1. La formation selon le fondateur
  2. La formation dans l’histoire de la congrégation

La formation a toujours été une préoccupation majeure pour les responsables de la Congrégation, tout au long de son histoire. Nous allons chercher les principes que notre Fondateur a voulu inculquer aux éducateurs et à ceux dont ils avaient la charge, pour voir ensuite comment ceux qui l’ont suivi ont été fidèles à ses directives.

I. LA FORMATION SELON LE FONDATEUR

C’est surtout dans les lettres aux Oblats de France que saint Eugène exprime ses vues sur la formation, puisqu’à son époque la plupart des maisons de formation étaient en France.

Les textes du Fondateur sont clairs et vigoureux et n’ont guère besoin de commentaire. Plutôt que de rédiger un exposé sur sa pensée, il me semble préférable de le citer explicitement en classant les extraits de lettres selon les sujets.

1. CONSCIENT DE SA RESPONSABILITE

Parce qu’il est convaincu que l’avenir de la mission ne peut être assuré que par des Oblats bien formés, qui s’imprègnent progressivement de l’esprit qui a suscité la fondation de l’Institut, le père de Mazenod s’intéresse de très près à la formation. Nous le verrons tout au long de cet article par les lettres qu’il adresse aux éducateurs et aux candidats, ainsi que par les rapports qu’il exige. Bien plus, il veut, dans la mesure du possible, participer personnellement à la préparation des candidats: «Tant que je serai à Marseille, je pencherais pour que le noviciat fût placé dans cette ville, parce que je pourrais donner un coup de main au maître, et quelques coups d’oeil aux élèves» [1]. Cette lettre est du 10 janvier 1826. Le même souci est encore présent, plusieurs années plus tard, à propos de Montolivet: «J’aurai mes jours fixes de visite à cette intéressante jeunesse, et avec la grâce de Dieu tout marchera bien» [2]. Il intervient même dans l’organisation du noviciat, par exemple, pour régler le rôle des frères admoniteurs [3]. Il profite de ses visites pour rencontrer les scolastiques personnellement: «Je suis très content de nos oblats. J’en ai déjà passé 16 en direction particulière, et j’en ai été enchanté» [4]. Malgré un programme chargé, il se rend à Montolivet pour recevoir les voeux de deux scolastiques [5]. En réclamant des nouvelles de Montolivet, il propose ceci au père Mouchette: «Pourquoi ne prenez-vous pas un jour dans la semaine pour venir me voir, surtout lorsque vous vous apercevez que je n’ai pas pu aller vous chercher moi-même?» [6].

Il se propose de réunir les supérieurs des séminaires tenus par les Oblats: «Je tiendrais beaucoup à réunir nos supérieurs des grands séminaires pour régler quelque chose d’uniforme, soit pour l’enseignement, soit pour les exercices dans leurs communautés» [7]. À ce propos, même s’il laisse aux participants toute latitude pour manifester leur point de vue, il entend aussi dire ce qu’il pense personnellement: «Je veux rester neutre dans cette discussion qui doit surtout se baser sur l’expérience. Je parle pour le choix des auteurs. Pour le reste, c’est différent» [8].

C’est parce qu’il suit de près la formation des candidats qu’il se donne la peine de leur écrire personnellement à l’occasion de leur oblation ou de leur ordination sacerdotale; les exemples sont nombreux et faciles à retrouver dans les lettres publiées [9].

C’est donc en connaissance de cause qu’il présente les maisons de formation dans sa circulaire du 2 février 1857: «Depuis ma dernière circulaire un grand nombre de vocations se sont développées et nous avons eu la consolation de voir notre noviciat de Notre-Dame de l’Osier constamment fourni de sujets édifiants. Le nombre s’en étant accru, ces dernières années, nous avons dû former un second noviciat à Nancy. Celui d’Angleterre commence aussi à se fournir de quelques bons novices. Ces divers noviciats alimentent de bons sujets le scolasticat qui réside à Montolivet, près de Marseille, et qui y forme cette communauté modèle au milieu de laquelle je viens fréquemment m’édifier, et d’où je vous adresse la présente circulaire» [10].

2. VALEURS FONDAMENTALES

Notre Fondateur n’a pas écrit de traité sur la formation, mais, comme l’apôtre Paul, il a réagi devant des cas concrets. Ce qui est significatif pour nous, c’est de retrouver ses convictions les plus profondes exprimées spontanément ça et là dans l’ensemble de ses lettres. Nous pouvons présenter ainsi sa pensée: Le fondement de toute formation, c’est l’amour de Jésus Christ. Ancrés sur cette base solide, les jeunes Oblats sont capables:

— de se détacher de tout ce qui n’est pas le Christ;

— de se donner totalement à Dieu par les voeux;

— de se donner pour la vie;

— et donc de s’y préparer sérieusement;

— de vivre le don d’eux-mêmes avec générosité;

— d’aimer leurs frères en communauté, d’aimer la Congrégation et d’estimer leur vocation, d’aimer l’Église et la Vierge Marie.

a. Attachement à Jésus Christ

«Passionné de Jésus Christ», il veut faire partager sa passion à tous les Oblats pour qu’ils soient de véritables apôtres: «Trouvons-nous ainsi souvent ensemble, en Jésus Christ, notre centre commun en qui tous nos coeurs se confondent et toutes nos affections se perfectionnent» [11].

C’est surtout dans l’Eucharistie que l’on rencontre le Christ: «Il faut inspirer un grand amour pour notre divin Sauveur Jésus Christ qu’on doit surtout lui témoigner dans le sacrement de l’eucharistie dont on doit tâcher de devenir les parfaits adorateurs» [12]. C’est pourquoi il n’accepte pas qu’il n’y ait pas de chapelle avec le Saint Sacrement au noviciat: «Je vois un grand inconvénient à n’avoir pas le saint sacrement à portée de vos novices. C’est aux pieds de Jésus Christ qu’ils iraient s’enflammer. […] Il faudrait que chacun pût aller selon l’impulsion de son coeur se présenter souvent devant le Sauveur et s’y entretenir quelques instants à diverses reprises dans le silence de la méditation» [13].

C’est en aimant le Christ et en s’imprégnant de son esprit que les jeunes Oblats se préparent à être missionnaires: «Il s’agit de former des hommes qui doivent être tout imbus de l’esprit de Jésus Christ pour combattre la formidable puissance du démon, […] édifier le monde pour l’amener à la vérité, servir l’Église» [14].

Ce qui est remarquable, c’est que, en recommandant l’amour du Christ et son imitation, il insiste sur la vocation missionnaire à la suite des Apôtres. Par exemple, le 17 février 1859, il se transporte en esprit à Montolivet au milieu des scolastiques: «Il me semble voir dans chacun d’eux un apôtre appelé par une insigne faveur de la miséricorde de Dieu, comme ceux que se choisit Notre Seigneur à son passage sur la terre, pour annoncer en tous lieux la bonne nouvelle du salut» [15].

Écrivant au scolasticat après sa retraite de 1831, il reprend en substance ses réflexions sur la vocation oblate publiées par le père Joseph Fabre dans la circulaire n° 14 du 20 mai 1864: «Notre fin principale, je dirais presque unique, est la fin même que Jésus Christ s’est proposée en venant dans le monde, la même fin qu’il a donnée aux Apôtres, à qui, sans aucun doute, il a enseigné la voie la plus parfaite. Aussi, notre humble Société ne reconnaît point d’autre instituteur que Jésus Christ […] et d’autres Pères que les Apôtres» [16].

b. Détachement

C’est à la suite de Jésus Christ que l’on se détache de tout le reste: «On n’est pas propre à grand chose quand on ne sait pas imiter le détachement recommandé par Jésus Christ et pratiqué par les saints. Oh! que nous sommes lâches! On n’arrive que par la réflexion quand il faudrait voler par instinct surnaturel!» [17]. Le détachement permet à Jésus Christ d’occuper toute la place dans la vie intérieure: «Il faut commencer par renoncer à soi-même; il faut faire place pour que le Seigneur construise. […] L’abnégation, l’humilité et ensuite la sainte indifférence pour tout ce que le bon Dieu peut vouloir de nous, et dont il ne nous transmet la connaissance que par la voix des supérieurs […]» [18].

Le détachement à l’égard des parents et du pays rend les Oblats libres pour faire le bien partout où Dieu les appelle: «Vous insisterez sur la sainte indifférence pour tout ce que l’obéissance peut demander. C’est le pivot de la vie religieuse. Le détachement des parents est une vertu très méritoire qu’il faut absolument posséder si l’on veut devenir propre à quelque chose, à plus forte raison celui du pays. Toute la terre est au Seigneur, et nous sommes appelés pour en faire indistinctement le service selon le besoin, le choix et la volonté des supérieurs» [19].

c. Don se soi par les voeux

En plusieurs lettres, le Fondateur présente les voeux comme le chemin par lequel on se donne totalement au Christ pour le service de l’Église. Voici un exemple particulièrement clair: «Répétez bien aux novices que par leur consécration ils se donnent à l’Église sans réserve, qu’ils meurent entièrement au monde, à leur famille, à eux-mêmes; qu’ils se vouent à une obéissance parfaite à laquelle ils sacrifient sans réserve leur propre volonté pour ne plus vouloir que ce que l’obéissance prescrira; il ne s’agit pas seulement d’obéir, mais encore d’acquiescer d’esprit et de coeur à l’obéissance, d’être indifférents sur les lieux, sur les choses, sur les personnes mêmes qu’ils doivent toutes aimer de la même charité. Qu’ils se vouent aussi à une pauvreté volontaire qui les oblige à ne rien exiger, à se contenter de tout, à s’estimer heureux s’ils pouvaient manquer de quelque chose et souffrir, par un effet de la sainte pauvreté, les privations et le dénuement même. Sans cette disposition la pauvreté n’est qu’un mot vide de sens. La chasteté les oblige non seulement à éviter tout ce qui est défendu en cette matière, mais à se préserver des moindres atteintes que pourrait éprouver cette belle vertu. C’est d’après ce principe que nous avons tant en horreur ces prédilections sensuelles que l’on appelle des amitiés particulières, pour leur donner un nom honnête, tandis qu’elles blessent réellement la vertu si délicate qu’un souffle ternit. Soyez inexorable à ce sujet» [20].

Dans sa mise en garde contre les amitiés particulières, il décrit des attitudes dans lesquelles nous reconnaissons maintenant des tendances à l’homosexualité: «C’est une passion très dangereuse qui devient aussi violente que ce qu’on appelle l’amour, ou pour mieux dire c’est proprement l’amour qui n’est pas moins à redouter quand il a pour objet une personne du même sexe» [21]. Le Fondateur est donc catégorique dans ses prises de position et, en même temps, compréhensif pour aider celui qui en est affecté à dominer ses tendances: «Ma première pensée avait été de renvoyer sur-le-champ le frère qui s’était oublié au point de scandaliser le jeune novice que vous ne me nommez pas. Cependant il me reste l’espoir que ce pauvre enfant se sera arrêté sur le bord de l’abîme et qu’il sera encore accessible aux conseils que je me réserve de lui donner. […] Je me suis décidé à l’appeler ici pour y finir son noviciat, s’il me donne l’assurance d’un sincère retour à la vertu, ou bien pour être congédié si son mal me paraît incurable» [22].

Terminons ces directives sur les voeux par l’éloge de l’obéissance: «Qui peut dire la force, la lumière, la puissance que donne l’obéissance. Dieu agit lui-même par cette voie, nous devenons les instruments de son action dans l’exercice des fonctions qu’il nous impose» [23].

d. Don de soi pour la vie

Pour un homme de foi comme saint Eugène, il est inconcevable de rompre un engagement envers Dieu, pris en présence du Christ, qui se donne lui-même au moment de l’oblation: «Insistez beaucoup sur l’importance de l’obligation que l’on contracte par l’oblation; libre à eux de ne pas avancer jusque là, mais cette consécration est irrévocable, elle est perpétuelle; ce n’est pas pour rien qu’on contracte solennellement à la présence de Jésus Christ cet engagement sacré que ce divin Maître sanctionne par son très saint corps et son précieux sang. Malheur, mille fois malheur, à celui qui romprait des liens qui ne doivent pas être déliés par la volonté de celui qui se les est imposés» [24]. «L’apostasie me fait tant d’horreur que je ne saurais trop vous recommander de prendre vos précautions avec le frère Pianelli» [25].

e. Don de soi préparé sérieusement

La préparation immédiate comporte nécessairement une retraite: «Si vous devez venir auprès de moi, arrivez huit jours avant l’époque fixée pour votre profession afin de pouvoir vous y préparer, si vous devez la faire, par une bonne retraite» [26].

La préparation se fait aussi par tout le noviciat. Le début de la formation religieuse missionnaire a une grande influence sur tout le reste de la vie. Sur le noviciat repose l’espérance de la Congrégation: «L’espérance de la Société repose sur le bon emploi du temps du noviciat, je ne puis pas me tirer de là» [27]. Il faut donc qu’il soit régulier: «J’entends que le noviciat soit d’une extrême régularité. […] Quand on aura pris un bon pli pendant le noviciat, on ne sera pas exposé à être renvoyé pendant l’oblationnat» [28]. Puisque le noviciat est court, il convient de l’employer de la meilleure manière possible: «Bien loin de trouver long le peu de temps consacré à se préparer, il faut reconnaître qu’il ne suffit pas pour se dépouiller des restes du vieil homme, orner son âme de tant de vertus qui nous manquent et se disposer ainsi à faire à Dieu une offrande moins indigne que possible de lui» [29]. «Un an est déjà si peu de chose pour préparer un acte de l’importance de l’oblation, que si on en emploie mal une partie, on doit se trouver court de vertus et de préparation quand le jour du couronnement arrive. Ideo dormiunt multi. Voilà ce qui fait qu’on devient de si pauvres religieux» [30]. Le Supérieur général n’a pas le droit de l’écourter: «Il n’est pas en mon pouvoir d’abréger ce temps canonique, je ne dirai pas d’épreuve, mais de préparation» [31].

Malgré son apparence monastique, le noviciat est une période idéale pour se préparer à la mission: «Ce repos momentané devrait être considéré comme un grand bienfait de la miséricorde de Dieu. C’est dans ce trop court espace de temps que l’on travaille pour soi, pour sa propre sanctification. […] Remarquez que nous n’êtes pas entré chez des Chartreux. […] Vous avez été admis parmi ceux, au contraire, qui à l’imitation des Apôtres sur les traces desquels ils sont appelés à marcher, ne passent que quelques mois dans la retraite que pour se rendre plus propres à la vie très active du missionnaire, au ministère le plus varié et le plus fécond en résultats de bénédictions vraiment miraculeuses. Et encore ce peu de mois consacrés à la retraite et aux saints exercices de la ferveur sont-ils souvent pour le prêtre tempérés par le concours à quelques missions qui l’initient aux merveilles de ce grand ministère» [32]. Cette réflexion s’adresse à un candidat déjà prêtre qui ne comprenait pas pourquoi il devait rester si longtemps sans s’adonner au ministère.

f. Don de soi, vécu dans la générosité

Pour saint Eugène, l’appel à la générosité devrait tout naturellement trouver un écho dans le coeur des jeunes: «Je n’entends point que l’on marchande avec le bon Dieu, […] que l’on ait à se mettre tout de bon à acquérir les vertus propres à l’état de perfection qu’ils ont voué. […] Peut-on arriver à ces résultats avec des êtres sans générosité, sans courage, dépourvus d’amour, se traînant lâchement dans l’ornière? Quand sentira-t-on ces choses si on ne les comprend pas dans l’âge de la ferveur?» [33].

La générosité prépare à l’apostolat: «Il s’agit de former des hommes de Dieu, et vous savez si ces hommes-là sont tentés de s’épargner. […] Que les oblats se pénètrent bien de ce que l’Église attend d’eux; il ne faut pas de vertus médiocres pour répondre à ce qu’exige leur sainte vocation. […] Ils doivent savoir que leur ministère est la continuation du ministère apostolique, et qu’il ne s’agit de rien moins que de faire des miracles. Les relations qui nous viennent des missions étrangères nous prouvent qu’il en est ainsi» [34]. C’est par sa générosité que la Congrégation sera capable d’accomplir des merveilles: «Cet esprit de dévouement total pour la gloire de Dieu, le service de l’Église et le salut des âmes est l’esprit propre de notre Congrégation, petite, il est vrai, mais qui sera toujours puissante tant qu’elle sera sainte. Il faut que nos novices se remplissent bien de ces pensées» [35].

Quand le père Vincens lui demande d’être indulgent envers un jeune dont la conduite laissait à désirer, il réagit violemment et note dans son journal: «Je ne veux pas de mèches fumantes dans la Société, qu’on brûle, qu’on réchauffe, qu’on éclaire ou qu’on parte» [36]. Car il invite les jeunes Oblats à placer très haut leur idéal: «Ayez toujours devant les yeux le sommet de la montagne où le buisson ardent vous attend, et accélérez par vos saints désirs et par une ferveur soutenue le moment de votre transformation» [37].

Dans tous ces appels, il s’adresse à de futurs apôtres qui doivent être équipés pour la mission à laquelle ils sont destinés: «Que toutes leurs actions doivent être faites dans la disposition où étaient les apôtres lorsqu’ils étaient dans le cénacle pour attendre que le Saint-Esprit vînt en les embrasant de son amour leur donner le signal pour voler à la conquête du monde. […] Les nôtres doivent se pourvoir doublement et pour eux et pour ceux qu’ils auront à amener à la connaissance du vrai Dieu et à la pratique de la vertu» [38].

g. Don de soi vécu dans la charité

La charité fraternelle est une caractéristique de la vie oblate, selon le testament que le Fondateur a laissé à ses fils: «Aimez-vous les uns les autres; que tous concourent au maintien du bon ordre. […] L’Église attend de vous tous un puissant secours dans sa détresse; mais persuadez-vous bien que vous ne serez bons à quelque chose qu’autant que vous avancerez dans la pratique des vertus religieuses» [39]. Il faut donc à tout prix éviter les manquements à la charité: «Oh! Combien m’affligent ces petites altercations entre les frères. Je sais qu’on tâche de vite réparer ces blessures faites à la charité, mais on ne devrait pas tomber dans ces fautes-là qui altèrent toujours une vertu que l’on devrait posséder au suprême degré. Je leur recommande bien de s’étudier à déraciner le genre de ces petites antipathies qui gâtent le coeur» [40]. «Que la charité règne tellement parmi nous qu’il ne paraisse pas possible que personne y manque jamais dans les moindres choses» [41]. Il dit au maître des novices: «Insistez beaucoup sur la charité mutuelle, sur le support du prochain et surtout de ses frères» [42].

C’est en aimant la Congrégation que les jeunes Oblats s’épanouiront dans leur vocation: «Il s’agit de les former, de leur communiquer notre esprit, de leur inspirer l’amour de la famille sans lequel on ne sera propre à rien de bon» [43]. «Ceux qui ne s’attacheront pas de coeur à la Congrégation ne font pas pour elle. Il faut la leur montrer telle qu’elle est dans l’Église. Elle est la cadette des familles religieuses, mais sa dignité est la même que celle de toutes ses aînées. […] Grâce à Dieu encore elle répond à sa vocation et personne ne contestera qu’elle ne fasse plus de travail dans le champ du père de famille qu’on ne serait en droit d’en attendre» [44].

Pour que cet amour soit concret, les jeunes Oblats doivent s’intéresser aux missions des Oblats et il faut les leur faire connaître: «Vous savez de plus que nos jeunes Oblats s’intéressent beaucoup au succès de votre ministère. Encore hier, ils m’ont demandé de leur apprendre quelque chose à ce sujet» [45]. Il écrit au père Bellon en repos à Notre-Dame de Lumières: «Reposez-vous donc quelques jours aux pieds de Marie notre bonne Mère, et consolez notre bonne jeunesse de votre aimable société. Ils seront bien édifiés de tout ce que vous leur raconterez des triomphes de la grâce dans nos missions d’Angleterre et surtout à Leeds où il semble que nous sommes appelés à faire beaucoup de bien» [46].

C’est en aimant la Congrégation que les candidats approfondiront l’estime de leur vocation: «Il est très essentiel entre autres choses de bien établir les novices dans l’estime de leur vocation et l’attachement à la Congrégation» [47]. Lui-même donne l’exemple de sa foi dans la grâce du sacerdoce. Il va dire la messe dans la chapelle des Capucines pour célébrer dans le recueillement l’anniversaire de son ordination sacerdotale et il ajoute: «Je resterai en retraite le reste de la journée pour me préparer à l’ordination que je dois faire demain» [48]. Plus de vingt ans après sa consécration épiscopale, il s’impose un jour de retraite pour se préparer à ordonner des jeunes Oblats. Ceci montre bien que la célébration de l’ordination n’est pas devenue une habitude, mais qu’il garde vive la foi dans le sacerdoce.

Le Fondateur englobe dans un même amour filial l’affection des Oblats pour la Vierge Marie et leur dévouement à l’Église: «Une dévotion filiale pour le très sainte Mère de Dieu qui est aussi spécialement la nôtre, un dévouement à toute épreuve pour l’Église» [49]. Nous avons vu dans d’autres citations combien de fois il invite les jeunes Oblats à être prêts à répondre aux attentes de l’Église.

Ces directives, suggérées par les circonstances de la vie, forment un ensemble qui mérite d’être présenté comme un programme de formation. Il faut maintenant rechercher l’exemple que le Fondateur donne dans ses relations avec les jeunes Oblats et ce qu’il attend des éducateurs.

3. AFFECTION DU FONDATEUR POUR LES OBLATS EN FORMATION

Ses directives sont catégoriques et il intervient avec autorité contre les abus. Mais s’il est exigeant, c’est qu’il aime les jeunes Oblats et veut leur bien. C’est ainsi qu’il s’adresse aux novices et aux scolastiques: «Oh! Que je vous aime! Je le sens quand je suis avec vous, je le sens quand je suis loin de vous, toujours vous êtes présents à ma pensée et vous vivez réellement dans mon coeur» [50]. C’est toujours avec joie qu’il se trouve parmi les scolastiques: «Je suis si heureux quand je me trouve au milieu d’eux! Je jouis de leur propre bonheur. Je savoure, pour ainsi dire des yeux, les vertus que je reconnais en eux. J’en remercie Dieu» [51]. Comme en bien d’autres lettres aux Oblats, il reconnaît, dans son affection pour les Oblats en formation, un don de Dieu: «J’en ai toujours remercié Dieu comme d’un don particulier qu’il a daigné m’accorder; car c’est la trempe de coeur qu’il m’a donnée, cette expansion d’amour qui m’est propre et qui se répand sur chacun d’eux sans détriment pour d’autres, comme il en est, si j’ose dire, de l’amour de Dieu pour les hommes» [52].

Cette affection lui fait tenir compte de la situation particulière de certains candidats. Les novices prêtres ont droit à des égards, même s’il faut être exigeant pour eux. Voici le principe qu’il pose pour les prêtres durant le noviciat: «En général, tout en tenant strictement à la règle du noviciat, il faut avoir beaucoup d’égards pour les prêtres, mais tenez à ce qu’on ne leur fasse pas faire plus d’une mission dans le cours de leur noviciat. Les prêtres ont besoin plus encore que les jeunes gens de la stricte observance et de la direction que l’on donne dans le noviciat» [53]. Les malades ont droit à certains ménagements: «Je n’hésite pas à dire que si la santé de Léon de Saboulin lui permet de réciter le saint office, il ne faut pas le détourner de se faire prêtre, mais on devra lui laisser une grande latitude pour les études, pour ne pas l’épuiser. Il fera beaucoup de bien même en ne disant que la sainte messe et en donnant l’exemple d’une sainte vie sacerdotale» [54]. Il faut aussi tenir compte de l’âge, ainsi à propos du père Tudès, novice âgé de quarante ans [55]. Il recommande des ménagements particuliers à l’égard de George Crawley, ministre protestant de Leeds, converti et entré chez les Oblats: «Je pense que tu auras recommandé à l’Osier qu’on ait le plus grand soin de M. Crawley. Dans les commencements il faudra user de beaucoup de ménagements, il est surtout essentiel qu’on lui donne quand bon lui semblera du thé et même tous les jours, qu’on soit prévenant et bon pour lui. Il fait un si grand pas en venant chez nous!» [56].

L’affection du Fondateur pour les jeunes Oblats explique sans doute une indulgence qui parfois nous étonne. À un groupe de scolastiques qui avaient envoyé une lettre collective contre leur supérieur, il répond: «Tout en vous louant de vos bonnes intentions, je ne puis m’empêcher, mes chers frères, de blâmer la démarche que vous avez faite en manifestant collectivement une volonté, un désir, si vous voulez, qu’il n’est pas dans vos attributions d’exprimer». Il leur montre que c’est contre l’obéissance et il conclut: «Je n’en dis pas davantage sur ce petit oubli de convenances, seulement je m’étonne que, parmi vous, il ne s’en soit pas trouvé un seul qui, par un meilleur conseil, détournât les autres de cette fausse démarche. Du reste, ne soyez pas en peine, je ne vous en sais nullement mauvais gré, parce que je rends justice à vos bonnes intentions, j’ai dû seulement vous rappeler aux principes et je vous embrasse et bénis tous bien cordialement» [57].

Même à l’égard de certains dont la conduite est répréhensible, il va jusqu’à la limite de l’indulgence. Pour aider le frère Saluzzo à réfléchir sur ses difficultés, il l’invite à se rendre à Notre-Dame du Laus: «Pour vous placer jusqu’à nouvel ordre sous le manteau de notre Bonne Mère». En même temps, il parle avec fermeté: «Venez-y avec un coeur droit, invoquez-y avec ferveur cette puissante protectrice, demandez-lui d’accorder au guide que je vous indique dans ce saint lieu les lumières d’en haut et, à vous, la simplicité et la docilité dont vous avez besoin dans cette circonstance décisive de votre vie» [58]. Dans une lettre au père Tempier, il discute le cas d’un scolastique qui s’était révolté. Malgré cela il l’appelle au sous-diaconat et il ajoute: «Que faut-il faire? Se confier à la miséricorde de Dieu qui bénira, il faut l’espérer, notre résolution plus charitable que prudente. […] Faites-lui bien sentir la nouvelle obligation qu’il va contracter de devenir un saint religieux» [59]. Il semble bien que, dans ces deux cas, le Fondateur met tout en oeuvre pour sauver des hommes qui sont déjà engagés par l’oblation perpétuelle. Il est tellement convaincu de l’importance des voeux faits à Dieu qu’il emploie tous les moyens pour que cet engagement soit maintenu et réussisse.

Persuadé que la douceur a beaucoup plus d’effet que la sévérité, il n’accepte pas les jugements trop durs à l’égard des jeunes: «Je les [les scolastiques oblats] vois de temps en temps et je t’assure que le jugement que je porte d’eux n’est pas si sévère que le tien et surtout que celui de Lagier. Sans doute ces enfants ne sont pas des perfections mais ils sont bons, pleins de bonne volonté; ils écoutent volontiers les petites remontrances qu’on leur fait; ils parlent raison quand on s’entretient avec eux» [60]. Il faut certes les éprouver, mais ne pas se montrer trop exigeant: «On ne saurait trop éprouver les sujets. […] Cependant il ne faut pas tenter Dieu en exigeant trop de la faiblesse humaine; je veux dire que tout sujet n’est pas propre à être mis à des épreuves extraordinaires; mais tous doivent passer par celles qui tendent à les établir dans les vertus qu’ils sont obligés de pratiquer» [61].

Les jeunes sont l’espoir de la Congrégation. C’est avec confiance qu’il considère leurs efforts pour être fidèles: «Vous le savez, vous êtes l’espoir de notre Société; jugez donc de mon bonheur quand je vous considère, marchant dans les voies du Seigneur» [62]. Il est sûr que les jeunes apporteront leur part au développement de l’oeuvre oblate: «Puisqu’il en est ainsi, notre oeuvre marchera, vous êtes destinés […] à la perfectionner» [63]. À travers eux, il entrevoit les merveilles qu’ils accompliront dans leur mission: «Je jouis d’avance des bénédictions que le Seigneur répandra sur eux en retour de leur fidélité, Dieu sera glorifié par eux et notre chère Congrégation honorée dans l’Église à leur occasion» [64].

4. RESPONSABILITE DES EDUCATEURS

Beaucoup de lettres sont envoyées aux responsables de la formation pour encourager des hommes qui préféraient s’adonner au ministère pastoral plutôt que de rester à longueur d’année dans la même maison à enseigner et à diriger leurs frères plus jeunes.

Leur tâche est un véritable ministère qu’ils doivent estimer: «Je voulais d’ailleurs que vous fussiez vous-même en quelque sorte familiarisé avec votre sublime dignité et que vous eussiez recueilli d’abondantes grâces de votre sacré ministère» [65]. L’objet de leur mission est de «ne rien négliger pour en former des religieux capables de servir l’Église et la Société» [66]. Dans la même lettre, le Fondateur fait remarquer au père Courtès que son dévouement répond à la générosité de Dieu qui envoie beaucoup de vocations. Il redit en d’autres termes sa foi en la grandeur de cette mission: «Quel plus beau ministère que celui de former à la vertu et surtout aux vertus religieuses ces âmes d’élite appelées de Dieu pour marcher sur les traces des Apôtres et propager l’amour et la connaissance de Jésus Christ» [67].

L’éducateur doit être tout à son oeuvre et accepter le renoncement qu’elle implique: «Ainsi, si vous renoncez entièrement à vous-même, à vos goûts, aux raisonnements mêmes que votre esprit pourrait vous suggérer, vous parviendrez à vous acquitter comme il faut de la charge délicate qui vous est imposée. Je ne prétends pas atténuer l’idée que vous vous êtes faite du fardeau qui pèse sur vous. Je conviens au contraire qu’il ne saurait être plus lourd pour vos épaules, mais en vivant dans une grande union avec Dieu, réfléchissant beaucoup sur l’importance de vos fonctions, étudiant la conduite de ceux qui ont réussi dans cette carrière, vous parviendrez aux mêmes résultats. Mais il faut [vous] occuper de votre affaire et vous répéter souvent que Dieu, l’Église et la famille vous demanderont compte villicationis tuæ» [68]. Il donne le même genre de conseils au père Mouchette [69].

Plusieurs fois, le Fondateur proteste contre les absences fréquentes du supérieur du scolasticat ou du maître des novices. Il écrit au père Mille, supérieur du scolasticat de Billens: «Une fois pour toutes, dites-vous bien que je ne vous ai pas envoyé en Suisse pour exercer le ministère extérieur, mais pour diriger, instruire et soigner constamment la communauté qui vous est confiée» [70]. Et au père Bellon pour le père Richard, maître des novices: «Je n’ai plus qu’une chose à te dire, c’est de bien spécifier avant de partir les attributions de chacun, surtout pour le noviciat qui doit être entièrement séparé du reste de la communauté et gouverné par le père maître auquel il ne faut donner aucun autre emploi ou ministère à remplir. Il n’aura jamais assez de temps pour donner ses soins à une si nombreuse famille dont dépend le sort de la Congrégation» [71]. Ce qui n’empêche pas que le ministère soit profitable aux éducateurs, spécialement durant les vacances: «Dans le cas où j’aurais reconnu qu’il est à propos que tel ou tel fasse une courte absence, […] je n’aurais pas permis qu’il s’en absentât plus de deux à la fois, à moins que ce ne fût pour remplir quelque devoir du saint ministère, comme serait de donner quelque retraite spirituelle à des communautés religieuses ou à des paroisses, ce qui rentrerait dans les attributions des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Je voudrais même qu’on pût procurer ce genre de travail, modérément sans doute, mais d’une manière utile pour le prédicateur et pour ceux qu’il évangéliserait» [72].

L’éducateur fait profiter les autres des dons qu’il a reçus de Dieu: «Cependant, comme l’aptitude que tu as reçue pour les sciences est un don de Dieu, je tiens que tu ne dois pas le négliger. Le placer en seconde ligne, oui; l’enfouir pour n’en faire aucun usage, non. […] Fais un usage généreux de tes richesses, fais-en part aux autres» [73]. C’est à l’égard de chacun qu’il faut se dévouer: «Occupez-vous beaucoup, mon cher père, de votre noviciat. C’est là votre grande affaire. […] Il ne suffit pas d’instruire en général dans les instructions communes, mais il faut travailler sur chacun en particulier comme si vous n’aviez que celui-là à former» [74]. En particulier, la direction spirituelle est une nécessité: «Donne toute ton application au noviciat. Je sais que les instructions ne leur manquent pas, mais la direction a toujours été fautive soit pour une raison soit pour une autre, aussi les sujets en général ne changent pas, ils ne se refondent pas, ce qui est un grand inconvénient» [75].

Un souci particulier du Fondateur pour les jeunes en formation, comme pour tous les Oblats, c’est la santé: «Veillez sur les poitrines de notre jeunesse. […] Qu’ils reposent bien; soyez facile à leur permettre de rester une heure de plus au lit» [76]. En plusieurs lettres le Fondateur manifeste la même préoccupation pour la santé des jeunes Oblats. Ceci ne s’oppose pas à l’esprit de mortification: «Je tiens beaucoup à ce que l’on soigne la santé de nos oblats, mais je tiens beaucoup aussi à ce que l’esprit de mortification ne se perde pas parmi nous. Il faut prendre garde de ne pas faire des hommes douillets et sensuels de ceux que Dieu appellera peut-être à toutes les privations de la vie apostolique» [77].

Le Fondateur demande des rapports précis sur chacun des candidats, ces rapports obligeant les éducateurs à être attentifs à chaque personne: «Vous ferez encore observer au modérateur des oblats qu’il doit, ainsi que le fait le maître des novices, correspondre directement, sans intermédiaire, avec le Supérieur général à qui est réservée la haute direction de cette portion si intéressante de la grande famille» [78]. «Il faut prendre l’habitude de m’écrire chacun séparément [supérieur et maître des novices] et sans vous influencer mutuellement. Ce n’est qu’ainsi que j’aurai l’opinion consciencieuse des deux personnages qui doivent fournir matière à mon jugement et au vote motivé du conseil» [79]. Assez souvent le Fondateur remercie des comptes rendus envoyés par le maître des novices ou le modérateur des scolastiques [80].

5. QUALITES DES EDUCATEURS

Pour accomplir un tel ministère, le Fondateur dit sur quel type d’homme il veut compter.

L’éducateur est un modèle pour ceux qui sont confiés à sa charge: «Il faut donc qu’à cette époque notre noviciat intérieur soit bien monté, il faut pour cela un maître des novices. Ce maître des novices, c’est toi, mon cher père Honorat qui joins à l’attachement inviolable pour la Société l’amour de l’ordre et de la régularité» [81]. Le père de Mazenod considérait le père Tempier comme l’éducateur idéal. C’est à lui qu’il confie Notre-Dame du Laus, la deuxième maison de la Congrégation et c’est lui qu’il charge de former les jeunes Oblats dans cette communauté, et il en donne la raison: «Mon premier compagnon, vous avez dès le premier jour de notre union saisi l’esprit qui devait nous animer et que nous devions communiquer aux autres». C’est pour cela qu’il doit rester à Notre-Dame du Laus comme responsable de la formation: «Est-il surprenant, après cela, qu’ayant une maison assez éloignée, très essentielle pour nous à raison des circonstances et de la localité, vous soyez chargé de la régir?» [82]. Le vrai éducateur est donc celui qui a saisi l’esprit de la Congrégation et qui est capable de le communiquer aux autres. C’est parce qu’il croit en l’importance de la mission d’éducateur que le Fondateur choisit les meilleurs pour cette charge. Il envoie le père Mounier au noviciat pour aider le père Vincens «à cause de sa bonne attitude et de ses bonnes qualités. Une communauté comme la vôtre est trop importante dans notre Congrégation pour que je ne regarde pas comme le principal de mes devoirs de la fournir de tout ce qui peut contribuer à y maintenir le bon esprit qui y règne. Le même motif qui m’a porté à vous charger du noviciat m’engage à vous procurer tous les secours que vous êtes en droit de réclamer pour remplir cette tâche» [83].

L’éducateur est un homme qui vit de foi en présence de Dieu, un homme pour qui l’oraison est indispensable: «L’oraison sera votre mine et les examens journaliers vous serviront de jalons, de miroir, de boussole et d’éperons même s’il le faut. Marchez donc avec confiance et dites-vous comme saint Ignace: Vincens seul ne peut rien. Vincens et Dieu peuvent tout» [84]. D’ailleurs le ministère de la formation accompli dans la fidélité est source de sanctification: «Combien ne peut-on pas profiter soi-même en portant les autres à la perfection! C’est là ce qui vous est échu en partage. Félicitez-vous-en […] et comptez sur l’assistance de Dieu dans ce précieux ministère» [85].

Pour être capable de former des hommes de Dieu, le directeur doit s’appliquer à sa propre formation spirituelle: «Je recommande au père Vincens de faire une attention particulière pour former à la vie religieuse le bon frère Nicolas. Quand il sera chargé de la classe de dogme, il n’y sera plus temps. Cependant ce serait dommage qu’un aussi bon sujet ne fût pas à la hauteur de ses devoirs faute de s’être suffisamment appliqué à travailler sur lui-même d’après l’esprit de notre Institut» [86].

L’éducateur est un homme équilibré, au jugement sûr: «Le père Dorey rachète la jeunesse de son sacerdoce par une grande maturité d’esprit, un très bon jugement et une piété exemplaire» [87]. «Quand on a le fond d’instruction que vous possédez, la sagesse, la réserve et la modestie que personne ne vous disputera, jointes à la douceur et aux autres qualités que je vous connais, on n’a pas à se mettre en peine des décisions que l’on prend ni de la responsabilité que l’on assume» [88].

L’éducateur est un homme compétent, qui continue à étudier: «Combinez bien tout d’avance avec lui [le père Courtès] et le père Guigues [nouveau maître des novices] à qui j’avais recommandé de se nourrir de lectures propres à son nouvel emploi, tel que le père Lallemant, Rigoleuc, Judde, etc.» [89]. L’étude s’accompagne de lecture spirituelle, qui maintient dans une attitude de foi: «La lecture spirituelle est un aliment nécessaire à la piété de l’homme d’étude qui est ramené par là à la pratique des vertus qu’on est trop facilement exposé à négliger quand on est absorbé dans les recherches de la science; […] ne jamais négliger ce devoir» [90].

L’éducateur est un homme de communauté. Plusieurs fois le Fondateur répète que les directeurs doivent se réunir régulièrement: «Je vous recommande beaucoup de soutenir la communauté sur le pied d’une de nos maisons, ne perdez pas de vue que vous ne sauriez être à l’instar de prêtres isolés, réunis par le fait de la direction d’un séminaire. La Règle ne peut pas être mise de côté» [91]. C’est surtout à ceux qui sont directeurs dans des séminaires diocésains qu’il rappelle la nécessité de vivre en communauté: «Nous sommes des hommes de communauté et non des coureurs de grand chemin. Les séminaristes partis, la communauté religieuse n’en subsiste pas moins» [92]. Les directeurs de séminaires doivent prier ensemble: «Le père Nicolas ne m’a point demandé la dispense de réciter l’office en commun. Il a bien fait parce que je ne la lui aurais pas accordée, du moins semel pro semper. Je l’aurais renvoyé à vous pour que vous jugeassiez quand il est opportun de le dispenser passagèrement» [93].

L’éducateur gagne la confiance des jeunes: «Je crois à votre piété, à votre régularité, à votre zèle, mais je crains votre sévérité, vos exigences. […] En un mot vous auriez beaucoup et peut-être trop à vous étudier pour gagner la confiance des jeunes gens, ce qui est pourtant de toute nécessité dans les fonctions de maître des novices qui doit être considéré comme un saint dans son noviciat, mais aussi comme un bon père» [94]. Il revient sur le même sujet, quand il nomme le père Dassy maître des novices: «Il faut qu’ils y trouvent une véritable famille, des frères et un père; nous sommes chargés de représenter pour eux la divine Providence» [95]. Et il dit à un autre maître des novices: «Élargissez donc les portes et aussi les entrailles de votre charité» [96].

Après avoir cité beaucoup d’extraits des lettres de saint Eugène, nous pouvons affirmer qu’elles le présentent, lui, comme un modèle pour les éducateurs des jeunes Oblats:

— convaincu des valeurs fondamentales, il y croit profondément et il le dit clairement;

— ferme dans les principes;

— débordant d’affection et compréhensif pour les jeunes;

— il manifeste un sain équilibre entre la clarté des principes et la compréhension à l’égard des personnes.

6. LES ETUDES

Ici, comme pour les autres directives, saint Eugène pense à la mission à laquelle les candidats doivent se préparer en mettant en valeur tous les talents que Dieu leur a confiés: «Je ne saurais trop recommander de ne jamais négliger l’étude, je ne dis pas seulement de la théologie et de la philosophie, mais des belles-lettres aussi. Il faut combattre les erreurs du siècle avec les armes du temps. Je suis toujours plus étonné de voir tant de jeunes gens dans les rangs ennemis écrire si bien, avec tant d’art et de talent, pour soutenir le mensonge et les déceptions de toute espèce. Il faut se rompre à ce même genre de combat. Que l’on sache bien sa langue, qu’on s’exerce à la manier. Ce sera un temps bien employé. Faites sortir du feu de la pierre; il faut frapper pour cela, l’étincelle n’est produite que par le choc. Mais ne perdez jamais de vue que c’est pour Dieu que vous travaillez, que la gloire de son saint nom y est intéressée, que l’Église réclame ce service de vous. C’est vous dire de surnaturaliser vos études, de les sanctifier par une grande droiture d’intention, laissant tout amour-propre de côté, ne vous recherchant en rien; par ce moyen les auteurs profanes peuvent vous élever à Dieu comme les Pères de l’Église» [97].

Trois points méritent d’être mis en lumière dans ce texte:

a. Il faut lutter avec les armes du temps. Ce que nous pourrions traduire: il faut parler le langage des hommes d’aujourd’hui et se servir des moyens modernes de communication. Dans une autre lettre, il dit que la sainteté de vie ne suffit pas: «Nous vivons dans un siècle où il faut absolument se mettre à même de combattre les mauvaises doctrines autrement que par les seuls bons exemples» [98].

b. Il recommande l’étude des auteurs profanes, car ils font connaître le monde auquel les missionnaires s’adressent. Dans une lettre au père Tempier, il dit à deux reprises qu’il faut étudier les belles-lettres «si nous ne voulons pas avoir des apocos incapables d’écrire deux lignes» [99].

c. Tout cet effort est au service de l’apostolat. Les jeunes Oblats n’étudient pas pour devenir brillants, mais pour répondre à l’appel de l’Église et ainsi pour se dévouer à la gloire de Dieu.

Il est donc important de mettre en valeur les talents donnés par Dieu et de prendre le temps de bien se former: «Je me mets peu en peine que l’éducation se prolonge. L’essentiel est que rien ne demeure enfoui, que chacun tire parti de la dose de talents que le Seigneur lui a départis» [100].

Le programme des études inclut nécessairement l’anglais, indispensable dans les pays où les Oblats exercent leur mission: «Il est indispensable que l’on sache l’anglais dans la plupart de nos missions étrangères» [101].

Les livres sont des instruments de travail que l’on choisit avec soin. Pour les jeunes pères qui suivent un cours spécial: «Quant aux Sommes de saint Thomas, le père Vincens et les deux autres pères sont convenus qu’il en fallait une à chaque étudiant» [102]. Le père Tempier a constitué la bibliothèque du scolasticat de Montolivet. À ce sujet Mgr de Mazenod écrit au père Rey: «Tu t’arracheras la barbe en voyant tous les livres sur lesquels tu avais un droit de prédation s’envoler sans toi sur la montagne sainte [Montolivet, alors que le père Rey est au grand séminaire], où d’autres que toi les feuilletteront, les liront ou s’y endormiront dessus» [103]. À la suite des pérégrinations du premier scolasticat, la bibliothèque de Montolivet a abouti à Solignac, où elle est encore en grande partie. Il faut reconnaître que le choix des livres était de qualité.

7. FORMATION DES FRÈRES

Tout ce qui a été dit jusque maintenant concerne les frères autant que les futurs prêtres. Comme la plupart de ceux qui se présentaient pour être frères étaient des ouvriers manuels, ils avaient besoin d’une attention spéciale, n’ayant pas bénéficié de l’éducation qu’avaient les autres candidats. D’autre part, le Fondateur réagit contre la tentation de ne voir chez les frères que des ouvriers et de trop les charger de travaux manuels: «Les novices quels qu’ils soient doivent demeurer sous la conduite du maître des novices jusqu’à leur oblation. […] Il ne s’agit pas de savoir si on peut les utiliser suffisamment dans la maison du noviciat pendant l’année de leur épreuve, il faut qu’ils apprennent ce que c’est que d’être religieux et ce n’est pas trop d’un an pour cela, mais il faut s’occuper beaucoup d’eux, plus ils sont grossiers, plus ils ont besoin de soins assidus» [104].

C’est une injustice de les faire travailler toute la journée: «Je réponds que j’ai toujours regardé comme une injustice d’occuper au travail du matin au soir des hommes qui sont venus chez nous pour être religieux. Sans doute ils doivent travailler, mais ils doivent aussi prier et ils doivent s’instruire dans les devoirs de la vie religieuse. Ce ne sont pas des hommes de peine, ils ne peuvent pas être traités comme des domestiques à gage que l’on paye pour qu’ils travaillent toute la journée. […] Ils feront tous chaque jour leur lecture spirituelle et quand un père sera désigné pour se charger d’eux, il leur fera en commun les instructions marquées par la Règle. Faute de ce père, il faudra bien qu’au moins une fois la semaine le maître des novices s’occupe de les instruire, dût-il supprimer pour ce jour ce qu’il accorde habituellement aux autres» [105]. «Pendant l’année de leur noviciat le travail doit céder aux soins spirituels qu’on doit leur prodiguer» [106].

Les frères sont nécessaires pour la mission: «Il faudra un frère adroit pour accompagner les pères qui sont destinés à la conversion des gentils de l’île de Ceylan. Je me propose de l’appeler pour cette mission. Quoiqu’il ait bien peu de temps devant lui, mettez-le tout de suite à apprendre l’anglais, ce sera toujours tant de gagné. Ne tardez pas d’un jour et qu’il en fasse l’étude de toute la journée» [107].

Quand ils ont reçu leur obédience pour une maison, leur formation n’est pas terminée. Même s’il n’y a qu’un seul frère dans la communauté, il a le droit d’être aidé et soutenu dans la poursuite de sa formation religieuse: «Vous m’avez parlé en passant du bon frère Picard, je vous prie de le bien soigner. Entretenez-le au moins une fois par semaine des devoirs et des avantages de la vie religieuse. Qu’on ne perde pas de vue que nos frères convers ne sont pas des domestiques, mais des frères qui ont besoin d’être maintenus dans la ferveur de leur sainte vocation. Je vous en charge spécialement» [108]. L’insistance sur la formation religieuse des frères revient dans plusieurs lettres en termes à peu près identiques: «Je vous recommande les frères convers. Apprenez-leur bien ce que c’est qu’être religieux, mais qu’il ne suffit pas de l’être de nom» [109].

La formation doit aussi s’adapter aux frères en tenant compte de leurs talents: «Je n’ai que le temps de vous recommander le postulant novice que je vous adresse. C’est un homme de bonne volonté, capable des plus grands sacrifices pour le bon Dieu pour lequel il abandonne tous les avantages qu’il pouvait rencontrer dans le monde. Je vous avertis qu’il n’est pas fait pour être employé à des travaux manuels trop grossiers, […] il a un autre genre de talent qu’il s’agira d’utiliser dans la Congrégation, peut-être dans quelque maison où nous donnons l’éducation. […] Faites-en un bon religieux, et ne demandez de lui que ce dont il est capable et à quoi il est propre» [110].

En 1859, une édition des «Règles et Constitutions à l’usage des frères convers» est précédée d’une circulaire dans laquelle le Fondateur exprime son estime pour les frères.

8. PASTORALE DES VOCATIONS

Une relève constante est une nécessité pour que la Congrégation continue à accomplir sa mission: «Nous avons un immense besoin d’alimenter notre armée. La réserve se fond pour ainsi dire entre nos mains. Quarante oblats me semblaient surabondants pour faire face à tout. Il s’en faut bien» [111]. Le Fondateur ressent profondément ce besoin: «Je bénirais doublement le bon Dieu si, outre les conversions opérées, tu avais réussi à amener quelques sujets à la maison. Je me désole de ne pouvoir répondre que par des refus aux demandes qui me sont faites de toutes nos maisons, c’est à sécher sur plante» [112].

Le père de Mazenod espérait découvrir quelques vocations parmi les jeunes gens qu’il rassemblait à Aix. Des six qu’il choisit au début aucun ne persévéra. De fait, c’est par le témoignage de son zèle qu’il attira les premières recrues: Marius Suzanne à la mission de Fuveau et, à celle de Mouriès, Hippolyte Courtès qui, lui, avait fait partie de l’Association de la jeunesse à Aix [113]. Dans les années qui suivirent, les vocations ne vinrent que lentement.

Pour répondre à ce problème, Mgr de Mazenod se résoudra, sans enthousiasme, à ouvrir en 1840, un juniorat à Notre-Dame de Lumières: «Je consens que l’on essaie de prendre quelques étudiants, puisque le noviciat ne s’alimente pas, mais je ne leur dissimule pas mon peu de confiance dans un moyen si long et si chanceux pour se recruter» [114]. Après quelques années, devant les bons résultats de cette oeuvre, Mgr de Mazenod se montre plus favorable à la formule du juniorat et il la recommande même au Canada: «Je suis forcé d’adopter pour le Canada, où la source des vocations a si tôt tari, notre système de Lumières. Nous n’avons plus que ce moyen pour fournir notre noviciat. C’est un long chemin, mais on finit par aboutir» [115]. Dès 1848, le juniorat de Lumières fut fermé [116], car la Congrégation allait bénéficier d’une autre source de vocations beaucoup plus efficace, la tournée de recrutement du père Léonard.

Cette tournée de recrutement, inspirée par les missions des Oblats au Canada, fut une grâce pour la Congrégation. Le père Léonard Baveux, sulpicien français devenu Oblat au Canada en 1843, se proposa pour visiter les séminaires de France, afin de faire connaître les missions des Oblats et de recruter ainsi des jeunes gens qui renforceraient le groupe missionnaire et assureraient la relève. Au début, Mgr de Mazenod n’est guère enthousiaste; il écrit à Mgr Ignace Bourget, le 7 novembre 1846: «Je compte peu sur le succès de sa mission. Cependant nous n’oublierons rien pour le seconder dans la confiance que Dieu lui a inspirée» [117]. La tournée dura du 29 décembre 1846 au 8 mars 1848 et fut un succès. Les recrues arrivèrent nombreuses au noviciat de Notre-Dame de l’Osier et il fallut ouvrir un second noviciat à Nancy. C’est avec joie que Mgr de Mazenod accueille ce don de la Providence, même s’il demande au père Léonard de suspendre momentanément son entreprise faute d’argent pour nourrir les novices [118]. L’exemple du père Léonard encouragea Mgr de Mazenod à renouveler cette expérience avec d’autres. Deux scolastiques s’arrêtent à Viviers: «Je consens très volontiers à ce que nos deux futurs oblats s’arrêtent à Viviers, soit pour présenter leurs respects au saint Évêque, soit pour faire leur visite au séminaire et y raviver par leur présence les vocations qui tendent à se développer. C’est que nous avons un immense besoin d’alimenter notre armée» [119]. En mai 1855, il demande au père Vincens de faire une tournée de recrutement: «Allez-vous-en donc, pour peu que vous tardiez, vous trouverez tous les séminaires fermés, et nous manquerons alors notre but. Vous comprenez pourtant combien il importe d’essayer de ce moyen pour nous ravitailler. Vous n’avez pas de temps à perdre. Je crois vous avoir remis quelques notices sur la Congrégation qu’il serait bon que vous répandissiez chemin faisant» [120]. Notons au passage, dans cette lettre, un autre moyen de faire connaître la Congrégation et les missions oblates: «des notices sur la Congrégation». Il s’agit peut-être d’une notice rédigée par le père Léonard [121].

Les Oblats n’attireront pas de vocation s’ils ne témoignent pas par la générosité de leur vie: «Que nos pères ne craignent donc plus de paraître ce qu’ils sont, c’est-à-dire des hommes vraiment religieux, séparés du monde par leur profession, des hommes dévoués à l’Église, uniquement occupés à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, sans prétendre d’autres récompenses ici-bas que celle promise par notre Divin Sauveur à ceux qui quittent tout pour le suivre. […] Et qu’on ne craigne pas, par cette sévère régularité, d’éloigner de notre Institut ceux que l’on serait bien aise de voir s’y agréger! Nous avons la confiance qu’il en sera autrement. […] Soyons donc réellement ce que nous devons être et nous verrons qu’on viendra à nous» [122].

Un moyen efficace pour obtenir des vocations, c’est celui que le Seigneur lui-même a recommandé, la prière: «Prions efficacement pour que le Père de famille nous envoie des ouvriers pour cultiver la vigne qu’il nous a confiée. Cette grâce, il appartiendrait à notre bonne Mère de nous l’obtenir pour la gloire de son divin Fils; demandons-la-lui donc avec ferveur et persévérance» [123]. Même si les charges sont lourdes, notre Fondateur accueille les vocations parce qu’elles sont un don de Dieu: «Il y a de quoi s’effrayer en considérant les charges énormes qui pèsent sur nous. Mais qui est-ce qui aura le courage de fixer la mesure des desseins miséricordieux de Dieu? […] C’est au moment où il appelle notre Congrégation à étendre son zèle sur une immensité de pays, qu’il inspire en même temps à un grand nombre de sujets de s’offrir pour accomplir ses vues et nous nous refuserions à accepter leur dévouement qui nous met à même d’obéir à la volonté de notre Maître!» [124].

Avant d’admettre des jeunes au noviciat, il faut discerner soigneusement si leur vocation vient de Dieu: «Appliquez-vous à bien discerner les motifs qui les amènent, à peser leurs vertus et à juger de la suffisance de leurs talents» [125]. «Il faudrait pendant leur noviciat examiner les sujets sur leur talent. Je ne prétends pas que l’on n’admette que des aigles, mais il est un degré d’ignorance et d’incapacité qui ne peut être admis» [126]. Il ne faut donc pas se laisser impressionner par les talents humains: «Le talent est une bonne chose, mais il faut le faire passer après les vertus qui sont indispensables à un Missionnaire Oblat de Marie» [127]. Ne pas se laisser impressionner non plus par les relations de famille [128]. Les misères du passé ne sont pas forcément un obstacle à la vocation: «Il ne me souvient pas de vous avoir détourné de recevoir ceux qui auraient pu se laisser aller à des misères avant de se présenter au noviciat. Je suis loin de vouloir les exclure. Autre chose serait s’ils ne se corrigeaient pas pendant le noviciat malgré les secours abondants que la bonté de Dieu leur fournit dans ce saint lieu» [129]. Dans sa biographie de Mgr de Mazenod, le père Rambert cite une longue lettre de notre Fondateur à un curé de son diocèse qui désirait entrer chez les Oblats. L’évêque reconnaît toutes les qualités de ce prêtre; il admet qu’il s’agit peut-être d’une authentique vocation, mais il lui demande de réfléchir et de prier avant de prendre une décision. Cette lettre montre clairement que le Fondateur ne cherchait pas seulement à attirer du monde dans les rangs de la Congrégation, mais qu’il voulait, par-dessus tout, être fidèle à la volonté du Seigneur sur chacun [130].

9. FORMATION CONTINUE

Répondre avec générosité et compétence à l’appel de l’Église a été le motif qui a poussé le père de Mazenod à s’engager dans la mission et à fonder la Congrégation. Pour que les Oblats s’engagent avec lui et soient à la hauteur de leur tâche, il leur faut, entre autres choses, entretenir et renouveler leurs connaissances intellectuelles.

Le premier appel qu’Eugène de Mazenod adresse aux Oblats, c’est de continuer à étudier: «Vous devriez au contraire remercier Dieu de vous l’avoir procurée [la solitude], pour vous remettre dans les voies intérieures et employer votre temps à l’étude. Pourriez-vous vous persuader qu’à votre âge vous puissiez être dispensé de l’étude? Que saviez-vous en sortant du séminaire? Vous avez tout à apprendre» [131]. Le Fondateur rappelle aux supérieurs qu’un de leurs devoirs est de faire étudier les jeunes pères: «Ne vous lassez donc pas de travailler pour bien former les sujets que je vous envoie, […] mais si vous êtes continuellement en courses, je serai trompé dans mon attente. Ménagez-vous donc quelques moments pour vaquer à ce devoir qui doit avoir des résultats heureux pour l’Église et pour la Congrégation» [132]. Même appel au père Moreau pour le père Nicolas: «Prévenez-le pour que dans le courant de l’année il ait toujours quelque chose sur le chantier» [133].

Il faut travailler avec méthode et, d’abord, s’imposer une discipline de silence et d’assiduité à l’étude. Dans l’acte de visite de Notre-Dame du Laus du 26 juin 1828, il recommande de respecter le silence, de rester dans sa chambre pour étudier. Et il ajoute: «Nous avons dit qu’en observant ces Règles on pourra étudier davantage. […] Or qui est-ce qui pourra jamais dispenser de ce devoir des prêtres, des religieux qui doivent être non seulement le sel de la terre, mais encore la lumière du monde? Nous appelons ne pas étudier que de se contenter de lire tantôt un livre, tantôt un autre par pure curiosité et sans aucun fruit durable. Pour étudier, il faut avoir un plan, faire des lectures qui se rapportent à ce plan, prendre des notes sur ce qu’on lit, y ajouter ses propres réflexions, consulter divers ouvrages qui confirment, corroborent ou éclaircissent la matière ou le sujet dont on s’occupe. On étudie quand on s’instruit de plus en plus dans la théologie, quand on approfondit les Écritures, quand on compose des discours, quand on prépare des instructions pour les missions et les retraites. Ce serait une erreur déplorable que de se croire dispensé d’écrire, parce que déjà on a fait plusieurs missions» [134].

La formation continue comporte aussi des sessions d’études prolongées: «Il a été décidé dans mon conseil que nos jeunes prêtres seraient réunis à N.-D. de Lumières pour s’y préparer par l’étude au saint ministère qui est journellement compromis par l’inhabileté de ceux qui l’exercent sans expérience, avec peu de doctrine et point d’écrits» [135]. Le Fondateur maintient cette décision, même si la mission est momentanément privée d’ouvriers: «La mesure très nécessaire que j’ai prise pour cette année m’enlève la faculté de disposer des jeunes sujets. Ils vont travailler à se rendre propres au saint ministère» [136]. Après expérience, le Fondateur exprime sa satisfaction: «J’augure bien, sous tous les rapports, de la mesure que je me suis décidé à prendre. La régularité s’observe admirablement parmi notre jeunesse réunie au Calvaire» [137]. Et il recommande au père Tempier, en visite au Canada, d’organiser un cours semblable: «Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous avons eu à gémir sur la trop grande facilité d’employer nos sujets avant qu’ils fussent suffisamment formés. Il ne faut pas craindre de prendre quelques moyens puissants pour remédier à ce mal en Canada. […] J’ai retiré de leurs travaux, déjà couronnés d’abondantes bénédictions, plusieurs de nos missionnaires que cette mesure aura pu contrarier. […] Si on pouvait constituer quelque chose de semblable en Canada, je ne reculerais pas devant la suspension de toute mission pendant un an pour chaque sujet» [138].

10. CONCLUSION

Nous n’avons pas cité toutes les lettres envoyées aux éducateurs et aux candidats oblats. Celles que nous avons retenues sont toujours d’actualité, elles nous font connaître les convictions de notre Fondateur. Elles peuvent par conséquent nourrir les réflexions des responsables de la formation et parfois les interpeller.

LA FORMATION DANS L’HISTOIRE DE LA CONGRÉGATION

1. LES DECISIONS DES CHAPITRES GENERAUX

Quand on lit les circulaires des Supérieurs généraux, en particulier celles qui présentent les délibérations des Chapitres, on constate qu’à peu près chaque fois la question de la formation a été abordée et que l’on reprend régulièrement les mêmes directives sur la nécessité de bien préparer les Oblats à leur mission future dans tous les domaines. Il serait fastidieux de rapporter des normes qui se répètent presque littéralement; qu’il suffise de noter quelques décisions particulières.

Le Chapitre de 1906 décide que les scolasticats seront placés sous la juridiction immédiate des Provinciaux et non plus sous celle du Supérieur général, afin qu’ils soient suivis de plus près. La transmission de cette décision fournit au père Auguste Lavillardière, supérieur général, l’occasion de rappeler l’importance primordiale de la formation dans les scolasticats [139].

Le Chapitre de 1920 présente un plan complémentaire pour la formation des futurs missionnaires:

Histoire de la Congrégation, à donner surtout au juniorat et au noviciat;

Étude de l’anglais, au juniorat et au scolasticat. À ce sujet le Supérieur général dit: «Aux maisons de formation qui seraient en retard à ce propos, nous accorderions volontiers d’envoyer un professeur passer ses vacances une fois ou deux dans la Province Britannique».

Cours d’éloquence et aussi «des conseils pratiques sur la manière de faire le catéchisme aux enfants». Un cours de comptabilité par un expert durant les vacances. Un cours d’ascétique et mystique.

Après quoi, Mgr Augustin Dontenwill rédige un long paragraphe sur l’esprit apostolique dans la formation des sujets [140].

Le Chapitre de 1953 passe en revue toutes les étapes de la formation en donnant des directives pour chacune d’elles ainsi que pour la préparation des éducateurs [141].

Les nombreuses répétitions d’un Chapitre à l’autre sont un signe de vitalité. Elles montrent qu’à chaque rencontre importante, les Oblats en autorité ont voulu faire le point et prendre leurs responsabilités dans un domaine vital pour la fidélité à la mission. D’autres décisions des Chapitres et des Supérieurs généraux seront étudiées dans les paragraphes suivants.

2. DOCUMENTS EMANANT DE L’ADMINISTRATION GENERALE

Le plus ancien document officiel promulgué par le Supérieur général est le Directoire des noviciats et des scolasticats dont le père Joseph Fabre avait confié la rédaction au père Toussaint Rambert. Celui-ci avait utilisé des manuscrits déjà existant à la disposition des maîtres des novices [142].

À la suite de plusieurs Chapitres, les Supérieurs généraux souhaitaient la publication d’une Ratio Studiorum ac Vitae à l’usage des scolasticats. Le père Louis Soullier écrivait dans la circulaire n° 57 du 26 mars 1894: «Ce travail est de ceux qui ne s’improvisent pas et, quoiqu’il en soit question depuis fort longtemps, nous croyons que rien n’a encore été fait». De fait, il faudra attendre 1960 pour voir paraître, par mandat du père Léo Deschâtelets, la Ratio Studiorum assurant l’application à la Congrégation des normes promulguées dans la Constitution apostolique Sedes Sapientiae du Pape Pie XII et dans les Statuta generalia annexés à cette Constitution. En présentant ce document oblat, le père Georges Cosentino rappelle tous les projets de ce genre depuis le Chapitre de 1879 [143].

En application de la règle 33 des Constitutions actuelles, «le Supérieur général en conseil détermine les normes générales de la formation oblate», un document a été élaboré après une large consultation à travers la Congrégation et grâce à la collaboration de beaucoup d’éducateurs. Il a été officiellement promulgué par le père Fernand Jetté, le 24 mars 1984, sous le titre: Normes générales de la formation oblate. Traduit en plusieurs langues, il rend de grands services aux éducateurs oblats.

Dans leurs circulaires, les Supérieurs généraux abordent assez souvent la question de la formation. Parmi elles, la lettre du père Soullier intitulée Des études du Missionnaire Oblat de Marie Immaculée mérite une mention spéciale [144]. C’est un long document de cent vingt-sept pages dans lequel le Supérieur général présente, dans une première partie, la nécessité de l’étude: pour le religieux qui doit «acquérir pleinement la science de la vie surnaturelle»; pour le prêtre qui «ne peut évidemment servir Jésus Christ aux âmes sous la forme sensible de la parole humaine, qu’après l’avoir préalablement reçu lui-même en une sorte de communion intellectuelle»; pour le missionnaire, pour l’Oblat qui, à la suite du Fondateur, doit remédier à l’ignorance des peuples; pour l’Oblat des missions étrangères. Dans la deuxième partie, le père Soullier énumère les sujets que les Oblats doivent étudier. Ce sont d’abord les sciences ecclésiastiques, en premier lieu la Sainte Écriture, qui «est tout ensemble la grande puissance de l’apostolat et l’instrument le plus efficace de sanctification personnelle». Il recommande aussi l’étude des sciences profanes et celle des langues étrangères, nécessaires pour la mission et pour les échanges fraternels dans la Congrégation. La troisième partie parle du caractère surnaturel à donner à l’étude: «Point d’étude ni de science qui ne se tourne en amour de Dieu». Au delà du style qui n’est plus le nôtre, les directives de cette lettre sont toujours valables.

Destinée à tous les Oblats, la lettre du père Deschâtelets Notre vocation et notre vie d’union intime avec Marie Immaculée [145] ne s’adresse pas directement aux maisons de formation. Je la signale ici parce qu’elle a été analysée lors de rencontres d’éducateurs et qu’elle les a aidés dans leur tâche [146].

Durant son supériorat, le père Jetté a manifesté un souci particulier pour les oeuvres de formation. Aussi a-t-il profité de toutes les occasions pour exprimer sa pensée dans ses lettres et dans ses rencontres avec les éducateurs et avec les jeunes Oblats [147]. Ces documents, ainsi que les extraits de lettres des Supérieurs généraux cités en d’autres paragraphes, manifestent que, à la suite de saint Eugène, les Supérieurs généraux sont conscients de leur responsabilité et veulent suivre la formation de près.

3. RESPONSABILITE DU CONSEIL GENERAL

En rendant compte des travaux du Chapitre de mai 1893, où il a été élu Supérieur général, le père Soullier déclare ceci dans la circulaire n° 57 du 26 mars 1894: «Il est à désirer qu’un des assistants du Supérieur général soit spécialement chargé de ce qui regarde les études dans la Congrégation, et plus particulièrement de l’Université catholique d’Ottawa». En fait, le père Soullier nomma deux assistants, «l’un plus spécialement chargé de stimuler les études à l’intérieur de la Congrégation; l’autre de suivre la marche de l’enseignement de l’Université d’Ottawa» [148].

Le désir de voir un des membres de l’Administration générale responsable de la formation pour seconder le Supérieur général en ce domaine a été repris par le Chapitre de 1947, qui recommandait la nomination d’un Directeur général des études. Le Chapitre de 1953 confirma cette décision et donna au Directeur des études une place officielle au sein de l’Administration générale [149]. Le Chapitre de 1966 renforça encore l’institution en établissant un Secrétariat général de la formation, dirigé par un Secrétaire spécialisé, fonctionnant sous le contrôle d’un Assistant général [150]. Cette organisation n’a pas été maintenue par le Chapitre de 1972. Mais, dès le Chapitre de 1974, il est décidé que l’Assistant général en charge de la formation sera aidé par un comité général, composé d’au moins un Oblat venant de chaque Région. Cette institution fut confirmée par le Chapitre de 1980 (R 34). Elle permet à l’Assistant général d’avoir un contact suivi avec les oeuvres de formation dans l’ensemble de la Congrégation.

C’est pour assumer collégialement leur responsabilité que les membres du conseil général ont organisé, en 1978, une visite systématique des maisons de formation, afin d’évaluer la situation et d’encourager tous ceux qui se consacrent à la formation [151].

Tout ceci situe bien la formation parmi les premières préoccupations des Supérieurs généraux et de leur conseil.

4. PREPARATION DES EDUCATEURS

Bien des fois, les Supérieurs généraux et les Chapitres se sont plaints du nombre trop restreint d’éducateurs et de leur manque de préparation adéquate. Pour pallier cette carence, le père Deschâtelets décida d’établir une communauté, appelée Studium generale superius, qui aurait comme premier but la préparation à la tâche d’éducateur. Le Chapitre de 1953 envisage d’une manière très large le rôle de cette institution nouvelle:

a. «que toutes nos maisons de formation oblate soient l’une ou l’autre année représentées au Studium par des pères dits «stagiaires»;

b. que des pères soient groupés à tour de rôle selon la nature de l’oeuvre à laquelle ils se dévouent ou à laquelle on les destine: juniorat, noviciat, scolasticat;

c. que, en plus des cours, le programme d’études en cette maison comporte des travaux personnels, voire des examens […]

d. que, durant une période brève, on accueille de temps à autre au Studium les pères adonnés à des ministères autres que la formation des jeunes Oblats, tant que l’Institut ne disposera pas d’autres moyens pour procurer à ces pères le complément de formation réclamé par leurs besoins respectifs;

e. que le Studium reçoive aussi les pères qui seraient envoyés à Rome pour conquérir les grades académiques dans les universités romaines» [152].

En fait, le Studium a reçu surtout des pères qui suivaient les cours dans les universités romaines. En plus des cours académiques, le programme a comporté, pendant quelques années, des sessions spéciales sur des problèmes de formation. Il n’a pas été possible de réaliser, dès le début, le plan ambitieux du Chapitre de 1953. «Nous ne manquons pas de dire toutefois que, quel que soit le succès actuel du Studium, la formule définitive n’est pas encore trouvée. Il peut désigner deux organisations distinctes: d’abord un centre de réunion où, à des périodes déterminées, peuvent se grouper des Oblats spécialisés en telle ou telle fin de l’Institut […] On peut aussi envisager un studium permanent où missionnaires, professeurs, sociologues se rencontreraient pour étudier les problèmes majeurs de notre apostolat, de nos oeuvres, de notre enseignement. Mais cela ne peut être réalisé actuellement car, par suite des circonstances, le Studium n’est pour le moment que la résidence de nos étudiants-prêtres» [153]. Lors de la préparation du Chapitre de 1966, il est clair que le père Deschâtelets n’a pas renoncé à faire du studium un centre de rayonnement aux activités diverses [154]. Ce projet n’a pas abouti. Après le Chapitre de 1972, le Studium n’existe plus comme communauté séparée, les pères étudiants logeant à la Maison générale et s’insérant de leur mieux dans la vie de la communauté locale.

Ceci ne veut pas du tout dire que la préparation des éducateurs ne demeure plus une préoccupation majeure. Durant le supériorat du père Jetté, six congrès ont été organisés en faveur des éducateurs. Durant un mois, plusieurs d’entre eux se sont réunis à Rome (une fois à Washington) pour mettre en commun leur expérience et étudier les meilleurs moyens d’être fidèles à leur tâche. Des congrès du même genre, mais de durée plus brève, ont aussi été organisés par plusieurs Régions. Ces rencontres internationales sont un projet plus modeste que le Studium generale superius, mais elles sont plus facilement réalisables. Elles répondent à un besoin réel et elles sont appréciées par les participants.

5. FORMATION CONTINUE

Il y avait dans les anciennes Constitutions une structure assez rigoureuse qui maintenait la poursuite de l’étude et un soutien mutuel en communauté pour l’assurer. C’était la conférence théologique, qui devait se tenir une fois par mois [155]. Et même d’autres conférences étaient prévues pour échanger sur la méthode missionnaire [156]. Selon la première Règle, la conférence théologique devait avoir lieu une fois par semaine, le père Fabre en rappelle la nécessité [157]. De plus, il avait projeté de faire rédiger par un Assistant général «un plan de conférences adaptées à notre ministère et qui pût fournir à chacun, par un travail sérieux, le moyen de conserver ou d’acquérir les connaissances indispensables à son parfait exercice» [158]. En fait, ce plan n’a jamais vu le jour.

Les premières années de ministère étaient considérées comme un temps privilégié pour assurer aux jeunes pères le complément de formation dont ils avaient besoin. Dans sa circulaire sur la prédication, le père Soullier dit ceci: «Nous faisons tous les sacrifices pour procurer à nos scolastiques les études les plus solides et les plus complètes. […] Mais une fois ces sujets remis aux mains des supérieurs provinciaux et locaux, nous voulons que ceux-ci observent strictement les preions de nos Saintes Règles et de nos Chapitres généraux: les examens annuels, les trois années sans ministère habituel spécialement employées à la préparation immédiate des missions, les conférences théologiques, etc. Le fonds de science nécessaire acquis, c’est notre devoir de l’accroître par un travail constant et de le mettre en oeuvre dans nos travaux apostoliques par une préparation sérieuse» [159]. Les principes qui sont à la base de ces déterminations sont maintenus dans les nouveaux textes des Constitutions [160], mais on n’a pas gardé la structure stricte qui assurait la mise en oeuvre de ces principes.

Devant les bouleversements de pensée de l’après-guerre, on éprouvait le besoin de fournir aux Oblats un temps de réflexion pour qu’ils puissent faire le point sur leur vie et se renouveler. C’est encore à l’initiative du père Deschâtelets que l’on doit l’institution de la «Retraite de Mazenod». Parlant des propositions faites au Chapitre de 1953, il présente le projet de la manière suivante: «[ces propositions] expriment toutes les avantages qu’il y aurait de donner à nos pères l’occasion de réfléchir pendant un certain temps, après quelques années de vie active, sur leur vie spirituelle et apostolique» [161]. Le père Deschâtelets envoie une circulaire spéciale pour annoncer que la Sacrée Congrégation des Religieux approuve l’institution de la Retraite de Mazenod [162]. La première partie de la circulaire décrit l’histoire antérieure à cette institution à partir du Chapitre de 1837, qui déjà proposait: «une retraite de six mois dans le noviciat après dix ans d’oblation». Ensuite le père Deschâtelets rappelle la proposition du Chapitre de 1953 et il donne le sens de cette institution nouvelle: «Une période essentiellement destinée à une reprise par la base de toute la vie religieuse oblate, avec une conscience d’adulte et avec toute l’expérience de plusieurs années de vie religieuse et de ministère oblat, permettant à chacun soit un approfondissement soit peut-être une vraie reprise» [163]. Quelques années plus tard, il montre comment cette institution a fonctionné [164]. Après le Chapitre de 1972, elle a été confiée aux Régions et a connu des fortunes diverses. Pour sa reprise éventuelle, il serait souhaitable de retenir les suggestions du père Amand Reuter, directeur général des études, au Chapitre de 1966: «Il semblerait avantageux d’essayer d’en faire une combinaison de rénovation spirituelle et pastorale, ce qui nous apparaît psychologiquement requis pour une expérience fructueuse à ce niveau» [165].

Pour assurer que l’action du Supérieur général et de son conseil soit effective en ce domaine, le Vicaire général fut nommé responsable de la formation continue dès la première session qui a suivi le Chapitre de 1974 [166]. Et celui-ci établit «un réseau de personnes susceptibles d’aider les Provinces pour la formation continue des Oblats. Ce réseau entend répondre aux besoins d’échange et de soutien mutuels dans l’ensemble de la Congrégation, sans qu’il soit nécessaire de constituer une nouvelle structure officielle. C’est aussi un encouragement à faire appel à toutes les compétences pour collaborer à la formation continue [167]. Un bulletin a servi de liaison entre les membres de ce réseau.

En plus de ce travail impliquant toutes les Provinces, le père Jetté a fait organiser différentes rencontres internationales. Partant du principe énoncé à la Règle 70: «une préparation adéquate sera assurée, si nécessaire, à un Oblat appelé à remplir une nouvelle fonction», il a offert plusieurs sessions aux éducateurs; il en a déjà été question. Il a également offert des sessions aux Provinciaux nouvellement nommés, pour les aider à assumer leur charge dans les meilleures conditions [168]. C’est aussi sous l’impulsion du père Jetté qu’ont été organisés deux congrès importants. L’un sur le charisme du Fondateur [169] et l’autre sur les Oblats et l’Évangélisation [170]. Un autre congrès parrainé par l’Administration générale s’est tenu à Ottawa, en août 1982, pour étudier l’évangélisation dans les sociétés sécularisées.

6. FORMATION DES FRÈRES

On retrouve la préoccupation de la formation religieuse et professionnelle des frères tout au long de l’histoire de la Congrégation. Dans son rapport au Chapitre de 1904, le père Cassien Augier note très justement: «Si le savoir professionnel produit peu, quand il n’est pas joint à la bonne volonté, celle-ci, sans l’instruction professionnelle, demeure à peu près stérile» [171]. Un peu plus loin, il déclare: «Les frères convers ne rempliront que très imparfaitement leur tâche, s’ils ne sont pas éclairés au point de vue surnaturel» [172]. Cette préoccupation était concrétisée dans les anciennes Constitutions [173], confiant la formation continue des frères à un préfet spirituel qui devait les réunir une fois par semaine et devait suivre chacun personnellement. Les Provinces riches en vocations de frères organisaient avec un soin particulier la formation spirituelle et technique des leurs. Le père Deschâtelets, rendant compte du deuxième Conseil général extraordinaire, pouvait dire: «On trouve actuellement des écoles ou maisons spécialisées pour la formation continue des frères en douze Provinces» [174].

Avec l’évolution des mentalités, on éprouvait le besoin d’atténuer le plus possible les différences entre pères et frères. C’est pourquoi le père Deschâtelets commence ainsi le paragraphe sur les frères dans son rapport au Chapitre de 1959: «Nous avons peu parlé jusqu’ici de nos chers frères coadjuteurs. C’est volontairement que nous avons omis de le faire: ils sont tellement identifiés, incorporés à notre vie oblate que nous ne devons pas faire de distinction lorsque nous traitons de la Congrégation en général comme c’est ici notre but» [175]. Mais il demeure vrai que les frères ont droit, comme tout Oblat, à une formation solide dans tous les domaines. C’est ce que le père Deschâtelets développe dans la suite de son rapport. Il insiste sur le même sujet dans son discours d’ouverture au Chapitre de 1966 [176]. Il a même rédigé une circulaire spéciale sur ce sujet, dans laquelle il commente les articles des Constitutions concernant les frères [177].

C’est parce qu’il voulait reconnaître et respecter le changement de mentalité et parce qu’il tenait à maintenir une formation solide pour les frères que le père Jetté a convoqué un congrès spécial pour eux. Celui-ci s’est tenu à Rome en août-septembre 1985 et a été organisé par les frères eux-mêmes [178].

En conclusion, nous pouvons retenir les directives du père Jetté au Chapitre de 1986: «Respecter et promouvoir la vocation du frère oblat dans sa spécificité propre — Abolir toutes les distinctions non nécessaires entre pères et frères dans la vie commune, au niveau religieux et humain — Assurer une sérieuse formation doctrinale et spirituelle, de même qu’une formation professionnelle adéquate» [179].

7. INSTRUMENTS DE TRAVAIL AU SERVICE DE LA FORMATION

Il a déjà été question des documents publiés par les Supérieurs généraux en conseil. D’autres initiatives méritent d’être retenues.

Les Oblats écrivent sur le Fondateur et sa spiritualité ou sur la Congrégation avec parfois plus de bonne volonté que de compétence. Devant l’abondance de cette littérature, le Chapitre de 1947 éprouva le besoin d’assurer la solidité des études d’histoire et de spiritualité, et souhaita la création d’un «Institut historique» établi à Rome et composé d’Oblats qui se seraient préparés scientifiquement en diverses universités [180]. Cet institut n’a jamais vu le jour, mais le voeu du Chapitre n’est pas resté lettre morte. Un certain nombre d’Oblats se sont spécialisés en théologie spirituelle et en histoire de l’Église. Grâce à leurs travaux, nous possédons un nombre appréciable de thèses et d’études de valeur, qui sont une mine pour la formation spécifiquement oblate. On peut citer, entre autres, les Archives d’histoire oblate sous la direction des pères Maurice Gilbert et Gaston Carrière (aux éditions des Études Oblates, Ottawa), la revue Études Oblates, devenue en 1974Vie Oblate Life (aux mêmes éditions), les Quaderni di Vermicino publiés par le scolasticat de la Province d’Italie.

Devant les controverses théologiques et les hésitations qui se multipliaient depuis le Concile, le Supérieur général sentait le besoin de s’entourer de théologiens pour l’éclairer sur ces problèmes qui touchent la vie oblate [181]. Il appela deux pères à la Maison générale et des centres de recherche furent établis dans six Régions. Cet organisme a eu de la peine à trouver sa méthode de travail et il n’a pas continué après le Chapitre de 1972.

Dans la même ligne, une autre initiative a vu le jour à la rencontre intercapitulaire de mai 1978. «Le père Gilles Cazabon, provincial de la Province Saint-Joseph, Canada, a suggéré la constitution d’un groupe libre d’Oblats désirant partager leurs recherches et réflexions sur l’histoire, la spiritualité et la vie actuelle de la Congrégation» [182]. Cette suggestion, vivement encouragée par tous les participants, a été mise sur pied lors du Congrès sur les Oblats et l’Évangélisation, le 14 septembre 1982 [183], sous le nom d’«Association d’études et de recherches oblates». La charte fut officiellement approuvée à la session plénière du conseil général de novembre-décembre 1982 [184]. Ses travaux seront une aide pour les maisons de formation.

Le Chapitre de 1947 confiait aussi au Supérieur général le soin de publier les écrits éclairant notre histoire: «Le temps est venu surtout de collationner scientifiquement les sources de cette histoire et de les publier pour les mettre à la portée de tous les chercheurs» [185]. Un premier ensemble de textes a été publié dans les Missions et en tirés à part, grâce aux soins du père Paul-Émile Duval. En rendant compte de ce travail au Chapitre de 1953, le père Deschâtelets note: «Ne vaudrait-il pas mieux réserver les Missions pour les événements plus récents et organiser une publication sériée de genre spécial» [186].

Il reviendra au père Jetté de répondre à ce voeu. Sous son impulsion, le père Yvon Beaudoin a déjà publié, dans une première série de seize volumes des Écrits Oblats, les lettres de notre Fondateur aux Oblats ainsi qu’à la Sacrée Congrégation et à l’Oeuvre de la Propagation de la Foi, ses écrits spirituels et le début du Journal. La publication d’autres textes se poursuit. Cette collection est un instrument de grande valeur aux mains des éducateurs oblats.

8. CONCLUSION

En passant en revue l’histoire de la formation chez les Oblats, on a vu surgir et se développer toutes sortes d’initiatives suscitées par les besoins d’une éducation solide. Certaines durent, d’autres ont été abandonnées. L’esprit qui a animé ces entreprises est celui de saint Eugène quand il a fondé l’Institut: répondre à l’appel de l’Église et pour cela «former des hommes apostoliques […] qui, après s’être pénétrés de la nécessité de se réformer soi-même, travaillassent de tout leur pouvoir à convertir les autres» (Préface). La méthode, comme au temps du Fondateur, est toujours la même: imiter le Christ dans la formation des Apôtres (voir C 45).

RENÉ MOTTE