1. Marie dans la formation d’eugène de mazenod avant l’entrée au séminaire
  2. Marie dans la formation d’eugène de mazenod au séminaire saint-sulpice
  3. Les premières années de sacerdoce
  4. Marie dans la spiritualité de la congrégation selon le fondateur
  5. Marie dans la vie communautaire et l’apostolat de la congrégation
  6. Mgr de mazenod et la proclamation du dogme de l’immaculée conception
  7. Les supérieurs généraux et la vierge marie

MARIE DANS LA FORMATION D’EUGÈNE DE MAZENOD AVANT L’ENTRÉE AU SÉMINAIRE

Jusqu’en 1791 la formation d’Eugène provient surtout de sa famille. Au cours des onze années d’émigration qui suivent, il rencontre diverses personnes et situations qui le marquent et qu’il appelle «une suite de la création» [1].

1. LA FAMILLE (1782-1791)

Le père Achille Rey, dans sa biographie de Mgr de Mazenod, parle des leçons reçues par celui-ci «dans sa propre famille, à l’école de son père, de sa mère et de ses dignes oncles» grâces auxquelles, ajoute-t-il, «nous l’avons vu pratiquer déjà les vertus de l’enfance à un haut degré» [2].

Cependant, les documents contemporains nous renseignent très peu sur l’atmosphère religieuse de la famille. On sait que la récitation de l’office de la sainte Vierge était la prière préférée de Marie-Rose Joannis, mais Eugène ne dit rien sur l’influence de sa mère. Son père ne lui a également pas donné un exemple concret de piété mariale, bien qu’il ait eu envers elle une dévotion «particulière» et qu’il n’ait «jamais laissé passer un jour sans l’invoquer à plusieurs reprises… au milieu même de [ses] plus grands dérèglements» [3].

2. À VENISE (1794-1797)

À Venise Eugène rencontre don Bartolo Zinelli qui, pour l’initier à la vie de la foi, compose pour lui un règlement de vie [4]. À partir des quelques extraits conservés, on peut déceler le projet d’un cheminement de vie spirituelle centralisée sur le Christ et Marie [5]. Il s’agit certes de pratiques de piété (office de la sainte Vierge, chapelet, etc.), mais aussi d’une attitude intérieure par laquelle Eugène doit unir ses «adorations avec celles des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie» [6]. Le règlement lui recommande de demander à Marie de l’assister dans toutes ses actions. Jésus est présenté comme celui qui a mis toute sa confiance en Marie; Eugène doit suivre cet exemple «en union des sentiments de son cœur adorable» [7].

Ce règlement ne propose pas une piété froide. On y lit ceci: «Ce sera là mon exercice du matin. Avant de quitter ma chambre, je me tournerai vers une église et je prierai à genoux Jésus de me bénir, en lui disant: Iesu, fili David, non dimittam te, nisi benedixeris mihi. Je me tournerai aussi vers l’image de Marie et je lui demanderai humblement sa bénédiction maternelle par ces paroles de saint Stanislas: Mater vera Salvatoris, Mater adoptata [8] peccatoris, in gremio maternae tuae pietatis, claude me. Je prendrai alors de l’eau bénite, je baiserai respectueusement mon crucifix à l’endroit des plaies et du cœur, la main de ma Mère Marie» [9].

Ces expressions, pleines de tendresse, permettent à Eugène d’entraîner dans sa vie spirituelle toute sa personnalité, compte tenu de son âge et de son tempérament. Elles invitent, en effet, à aimer Jésus et Marie d’un amour vrai, sensible et tendre, capable de s’exprimer même avec des signes extérieurs [10]. Ce règlement a marqué sa vie et cela est un fait capital.

Nous ne connaissons pas d’autres documents écrits qui pourraient modifier notre connaissance de la dévotion mariale d’Eugène à Venise. Dans les archives générales, il y a cependant une reproduction d’une peinture représentant un garçon agenouillé devant une statue de la Vierge avec Jésus dans les bras. L’enfant, les mains jointes, fixe le regard de la Vierge avec une apparente confiance et simplicité [11].

3. À PALERME (1799-1802)

À 17 ans, Eugène arrive à Palerme où il demeure pendant quatre ans. C’est là qu’il acquiert des convictions concernant l’Immaculée Conception et l’aspect christocentrique du culte marial. Quand, au séminaire, il sera question de l’Immaculée, il se souviendra de Palerme. Dans la marge de son cahier de notes concernant le dogme, sur la page des témoignages de la tradition énumérés par le professeur, le séminariste ajoute: «Les archevêques de Palerme et toutes les autorités de cette grande ville renouvellent tous les ans le serment de verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour le maintien de cette vérité [12]. L’autre souvenir concerne la fête appelée «Le triomphe de la Rédemption». Dans son Journal d’émigration, deux pages sont remplies par la deion de la procession où parmi les personnages du Nouveau Testament, Marie est toujours présente à côté du Christ ou en relation avec lui [13]. Il semble qu’Eugène était habitué à la voir dans la perspective du Salut.

4. À AIX (1802-1808)

Nous conservons trop peu de documents de cette période pour bien situer le rôle de Marie dans la piété d’Eugène. Il faut dire, cependant, que, même pour un événement aussi important que la «rencontre» avec le Christ crucifié, un vendredi saint, nous ne disposons que d’une vingtaine de lignes écrites quelques années plus tard. On sait que, en 1805, Eugène considère le jour de l’Assomption non seulement comme une «grande fête», mais qu’il la commence par la récitation des Laudes de la Vierge à Notre-Dame de Paris [14].

Le père Eugène Baffie et le père Auguste Estève, premier postulateur de la cause du Fondateur, affirment qu’à son retour de l’émigration, l’autel miraculeux de Notre-Dame des Grâces dans l’église de la Madeleine, et la chapelle de Notre-Dame de la Seds étaient des lieux privilégiés où il allait prier [15]. C’est tout ce que nous pouvons dire avec certitude de la piété mariale d’Eugène de 1802 à 1808. On croit cependant y apercevoir une vive présence de Marie puisque dès le début de son séjour à Paris, nous trouvons sous sa plume des textes marials très forts. Par exemple, six jours après son entrée au séminaire, dans une lettre à sa grand-mère, il lui parle avec émerveillement d’une «fête qui embaume et qui est propre au séminaire, c’est la fête de la Vie intérieure de la sainte Vierge, c’est-à-dire la fête de toutes les vertus et des plus grandes merveilles du Tout-Puissant. Quelle délicieuse fête! Et combien je vais me réjouir avec la très sainte Vierge de tout ce que Dieu a opéré de grandes choses en elle! Oh! quelle avocate auprès de Dieu! Soyons-lui dévoués; elle est la gloire de votre sexe. Nous faisons profession de ne vouloir aller à son Fils que par elle, et nous attendons tout de sa puissante intercession» [16].

MARIE DANS LA FORMATION D’EUGÈNE DE MAZENOD AU SÉMINAIRE SAINT-SULPICE

Le 12 octobre 1808, Eugène entre au séminaire Saint-Sulpice à Paris. Cherchons à identifier les éléments marials de la formation reçue et son comportement en présence des valeurs proposées.

1. LA FORMATION SPIRITUELLE

Jean-Jacques Olier, fondateur du séminaire, a élaboré une spiritualité dans laquelle il mettait en relief le fait que le prêtre est un alter Christus [17], et donc quelqu’un qui suit le Christ en tout, même dans sa relation à Marie. Un des principaux motifs qui a porté monsieur Olier à la dévotion mariale a été «le désir d’entrer dans les sentiments de notre Seigneur à l’égard de sa bienheureuse Mère» [18]. C’est pourquoi les Sulpiciens veillaient à ce que chacun des prêtres formés par eux puisse dire: «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20). Marie était présentée comme le modèle de cette attitude, puisque le Christ a habité en elle dans le sens le plus plein du mot. Dans la spiritualité du séminaire, «honorer Marie» signifiait donc contempler en elle la vie de Jésus et voir à ce que Jésus habite en nous comme il habitait en Marie. La meilleure expression de cette spiritualité mariale christocentrique semble être la prière O Jesu vivens in Maria [19] qui était récitée après la méditation. On peut dire que les idées qu’elle contient constituent l’essence de la spiritualité mariale sulpicienne et c’est en elle qu’Eugène a été formé.

Les prières de chaque jour aidaient elles aussi à progresser dans le chemin de la formation par une présence continuelle de Marie. Presque tous les exercices commençaient par le Veni Sancte et L’Ave Maria et terminaient par le Sub tuum [20]. On récitait le chapelet en commun chaque jour [21]. Pour la préparation à la communion et l’action de grâces figurait, parmi les sept méthodes en usage, celle de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, appelée «la préparation avec Marie». Elle consistait à s’unir à Marie, à invoquer son aide et à prier afin qu’elle suscite dans le fidèle des sentiments semblables aux siens [22]. Les séminaristes faisaient, au cours de la journée, une visite particulière à Marie. Eugène a continué cette pratique de piété après avoir terminé ses études.

2. LA FORMATION INTELLECTUELLE

Nous conservons 1373 pages de notes d’Eugène relatives aux cours d’Écriture sainte, de dogme, de théologie morale et de droit canon. Le nom de Marie apparaît dans le traité du Nouveau Testament et dans celui des péchés. Environ dix pages de notes lui sont consacrées parmi les 125 qui concernent le Nouveau Testament. Marie est présentée comme étroitement unie à son Fils. Les vertus qui la distinguent sont l’humilité, la foi sans l’ombre d’un doute et son attitude de méditation en conservant dans son cœur tout ce qu’elle entendait et voyait de son Fils [23]. Malgré son admiration pour la Vierge, le professeur appelle Marie et Joseph des «gens obscurs» et «pauvres» [24].

Dans le traité des péchés, le professeur demande si Marie a été exempte de tout péché? Tout en faisant connaître l’opinion de Louis Bailly [25] selon laquelle «la sainte Vierge a péché […] en Adam», le professeur explique clairement que Marie «ne fut jamais touchée par le péché originel» [26]. Quand Eugène entend dire que des génies tels que saint Bernard et l’abbé Rupert étaient contraires à l’Immaculée Conception, il commente: «Que faut-il conclure? Qu’ils n’ont pas saisi le sens de la tradition et qu’ils se sont trompés» [27].

3. LA VIE INTERIEURE D’EUGÈNE

Pour Eugène, Marie est présente et intimement unie au mystère du Christ. C’est là un thème qui revient souvent dans ses écrits. Le jour de Noèl 1808, il remarque que Marie faisait siennes les contrariétés de son Fils. Elle «devait sentir si vivement la pauvreté, l’infirmité et les misères à laquelle elle voyait son divin Maître réduit pour l’amour des hommes […]» [28]. Cette idée revient l’année suivante: «Nous entonnâmes les litanies de la sainte Vierge pour […] faire ainsi participer au triomphe du Fils celle qui avait eu tant de part aux douleurs et aux tourments de sa passion» [29]. Dès son entrée au séminaire, Marie est donc présente à Eugène, comme une personne concrète, une compagne de vie envers laquelle il se déclare «dévoué d’une manière spéciale» [30].

Au verso de la première page de son premier cahier de notes, le séminariste a écrit: Ad maiorem Dei Laudem et gloriam, necnon Beatæ Virginis Immaculatæ. Sub auspiciis eiusdem Virginis sine labe originali conceptæ […] ut isti et præ istis Mater Immaculata praesto mihi sint in difficili studiorum curriculo [31]. Le jour de son ordination au sous-diaconat, il demande que «par l’intercession de la très sainte Vierge» Dieu reçoive «l’offrande de [sa] liberté et de [sa] vie» [32]. Lorsqu’il se prépare au diaconat, il recommande à sa mère de prier le Seigneur selon ses intentions «par l’intercession de Marie» [33]. Après le diaconat, il invoque encore le secours de la sainte Vierge [34]. Pendant sa retraite d’ordination sacerdotale, il voit en Marie un modèle à imiter pour apprendre à aimer Dieu et un exemple de don total [35].

LES PREMIÈRES ANNÉES DE SACERDOCE

Le 21 décembre 1811, Eugène est ordonné prêtre et au début de janvier 1812, il commence à exercer la charge de directeur au séminaire Saint-Sulpice. Dans les conférences et homélies qu’il fait alors, il présente Marie comme l’Immaculée, la Mère de Dieu, «chef-d’œuvre du Tout-Puissant». Il fait quelques homélies sur l’Assomption [36].

À l’automne de 1812, il rentre à Aix. Deux faits nous font voir alors comment sa vie reste marquée par la présence de Marie.

1. L’ASSOCIATION DE LA JEUNESSE CHRETIENNE

Seize mois après son ordination, le 25 avril 1813, Eugène fonde l’Association de la jeunesse. Les règlements et statuts qu’il compose sont imprégnés de la pensée de Marie [37]. Dès les premières lignes, il est dit qu’il s’agit d’une «société établie sous l’invocation de l’Immaculée Conception de la très sainte Vierge». Eugène habitue les jeunes gens à voir en Marie la Mère de Jésus et «aussi la nôtre», une mère pleine de tendresse [38], qui, à ce titre, désire «coopérer à [notre] salut» [39]. Dans l’Association «on fait profession d’honorer et d’aimer» Marie [40], avec «une tendresse filiale sans borne» [41]. Il a une idée bien claire de ce qu’est l’amour: la confiance qui conduit à l’abandon total entre les mains de la personne aimée. C’est pourquoi il dit que les associés «professent hautement pour [Marie] le plus entier dévouement» [42]. Au sommet du culte marial, il propose de «se consacrer […] à la très saint Trinité […] par les mains de la très sainte Vierge et Immaculée Marie» [43]. Pour lui se consacrer «à la très sainte Trinité» est la façon la plus radicale de suivre Marie, totalement dédiée à la Trinité et disponible à son projet de salut. D’autre part, se consacrer «par les mains de [Marie]» est la plus haute expression de confiance en elle, parce que cette attitude naît de la certitude que la Vierge sainte ne nous retiendra pas pour elle-même, mais nous offrira à Dieu (! Cor. 3, 21 b – 23).

Le Règlement propose un style de vie personnelle et d’activités de groupe. Pour la vie personnelle, il invite à réciter chaque jour la prière de saint Bernard: «Souvenez-vous, ô très pieuse vierge Marie» [44], et propose que «maintes fois encore, dans le courant de la journée, ils décocheront quelques flèches d’amour vers son cœur maternel, par de courtes, mais ferventes aspirations» [45]. En les invitant à la visite au saint Sacrement, il leur rappelle «qu’avant de sortir de l’église […], ils n’oublieront pas d’adresser quelques prières à la sainte Vierge, car il ne faut jamais séparer la Mère du Fils» [46]. En 1813, Eugène leur propose de réciter une dizaine du Rosaire [47] et de s’endormir «paisiblement, ayant sur leurs lèvres et plus encore dans le cœur le saint nom de Jésus et de Marie» [48].

La présence de Marie imprégnait donc les journées de la vie personnelle des congréganistes, mais aussi leur vie commune. La figure de Marie se trouvait sur le blason de l’Association [49]. Tous les exercices terminaient par la prière suivante, récitée en langue provençale: «Loué soit Jésus Christ et que Marie, toujours immaculée, soit aussi louée avec son divin Fils» [50].

Les réunions commençaient par la récitation de l’Ave Maria et terminaient par le Sub tuum praesidium. Le Règlement obligeait les jeunes à dire l’office divin en commun, chaque jeudi et dimanche: récitation des Matines et Laudes de la Vierge [51] et chant des Vêpres du même Office. Eugène semble donc oublier la maxime de son maître vénitien: «Jamais trop, toujours bien!» Il reste toutefois évident qu’il a voulu imprégner de la présence de Marie les journées et les activités de ses jeunes gens [52].

2. L’EXPERIENCE DU 15 AOÛT 1822

Selon la tradition orale, le 15 août 1822, la statue de Marie, bénite ce jour-là dans la chapelle d’Aix, aurait ouvert les yeux et penché légèrement la tête vers le Fondateur, pendant qu’il priait à ses pieds [53]. Le seul témoignage contemporain de ce fait se trouve dans la lettre du père de Mazenod au père Tempier, écrite le soir du même jour. D’après ce texte, il n’est pas possible de dire ce qu’a fait ou non la statue, parce que le Fondateur ne décrit pas l’événement extérieur mais ses propres dispositions intérieures. On en distingue quatre: il réussit à pénétrer ou percevoir la vérité essentielle concernant Marie, la Congrégation, lui-même et les difficultés externes à son Institut. 1. Lui, qui depuis les débuts de sa vie spirituelle, considérait Marie comme une mère, comprend davantage ce qu’est cette maternité et ce que signifie «mettre en Elle tous ses espoirs»; 2. Il perçoit d’une nouvelle façon la Congrégation telle qu’elle «est en réalité». Il la trouve belle et «utile à l’Église» [54]; 3. Ce jour-là, il intériorise l’appel à la sainteté. Il comprend qu’il faut chercher la cause des difficultés dans la Congrégation, non seulement dans les autres ou dans les circonstances historiques, mais aussi en lui-même; 4. Enfin, il jette avec sérénité un regard réaliste sur les difficultés que rencontre son jeune Institut. Il voit même «les obstacles […] comme rangées en bataille» et prend conscience qu’un ennemi veut «neutraliser tous les efforts».

Comme on peut voir, l’absence de toute allusion directe à une apparition, et des expressions comme «j’ai éprouvé», «j’ai trouvé», «il me semblait voir, toucher du doigt», jointes à la joie profonde et à la force sereine ressentie par le Fondateur, semblent indiquer que dans cette expérience il a eu une vision intérieure, interprétée comme «un sourire» de la Vierge [55]. Un sourire qui, en un moment de fatigue morale, alors que le père de Mazenod sentait davantage le poids des épreuves qui s’abattaient sur la Congrégation, a fait naître en lui de nouvelles forces pour supporter des adversités plus dures encore à l’avenir.

Expulsés de France en 1903, les Oblats ont transporté à Rome la statue de la «Vierge du sourire». Elle est placée au-dessus du maître-autel de la maison générale.

MARIE DANS LA SPIRITUALITÉ DE LA CONGRÉGATION SELON LE FONDATEUR

Le nom d’une congrégation religieuse correspond au but et à la nature de sa spiritualité. Examinons d’abord les problèmes liés au nom de la Congrégation et ensuite l’aspect marial de la spiritualité qui distingue la vie communautaire et l’apostolat des Oblats.

1. LE NOM DE LA CONGREGATION

Le premier nom de la Congrégation a été celui de Missionnaires de Provence. Ce nom ne fut plus approprié lorsque les Missionnaires firent une fondation et exercèrent leur ministère hors de la Provence. On adopta alors le nom d’Oblats de saint Charles. Cela a pu être proposé par quelques membres de la Société puisque le père de Mazenod écrit à ce sujet: «Il faut que je vous avoue ici que j’étais tout étonné, lorsqu’on se décida à prendre le nom que j’ai cru devoir quitter, d’être si peu sensible, d’éprouver si peu de plaisir, je dirai presque une sorte de répugnance de porter le nom d’un saint qui est mon protecteur particulier, auquel j’ai tant de dévotion» [56]. Le premier document que nous connaissons, portant le nom de Missionnaires Oblats de saint Charles, est la lettre d’approbation des Règles, signée par Mgr Fortuné de Mazenod, le 8 mai 1825 [57].

Avant l’audience accordée par le Pape en 1825, le père de Mazenod décide de changer le nom de sa famille religieuse. Il fait alors un ajout à la supplique préparée le 8 décembre [58] et, le 20 décembre, il en parle au pape Léon XII. Le changement, introduit au dernier moment, pourrait indiquer une certaine hésitation de sa part ou l’instabilité de l’œuvre –facteurs qui rendent difficile sinon impossible l’approbation pontificale.

Quel fut le véritable motif de cette décision? Mgr Jacques Jeancard affirme que le Fondateur aurait appris à Rome qu’une association de prêtres diocésains, fondée à Milan en 1578 par saint Charles Borromée, portait déjà ce nom. Mais ceci ne correspond pas à la vérité puisque le père de Mazenod s’est inspiré des Règles des Oblats de saint Charles pour composer les Règles de son Institut [59]. On a aussi écrit que le désir de s’unir aux Oblats de la Vierge Marie de l’abbé Bruno Lanteri a pu jouer [60]. On doit surtout souligner le fait qu’il a préparé la supplique au Pape pendant la neuvaine et l’octave de l’Immaculée Conception, célébrées avec splendeur dans l’église des Douze-Apôtres près de la maison des Lazaristes où il habitait [61].

Ces motifs ne sont pas les seuls. Comme en fait la remarque le père Fernand Jetté, le nom d’une famille religieuse exprime habituellement sa nature, son essence, sa fonction [62]. Il semble bien que le choix du nom de «Missionnaires Oblats de la très sainte et immaculée Vierge Marie» soit, chez le père de Mazenod, la maturation d’une nouvelle et plus profonde vision de la mission de la Congrégation. Il découvre Marie comme le modèle le plus adéquat de la vie apostolique voulue pour sa Congrégation, comme la personne la plus engagée au service du Christ, des pauvres et de l’Église. Dans sa lettre au père Tempier, commencée le 22 décembre 1825, on est frappé par deux de ses réflexions: une certaine fascination pour le nouveau nom et aussi le regret de n’y avoir pas pensé plus tôt. Il semble prendre conscience que, même s’il avait toujours aimé Marie, il n’avait pas encore compris le rôle essentiel qu’elle joue dans le projet de la Rédemption. En cherchant le patron qui exprime le mieux le but de sa Congrégation, c’est-à-dire une personne marchant à la suite du Christ, engagée dans l’apostolat au service et à l’instruction des pauvres, il n’avait pas songé à Marie. À Rome, il comprend ce qu’est vraiment Marie. Le nom de la Congrégation naît donc d’une découverte selon laquelle ses membres, pour répondre réellement aux urgences de l’Église, doivent s’identifier avec Marie Immaculée, «s’offrir» comme elle au service du projet salvifique de Dieu.

2. LE CONTENU SPIRITUEL DU NOM DE LA CONGREGATION

Le père de Mazenod n’a pas choisi le nom de sa Congrégation pour une question de culte mais plutôt mu par le désir que l’identification des Oblats avec Marie soit le programme de leur vie. Il s’exprime par deux expressions équivalentes: «Ce sera aussi glorieux que consolant pour nous de lui être consacrés d’une manière spéciale» [63] et «consacrés à Dieu sous les auspices de Marie» [64]. Il s’agit ici beaucoup plus que de signes habituels et extérieurs de dévotion personnelle, ou de la propagation de quelque pratique de culte marial. À partir du jour de leur oblation, il ne suffit plus aux Oblats d’être de «simples serviteurs de Marie» [65], il faut qu’ils lui soient «consacrés d’une manière spéciale».

Comme l’observe le père Léo Deschâtelets «il s’agit d’une sorte d’identification à Marie Immaculée […], d’une donation de nous-mêmes à Dieu par Elle et comme Elle, qui va jusqu’au fond de toute notre vie chrétienne, religieuse, missionnaire, sacerdotale [66], […] d’une manière à nous de nous engager à fond, par la pensée, le cœur et l’action, dans le mystère de Marie, pour mieux vivre notre engagement total au service du Christ et des âmes. C’est à ce point de vue qu’elle est pour nous exemplar totius perfectionis [67], alors, «devenir Oblat de Marie Immaculée, c’est […] en quelque sorte nous incorporer à Marie pour engendrer avec elle Jésus dans les âmes, enseignant par la parole et par l’exemple ce qu’est le Christ» [68]. On a donc là une identification mystique et réelle [69], par laquelle chaque Oblat devient Marie elle-même qui vit et sert dans l’aujourd’hui de l’Église.

3 CONSEQUENCES DU CHANGEMENT DE NOM

On peut dire que pour l’essentiel cela n’a rien changé puisque Marie jouait déjà dans la congrégation le rôle qui lui était dû. La première conséquence secondaire, dans l’ordre chronologique -même si elle est la moins mesurable, est la préoccupation d’aimer Marie encore davantage. Le 22 décembre 1825, le père de Mazenod invite ses fils à se renouveler «surtout dans la dévotion à la très sainte Vierge, pour [se] rendre dignes d’être les Oblats de Marie Immaculée». Dans sa lettre du 20 mars 1826, pour la première fois il écrit L.J.C. et M.I. au lieu de L.J.C., comme il faisait auparavant. Le 13 juillet suivant, en terminant le premier chapitre général après l’approbation pontificale, les Oblats signèrent les Règles, en mettant à côté de leur nom: «Oblat de Marie» [70].

MARIE DANS LA VIE COMMUNAUTAIRE ET L’APOSTOLAT DE LA CONGRÉGATION

Le Fondateur a voulu que Marie soit toujours présente dans la vie de la Congrégation. Il lui assigne donc une place appropriée dans la prière individuelle et communautaire. Il demande aux Oblats de confier à cette «Bonne Mère» tous leurs problèmes. Il éveille le culte marial, et veut conduire les fidèles à Jésus et à Marie.

1. LA VIE DE PRIÈRE

Une des pratiques introduites par le Fondateur dès le début de la Congrégation est la salutation: Loué Jésus Christ et Marie Immaculée. Mais cet usage existait déjà dans l’Association de la jeunesse chrétienne d’Aix. Eugène terminait les exercices et les réunions en faisant chanter ces paroles; il faisait de même à la fin des exercices des missions paroissiales [71]. Une autre pratique de piété est la visite à la sainte Vierge, imposée à la Congrégation par le texte de la première Règle [72]. Il importe de faire remarquer que cette visite se fait dans une atmosphère bien familière. On lit en effet dans le Directoire du noviciat: «Quelle consolation pour l’enfant de Marie Immaculée, de pouvoir aussi saluer sa bonne Mère, lui protester de son dévouement et de sa tendresse, se reposer sur son cœur maternel» [73].

Le Fondateur et les Oblats méditent aussi chaque jour dix-huit mystères du Rosaire [74]. Au cours des premières années de formation, on rappelait que «le principal exercice en son honneur est le chapelet récité en commun. Nous devons donc aimer cet exercice, nous y livrer avec une tendre dévotion, nous appliquer à nous en acquitter avec la plus grande attention; c’est par lui que nous nous acquitterons de la dette d’amour que nous devons à Marie» [75].

Selon la tradition oblate, tous les exercices et les principales réunions commencent par le Veni Sancte Spiritus et l’Ave Maria, et finissent par le Sub tuum afin de confier à Marie leurs fruits spirituels et les résolutions prises. Le Sub tuum est une des prières que les membres de la Congrégation récitent le plus souvent, en toute occasion. Depuis 1821, on récite le Tota pulchra es Maria après Complies, comme dernière prière de la journée [76]. Le 6 août 1856, pendant le Chapitre général, le Fondateur a décidé de faire réciter cette antienne en l’honneur du dogme de l’Immaculée Conception [77].

Le Chapitre général de 1826 avait décidé, sur proposition du père de Mazenod, que «dans chacune de nos maisons, on récitera tous les jours à la suite de la prière du soir un Salve Regina pour le pape Léon XII notre insigne protecteur; et après son décès, au lieu de cette prière on célébrera, le jour anniversaire de sa mort, un service solennel à perpétuité dans la maison où réside le Supérieur général» [78]. Quand Léon XII mourut, le 10 février 1829, on cessa de réciter cette prière à ses intentions. On la reprit après la mort du Fondateur qui expira pendant qu’on terminait le Salve Regina. Celui-ci avait aussi demandé qu’on chante, après le souper, Maria Mater Gratiæ. Le père Marius Suzanne est mort, le 31 janvier 1829, pendant ce chant. Par la suite, pour le commémorer, on a conservé cette coutume au séminaire de Marseille, puis dans les maisons de formation [79].

2. LES PROBLÈMES DE LA COMMUNAUTE

Gravé sur le socle de la statue érigée par le Fondateur dans les jardins de la maison de Notre-Dame de l’Osier, on lit ce texte: Cui Nomen dederas, Cui Cor, Sobolem aspice præsens [80]. Ces paroles semblent décrire parfaitement les relations qui existent entre les Oblats de Marie Immaculée et leur patronne. Celles-ci ne sont pas le fruit de spéculations intellectuelles; elles proviennent plutôt de la vie de chaque jour. Le père de Mazenod encourage ses fils à mettre leurs problèmes entre les mains de la sainte Vierge, et il le fait le premier. À l’Immaculée, il confie non seulement le soin de trouver des vocations [81], mais aussi leur formation et leur persévérance. Il envoie dans un sanctuaire marial ceux qui hésitent dans leur vocation, en disant: «C’est la dernière ressource que j’emploie pour vous sauver. Vivez-y avec un cœur droit, invoquez-y avec ferveur cette puissante protectrice» [82].

À ceux qui entreprennent de nouveaux ministères, il désigne Marie comme patronne et comme guide. Dans sa lettre d’obédience des premiers Oblats au Canada, et en introduisant ainsi la Congrégation dans le vaste champ des missions ad gentes, il écrit: «[…] que soit votre guide et patronne la bienheureuse Vierge Marie conçue sans tache, dont vous vous souvenez que c’est un devoir spécial de votre vocation de propager en tout lieu le culte» [83]. Au père Antoine Mouchette, ordonné prêtre depuis peu et nommé modérateur des scolastiques, il dit: «Mettez toute confiance en Dieu, et en notre bonne Mère, invoquez-la souvent dans le sanctuaire à l’ombre duquel vous vous trouvez; ne m’oubliez pas dans les prières que vous y ferez pour la prospérité et la sanctification de la famille entière» [84].

Non seulement il confie à Marie les nouvelles activités, mais aussi, quand en mûrissent les fruits, il reconnaît en eux le résultat de sa protection maternelle [85].

Au début de la Congrégation la maladie et la mort des «meilleurs» Oblats étaient ressenties par le père de Mazenod comme un drame personnel. Il ordonnait alors au malade de demander «le miracle de la guérison» [86]. Il voulait aussi que ses fils meurent en présence de Marie [87]; mais par suite de ces épreuves nombreuses, il apprit peu à peu à répéter le Fiat de Marie [88].

3. L’APOSTOLAT

Eugène voit en Marie celle qui désire surtout la gloire du Fils «et la conversion des âmes qu’il a rachetées au prix de son sang précieux» [89]. Il est donc persuadé que notre premier devoir consiste à l’aider afin qu’elle puisse réaliser son désir [90]. Dans les missions paroissiales, bien que Marie soit toujours présente, elle n’occupe pas la place principale. Elle est mère et compagne des missionnaires et s’efforce avec eux de conduire les âmes au Christ. Déjà, dans la première Règle, il est dit que, avant de sortir de la maison, les missionnaires doivent se réunir dans la chapelle pour chanter, devant le saint Sacrement, «l’Itinéraire des clercs», en ajoutant le Sub tuum et l’antienne Dignare me laudare te, Virgo sacrata. Da mihi virtutem contra hostes tuos [91]. Pendant la mission, deux cérémonies particulièrement mariales étaient prévues: la fête des enfants et la consécration solennelle de la paroisse à Marie [92] qu’on devait faire «de toute rigueur» [93].

Un autre ministère, en un sens privilégié dans la Congrégation, est la pastorale dans les sanctuaires marials [94]. Un tiers des œuvres oblates acceptées par le Fondateur étaient des sanctuaires: Notre-Dame du Laus en 1818, Notre-Dame de la Garde peu après 1830, Notre-Dame de l’Osier en 1834, Notre-Dame de Lumières en 1837, Notre-Dame de la Croix de Parménie en 1842, Notre-Dame du Bon Secours en 1846, Notre-Dame de Sion en 1850, Notre-Dame de Talence en 1853 et Notre-Dame de Cléry en 1854. Ceux-ci étaient considérés par lui comme «une mission sur place» [95], et les pèlerinages offraient l’occasion de repenser certaines vérités, de se convertir et de mieux vivre la vie chrétienne. Il appelle «dégénération» des visites faites aux sanctuaires comme à des lieux de promenades ou des rendez-vous où l’on va simplement s’amuser. Au sujet de la déplorable situation de Notre-Dame de l’Osier avant l’arrivée des Oblats, il écrit: «[…] on vit la dévotion dégénérer insensiblement. Elle se réduisit peu à peu à n’être plus, pour ainsi dire, qu’un but de promenade que l’on venait toucher machinalement pour pouvoir dire qu’on était venu à l’Osier. À certains jours ce n’était même plus, pour la plupart, qu’un rendez-vous de dissipation où l’on venait uniquement pour s’amuser sans aucune inspiration religieuse qui pût sinon sanctifier, du moins excuser ce déplacement» [96]. Il veut donc que les Oblats s’efforcent de «donner une bonne direction à la piété encore assez mal entendue d’un grand nombre […]» [97].

Dans ses écrits, on se rend compte qu’il se préoccupe de la conversion des pèlerins [98]. Selon lui, les pécheurs ont en un certain sens la précédence dans les activités pastorales des missionnaires; ceux-ci doivent cependant, avec le même zèle, s’occuper des âmes ferventes [99]. En plus de prêcher la pénitence, ils doivent susciter dans les âmes l’amour éclairé de Marie [100]. Le Fondateur désire aussi que les Oblats qui travaillent dans les divers sanctuaires n’oublient pas dans leurs prières la Congrégation et les problèmes du monde [101].

MGR DE MAZENOD ET LA PROCLAMATION DU DOGME DE L’IMMACULÉE CONCEPTION

En plus de la vie personnelle de Mgr de Mazenod et de son activité de fondateur, il faut aussi parler de la dimension mariale de son ministère comme évêque de Marseille. Là aussi, il a contribué à la formation d’une meilleure spiritualité mariale. Il a été un homme ouvert au surnaturel, avec beaucoup de simplicité et une confiance totale en Marie; il a été, en même temps, un homme d’une bonne formation biblique et patristique, qui a combattu énergiquement toutes les déviations du culte marial.

Son ministère épiscopal a surtout été marqué par la définition du dogme de l’Immaculée Conception de Marie [102]. Quand, dans l’encyclique Ubi primum, du 2 février 1849, Pie IX demanda aux évêques de lui faire connaître quels étaient au sujet de l’Immaculée Conception «la dévotion et les vœux de leur clergé et de leurs fidèles, et leurs sentiments personnels», Mgr de Mazenod se hâta de faire parvenir la réponse enthousiaste qui figure aux premières pages du premier volume des Pareri. Il en envoya une comme évêque de Marseille, mais aussi une autre au nom des Oblats de Marie Immaculée, en donnant le nom de la Congrégation comme un témoignage de la croyance traditionnelle de l’Église. Cette adresse ressemble à l’Exultet et montre clairement «ce qu’a pensé et fait [notre] père dans cette circonstance si glorieuse pour notre Immaculée Mère» [103]. «Heureux, oui, heureux le jour où Dieu, par l’Esprit de son divin Fils, a inspiré au cœur de son Vicaire sur la terre de rendre ce suprême honneur à la sainte Vierge Marie! Heureux et saint, le jour où le souverain Pasteur et Docteur des brebis et des agneaux, au milieu des amères angoisses de son cœur et des épreuves douloureuses de la sainte Église, a élevé sa pensé vers la Mère Immaculée de l’Agneau sans tache, et porté ses regards vers l’astre étincelant mis par Dieu dans le ciel comme l’arc-en-ciel de l’alliance et le gage de la victoire! Qu’elle vienne, qu’elle vienne, cette heure tant désirée, où tout l’univers pourra proclamer avec certitude que la très sainte Mère de Dieu a écrasé la tête du serpent venimeux, et tenir pour révélé que la bienheureuse Vierge Marie, par un privilège merveilleux et unique dû à la surabondance de la grâce de son Fils, a été véritablement préservée de toute tache du péché originel!» [104]

Pendant la réunion extraordinaire des évêques du monde, en 1854, Mgr de Mazenod a tout fait pour que le dogme soit proclamé de la façon la plus solennelle possible. En voyant qu’on était «étonné et presque effrayé dans un certain monde de théologiens», il s’est empressé d’écrire trois lettres au Pape (les 21 novembre, 2 et 5 décembre) pour l’encourager et le soutenir. «Je ne tiens certainement pas à me mettre en avant, confie-t-il, mais je regarde comme un devoir de faire tout ce que je puis pour contribuer en quelque chose à la gloire qui doit revenir à la très sainte Vierge de cette définition» [105].

Le jour de la définition du dogme, il était, ému, à côté du Pape. Il a accompagné la promulgation de la bulle Ineffabilis de l’importante lettre pastorale du 3 février 1855, pleine d’admiration et d’amour pour Marie. À l’occasion du premier anniversaire de la définition du dogme, Mgr de Mazenod a organisé à Marseille des célébrations parallèles à celles de Rome et a érigé un monument à l’Immaculée Conception, semblable à celui de la place d’Espagne à Rome. Il a été au XIXe siècle un des grands apôtres de Marie Immaculée.

Kazimierz Lubowicki

LES SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX ET LA VIERGE MARIE

Fidèles au Fondateur, les Oblats ont toujours eu une grande dévotion à Marie et ont propagé son culte. La tradition de la Congrégation s’est manifestée de bien des façons; elle peut, entre autre, être perçue dans les lettres circulaires des supérieurs généraux. Souvent brèves, ces lettres sont habituellement des écrits de circonstance pour mettre la Congrégation au courant d’événements qui la touchent de près, annoncer un Chapitre général, en décrire les travaux, etc. On y trouve rarement des exposés doctrinaux solidement charpentés comme les circulaires du père Louis Soullier sur la prédication (n° 59 en 1895) et sur les études (n° 61 en 1896). Sur Marie, seul le père Léo Deschâtelets a écrit une lettre à toute la Congrégation, exclusivement consacrée à ce thème [106].

Malgré le caractère occasionnel de ces lettres, le nom de Marie apparaît assez souvent, quelquefois d’une façon inattendue, par une exclamation affectueuse, quelques paroles de louanges, ou encore par des appels pressants à la protection de Marie, patronne et mère des Oblats. Souvent il est question de Marie en rapport avec la mission apostolique de la Congrégation.

1. LES PRINCIPALES LETTRES DES SUPERIEURS GENERAUX SUR MARIE

Il n’est pas facile de dire quel Supérieur général a le plus aimé Marie et en a le plus parlé. Le père Joseph Fabre la nomme dans au moins douze de ses trente-six lettres circulaires, écrites de 1861 à 1890. Après le décès du Fondateur et père, il sent le besoin de demander la protection de Marie, mère des Oblats. C’est dans ce sens qu’il écrit, le 19 mars 1865: «Que la Vierge immaculée, qui veilla sur notre berceau avec une tendresse maternelle, lui communique une divine fécondité pour exciter en vous les sentiments dont notre Père et ses premiers compagnons furent animés» [107].

On trouve un paragraphe sur Marie dans six des onze lettres circulaires du père Louis Soullier, écrites de 1892 à 1897. Il a surtout rappelé avec force la vocation première des Oblats: l’évangélisation des pauvres. Il souligne alors qu’ils évangélisent avec l’aide et le soutien de Marie [108].

Le père Cassien Augier, supérieur général de 1898 à 1905, parle de Marie dans trois de ses vingt lettres. Deux événements lui en fournissent l’occasion. Par un décret du 4 avril 1900, le pape Léon XIII a approuvé le scapulaire du Sacré-Cœur de Jésus, destiné en même temps à honorer la Sainte Vierge sous le titre de Mère de Miséricorde. Un second décret, rendu le 19 mai suivant, confère au Supérieur général des Oblats le pouvoir de bénir et d’imposer ce scapulaire, et de donner la même faculté aux Oblats et «à tout prêtre, soit du clergé séculier, soit du clergé régulier». Le père Augier consacre la lettre du 27 août 1900 [109] à cet événement. Il explique le pourquoi de cette faveur et sa signification. Il invite les Oblats à mieux prendre conscience du rapport qui lie leur existence à la Vierge Immaculée, Mère de Miséricorde, et au Sacré-Cœur.

On célébra en 1904 le cinquantième anniversaire de la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Le Chapitre, tenu cette année-là, rappela que les Oblats étaient des religieux, prêtres missionnaires des pauvres, dans une famille consacrée à l’Immaculée Conception. Dans le compte rendu du Chapitre, le père Augier annonça que, par décret du Chapitre, le huitième jour de chaque mois le Supérieur général «offrirait le saint sacrifice de la messe pour remercier Dieu d’avoir préservé Marie de la tache originelle et de l’avoir faite immaculée». Il invitait alors la Congrégation à s’associer «à cet hommage que le Supérieur général rendra en son nom à la Vierge sans tache, sa patronne et sa Mère» [110].

Supérieur général en 1906-1907, après la démission du père Augier, le père Auguste Lavillardière fait mention de Marie dans six de ses sept lettres circulaires. Tout de suite après son élection, il écrit: «J’ai au cœur l’intime persuasion, qu’avec la bénédiction de Dieu, appelée sur nous par l’intercession de notre vénéré Fondateur, unis plus que jamais sous la bannière de l’Immaculée, nous reverrons, après ces jours de désolation et de ruine, une ère nouvelle de prospérité et de joie» [111].

Dans la lettre sur les délibérations du Chapitre de 1906, il rappelle que, parmi leurs œuvres d’apostolat, les Oblats doivent diffuser le scapulaire du Sacré-Cœur et celui de l’Immaculée Conception. Il fait aussi une allusion discrète à la crise du modernisme et précise à ce sujet: «Notre Congrégation s’est fait remarquer jusqu’ici par l’orthodoxie de sa doctrine. Nous ne serions par de vrais fils de la Vierge Immaculée, si nous ne préservions pas notre esprit des souillures de l’erreur avec la même sollicitude que nous gardons notre cœur contre les souillures de la corruption» [112].

Le père Roger Gauthier appelle Mgr Augustin Dontenwill la «voix mariale la plus puissante», après le Fondateur, parmi les premiers supérieurs généraux [113]. On ne trouve pourtant quelques pages sur Marie que dans sept de ses quarante et une circulaires, écrites de 1908 à 1930. Sa piété y apparaît cependant très vive. En 1908, il demande aux Oblats de célébrer avec solennité la fête de l’Immaculée Conception à l’occasion du 50e anniversaire des apparitions de Lourdes [114]. Il choisit la fête de l’Immaculée, en 1910, pour promulguer les modifications faites aux Constitutions et Règles en 1906 [115]. Lorsqu’il annonce les fêtes du centenaire de la Congrégation, il invite les Oblats à aller au Cœur Sacré de Notre Seigneur «sous l’égide de sa sainte Mère qui a daigné nous adopter pour ses fils et que glorifie notre nom, puisqu’il proclame perpétuellement le premier de ses privilèges» [116].

Dès la fin du Chapitre général de 1920, il en publie les décrets. Le premier demande aux Oblats de se consacrer à Marie Immaculée le 17 février et le 8 décembre, chaque année [117]. Dans le rapport qu’il a fait à ce Chapitre, il mentionne plusieurs fois le nom de Marie et s’exclame, en parlant de l’acte de consécration: «Ah! si nous aimions Marie Immaculée comme elle nous aime! Si nous la prêchions, si nous savions faire connaître sa bonté, ses avances aux pécheurs, sa beauté, ses perfections, ses gloires! Si nous imprimions à tout notre ministère ce caractère marial qu’a voulu posséder le Chapitre, en essayant de le communiquer à tous les nôtres!» [118].

La dévotion mariale de Mgr Dontenwill apparaît encore dans le compte rendu du Chapitre de 1926 [119] et dans la lettre de publication de la nouvelle édition des Constitutions et Règles, en 1928. Il écrit alors: «Nos Règles parlent fréquemment de la tendre dévotion que les Oblats doivent avoir envers leur Mère Immaculée. Elle n’avait pourtant pas d’article spécial se rapportant à la très Sainte Vierge comme titulaire de la Congrégation […]» Les capitulants votèrent à l’unanimité l’article 10 «proclamant l’Immaculée vierge Marie, Mère et Patronne de la Congrégation» [120].

On trouve quelques paragraphes sur Marie dans quatre des dix-neuf circulaires du père Théodore Labouré, supérieur général de 1932 à 1942. Comme autrefois le père Soullier, il veut que les Oblats évangélisent les pauvres avec l’aide de Marie Immaculée. Il demande de ne pas oublier, dans nos œuvres, que nous sommes Oblats: «Quand la chose est possible, écrit-il, que les associations établies sous l’étendard de la Sainte Vierge aient notre préférence et que l’Immaculée soit toujours le modèle et la source de l’action catholique» [121]. Il invite les éducateurs à compter sur notre Mère immaculée pour préparer «nos collaborateurs et nos successeurs dans le sublime travail de l’évangélisation des pauvres» [122].

La plupart des lettres circulaires du père Léo Deschâtelets, supérieur général de 1947 à 1972, sont marquées au coin de sa dévotion à Marie, comme chez le Fondateur qu’il connaissait bien et dont il possédait quelque chose du tempérament d’animateur enthousiaste et entraînant. Il parle assez longuement de la Vierge dans au moins dix-neuf de ses soixante-douze lettres circulaires. Les circonstances lui en fournissent souvent l’occasion, en particulier au moment de sa nomination, alors qu’il demande aux Oblats de repenser les Règles [123], à la mort du père Hilaire Balmès, vicaire général et grand dévot de la «Bonne Mère» [124], lorsque, au Chapitre de 1953, il parle du père Frans Demoutiez, Oblat belge qui «promène à travers les hémisphères et les continents une statue de Notre-Dame de Fatima, avec un succès prodigieux. À mon avis, ajoute-t-il, c’est peut-être la plus grande épopée mariale des temps modernes» [125]. Il en parle encore longuement à l’occasion du centenaire de la définition du dogme de l’Immaculée conception [126], à l’occasion des Chapitres et en relation avec le concile Vatican II.

Dans la longue circulaire n° 191, intitulée «Notre vocation et notre vie d’union intime à Marie Immaculée», le père Deschâtelets fait un vaste exposé de la spiritualité mariale oblate [127]. Longtemps avant la crise qui éclata après le Concile, il semble qu’il voyait déjà apparaître des interrogations sur l’identité de la vie religieuse et sacerdotale et sur le caractère propre de la vocation oblate.

Dans la première partie de la lettre, il cherche à préciser quels sont les éléments caractéristiques, quelle est l’originalité de notre vie oblate. Dans la seconde, il répond aux questions: «Pourquoi et comment vivre marialement cette vie d’Oblat?» Il commence par une affirmation catégorique: «Il ne s’agit pas, si nous voulons comprendre notre vocation, d’avoir pour Marie Immaculée une dévotion ordinaire. Il s’agit d’une sorte d’identification à Marie Immaculée, il s’agit d’une donation de nous-mêmes à Dieu par elle et comme elle, qui va jusqu’au fond de toute notre vie chrétienne, religieuse, missionnaire, sacerdotale» [128].. Il démontre ensuite que ceci ne dépasse pas la pensée du Fondateur et de la tradition oblate dont il résume à grands traits les pensées maîtresses. Après une exposition de quelques principes de théologie mariale, il explique ce que Marie est pour les Oblats et ce que les Oblats sont pour Marie. Marie est «Mère immaculée», «la toute pure, la privilégiée, la gracieuse […], Mère parfaite», «chef-d’œuvre de la miséricorde divine», «Mère de Dieu et des hommes», etc. «Consacrés spécialement à cette Immaculée, les Oblats doivent même être l’avant-garde de ces âmes choisies qui sont élues pour établir le Règne de Dieu», «apôtres spéciaux et spécialisés de la miséricorde divine», etc. [129]. Il entre ensuite dans le détail du «programme de vie mariale à l’oblate», fait de dévotions mariales (rosaire, visites, port et diffusion des scapulaires de Marie, litanies de l’Immaculée conception, invocation: Loué Jésus Christ et Marie Immaculée, etc.) et fait également d’apostolat marial (études et écrits sur Marie, exemple de vie, prédication, apostolat dans les sanctuaires marials, associations mariales, etc.) [130]. Personne depuis le Fondateur n’avait invité les Oblats à vivre aussi intensément leur vie mariale, avec autant d’exercices de piété à l’intérieur et de zèle à l’extérieur.

Après le Concile, le père Deschâtelets met comme un bémol à cette orientation, tout en invitant encore les Oblats à aimer et vénérer Marie, à «se presser autour de cette Mère si bonne, en purifiant notre dévotion mariale à la suite des enseignements de la Constitution sur l’Église, en alignant toujours notre piété à la piété ecclésiale, alors surtout que notre Saint-Père le pape Paul VI vient de sanctionner le titre de Marie Mère de l’Église» [131]. Il propose, parmi les thèmes à l’étude du Chapitre de 1966, celui de «notre dévotion mariale particulièrement en relation au mystère total de Marie, spécialement à son rôle de Mère de l’Église» [132].

Les pères Fernand Jetté (supérieur général de 1974 à 1986) et Marcello Zago disent quelques mots sur Marie dans environ une circulaire sur deux [133]. Mais leur enseignement, y compris celui sur Marie, n’est plus contenu, comme par le passé, uniquement dans les lettres circulaires. Les principaux discours et allocutions du père Jetté ont été publiés [134]. Dans l’ouvrage Le Missionnaire Oblat de Marie Immaculée, on trouve souvent des allusions à Marie et surtout une conférence donnée à Cap-de-la-Madeleine, le 23 mars 1979, sur «L’Oblat et la Vierge Marie» [135]. Le père Jetté y parle d’abord de la place de Marie dans notre histoire passée, chez le Fondateur et dans la tradition, puis dans notre vie présente. À ce sujet, il constate que dans la Congrégation, comme dans l’Église, la dévotion mariale est en crise et pourtant, ajoute-t-il, «j’ai l’impression que chez la plupart d’entre nous, malgré tous ces bouleversements et ces remises en question, l’amour de Marie, la confiance en elle sont demeurés bien vivants au fond de nos cœurs». Il termine en proposant trois attitudes à développer à l’avenir et qui correspondent à notre esprit comme à notre histoire: 1. Marie doit être d’abord le modèle de notre foi et de notre engagement au service de Dieu; 2. Elle doit être pour nous le chemin qui nous permet de pénétrer progressivement dans le mystère de Jésus; 3. Elle doit être pour nous une amie, une véritable compagne dans notre vie missionnaire. L’idée de la présence de Marie dans la vie de l’Oblat revient souvent dans les écrits du père Jetté de même que dans ceux du père Zago.

Le père Zago a écrit chaque année, à l’occasion de la fête du 17 février, une lettre aux Oblats en formation première. Celle de 1988 traite de «Marie dans la vie de la Congrégation, et en particulier dans la vie de l’Oblat en formation première, pour être en syntonie avec l’Église qui célèbre l’année mariale» [136]. Il traite de Marie dans l’expérience du Fondateur, du nom d’Oblat de Marie qui signifie: consacré à Dieu sous les auspices de la Vierge, de Marie modèle et formatrice, puis termine en disant ce qu’il attend des Oblats: qu’ils vivent la réalité de ces paroles simples et profondes du bienheureux Eugène: «Ils auront toujours Marie pour Mère!».

2. LES PRINCIPAUX THÈMES DEVELOPPES DANS LES LETTRES CIRCULAIRES

Dans les lettres circulaires, les références à Marie peuvent être regroupées sous quatre thèmes liés à la pensée du Fondateur. Les deux premiers concernent la piété personnelle ou communautaire, les deux autres, la mission.

D’abord, les Supérieurs généraux parlent de Marie pour demander son intercession. C’est là la pensée qui revient le plus souvent. Leur appel à la protection et à l’aide de la Mère et Patronne de la Congrégation se fait plus pressant à l’occasion de leur nomination [137], de la convocation et de la tenue des Chapitres généraux [138], ou d’autres événements graves. Ceux-ci abondent dans l’histoire de la Congrégation.

Dans son rapport au Chapitre de 1873, le père Fabre craint le manque d’unité parmi les capitulants, qui arrivent de partout et ne se connaissent plus comme au temps du Fondateur. Il écrit: «Que notre bonne Mère du ciel daigne aussi manifester, une fois de plus, sa tendresse pour nous, en maintenant parmi nous l’esprit d’union et de charité, et en éloignant tout sentiment de personnalité et de contention» [139]. Au moment de la dispersion des communautés de France en 1880, il demande d’avoir recours «auprès du cœur immaculée de notre Mère» [140].

Après la démission du père Augier, les assistants généraux, «fidèlement agenouillés devant l’autel de la Vierge Immaculée» supplient «notre Mère et notre Patronne» de protéger la Congrégation [141]. Lors de la maladie du père Lavillardière, peu de temps après son élection, le père Eugène Baffie, vicaire général, demande un miracle à la Vierge. «Continuons à prier, écrit-il, avec cette foi vive et nous verrons la bonté et la puissance de Marie éclater en faveur de notre famille religieuse» [142].

Mgr Dontenwill invoque l’aide de Marie lorsqu’il promulgue les modifications de la Règle en 1910 [143]. Le père Euloge Blanc, vicaire général, le fait en 1932 en annonçant la maladie et la mort de Mgr Dontenwill et des assistants généraux Isidore Belle, Servule Dozois et Auguste Estève [144]. Après avoir reproché aux jeunes pères de ne pas rejoindre le lieu de leur obédience «recto tramite et more oblatorum», le père Labouré prie Marie d’aider les éducateurs dans leur travail de formation [145].

Le décès du père Fernand Thiry à Durban en 1945 et du père Jean Pietsch en 1946, le centenaire des Oblats à Sri Lanka en 1947, la démission du père Richard Hanley en 1974 fournissent l’occasion aux pères Balmès, Deschâtelets et Jetté d’invoquer Marie avec confiance [146]. Le père Jetté prie Marie à l’occasion de la béatification du Fondateur en 1975 [147] et le père Zago fait de même lors de la béatification du père Gérard en 1988 et de la canonisation de Mgr de Mazenod [148]. Les pères Jetté et Zago finissent beaucoup de lettres circulaires par une prière d’intercession à Marie.

Le second thème souvent évoqué est celui de la dévotion personnelle et communautaire des Oblats envers Marie Immaculée. Il est exprimé de bien des façons: louanges, reconnaissance, titres divers donnés à Marie, et surtout rappel des divers exercices de piété en son honneur et de sa présence au milieu des Oblats.

Le père Fabre qui, comme Mgr de Mazenod, tient à la «régularité», insiste particulièrement sur les visites à notre Seigneur au saint sacrement et à «notre bonne Mère» auprès desquels «le cœur du prêtre et de l’Oblat de Marie peut se montrer dans toute son ardeur et sa vivacité» [149]. Sous le père Soullier, le Chapitre de 1893 a voté «l’introduction au nombre de nos offices propres l’office de Notre Dame du Bon Conseil» [150]. Lorsque, en 1900, il annonce que le pape Léon XIII a approuvé le scapulaire du Sacré-Cœur, le père Augier affirme que la dévotion envers le Cœur Sacré de Jésus et envers la très Sainte Vierge conçue sans péché et Mère de miséricorde doit être considérée «comme les trésors les plus précieux de notre famille» [151].

On a vu que Mgr Dontenwill avait et proposait aux Oblats une dévotion spéciale envers Marie Immaculée. Il est décédé en la priant [152]. Au Chapitre de 1938, une motion demandait l’insertion dans le propre des Oblats d’une quinzaine de fêtes de la Sainte Vierge. Les capitulants n’y furent pas favorables, mais on décida d’ajouter dans les litanies de la Sainte Vierge l’invocation «Regina Congregationis nostræ, ora pro nobis». Ceci fut refusé par le Saint-Siège et on inséra l’invocation dans les litanies de l’examen particulier [153].

La dévotion à Marie du père Labouré apparaît dans la longue lettre écrite à l’occasion du centenaire de l’arrivée des Oblats au Canada. Il la termine en nommant ceux qu’il appelle nos martyrs, et ajoute: «Invitons-les aussi à présenter pour nous à notre Mère Immaculée, Reine de toutes nos missions et patronne particulière de nos missions polaires, nos hommages filiaux de gratitude et d’amour, la priant de bénir les efforts de nos missionnaires, appelés par l’Église à propager la foi catholique à travers le monde. Elle trône en plein centre de la Province du Canada, en ce sanctuaire national du Cap-de-la-Madeleine, que notre vénéré Fondateur aurait vu avec tant de joie confié à ses fils; elle est protectrice, sous divers vocables, de quantité de nos maisons et postes de missions, jusque sur l’océan Glacial et la froide Baie d’Hudson; partout, nos prédicateurs et nos missionnaires la font connaître, aimer et invoquer; partout, elle préside à nos missions, bénit nos efforts et reçoit l’hommage de nos succès. En ce centenaire, terminant un siècle rempli de tant de conquêtes, mais aussi de tant de souffrances et de vertus, le bilan que nous essayons de dresser ne serait pas complet s’il n’y avait le nom de notre douce Mère» [154]. Dans la même veine, le père Hilaire Balmès loue et remercie Marie à l’occasion du «centenaire de nos missions de Ceylan», en 1946 [155].

Le père Deschâtelets parle très souvent de la piété personnelle et communautaire des Oblats envers Marie [156], ainsi que des exercices de piété mariale [157]. Le père Jetté invite à l’authentique dévotion à Marie et en explique le sens [158]. Il donne comme second motif du pèlerinage de l’A.M.M.I. à Lourdes en 1985 «l’hommage à rendre à Marie Immaculée» [159]. Le père Zago fait peu souvent mention des exercices de piété mariale, mais signale «la présence délicate de Marie Immaculée» [160] et invite les Oblats à aimer Marie et à avoir confiance en elle [161].

Les troisième et quatrième thèmes concernent la mission et l’apostolat des Oblats. Le troisième provient de la mission confiée aux Oblats par le pape Léon XII dans la lettre d’approbation de l’Institut. «Nous espérons enfin, disait-il, que les membres de cette sainte famille qui […] reconnaissent pour patronne la Mère de Dieu, la Vierge Immaculée, s’appliqueront, selon la mesure de leurs forces, à ramener dans le sein de la miséricorde de Marie les hommes que Jésus Christ, du haut de la croix, voulut lui donner pour enfants» [162].

Le but premier de la Congrégation n’est pas de propager le culte de Marie; c’est d’abord l’évangélisation des pauvres. Mais «nous devons annoncer l’Évangile aux pauvres sous le patronage de Marie, écrit le père Jetté, avec l’aide et le soutien de Marie et en ayant dans nos cœurs les sentiments de Marie» [163]. Le père Soullier est le premier à faire allusion au texte de Léon XII sans le citer. Dans la circulaire sur la prédication, il dit qu’il a visité «avec une admiration croissante» les pays où travaillent les Oblats, puis il ajoute: «Oui, nos missionnaires ont marché sur les traces des apôtres: avec la croix et le Verbe divin, ils ont converti des nations entières et les ont amenées, par la Mère de miséricorde, à Jésus Christ, le Fils de Dieu» [164].

Dans les lettres circulaires où ils parlent du scapulaire du Sacré-Cœur, les pères Augier et Lavillardière citent textuellement l’expression de Léon XII. Le père Lavillardière ajoute: «Oblats de Marie Immaculée, faisons rayonner le glorieux privilège de notre Mère, et nous la verrons se faire notre collaboratrice pour la conversion des infidèles et des pécheurs» [165].

Dans le compte rendu du Chapitre de 1926, Mgr Dontenwill cite et commente le texte de Léon XII: «Quelles belles et consolantes paroles! […] Reconnaissant pour Patronne et pour Mère Marie conçue sans péché, nous avons une qualité spéciale, nous sommes investis comme d’une mission particulière, pour arracher les âmes au démon et à l’enfer et les amener dans le sein de la Mère de miséricorde. Marie, par son immaculée conception, a triomphé du démon et elle confère, à ceux qui s’enrôlent sous sa bannière, la même puissance» [166].

Les derniers Supérieurs généraux ne développent guère cette idée, bien qu’ils y font allusion, en particulier le père Deschâtelets dans sa lettre sur notre vocation. «En tant que missionnaires, écrit-il, nous sommes les apôtres spéciaux et spécialisés de la miséricorde divine. Cette spécialisation, nous ne la comprendrons véritablement que dans le contexte de notre appartenance à Marie Immaculée. Là seulement, nous en viendrons graduellement à éprouver cette commisération totale pour les pauvres âmes, les plus misérables, qui constitue l’un de nos traits les plus caractéristiques» [167].

Dans les articles de la Règle de 1818 relatifs «aux exercices publics dans l’église», il était demandé aux Oblats de faire tous les jours «la prière publique, qui sera suivie, le soir, d’une instruction ou méditation, dans laquelle on insinuera insensiblement tous les principes de la vie chrétienne et de la plus exacte piété, pour porter les âmes à la connaissance et à l’amour de Dieu et de son Fils Jésus Christ […], à la dévotion à la Sainte Vierge, dont on célébrera fidèlement toutes les octaves» [168]. Propager le culte de Marie est un des buts de la Congrégation [169] et c’est là le quatrième thème développé par les supérieurs généraux.

Le père Fabre n’insiste pas sur ce devoir des Oblats, sauf au moment de son élection en écrivant: Nous devons nous rendre dignes de procurer la gloire «de notre Mère immaculée que nous avons à faire respecter, aimer et honorer partout» [170]. En parlant de l’acte de consécration au Sacré-Cœur, en 1898, le père Augier rappelle la double mission de la Congrégation: «glorifier l’immaculée Vierge Marie dont nous portons le titre, [et] faire aimer le Cœur Sacré de Jésus» [171]. Dans le compte rendu Chapitre de 1904, à l’occasion du 50e anniversaire de la définition du dogme de l’Immaculée Conception, il dit que le Chapitre «a voulu honorer d’une manière spéciale le privilège de Marie que notre famille religieuse doit spécialement prêcher et faire connaître au monde» [172]. Même idée chez Mgr Dontenwill, en 1908, à l’occasion du 50e anniversaire des apparitions de Marie à Lourdes [173].

Dans sa lettre sur les délibérations du Chapitre de 1932, le père Labouré dit que le Chapitre a «recommandé à l’ensemble des pères de la Congrégation d’enseigner et de prêcher plus souvent et avec plus d’insistance […] le culte et la dévotion à l’Immaculée Conception de Marie» [174].

Cette mission «d’être les hérauts de notre Mère Immaculée, en prêchant partout la gloire du privilège qui est pour nous un titre d’honneur» [175], voilà un des thèmes préférés du père Deschâtelets dans toutes les lettres où, avant le Concile, il parle de Marie [176]. Ce thème apparaît peu dans les lettres des pères Jetté et Zago [177]. Dans sa conférence sur les Oblats et la Vierge Marie, le père Jetté écrit à ce sujet: Il importe également aujourd’hui comme autrefois que «les Oblats continuent de parler de la Sainte Vierge, de la faire connaître et aimer» bien qu’on ne puisse plus le faire comme dans le passé [178].

Le 15 août 1822, au pied d’une nouvelle statue de Marie dans l’église de la Mission à Aix, le père de Mazenod avait eu le pressentiment que, sous la garde de la bonne Mère, la Congrégation «renfermait le germe de très grandes vertus, qu’elle pourrait opérer un bien infini» [179]. On rencontre cette même pensée dans le mot d’adieu, comme supérieur général, du père Deschâtelets au Chapitre de 1972. Il dit sa confiance dans l’avenir de la Congrégation «en raison même de son attachement à la Vierge Marie […]. Il n’est pas possible que nous dégénérions, que nous nous affaiblissions» [180]. De la même façon, dans sa dernière lettre circulaire, le père Jetté écrit: «Ma confiance en Dieu, ma foi dans la Congrégation et dans les hommes qui la composent, demeurent inébranlables» à cause de l’attachement des Oblats à Jésus Christ, de la charité qui les unit, du zèle pour les pauvres et de «la dévotion à Marie. Nous portons son nom comme un nom de famille. Elle a veillé sur nous depuis le début de notre histoire. Elle ne peut manquer de nous aider aujourd’hui encore, si nous lui sommes fidèles» [181].

Yvon Beaudoin