1. Bytown avant l’arrivée des Oblats
  2. Les Oblats à Bytown
  3. Érection du diocèse de Bytown
  4. Le diocèse en 1848
  5. Œuvres oblates dans le diocèse d’Ottawa en 1861
  6. Conclusion

Le 2 décembre 1841, mettaient pied au Canada quatre prêtres (Jean-Baptiste Honorat supérieur, Adrien Telmon, Jean-Fleury Baudrand, Lucien Lagier) et deux frères (Basile Fastray, Louis Roux), mis­sionnaires Oblats de Marie Immaculée, au terme d’un long voyage maritime de cinq semaines qui les avait conduits du Havre à New York et de six jours de voyage par terre et par eau de New York à Montréal. C’était la première fondation de la Congrégation dans le Nouveau-Monde, une réponse au pressant appel, six mois auparavant, de l’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget, au fondateur, Mgr Eu­gène de Mazenod, évêque de Marseille. «J’espère que cette petite colonie ‑ les premiers Oblats envoyés en Amérique ‑ sera le grain de sénevé qui deviendra un grand arbre», écrira Mgr Bourget au père Henry Tempier, le 19 août 1841 (Relation de voyage en Europe, 1841, p. 405)

Les six missionnaires portaient en eux tous les espoirs du fondateur. «J’espère qu’ils honoreront notre petite et humble Congrégation qui déploie son étendard pour la première fois hors des limites de son berceau et ils attireront par leur sainteté et les efforts de leur zèle la bénédiction de Dieu non seulement sur l’œuvre qu’ils entreprendront, mais sur toute la Congrégation au nom de laquelle ils vont combattre» (Journal, le 6 août 1841, dans Écrits oblats I, t. 21: Journal 1839-1841, p. 251). Saint Eugène leur confiait la réputation et l’avenir de la Congrégation. «Vous êtes chargés de l’implantation dans ces vastes régions, car Montréal n’est peut-être que la porte qui introduira la famille à la conquête des âmes dans plusieurs pays. Il faut d’abord bien s’établir où l’on nous appelle» (Let­tre à Honorat, le 9 octobre 1841, dans Écrits oblats, I: Lettres aux correspon­dants d’Amérique, p. 17).

Le 7 décembre , les Oblats allèrent s’installer à la paroisse de Saint-Hilaire-de-Rouville, sur la rivière Richelieu, pour s’adonner bientôt à la prédication de missions populaires dans les environs et jusque dans les «Townships» ou «Cantons de l’Est», régions en développement dans le sud du diocèse de Montréal où vivaient, au milieu de communautés protestantes, des populations catholiques isolées, à la fois francophones et anglophones. Leur ministère auprès «du bon peuple canadien», écrira un mois plus tard le père Honorat à son confrère le père Bruno Guigues (Le 8 janvier 1842. Dossier Honorat, AG, Rome), encore en France, produisait des merveilles de grâce aptes à réjouir à la fois les missionnaires et l’évêque de Montréal.

Toutefois, les Oblats décideront peu après de se rapprocher du centre et de l’évêque du diocèse, et ils se transpor­teront, en août 1842, de Saint-Hilaire à Longueuil. C’est de là qu’ils essaimeront bientôt vers les missions de l’Outaouais, de la Rivière-Rouge, du Saguenay, du Saint-Maurice.

Bytown avant l’arrivée des Oblats
Mgr Bourget se souciait de la partie ouest de son vaste diocèse qu’il avait visitée en octobre 1840. Elle couvrait la partie nord de la rivière Ottawa ( La «Grande» rivière était désignée par les contemporains sous son nom anglais d’»Ottawa». Plus tard, elle sera appelée en français la «rivière des Outaouais»), dans le Bas-Canada (plus tard Québec), alors que le sud de la rivière dans le Haut-Canada (futur Ontario) relevait du diocèse de Kingston. On y comptait, entre autres, des populations autochtones disséminées à la largeur du territoire allant vers le nord jusqu’au Témiscamingue et à la Baie James, qui s’ouvrait maintenant à la colonisation et à l’industrie forestière.

Déjà en 1791, un comité du gouver­nement avait recommandé l’établissement d’une ville au confluent des rivières Ottawa et Rideau, tout près de l’embouchure de la rivière Gatineau (Voir L. Brault, Ottawa, capitale du Canada, de ses origines à nos jours. Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1942, p. 56-57). En 1800, un petit groupe de forestiers monté des États-Unis s’était établi aux pieds des chutes de la Chaudière pour former le futur village de Hull. En 1826, le gouvernement demande au colonel By de construire un canal avec écluses, reliant la rivière Ottawa au Saint-Laurent et d’arpenter les terres en vue du développement d’une nouvelle ville. On rapporte que Bytown acquit rapidement une réputation peu recommandable: «Centre des travaux du canal, rendez-vous des bûcherons, ce milieu cosmopolite était le théâtre de désordres occasionnés par les haines de race et de religion, l’abus de boissons enivrantes et souvent la raison du plus fort faisait loi»( Ibid., p. 64).

Ce milieu agité fut confié à partir de 1827 et, jusqu’à 1842, à une douzaine de prêtres résidents très instables; puis, de 1842 et jusqu’à l’arrivée des Oblats, à l’abbé Patrick Phelan, futur coadjuteur de Kingston. En plus d’une paroisse centrale, se trouvaient une douzaine de missions distribuées tout autour. Le succès du ministère missionnaire des Oblats autour de Montréal inspira à Mgr Bourget de leur confier le soin pastoral de ce vaste territoire en voie de développement. Mais comme Bytown était situé du côté du diocèse de Kingston, il s’empressa de communiquer ses vues à la fois au fondateur des Oblats et Mgr Phelan.

«Il est question, écrit-il à Mgr de Mazenod le 19 octobre 1843, de leur procurer un établissement dans une ville naissante du diocèse de Kingston, nommée Bytown … Cette ville est au centre de toutes les communications de la Grande Rivière appelée Ottawa. C’est là qu’abordent les voyageurs et les hommes qui, par milliers travaillent à abattre les immenses forêts qui bordent cette belle et magnifique rivière, qui sont tous gens dignes du zèle de vos enfants. C’est de là que devront partir des hommes aposto­liques pour aller évangéliser ce que nous appelons ici les chantiers … De plus, à 60 ou 80 lieues de Bytown se trouvent les terres de chasse des Sauvages… Les missionnaires qui travaillent à leur conversion devront avoir un établissement central pour de là faire des excursions chez ces infidèles et revenir ensuite travailler au salut des blancs… Bytown offre pour le moment ce précieux avantage» (Registre des lettres, vol. 3, p. 206-208. Archevêché de Montréal).

Il écrit d’autre part à Mgr Phelan pour le gagner à ses vues. «Nous sommes d’avis … qu’il faudrait faire dans cette ville une résidence des Missionnaires Oblats qui desserviraient les catholiques qui y sont établis et feraient en même temps des missions à droite et à gauche, tantôt dans le diocèse de Kingston et tantôt dans celui de Montréal, et surtout qui visiteraient les chantiers dont les pressants besoins doivent exciter votre plus vive sollicitude» (Ibid., p. 211-212). Mgr Phelan se souciait, en effet, de sa succession dans la petite ville naissante et désirait, en particulier, y établir une école. La perspective que les Oblats pourraient apporter une réponse à son souhait était un argument en leur faveur.

Et encore, le 15 décembre, Mgr Bour­get insiste auprès de Mgr de Mazenod: «On attendra votre réponse afin de (sic) rien statuer définitivement sur ce projet qui est singulièrement goûté par vos Pères, parce qu’il leur ouvre la porte des missions sauvages et les met à portée de secourir nos gens des chantiers qui ont tant besoin de secours religieux. S’il y a des brebis de la maison d’Israël, ce sont à coup sûr ces pauvres gens qui ont pour tout partage une foi vive et le sentiment intense de leur misère spirituelle» (Ibid., p. 274).

De son côté, le père Honorat, supérieur des Oblats au Canada, mis au courant de ce projet, lui donne son appui. Ayant exposé ses vues au fondateur, celui-ci lui répond le 4 janvier 1844: «Je bénis Dieu de ce que vous m’apprenez. Oh oui, je consens volontiers à ce que notre Congrégation s’occupe de la sanctification des chantiers et de la conversion des sauvages… L’établissement de Bytown est parfaitement de mon goût …» (Écrits oblats, I: Lettres aux correspondants d’Amérique, p. 71-72).

Certaines difficultés ralentissaient pourtant la réalisation du projet: le petit nombre des Oblats, qui étaient en même temps sollicités pour une fondation dans la région du Saguenay au diocèse de Québec, et le manque de pères parlant l’anglais pour les besoins des Irlandais de Bytown. Le clergé de Kingston était, de plus, indisposé de voir arriver des étrangers alors que, sur place, d’autres prêtres aspiraient à ce poste d’avenir. Enfin, la réponse du fondateur à Mgr Bourget retardait et n’arriva qu’en février 1844. «C’est avec le plus parfait repos que j’adopte ce que vous proposez pour le bien du diocèse de Kingston et pour la sanctification de vos chantiers et la conversion des sauvages. Je ne puis vous exprimer la consolation que m’a fait éprouver votre lettre» (Ibid., p. 79).

Les Oblats à Bytown
Le départ pour Bytown avait pourtant devancé cette réponse. Le Codex historicus de Longueuil note à la date du 28 janvier que le père «Telmon est parti pour Bytown à la demande de Mgr Phelan, administrateur du diocèse de Kingston, avec l’intention de fonder dans cette ville un établissement pour la Congrégation des Oblats». Le 9 mai, une autre note ajoutera que «le père Dandurand s’est rendu à Bytown pour remplir auprès des Irlandais le ministère qu’exerce le père Telmon auprès des Canadiens-français» (Archives provinciales OMI, Codex historicus de Longueuil, p. 26, 28).

Le fondateur se réjouit de voir enfin ses fils rendus à Bytown. Il écrit au père Honorat le 2 mars 1844: «Quelle plus belle mission! Secours aux chantiers, missions aux sauvages, établissement dans une ville toute d’avenir. Mais c’est le bel idéal qui se réalisait et vous l’auriez laissé échapper! Mais la pensée me fait frissonner! Reprenez donc tout votre courage et que l’établissement se forme en règle. Recommandez à chacun de faire son devoir» (Écrits oblats, I: Lettres aux correspondants d’Amérique, p. 82). N’étant pas tout à fait rassuré sur l’état des choses, Mgr de Mazenod écrit de nouveau au père Honorat le 20 avril: «Non seulement j’ai accepté cette mission, mais je remercie mille fois le bon Dieu de nous avoir choisis pour la servir. Je tiens tellement qu’elle soit à nous que je veux passer par-dessus toutes les difficultés. S’il y a des opposants qu’on n’y fasse pas attention. Si les commencements sont pénibles, qu’on ne s’y arrête pas et que l’on offre à Dieu les privations ou les peines que l’on sera dans le cas d’éprouver. Le tout est que l’on s’établisse dans Bytown!» (Ibid., p. 84).

Le 20 juin 1844, Mgr Phelan érige canoniquement l’établissement des Oblats dans le diocèse de Kingston (Voir lettre de Mgr de Mazenod à Mgr Bourget, le 9 août 1844, dans Écrits oblats, I: Lettres aux correspondants d’Amérique, p. 106). Ils peuvent y constituer une maison de la Congrégation avec permission d’agréger des membres à la Société avec l’assenti­ment de l’Ordinaire. On peut donc reconnaître en Telmon et Dandurand les pionniers de la présence oblate à Bytown. À eux se joindra l’année suivante un authentique Irlandais, le père Michael Molloy, venu de France en septembre 1845, principalement pour le ministère auprès des fidèles de langue anglaise, et destiné, jusqu’en 1890, à un apostolat varié et généreux dans la ville et la région.

Érection du diocèse de Bytown
Une fois les Oblats établis dans Bytown qu’il prévoit destinée à devenir une grande ville et un important centre de communications, Mgr Bourget pense à y faire ériger un diocèse dont le territoire serait découpé des actuels diocèses de Montréal, Kingston, Toronto et du Vicariat apostolique de la Rivière-Rouge.

Les circonstances, en effet, rendaient souhaitable à Bytown la création d’un diocèse autonome. Le commerce du bois sur la rivière des Outaouais, si florissant depuis les débuts, commençait à fléchir. Des 35 000 hommes qui y avaient été occupés, la moitié avaient été laissés sans emploi. On pensait opportun de les fixer graduellement au sol et de les orienter dans l’agriculture; sinon ils s’expatrie­raient. Il ne manquait pas de terres fertiles dans la région. Le meilleur moyen de retenir ou d’attirer des colons catholiques, surtout des «Canadiens», était de leur assurer les secours religieux et l’organi­sation paroissiale. Seul un évêque et une action bien dirigée pourraient efficace­ment y pourvoir. Mgr Bourget, de concert avec Mgr Phelan, en élabora le projet à partir de 1846 et, avec l’appui des autres évêques canadiens, se rendit à Rome en 1847 pour en solliciter l’autorisation pontificale (Voir Kowalski, Nikolaus, «L’érection du diocèse de Bytown selon les documents des Archives de la Propa­gande», dans Études oblates, 11 (1952), p. 179-187).

Le projet comprenait aussi la proposition comme évêque du père Bruno Guigues, arrivé au pays en 1844 avec le titre de Visiteur des Oblats du Canada. On le considérait comme un homme de qualité supérieure, de grand jugement, et sa nomination assurerait un engagement permanent des Oblats dans le développe­ment du nouveau diocèse. Les mission­naires pourraient, tout en desservant les catholiques en résidence à Bytown, porter les secours du saint ministère à une population flottante de plusieurs milliers de voyageurs ‑ avironneurs, coureurs des bois, forestiers ‑ , s’occuper des sauvages convertis et évangéliser ceux qui étaient encore infidèles, travailler à la formation d’un clergé local et constituer des établissements d’éducation et de charité.

Toutefois, en décembre 1846, devant l’éventualité de la promotion à l’épiscopat du père Guigues, une forte opposition venue du Canada n’alla pas sans faire hésiter le fondateur. La correspondance engagée entre Montréal et Marseille l’inquiétait profondément. Le Supérieur général et son conseil penchèrent d’abord pour la négative, craignant que le candidat ne puisse continuer à remplir avec la même exactitude sa responsabilité de Visiteur général de la Congrégation au Canada. Toutefois, devant l’assurance de Mgr Bourget, rencontré dans sa route vers Rome, qu’il n’en serait rien, le fondateur changea d’avis et écrivit au père Guigues que «vu le bien qu’il doit en résulter pour l’Église d’Amérique, vu les grandes faci­lités qui seront promises à nos mission­naires pour travailler aux divers minis­tères qu’embrasse leur vocation, vu la possibilité où vous serez de remplir votre charge de visiteur, d’après l’assurance que m’en a donnée Monseigneur de Montréal, j’ai donné mon consentement» (Écrits oblats I, t.1: Lettres aux correspondants d’Amérique, p. 148).

Le décret d’érection du diocèse sera émis le 27 mai 1847, le bref canonique signé le 25 juin suivant, et le père Guigues nommé évêque le 9 juillet. Un an plus tard, le 18 juillet 1848, il sera sacré dans sa cathédrale inachevée par Mgr Rémi Gaulin, évêque de Kingston.

On a pu écrire que Mgr Bourget et Mgr de Mazenod sont indubitablement les «Pères» de la nouvelle Église. «Si au premier revient l’initiative des vastes projets qui transformèrent la vallée de l’Ottawa, seule la coopération confiante et généreuse de son ami en assureront le succès» (E. Thivierge, «À la naissance du diocèse d’Ottawa», dans la Revue de l’Université d’Ottawa, 7 (1937), p. 424). «Je prends un vif intérêt à votre chère mission de Bytown, avait écrit l’évêque de Marseille au coadjuteur de Kingston, Mgr Phelan. J’en suis les progrès avec anxiété. Les difficultés ne m’effraient pas parce que je suis accoutumé à les rencon­trer dans toutes les œuvres qui ont pour but la gloire de Dieu et le salut des âmes» (Lettre de Mgr de Mazenod à Mgr Phelan, le 8 juin 1846, dans Écrits oblats I, t.1: Lettres aux correspondants d’Amérique, p. 139).

Le diocèse en 1848
Bytown possède des temples protestants et une seule, mais imposante, église catholique encore inachevée, élevée par les aumônes de la Propagation de la Foi et les contributions des habitants pauvres. Dans l’ensemble du diocèse, on compte comme personnel, en plus des Oblats, six prêtres séculiers et les Sœurs Grises arrivées de Montréal en 1845, que le père Telmon assistera étroitement dans leur insertion à Bytown. Il n’y a pas encore de résidence pour l’évêque ni d’écoles catholiques, sauf une école de filles dirigée par les Sœurs; les enfants fréquentaient encore, dans une vaste majorité, les écoles protestantes et anglaises.

Hors de la ville, quelques églises ou chapelles. Composé de parties éloignées et dépourvues des anciens diocèses, celui de Bytown est pauvre. L’évêque se trouve en face des secours à procurer aux chantiers et aux autochtones, de missions nouvelles qui se forment autour de sa ville épiscopale, d’œuvres indispensables à créer. Il fera appel, pour des prêtres et de l’aide financière, en France et en Irlande.

Une fois le diocèse fondé et l’évêque mis en place, il s’agit pour les Oblats d’y définir leur présence. En plus du service de la paroisse, ils assurent l’aumônerie des religieuses, le service des communautés environnantes, les missions auprès des hommes des chantiers et des Amérindiens. Bientôt des difficultés ne tarderont pas à surgir entre le nouvel évêque et sa communauté religieuse. «Comme la Congrégation a un passé à Bytown et qu’on doit prévoir qu’elle y aura un avenir, écrira le Fondateur au Conseil provincial du Canada, il faut fixer quelque chose sous ce double rapport» (Le 1er novembre 1848, dans Écrits oblats I, t. 1: Lettres aux correspondants d’Amé­rique, p. 213). Il s’agit en particulier de déterminer la propriété des biens.

Un visiteur canonique, le père Henry Tempier, vint donc au Canada en 1851. «Vous aurez à examiner s’il est à propos de faire un établissement stable nous ap­partenant dans ce lieu, lui écrit le Fondateur. Il nous conviendrait toujours d’avoir de préférence quelques commu­nautés bien fournies d’où les membres se répandront pour donner des missions plutôt que ces postes épars ça et là qu’il faut laisser aux prêtres séculiers puisqu’il est inutile de se flatter que la Congré­gation puisse jamais se charger de tout le diocèse de Bytown» (Écrits oblats I, t. 2: Lettres aux correspondants d’Amérique, p. 22).

Le 21 septembre 1851 fut convenue une première entente entre Mgr Guigues et le père Tempier portant sur la propriété et la gestion des ressources financières pro­venant du ministère, de la Propagation de la Foi, de la Congrégation des Oblats et des fidèles.

On voulut ensuite procurer aux Oblats un statut officiel et permanent, et leur assurer une plus grande indépendance. Mgr Guigues entra en de difficiles négociations avec le père Santoni, provin­cial du Canada, consulta Mgr Bourget, puis soumit ses plans au fondateur en octobre 1854. Les deux problèmes de fond étaient le remboursement d’un prêt important fait par les Oblats pour la construction de la cathédrale et surtout un arrangement pastoral convenable pour le service des deux groupes linguistiques de la ville, les «Canadiens», c’est-à-dire les francophones, et les «Irlandais», c’est-à-dire les anglophones.

En plus de l’évêque et des autorités provinciales oblates, l’Administration générale s’introduisait donc dans les tractations un troisième interlocuteur. Les pourparlers des années précédentes arrive­ront à un heureux terme en 1856. Le fondateur cherchera à dissiper les préven­tions de certains Oblats contre l’évêque qu’ils considéraient comme ne protégeant pas suffisamment les droits de la Congré­gation. Des consultations additionnelles furent faites auprès de deux autres évêques et du provincial, et, le 8 avril 1856, le Conseil général acceptera entiè­rement le plan qui confiait aux Oblats le collège, le séminaire, l’église Saint-Joseph et la desserte de la cathédrale. Cette convention connue sous le nom de Guigues-Mazenod sera signée le 17 août 1856 à Marseille, peu après la tenue du Chapitre général (Voir le texte dans Études oblates, 15 (1956), p. 360-364).

En 1860, le nom du diocèse de Bytown se mutera en celui d’Ottawa, nou­veau nom de la ville qui devait devenir en 1859 la capitale du Canada-Uni et, en 1867, celle du Dominion du Canada.

Œuvres oblates dans le diocèse d’Ottawa en 1861

1. Desserte de la cathédrale jusqu’en 1874

Au moment où Mgr Guigues prend possession de son siège, on compte à Bytown 7 760 habitants dont 4 798 catholiques, divisés à peu près également entre «Canadiens» et «Irlandais». Ils sont concentrés dans la «Basse-Ville» et donc paroissiens de la nouvelle cathédrale dont les Oblats ont la charge pastorale. Le père Damase Dandurand, assisté du père Michael Molloy et, les dernières années, de prêtres séculiers, en sera le curé jusqu’à la nomination d’un successeur de Mgr Guigues décédé en 1874. Les Oblats emménageront dans le nouvel évêché en mai 1850. En plus de l’évêque et du personnel de la paroisse, s’y retrouveront, entre leurs voyages, les missionnaires des townships environnants, des chantiers et des autochtones; l’aumônier des Sœurs Grises, comme aussi les pères assignés au Collège jusqu’à leur départ pour la Côte-de-Sable en 1856. À la maison de Bytown seront rattachées les résidences oblates de South Gloucester (1848-1855), L’Orignal (1848-1855), puis celles du Témiscamin­gue et de la Rivière-Désert (Maniwaki). Ce sera donc une maison d’importance.

Au centre des préoccupations du père Telmon jusqu’en 1848, puis du père Dan­durand comme curé de la paroisse, a été sans doute la construction de l’église des­tinée à devenir la cathédrale du nouveau diocèse. La vieille église qu’ils avaient trouvée sur place à leur arrivée en 1844, inaugurée en 1832, était mal entretenue et trop exiguë. La construction d’une nou­velle église commencée en 1841, dont la pierre angulaire avait été bénite par Mgr Charles de Forbin-Janson le 25 oc­tobre de cette même année, avait été interrompue par manque de fonds. Les travaux reprirent avec l’arrivée des Oblats et l’église fut ouverte au culte le 15 août 1846 et dédiée à l’Assomption de la Bien­heureuse Vierge Marie. L’œuvre prit pourtant une vingtaine d’années encore pour en arriver à son achèvement. Elle sera consacrée le 4 septembre 1853 sous le nouveau vocable de la Très Sainte et Immaculée Vierge Marie, dont le dogme devait bientôt être défini par le pape Pie IX.

Les deux flèches furent élevées en 1859 et l’abside édifiée entre 1862 et 1865. En 1859 fut hissée au pinacle de la façade une magnifique statue en bois doré de la Vierge portant l’Enfant, appelée Notre-Dame des Voyageurs, payée par les hommes des chantiers qui aimaient l’in­voquer au milieu des multiples dangers que comportaient leur travail en forêt en hiver ou leur descente des rivières en radeaux au printemps (Voir Missions des Oblats de Marie-Immaculée, le 2 (1863), p. 16-17). Cette statue de l’Immaculée Conception peut aussi être un rappel de l’importante contribution des Oblats de Marie Immaculée à la fondation et à l’organisation du diocèse d’Ottawa.

Il avait été convenu que les Oblats quitteraient l’évêché d’Ottawa et la cure de la cathédrale au départ de Mgr Guigues. Par mode de compensation, celui-ci voulut les établir de façon plus stable à Hull, de l’autre côté de la rivière des Outaouais, où ils travaillaient déjà depuis les débuts de la localité. En 1870, il y érigea la paroisse Notre-Dame-de-Grâces qu’il leur confia. La mémoire de ses premiers pasteurs, les pères Louis Reboul, Hyacinthe Charpeney et Eugène Cauvin resta, pour plusieurs générations, gravée avec gratitude et affection dans le cœur des fidèles.

Le 8 juin 1886, une nouvelle province ecclésiastique fut constituée par Léon XIII, dont Ottawa devint le siège métro­politain. Du diocèse originel d’Ottawa furent ensuite formés, en tout ou en partie, les diocèses de Pembroke (1898), Sault Sainte-Marie (1904), Mont-Laurier (1913), Hearst et Moosonee (1938), et Gatineau-Hull (1963).

Une statue de bronze de Mgr Guigues, œuvre du sculpteur A. Verrebout, placée sur le parvis de la cathédrale, fut dévoilée le 9 octobre 1889 pour le cinquantenaire de l’érection du diocèse.

2. Autres missions dans le diocèse

Il n’est peut-être pas de paroisse du diocèse, parmi les plus anciennes, qui n’ait été le théâtre du dévouement des Oblats. De la «mission-mère» de Bytown les Oblats ont visité régulièrement des communautés situées jusqu’à 40 ou 50 km du centre, hiver comme été, par eau ou sur glace, ou encore à travers d’épaisses forêts, souvent sans aucune route tracée. C’est ainsi qu’ils ont desservi les com­munautés de Hull, Pointe-Gatineau et d’autres qui se formaient au sud d’Ottawa ou dans les vallées de la Gatineau et de la Lièvre, ou sur la rive sud de la rivière des Outaouais. Il s’agissait souvent de cons­truire des chapelles ou des églises, de célébrer selon les circonstances la messe dominicale, de visiter les gens ou de porter les sacrements aux malades. Les registres conservent la mémoire d’Oblats qui s’y sont succédés et ont été les ouvriers apostoliques de ce diocèse en évolution: avec les noms des pères Telmon, Dandurand et Molloy, y appa­raissent ceux des pères Pierre Aubert, Louis Babel, Médard Bourassa, Auguste Brunet, Thomas-Hercule Clément, Fran­çois Coopman, William Corbett, Régis Déléage, Richard Molony, Antoine Paillier, Louis Reboul et Claude Saillaz.

3. Les chantiers (1845-1861)

L’arrivée des Oblats à Bytown allait leur ouvrir un champ d’apostolat tout à fait nouveau, celui de pasteurs de centaines de jeunes gens vigoureux occupés à la coupe du bois pendant cinq ou six mois de l’année dans les immenses forêts environnantes et ailleurs au Bas-Canada. Mgr Bourget avait su toucher le cœur sensible du fondateur en lui proposant ces «brebis dispersées» à évangéliser. Ces missionnaires itinérants sont restés légendaires: les pères Joseph Andrieux, Médard Bourassa, Auguste Brunet, Eugène Cauvin, Hyacinthe Char­peney, Eusèbe Durocher, Antoine Paillier et Louis Reboul. Le village de Hull, en face d’Ottawa, central pour les allers et retours reliés aux chantiers, vit la cons­truction de la «chapelle des chantiers» consacrée au service pastoral du person­nel de cette immense entreprise et ancêtre de la paroisse Notre-Dame qui verra le jour en 1870.

4. Le Collège de Bytown

À son arrivée à Bytown, Mgr Guigues réalisa la nécessité de l’enseignement secondaire. Le régime scolaire élémen­taire était à peine développé et il était trop onéreux, pour les parents généralement pauvres, d’envoyer leurs enfants à l’extérieur pour poursuivre leurs études. L’évêque pensait aussi à la formation éventuelle d’un clergé local. Il songea donc à établir une institution où l’ensei­gnement serait bilingue, afin d’en faire profiter les enfants des deux nationalités dont il était le premier pasteur. Il désirait «inaugurer son épiscopat par une faveur appréciée de tous» (L. Brault, op. cit., p. 251). En septembre 1848 donc, près de sa cathédrale, il donna le départ, dans une modeste maison de bois, à un petit collège qu’il confia aux Oblats. La maison s’agrandit peu à peu, jusqu’à ce que l’institution dut, en 1856, passer de la Basse-Ville à la Côte-de-Sable sur le site où elle existe toujours. Victime d’un désastreux incendie le 2 avril 1903, le principal corps des bâtiments fut bientôt reconstruit, puis, selon les besoins croissants, plusieurs fois accru de nouveaux édifices.

Collège Saint-Joseph de Bytown (AD)

Incorporé en 1848 sous le nom de Collège Saint-Joseph de Bytown, le collège dut, au moment où la petite ville changeait son nom en celui d’Ottawa, faire de même. Le 15 août 1866, la législature du Haut-Canada lui accorda une charte universitaire avec pouvoir de conférer des degrés reconnus par tout le pays. Le 5 février 1889, Léon XIII l’éleva au rang d’université catholique avec les privilèges que comportait ce titre.

Si Mgr Guigues peut être considéré comme le fondateur du Collège de Bytown, le père Henri Tabaret en fut l’âme. Arrivé à Bytown en 1853 et assigné au Collège, il en dirigea l’évo­lution jusqu’à sa mort en 1886. L’Univer­sité d’Ottawa continue à s’inspirer de la ligne de con­duite tracée par lui. Sa mémoire est conservée par un monument dû à A.Verrehout, dévoilé à l’occasion de l’inauguration de l’Université catholique d’Ottawa le 9 octobre 1889 et placé aujourd’hui près de l’édifice central de l’institution.

L’œuvre abrita également dès sa fondation le Grand Séminaire diocésain, le scolasticat des Oblats jusqu’à l’ouverture du Scolasticat Saint-Joseph en 1885 et le juniorat du Sacré-Cœur de 1876 à 1888.

Durant les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, les progrès de l’Université exigèrent des modifications considérables. Le 1er juillet 1965, après de laborieuses négociations avec le gouvernement de l’Ontario, l’institution jusqu’alors désignée «Université d’Ottawa» prit le nom d’»Université Saint-Paul», qui conserva les deux chartes existantes, civile et canonique, alors que d’autre part, le gouvernement créait une nouvelle institution sous le nom d’«Université d’Ottawa». Les deux universités devinrent un ensemble fédératif qui, par entente mutuelle, se partagent les facultés. L’Université Saint-Paul, sous la responsabilité des Oblats de Marie-Immaculée, demeure orientée vers les sciences ecclésiastiques et pastorales.

5. La paroisse Saint-Joseph

En 1856, la population de la Côte-de-Sable était devenue assez considérable pour nécessiter l’érection d’une nouvelle paroisse. La convention Guigues-Mazenod la confiait en perpétuité aux Oblats qui venaient de transporter le Collège dans les environs. Le curé résiderait dans la communauté du Collège et y trouverait de l’aide supplémentaire au besoin. Mgr Guigues en bénit l’église le 19 mars 1857 et la dédia à Saint-Joseph. Cette première église fut remplacée en 1892 par une autre plus spacieuse qui connut toutefois un violent incendie en décembre 1930. L’église actuelle date de 1932. Entre temps, une paroisse mise sous le vocable du Sacré-Cœur fut érigée en 1889 sur le territoire même de Saint-Joseph pour le service des fidèles de langue française. Le 25 janvier 1929, la paroisse Saint-Joseph qui jusque là dépendait de l’Université d’Ottawa, fut canoniquement érigée en maison oblate indépendante avec le père Dennis Finnegan comme supérieur.

Le premier curé de la paroisse Saint-Joseph fut le père Alexandre Trudeau, de 1858 jusqu’à 1859. Il fut suivi par les pères. William Corbett (1859-1860); François Coopman (1860-1862); J.-M. Guillard (1862-1868); Antoine Paillier (1868-1894); Henri-A. Constantineau (1894-1898); Michael Fallon (1898-1901); William Murphy (1901-1915); Edmund Cornell (1915-1929); Dennis Finnegan (1929-1935); Patrick Phelan (1935-1941); Joseph Birch (1941-1946); Paul Monahan (1946-1952); Louis Keighley (1952-1964); Lawrence Conlon (1964-1970); Gerald Cousineau (1970-1971); John Davis (1971-1975); Lorne J. MacDonald (1975-1978 et 2000-2002); Joseph McNeil (1978-1980); Frederick Magee (1982-1989); Gerald Morris (1989-1994); Brian Primeau (1994-1996); Robert Smith (1996-2000); Richard Kelly (2002- ).

6. Les missions amérindiennes

Bytown était aussi la porte vers les missions amérindiennes. Dès le mois de mai 1844, Mgr Bourget donna juridiction au jeune père Nicolas Laverlochère pour les missions auprès des Amérindiens disséminés depuis Bytown jusqu’au Témiscamingue et en Abitibi. Huit fois jusqu’en 1851, accompagné tour à tour de l’abbé Hippolyte Moreau et des pères André-Marie Garin, Thomas Clément, Charles Arnaud et Antoine Paillier, pour­suivi par les moustiques et avec seul le ciel comme toit, il remontera la rivière des Outaouais annuellement par des voyages périlleux, jusqu’aux postes de traite nor­diques où il retrouvera les Amérindiens et des Blancs regroupés à qui il donnera la mission: catéchisme, prières, baptêmes et exhortations à la tempérance. À partir de 1847, le père Laverlochère se rendra même à Moose Factory, à la Baie James et de là poussera jusqu’à Fort Albany en 1848. «Il y a de quoi remuer les entrailles d’un vrai missionnaire», écrivait déjà le Fondateur en 1845 (Lettre au père Bermond, le 20 avril 1845, dans Écrits oblats, I: Lettres aux correspondants d’Amérique, p. 23).

La visite annuelle des missions du Témiscamingue et de la Baie James commencée par le père Laverlochère fut continuée par un ou deux missionnaires, les pères André-Marie Garin (1852-1857), Régis Déléage (1855-1860), Jean-Marie Pian (1859-1866) et Jean-Marie Nédélec (1867-1892). Ce furent les débuts de la présence oblate là où des établissements permanents ne purent se réaliser qu’en 1863 au Témiscamingue et en 1892 à la Baie James.

D’autre part, les pères Eusèbe Durocher et Auguste Brunet, en entrepre­nant la tournée des chantiers en 1845, ouvrirent la voie à l’établissement de missions le long de la rivière Gatineau. À son confluent avec la Rivière-au-Désert, aujourd’hui Maniwaki (c’est-à-dire «la terre de Marie»), à 120 km de Bytown, une visite de Mgr Guigues en 1849 prépara la fondation l’année suivante par le père Thomas Clément et le frère James Brady, d’une mission oblate fixe dédiée à l’Assomption. Les chroniques de ces pre­mières années conservent aussi les noms des pères Andrieux, Paillier, Reboul, Laverlochère et des frères Sweeney et Bowes. En plus d’assister les hommes des chantiers à se transformer en colons de nouvelles terres, ils s’y consacrèrent aux Amérindiens algonquins qui y avaient une Réserve. Il faut noter que les moulins à scie et à farine aménagés par les Frères oblats ont joué un rôle majeur dans les débuts de ces établissements.

Conclusion
«Une ville toute d’avenir», «parfaite­ment de mon goût», avait écrit saint Eugène en pensant à l’établissement de Bytown. La présence oblate ne cessera pas d’y fleurir après son décès. Le diocèse d’Ottawa et, en particulier, la ville épisco­pale verront pendant plus d’un siècle s’y multiplier des œuvres variées de la Congrégation: les Scolasticats Saint-Joseph et Holy Rosary, le juniorat du Sacré-Cœur, le Grand Séminaire diocé­sain, l’Université Saint-Paul, le Séminaire universitaire, le Collège Saint Patrick, les paroisses Saint-Joseph, Sacré-Cœur, Sainte-Famille, Canadian Martyrs, le jour­nal Le Droit; à Hull, les paroisses Notre-Dame et du Sacré-Cœur, la maison des Retraites fermées. Certaines de ces œuvres continuent à prospérer, d’autres ont été fusionnées ou ont disparu. Il reste pourtant vrai de dire qu’Ottawa a été et demeure un centre oblat des plus actifs répondant aux espoirs prophétiques du Fondateur il y a plus de 150 ans.

Alexandre Taché, o.m.i.