaire n° 70 du 19 mars 1899, le père Cassien Augier, supérieur général, promulgua les Actes capitulaires révisés au Chapitre de 1898 et présentés dans l’ordre des Règles qu’ils précisaient et complétaient.

b. Troisième révision: 1908-1910

Le texte imprimé de 1894 n’eut pas très longue vie. De nouvelles normes concernant les instituts à voeux simples se multiplièrent à la fin du pontificat de Léon XIII et au début de celui de Pie X, de même que se développait la jurisprudence de la Sacrée Congrégation pour les Évêques et Réguliers. Pour sa part, le Chapitre général de 1906 ayant apporté quelques modifications au texte de nos Constitutions, une supplique fut acheminée vers le Saint-Siège pour en obtenir l’approbation [16]. La réponse ne fut pas celle qu’on attendait. Elle remettait d’abord en question la fidélité de la révision de 1867 aux remarques de la Sacrée Congrégation faites en 1866; elle demandait surtout que pour se conformer à la récente législation, on entreprenne une révision complète des Constitutions. C’est donc ainsi que le Chapitre de 1908 convoqué pour élire un nouveau supérieur général deviendrait, comme celui de 1850, un des grands chapitres de révision des Constitutions et Règles.

La tâche du Chapitre avait été préparée par une consultation lancée dans toute la Congrégation et par des travaux des pères Joseph Lemius et Simon Scharsch qui furent les principaux artisans de la révision. Ce travail fut animé par le désir d’être à la fois conforme aux normes canoniques de l’Église et fidèle à l’oeuvre du Fondateur.

Le résultat se caractérise par l’addition de deux paragraphes importants, l’un sur les missions étrangères, l’autre sur les scolasticats; par la suppression d’autres paragraphes importants, celui du directoire des missions et celui qui traitait du modérateur des scolastiques; et par une centaine d’amendements aux autres articles.

L’approbation du Saint-Siège se fit d’abord sous forme d’un décret de la Sacrée Congrégation pour les Évêques et Réguliers du 21 décembre 1909, puis par un Bref apostolique du 7 septembre 1910. Le nouveau texte put donc être imprimé en 1910 sous le nom même de la Maison générale à Rome. Il comportait huit cent trente-neuf articles divisés en trois parties et, pour la première fois, numérotés de façon continue. Le volume contenait aussi un certain nombre d’annexes, notamment les Brefs d’approbation antérieurs et deux lettres du Fondateur. Ce fut la troisième révision des Constitutions [17].

c. Quatrième révision: 1920-1928

Alors que paraissait le texte de 1910, s’élaborait la rédaction du Code de droit canonique commencée par Pie X et achevée sous son successeur Benoît XV en 1917. Le Code traitait longuement des religieux. Par le canon 489, il abrogeait toute preion des Constitutions des Instituts religieux qui lui serait contraire. Peu après son entrée en vigueur, la Sacrée Congrégation des Religieux ordonnait aux Instituts de réviser leurs Constitutions dans les cinq ans, de manière à les rendre conformes au Code. Cela appelait donc une remise sur le métier de nos Constitutions à peine dix ans après la précédente. Deux Chapitres généraux, ceux de 1920 et de 1926, consacreraient à cette tâche le meilleur de leur temps.

En effet, la révision entreprise par le Chapitre de 1920 s’avéra d’une telle envergure qu’on se rendit compte qu’elle ne pourrait être réalisée dans l’espace de temps prévu ni avec le soin voulu. Cela conduisit donc à l’établissement d’une commission postcapitulaire composée de membres de l’Administration générale [18]. Le résultat de son travail fut soumis en juillet 1925 à la critique des membres de la Congrégation, ce qui permit de préparer un projet définitif pour le Chapitre de 1926. Ce «Chapitre du centenaire», le vingt et unième, fut donc celui de la quatrième révision de la Règle. Il se déroula du 20 septembre au 18 octobre. Certains changements proposés étaient exigés par le nouveau Code de droit canonique; d’autres étaient demandés par l’esprit du Code et explicitaient des articles déjà existants; une troisième catégorie de retouches regardaient l’adaptation exigée par les temps nouveaux ou simplement une meilleure rédaction du texte.

Une commission postcapitulaire, composée des pères Euloge Blanc, Auguste Estève et Albert Perbal, fit la dernière toilette du texte pour sa présentation au Saint-Siège à la fin d’avril 1927. La Sacrée Congrégation des Religieux imposa seulement trois modifications et émit le décret d’approbation le 2 juillet 1927. Le conseil général trouva cependant ce décret trop modeste en raison de l’importance de la révision. Il sollicita donc la bienveillance du Saint-Père en faveur d’une approbation plus solennelle, laquelle fut accordée par Lettres apostoliques de Pie XI, puis sous forme de Bref, le 21 mai 1928 [19].

d. Cinquième révision: 1959-1982

Édition provisoire de 1966. De tous les textes, c’est celui de 1928 qui eut la plus longue durée. Toutefois, les nouvelles conditions politiques, sociales et religieuses créées par la seconde guerre mondiale et l’essor remarquable de la Congrégation soulevèrent au Chapitre de 1953 la question d’une autre révision [20]. Une commission postcapitulaire présidée par le père Joseph Rousseau fut donc chargée de la préparer [21].

Le Chapitre général de 1959 commença l’examen du texte présenté [22] et se mit en frais de le refaire; mais devant l’ampleur du travail et pressentant peut-être les changements profonds qu’amènerait le Concile récemment convoqué, il suspendit ses travaux et confia à une nouvelle commission postcapitulaire le soin d’élaborer un autre texte pour le Chapitre suivant, en lui recommandant, en particulier, de faire la distinction entre les Constitutions et les Règles, distinction qui fut ensuite demandée par les documents conciliaires sur la vie religieuse [23]. Cette commission, dont le président fut le père Gérard Fortin, invita la Congrégation à collaborer avec elle en lui envoyant souhaits et suggestions. Un premier projet vit le jour qui, profondément remanié à la suite des remarques de la Congrégation, donna place en 1965 à un second projet appelé «Textus revisus» [24].

Voilà toutefois que le Chapitre qui s’ouvrait le 25 janvier 1966 arrivait moins de deux mois après la clôture du Concile. Une nouvelle vision de l’Église et de ses relations avec le monde appelait un regard neuf sur la vie religieuse et l’activité missionnaire. Le Chapitre préféra donc entreprendre lui-même la rédaction d’un texte et, durant deux mois, les capitulants accomplirent un énorme travail [25]. Jamais encore un Chapitre n’avait osé produire une révision aussi radicale de nos Constitutions et Règles. En fait, la rédaction nouvelle apparut plus comme une véritable refonte que comme une simple révision d’un texte ancien, au point que beaucoup ont pu parler de «nouvelles» Constitutions. En ce qui regarde le texte du Fondateur, la Préface seule a été conservée dans sa forme première, comme un trésor de famille et l’expression fondamentale de l’idéal oblat; pour le reste, on s’est efforcé de traduire la pensée du Fondateur en termes contemporains. Et de plus, le texte met l’accent sur des valeurs auxquelles le monde d’aujourd’hui est particulièrement sensible et auxquelles le Concile a fait écho: dialogue, participation, coresponsabilité, autorité-service [26].

Les Constitutions et Règles, adoptées par un vote presque unanime, furent promulguées le 2 août 1966, par le père Léo Deschâtelets, supérieur général [27]. Le Saint-Siège les approuva à titre provisoire. Comme il en serait pour tous les Instituts religieux, le Chapitre général suivant devait les revoir à la lumière de l’expérience, en vue d’une révision et d’une approbation définitive.

— Vers le texte définitif: 1966-1980. Les capitulants de 1972 jugèrent toutefois que l’expérimentation permise par Ecclesiae sanctae (1966) n’avait pas assez duré et décidèrent de la prolonger jusqu’au Chapitre suivant. Comme suite logique au Chapitre de 1966, celui de 1972 produirait cependant quatre documents qui témoigneraient de l’évolution de la Congrégation et de l’Église pendant ces premières années de l’après-concile et de l’expérimentation des Constitutions provisoires [28]. Reçus favorablement dans la Congrégation, ces livrets constitueraient une nouvelle source pour le texte définitif encore à venir.

Le Chapitre extraordinaire de 1974, provoqué par la démission du Supérieur général, arrivait trop tôt. La Sacrée Congrégation des Religieux nous autorisa alors à prolonger l’expérimentation des Constitutions de 1966, amendées en 1972 et 1974, jusqu’au Chapitre suivant, soit celui de 1980. Le Chapitre de 1974 décida donc la création d’une commission postcapitulaire chargée de préparer, sur la base du texte de 1966, un texte révisé qui serait soumis au Chapitre de 1980 pour être ensuite présenté au Saint-Siège [29].

La commission fut constituée l’année suivante, en février 1975 [30]. Elle compta jusqu’à huit membres: les pères Alexandre Taché, président, Paul Sion, secrétaire; Marius Bobichon, Jean Drouart, Ruben Elizondo, Theobald Kneifel, Michael O’Reilly et Frederick Sackett. Elle reçut aussi, en 1979, la collaboration de deux experts, les pères Louis-Philippe Normand et Alfred Hubenig, qui l’assistèrent dans la rédaction finale du texte. En cinq ans, la commission tint sept sessions plénières. La révision se fit en trois étapes: d’abord, une enquête préliminaire (1975-1976) [31]; puis, la rédaction d’un premier projet (1977-1978) [32]; et enfin, la rédaction du projet précapitulaire (1979) [33], suivie d’une dernière consultation de la Congrégation (1979-1980). La commission reçut de nombreuses remarques, critiques et suggestions des confrères oblats; elle put aussi profiter des conclusions du congrès sur le charisme du Fondateur, en mai 1976 [34], et de la réunion intercapitulaire des provinciaux en avril 1978. Elle tint compte enfin des recommandations des comités permanents de la formation et des finances, et de celles du conseil général avec lequel elle demeura en lien régulier tout au cours de ses travaux.

Le texte définitif de 1982. L’examen du projet des nouvelles Constitutions occupa le Chapitre de 1980 du 6 novembre au 3 décembre, jour où le texte final fut approuvé à l’unanimité. Une commission postcapitulaire, composée des pères Alexandre Taché, président, Paul Sion, secrétaire, Francis George, Francis Morrisey et René Motte, travailla à polir les textes français et anglais, remis ensuite au conseil général pour être soumis au Saint-Siège à la fin de janvier 1981. Celui-ci présenta ses remarques en mars 1982 et il s’ensuivit un dialogue de quelques mois qui aboutit finalement à l’approbation du 3 juillet 1982 [35], et au «décret de mise en application des Constitutions et Règles» émis par le supérieur général, le père Fernand Jetté, le 28 octobre 1982 [36]. Le texte des Constitutions put enfin être imprimé en français, en anglais et en espagnol par l’imprimerie Notre-Dame, à Richelieu, Qc, Canada, et paraître en janvier 1983. Des versions en d’autres langues suivirent peu après.

CONSTITUTIONS ET RÈGLES DE 1982

Le texte des Constitutions et Règles de 1982 s’inspire pour une bonne part des Constitutions de 1966 revues principalement à la lumière des documents capitulaires de 1972 et 1974, des documents postconciliaires du Saint-Siège, des écrits du Fondateur, spécialement des Constitutions et Règles primitives, et enfin des réponses des Oblats au questionnaire de la commission de révision en 1975 [37]. Il s’efforce particulièrement de s’adapter au caractère international et aux conditions nouvelles d’existence de la Congrégation. Dans un style propre à des constitutions qui ne sont ni une simple exhortation ni un traité de spiritualité, de pastorale ou de droit, le texte contient des éléments inspirateurs et juridiques à la fois, exprimés dans un langage sobre et concis qui ne soit pas trop marqué par des modes passagères et exposé à vieillir trop rapidement.

Suivant un souhait unanime de la Congrégation, la Préface du Fondateur a été conservée dans son intégralité. Ces pages de notre patrimoine authentiquement oblat sont perçues par tous les membres de la Congrégation comme «le foyer central des Constitutions», «notre règle d’or», «notre charte fondamentale». Mais pour mieux s’insérer dans un contexte contemporain, la Préface est précédée par un Avant-propos qui en dégage toute la portée pour nous encore aujourd’hui.

Cet héritage du Fondateur n’est cependant pas le seul à figurer dans les Constitutions de 1982. Renonçant à glisser çà et là des extraits des premières Constitutions reconnus comme propres au père de Mazenod, la révision de 1982 a préféré les présenter par eux-mêmes, en regard du texte contemporain sur lequel ils projettent un éclairage destiné à illustrer sa fidélité à l’inspiration mazenodienne initiale [38]. Toutefois, quelques expressions du Fondateur se retrouvent dans divers articles des Constitutions et les enrichissent d’une saveur tout à fait oblate [39].

Les Constitutions se divisent en trois parties: le charisme oblat; la formation; l’organisation de la Congrégation. Mais tel n’était pas le projet précapitulaire qui en comptait quatre. Ce fut une des intuitions majeures du Chapitre de 1980 d’unir sous le seul titre de «charisme oblat» les deux premières parties proposées sur la Mission de la Congrégation et sur la Vie religieuse-apostolique. Celles-ci devinrent donc les deux chapitres de la première partie des Constitutions approuvées. Ainsi voulait-on manifester comment les appels à la mission apostolique et à la vie religieuse devaient être considérés comme deux volets d’une même vie toute donnée à Jésus Christ pour coopérer avec lui dans l’oeuvre de l’évangélisation (C 2).

Le chapitre sur la mission veut mettre en relief le caractère apostolique et missionnaire de la Congrégation (C 1, 5, 7, 8) Le modèle de notre relation au Christ est celui des Apôtres avec Jésus Sauveur (C 3). Notre mission s’accomplit en communauté et par la communauté, dont le Christ vivant est le centre (C 3, 37), et sous le signe de la Vierge Immaculée (C 10). Contrairement aux Constitutions précédentes, le texte de 1982 ne donne pas de deion de nos divers ministères, mais il laisse aux provinces, guidées par quelques principes généraux (R 1, 2, 4, 5), le soin de déterminer leurs priorités apostoliques. On remarquera aussi la place importante faite au ministère pour la justice (C 8, 9; R 9), reflétant ainsi une des préoccupations majeures de l’Église en notre temps.

Le chapitre deuxième élabore la «règle de vie» qui s’inspire de celle de Jésus et des Apôtres, et qui constitue «la vie religieuse-apostolique». Ceux qui sont appelés à suivre Jésus et à partager sa mission sentent le besoin de s’identifier à lui afin d’être des témoins crédibles de la Parole qu’ils proclament (C 11); ils sentent le besoin d’une vie conforme à l’Évangile, d’une conversion radicale de tout leur être. Ici encore, c’est le Christ qui inspire notre engagement par les voeux (C 12), c’est Lui qui est au centre de notre vie de foi (C 31) et de notre vie de communauté (C 37).

Les voeux (section I) sont présentés selon l’ordre de Vatican II. Pour chacun, le texte rappelle son origine évangélique (C 14, 18, 24, 29); il affirme sa valeur de signe, à la fois contestation du «monde» et de ses valeurs, et annonce du Royaume qui vient (C 15, 20, 25, 29); il souligne sa dimension communautaire (C 12, 13, 21, 26, 29); enfin, il spécifie son objet même et ses implications juridiques pour le membre et la communauté (C 17, 22, 27, 30). Lavie de foi (section II) a besoin d’être nourrie dans une recherche constante de Dieu, par une relation intense au Christ. L’union à Dieu se développe par le ministère autant que par la prière et la célébration des sacrements (C 31). Quant à la communauté (section III), le texte reconnaît en elle «la cellule vivante» de l’Église et de la Congrégation (C 12, 76, 87). Notre vie communautaire est à la fois témoignage de la présence du Christ au milieu de nous, soutien de notre vie évangélique et condition d’efficacité missionnaire (C 37, 38, 39, 87).

Les deux autres parties des Constitutions reçoivent leur sens de la première: la formation d’abord (2e partie) «qui a pour but de faire grandir l’homme apostolique animé du charisme oblat» (C 46), et l’organisation de la Congrégation (3e partie), dont les structures «n’ont d’autre but que de soutenir la mission», c’est-à-dire de mettre en oeuvre le charisme oblat, structures qui doivent demeurer «assez souples pour évoluer au rythme de notre expérience vécue» (C 71). Il en sera de même pour les biens temporels qui «sont avant tout au service de la mission» (C 122).

En ce qui regarde la formation, le texte accentue son caractère continu; il la présente comme un processus jamais achevé (C 46, 47, 48, 68). Il conjugue la responsabilité personnelle de chacun, primordiale pour une formation efficace (C 47, 49, 70), avec la fonction de la communauté qui en favorise le progrès (C 48), surtout en ses premiers stages, et avec la responsabilité propre des supérieurs majeurs et des éducateurs (C 49, 51). Ce texte de 1982, tout en décrivant les différentes étapes de la formation, porte une attention particulière à la préparation des candidats au noviciat (C 53, 54), de même qu’à la formation continue après l’entrée dans le ministère (C 68, 70). Il cherche à mettre en oeuvre les plus récents développements de la pédagogie et de la psychologie religieuse.

La troisième partie sur l’organisation de la Congrégation s’ouvre par un préambule décrivant «l’esprit du gouvernement» (C 71-74). Il met en relief le caractère de service de l’autorité (C 73) et l’esprit de collégialité qui doit inspirer le gouvernement de l’Institut (C 72). Le texte souligne aussi que, dans la Congrégation, les structures de gouvernement sont au service de la mission et des personnes (C 71, 76, 80, 87, 92, 105); il insiste sur la participation de tous aux projets de l’Institut et aux prises de décision par le discernement, la collaboration, les élections, les conseils et les chapitres (C 71, 72, 74, 75, 83, 86, 87, 89, 92, 103, 104, 105); il rappelle l’importance de la vérification et de l’évaluation périodiques de l’administration et des tâches confiées (C 74), soit par des rapports, soit par des congrès et des visites, soit enfin par le Chapitre général.

Se démarquant de l’ordre traditionnel, l’organisation de la Congrégation est présentée à partir des communautés locales pour accéder ensuite aux niveaux provincial et général, affirmant ainsi l’importance des premières pour la vitalité et l’efficacité apostolique tant des membres que de la Congrégation dans son ensemble (C 76, 77, 87, 92, 105, 106).

Il faut noter que les Constitutions et Règles furent complétées par des directoires élaborés après le Chapitre de 1980 [40]. La prévision de ces directoires permit d’alléger de beaucoup l’ensemble du texte en contraste avec les Constitutions antérieures qui contenaient beaucoup d’éléments de caractère passager et souvent peu applicables dans toute la Congrégation.

LE FONDATEUR ET LES CONSTITUTIONS ET RÈGLES

Qui veut saisir comment le Fondateur comprenait la place de la Règle dans la Société et la vie de chacun de ses membres doit se référer à la conclusion de la Préface du texte de 1826 conservée intégralement dans toutes les éditions subséquentes des Constitutions: «Certaines règles de conduite sont indispensables pour maintenir les membres dans une pratique uniforme et un commun esprit, pour assurer le succès de l’entreprise missionnaire commune, le bon ordre dans la Société, la ferveur des membres et leur propre sanctification, la durée de l’oeuvre à laquelle ils ont été appelés».

Avec quelle conviction, quel enthousiasme Eugène de Mazenod n’écrivait-il pas de Rome à sa petite famille religieuse alors qu’il accomplissait les démarches qui conduiraient à l’approbation de février 1826. Sa foi sans borne dans l’Église, dans le ministère du successeur de Pierre, lui fit voir dans l’approbation de Léon XII un sceau de garantie irréfutable pour l’oeuvre naissante et pour les Règles qui en marquaient la marche. «Ce n’est pas bagatelle; ce ne sont plus de simples règlements, une simple direction pieuse; ce sont des Règles approuvées par l’Église après l’examen le plus minutieux. Elles ont été jugées saintes et éminemment propres à conduire ceux qui les ont embrassées à leur fin. Elles sont devenues la propriété de l’Église qui les a adoptées. Le Pape, en les approuvant, en est devenu le garant… Celui dont Dieu s’est servi pour les rédiger, disparaît; il est certain aujourd’hui qu’il n’était que l’instrument mécanique que l’Esprit de Dieu mettait en jeu pour manifester la voie qu’il voulait être suivie par ceux qu’il avait prédestinés et préordonnés à l’oeuvre de sa miséricorde en les appelant à former et à maintenir notre petite, pauvre et modeste Société» [41]. Cette approbation le réjouissait au plus haut point car elle plaçait désormais la Société aux côtés des ordres religieux même les plus célèbres, dont plusieurs avaient disparu à la Révolution et dont, dès les origines, Eugène de Mazenod avait voulu combler l’absence en réunissant son petit groupe de missionnaires.

Lors de sa retraite de 1831, le Fondateur rédigea un compendium des articles des Règles «qui expriment plus expressément pourquoi nous avons été établis et ce que nous devons être» [42]. À celui qui s’engage dans la Société, les Constitutions et Règles présentent comme «le prototype du véritable Oblat de Marie» [43]. Elles lui enseignent comment, dans l’esprit de sa vocation, il doit «marcher sur les traces de Jésus Christ et de ses Apôtres» [44]. Elles lui sont un conseiller fidèle et sûr qui porte à faire ce qu’il y a de plus agréable à Dieu et de plus utile à lui-même et aux autres… Elles donnent pleine valeur à ses oeuvres et à ses actions [45]. Elles seront, au terme de sa course, la Règle du jugement par Jésus Christ [46].

Le Fondateur regrette le fait que plusieurs Oblats s’écartent des Constitutions et que celles-ci soient même pour plusieurs un livre fermé [47]. Il insiste donc pour qu’on soit plus fidèle à l’observance des Règles afin de se les rendre familières par la pratique et «d’attirer sur nous et sur notre saint ministère de nouvelles bénédictions» [48].

Les lettres circulaires de 1853 et 1857 [49] sur les Saintes Règles illustrent bien à quel point Mgr de Mazenod, jusqu’à la fin de sa vie, tenait ce texte comme sacré et comme la norme de toute vie oblate. D’où son exhortation répétée à ses fils: «Estimons-la donc cette Règle précieuse, ayons-la sans cesse sous les yeux et plus encore dans le coeur» [50].

V. LES SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX ET LES CONSTITUTIONS

À la mort de Mgr de Mazenod, le souci de son successeur, le père Joseph Fabre, fut de maintenir la Congrégation fidèle à l’esprit de son Fondateur. Cet esprit s’exprimait surtout dans les Saintes Règles que le nouveau Supérieur général, dès sa première circulaire, exhortait ses fils à observer avec la plus grande attention. L’âme de notre Père et Fondateur, écrivait-il, «vit parmi nous dans ces Règles bénies qu’il nous a laissées comme un gage de son amour, comme un témoignage impérissable de sa grande foi et de son ardente charité. Ces Sainte Règles … j’ai promis solennellement de ne pas permettre qu’entre nos mains ce dépôt sacré se dissipe, que la plus petite partie de ce don si précieux se perde; l’obéissance entière à toutes leurs preions fera notre joie et notre force» [51].

Cet appel à l’observance des Règles fera aussi l’objet de plusieurs circulaires successives. «La Congrégation ne sera forte au dedans, ne sera estimée au dehors qu’autant que nos Saintes Règles seront fidèlement observées» [52]. «Ce sont nos Saintes Règles qui, de tous les esprits et de tous les coeurs, ne font qu’un seul esprit et un seul coeur; en dehors de ces précieuses ordonnances, il n’y a qu’un esprit particulier, volonté isolée, oeuvre personnelle, vie individuelle et, par conséquent, destruction complète de la vie commune et de la vie religieuse» [53].

Dans la circulaire n° 13, le père Fabre revient encore sur les Saintes Règles qui doivent être pour l’Oblat la source d’inspiration pour se renouveler sans cesse dans l’esprit de sa vocation. Il rappelle en particulier l’importance de tenir au ministère premier de la Congrégation: l’évangélisation des âmes les plus abandonnées, spécialement par la prédication de la Parole de Dieu et l’administration du sacrement de pénitence, un ministère qui demande une préparation soignée puisée dans l’Écriture Sainte et la théologie. De plus, selon les Saintes Règles, ce ministère doit être appuyé par l’exemple du missionnaire qui doit toujours se référer à «l’exemple de Celui sur les traces duquel notre vocation nous fait un devoir de marcher» [54]. Le père Fabre, en s’appuyant sur la Préface et sur le texte des Règles, invite à se maintenir dans un esprit d’oblation et, pour y arriver, à être fidèle à la pratique concrète des voeux et des observances communautaires [55].

Le père Fabre reprend le sujet en 1874. Dans son rapport au Chapitre général de 1873 [56], il avait exprimé son alarme devant le fait que «nos Saintes Règles n’exercent pas toujours une influence assez pratique et assez sérieuse sur les dispositions intérieures, ainsi que sur les actes extérieurs… L’esprit de corps et de Congrégation en reçoit un douloureux contrecoup» [57]. En même temps qu’il promulgue les Actes du Chapitre de 1873, il croit donc opportun de renouveler la recommandation faite au début de son généralat et il émet une circulaire entièrement consacrée aux Règles [58]. «Que sont pour nous nos Saintes Règles…? Elles constituent l’existence même de la famille. C’est par nos Saintes Règles que nous existons, par elles que nous vivons, par elles que nous formons une famille religieuse… [59]». Mais, poursuit le père Fabre, «la Règle n’est pas lue, elle n’est pas méditée. Dès lors, on ne conduit plus les missions ni ne prêche selon la tradition oblate; la pratique de la pauvreté et de l’obéissance s’affaiblit, les plaintes et les critiques se multiplient. Sans la Règle, chacun devient sa propre règle et bientôt on se décourage, la communauté se désagrège. Le père Fabre exhorte donc à un amour profond et à l’obéissance fidèle de la Règle comme condition de fécondité apostolique et de bénédictions divines. La Règle est la sauvegarde de la vocation; sans elle, il n’y a pas de religieux. «Notre Règle est une règle de vie pour notre âme, pour nos oeuvres, pour la Congrégation. Conservons-lui ce caractère par notre fidélité de tous les jours et de toute notre vie religieuse» [60].

Les successeurs du père Fabre, à leur tour, rappellent souvent aux Oblats toute l’importance de la Règle pour leur efficacité apostolique et le progrès de leur vie intérieure, surtout dans les circulaires qui promulguent les Actes des divers Chapitres généraux. Plusieurs fois, ils se réfèrent aux circulaires du père Fabre, qui demeurent de véritables monuments de la tradition oblate. Pour sa part, Mgr Augustin Dontenwill, à l’occasion du centenaire de l’approbation des Règles, en 1926, adresse à toute la Congrégation la circulaire n° 133. «Soyons persuadés que, pour marcher sur la trace de tant de vaillants apôtres qui, avant nous, ont combattu sous la bannière de Marie-Immaculée, il faut de toute nécessité, imiter leurs vertus religieuses. Or, comment réaliser cet idéal, sans la fidélité aux Règles que, au jour béni de notre profession, nous avons promis d’observer, exactement, jusqu’à notre dernier soupir» [61].

Dès sa première circulaire du 13 juin 1947, le père Léo Deschâtelets, nouvellement élu supérieur général, en appelle à tous les Oblats pour qu’ils mettent résolument la Règle au centre de leur vie, afin qu’elle soit pour eux «foyer d’enthousiasme apostolique et appui d’un zèle fort» [62]. La connaissance exceptionnelle que le père Deschâtelets avait du texte des Constitutions et de la tradition oblate marqua son généralat. D’autant plus que, pendant treize ans, avant et après le Concile, il connut trois essais de révision des Constitutions.

À la veille du Chapitre de 1966, le père Deschâtelets rappelle l’importance de la révision dont devra s’occuper la prochaine grande assemblée [63]. Une fois le Chapitre passé et les nouvelles Constitutions approuvées et imprimées, le père Deschâtelets proposera celles-ci comme «la source de l’esprit de renouveau dans la Congrégation», tel que demandé par le Concile. Et c’est sur ce thème de «l’Esprit du renouveau» qu’il écrira une circulaire entière en 1968 [64], renouveau dont les nouvelles Constitutions seront l’inspiration et le guide. Comme tous ses prédécesseurs, c’est à la Préface qu’il revient comme à «l’expérience la plus vive, la plus essentielle et la plus inchangeable de la pensée du Fondateur» [65]. À une époque où le Concile vient d’en appeler à un renouveau dans l’Église, cette remontée pour les Oblats veut dire «mettre l’Évangile et la Règle au centre de [leur] vie apostolique» [66]. La Règle exprime le charisme de la Congrégation, elle est le lien d’unité entre tous ses membres. «Notre puissance de consacrés à l’annonce de l’Évangile est décuplée par les forces spirituelles qu’elle nous assure et que nous puisons dans l’Église, unis par les liens très profonds de la charité et de l’obéissance, tous, Pères et Frères, travaillant d’un même coeur à l’avance du règne de Dieu dont notre vie religieuse et apostolique est le signe» [67].

Le généralat du père Fernand Jetté fut celui qui vit l’aboutissement de la révision des Constitutions exigée par le Concile. Au moment où, pourrait-on dire, toute la Congrégation se met à l’oeuvre pour collaborer à cette tâche, le Supérieur général, dans une lettre du 1er février 1976, rappelle que «comme Oblats, comme équipe apostolique, nous avons besoin d’une certaine structure ou règle de vie… qu’on accepte et qui vraiment pénètre en nous pour nous transformer en Jésus Christ et donner une véritable consistance à notre être» [68].

Plus tard, en annonçant l’achèvement de la tâche par le Chapitre de 1980, le père Jetté propose le texte nouveau comme un défi à la Congrégation, «le défi de l’avenir» [69]. Pour cela, «les Constitutions doivent être assimilées, intériorisées. C’est par là qu’elles seront source et chemin de vie» [70]. Et le 17 février suivant, il interroge la Congrégation: «Ce don [des Constitutions nouvelles]… qu’allons-nous faire de lui? Car ce don il nous questionne et nous interpelle… Les Constitutions et Règles sont déjà — et deviendront encore plus clairement, quand elles auront reçu l’approbation de l’Église — le chemin concret de l’Évangile, la manière oblate de vivre l’Évangile aujourd’hui. C’est en elles et par elles que nous trouverons Jésus Christ et que nous apprendrons à aimer les hommes, surtout les pauvres, comme nous a demandé de le faire notre Fondateur. Il y a là un défi auquel aucun Oblat ne peut échapper s’il veut «sauver sa vie» [71]. «Une longue période commence, encore plus importante que le Chapitre en un sens, et qu’on a appelée «la période d’intériorisation», la période de l’intégration progressive des Constitutions et Règles dans nos vies» [72]. Pour cela, il faudra bien connaître les Constitutions, les lire et les relire, en méditer le contenu. «Cette lecture… il faut la faire avec amour, avec le désir de se laisser pénétrer par elles et de s’en nourrir… Ce vers quoi tendent les Constitutions, livre de vie, c’est de créer en nous une vie nouvelle, un être nouveau, l’être évangélique et oblat, l’homme apostolique dont parle le Fondateur, et qui en vient à réagir spontanément à la manière oblate, selon l’esprit du Fondateur» [73].

Enfin, présentant le texte approuvé par l’Église, le père Jetté rappelle aux Oblats l’importance de cette approbation: «Les Constitutions engagent l’Église et c’est pourquoi elles doivent être approuvées par l’Église» [74]. Avec la joie et la foi du Fondateur au lendemain de la première approbation, le père Jetté ajoute: «C’est l’Église qui nous constitue. Elle se porte garant, auprès des fidèles, de l’authenticité évangélique de notre projet de vie que nous leur proposons» [75]. Et il invite les Oblats à regarder vers l’avenir avec confiance: «Allons vers l’avenir avec de grands désirs, avec une espérance et un courage inébranlables, en considérant l’immensité du champ apostolique qui s’ouvre devant nous. Que le bienheureux Eugène de Mazenod, notre Fondateur et Père, nous en obtienne la grâce» [76].

Alexandre Taché