1. Eugène De Mazenod
  2. Joseph Fabre
  3. Louis Soullier
  4. Cassien Augier
  5. Augustin Dontenwill
  6. Théodore Labouré
  7. Léo Deschâtelets
  8. Fernand Jetté
  9. Constitutions Et Règles De 1982
  10. Frères Et Prêtres
  11. Normes Générales De La Formation Oblate
  12. Marcello Zago

Le fondateur, Eugène de Mazenod, les supérieurs généraux qui lui ont succédé, de même que les Chapitres généraux n’ont que rarement parlé, de façon explicite, de la prêtrise dans la Congrégation. Personne ne devrait s’en étonner pour la raison très simple suivante: la prêtrise fait tellement partie de la Congrégation et de son ministère, comme nous le révèle ses Constitutions, sa tradition vivante et sa vie, qu’on n’a pas senti le besoin d’en parler en termes exprès. C’est ainsi, d’ailleurs, que ni Eugène de Mazenod ni ses successeurs n’ont cru nécessaire de dire que les membres de la Congrégation étaient catholiques; leur vie et leur ministère en témoignaient.

S’il y a eu un problème, il est venu de la pression qu’exerçait le travail presbytéral; il pouvait facilement être cause de négligence de la vie religieuse dans ses exercices spirituels et ses observances. On a, par conséquent, souvent parlé des exigences de la vie religieuse et de leur observance comme de moyens nécessaires pour être fidèle à sa vocation de prêtre missionnaire. C’est donc ici que nous trouverons les éléments de la spiritualité sacerdotale. Pour l’Oblat, vie sacerdotale, vie missionnaire et vie religieuse sont inséparables. Sa vie doit former un tout, avec des aspects différents.

Les premiers membres de la Congrégation étaient tous prêtres ou aspirants à la prêtrise. La plupart de ceux qui sont venus plus tard, s’ils n’étaient pas déjà prêtres, sont entrés pour le devenir. Ils ont consacrés plusieurs années à la formation spirituelle et intellectuelle requise pour être ordonnés, et c’est comme prêtres qu’ils ont oeuvré le reste de leur vie.

Il semble que ce ne soit qu’après le Chapitre général de 1966 que certains Oblats ont commencé à remettre en question le caractère presbytéral de la Congrégation [1]. Le concile Vatican II a étendu la notion de «missionnaire», dans le sens strict, à ceux qui ne sont pas ordonnés [2]. Cependant, on ne touchait pas à l’aspect fondamental de l’envoi, par un supérieur hiérarchique, pour prêcher et exercer les autres travaux apostoliques dans le but de conduire les personnes à Jésus Christ et à la pleine communion avec l’Église par la célébration des sacrements. Le rôle du sacerdoce ministériel n’a pas été diminué ou rabaissé; c’est plutôt celui du sacerdoce commun des fidèles qui a été reconnu à sa juste valeur. Eugène de Mazenod a fondé une société de prêtres qui seraient missionnaires et il a associé des laïques à ce travail sacerdotal.

Supprimer le rôle principal du sacerdoce ministériel dans la Congrégation serait la changer substantiellement et, par conséquent, détruire ce qu’a voulu créer le bienheureux Eugène de Mazenod en fondant les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée.
EUGÈNE DE MAZENOD

Jeune prêtre, Eugène de Mazenod a ressenti des attraits opposés au sujet de son ministère. Dans les questions importantes, il n’était cependant pas enclin, par nature, à prendre des décisions rapides. Le 28 octobre 1814, il confiait son dilemme à son ami Charles de Forbin-Janson, lui qui avait d’abord voulu aller en Chine comme missionnaire, mais, pour réponse à la recommandation de Pie VII, avait pris part à la fondation de la Mission de France:

«Je ne connais pas encore ce que Dieu exige de moi, mais je suis si résolu de faire sa volonté dès qu’elle me sera connue que je partirais demain pour la lune […]. Ainsi je te dirai sans peine que je flotte entre deux projets: celui d’aller au loin m’enterrer dans quelque communauté bien régulière d’un Ordre que j’ai toujours aimé; l’autre, d’établir dans mon diocèse précisément ce que tu as fait avec succès à Paris […]. Le second, cependant, me paraissait plus utile, vu l’affreux état où les peuples sont réduits» [3].

Au mois de décembre suivant, au cours de sa retraite annuelle, ses méditations sur le Royaume de Jésus Christ, les étendards et le service apostolique selon lesExercices spirituels de saint Ignace de Loyola le confirmaient dans l’orientation apostolique de son ministère. En septembre 1815, la forme exacte que celui-ci allait prendre devenant claire, il entreprenait les étapes nécessaires à sa réalisation.

«Le chef de l’Église étant persuadé que, dans le malheureux état où se trouve la France, il n’y a que les missions qui puissent ramener les peuples à la foi, qu’ils ont par le fait abandonnée, les bons ecclésiastiques de différents diocèses se réunissent pour seconder les vues du suprême Pasteur. Nous avons été à même de sentir l’indispensable nécessité d’employer ce remède dans nos contrées et, pleins de confiance dans la bonté de la Providence, nous avons jeté les fondements d’un établissement qui fournira habituellement à nos campagnes de fervents missionnaires […]. Une partie de l’année sera employée à la conversion des âmes, une autre partie à la retraite, à l’étude, à notre sanctification particulière» [4].

Pour bien comprendre la pensée d’Eugène de Mazenod, il faut se rappeler la situation religieuse de la France de son époque. Durant le Révolution (1789-1799), toutes les communautés religieuses masculines et féminines avaient été supprimées; leurs maisons et leurs églises avaient été détruites ou utilisées à des fins profanes, le clergé diocésain avait été persécuté – exécuté, emprisonné, réduit à l’exil ou à la clandestinité – et tous les séminaires avaient été fermés pendant plusieurs années. Les effets de cette situation se sont fait sentir longtemps après la fin de la persécution ouverte. Le nombre des prêtres actifs entre 1809 et 1815 était tombé de 31 870 à 25 874.

Eugène de Mazenod voyait que l’Église ne répondait pas aux besoins de tous les gens. Elle réussissait à peine à rejoindre ceux qui étaient demeurés fidèles. Ce n’est pas que le clergé manquait de zèle; mais le nombre de ses membres était grandement réduit et ils prenaient de l’âge. La situation pastorale avait changé; il fallait des méthodes spéciales. Après l’abdication de Napoléon en 1815, on vit revivre, à travers la France, une méthode de renouveau spirituel qui avait connu une longue et glorieuse histoire dans ce pays: les missions paroissiales. Eugène de Mazenod joua un rôle clé dans ce renouveau pastoral. En 1818, il écrivit ce qui deviendra plus tard la Préface des Constitutions. Il y exprima clairement son intention de fonder une société de prêtres. Après avoir mentionné les malheurs qui affligent l’Église et la rareté de ceux qui répondent à son appel, il poursuivait ainsi:

«La vue de ces désordres a touché le coeur de quelques prêtres à qui la gloire de Dieu est chère, qui aiment l’Église et qui voudraient se sacrifier, s’il le fallait, pour le salut des âmes.

Ils se sont convaincus que, si l’on pouvait former des prêtres zélés, désintéressés, solidement vertueux, des hommes apostoliques en un mot, qui, après s’être pénétrés de la nécessité de se réformer soi-même, travaillassent de tout leur pouvoir à convertir les autres, on pourrait se flatter de ramener bientôt les peuples égarés à leurs devoirs trop longtemps méconnus […].

Que fit en effet Notre Seigneur Jésus Christ, lorsqu’il voulut convertir le monde? Il choisit un certain nombre d’apôtres et de disciples, qu’il forma à la piété, qu’il remplit de son esprit et, après les avoir dressés à son école, il les envoya à la conquête du monde […].

Que doivent faire à leur tour les hommes qui veulent marcher sur les traces de Jésus Christ, leur divin Maître, pour lui reconquérir tant d’âmes qui ont secoué son joug? Ils doivent travailler sérieusement à devenir des saints, […] renoncer entièrement à eux-mêmes, avoir uniquement en vue la gloire de Dieu, le bien de l’Église, l’édification et le salut des âmes […].

Tels sont les fruits immenses de salut qui peuvent résulter des travaux des prêtres à qui le Seigneur a inspiré le désir de se réunir en société pour travailler plus efficacement au salut des âmes et à leur propre sanctification […].

Ainsi les prêtres, en se vouant à toutes les oeuvres de zèle que la charité sacerdotale peut inspirer, et principalement à l’exercice des saintes missions qui est la fin principale de leur réunion, prétendent-ils se soumettre à une Règle et à des Constitutions».

Le premier article des Constitutions écrites par Eugène de Mazenod et approuvées par le Saint-Siège en 1826 résume les points fondamentaux de la Préface:

«La fin de cette petite Congrégation des Missionnaires Oblats de la Très Sainte et Immaculée Vierge Marie […] est que des prêtres séculiers, réunis en communauté et vivants comme des frères, s’appliquent principalement à l’évangélisation des pauvres en imitant assidûment les vertus et les exemples de Jésus-Christ notre Sauveur».

Après sa retraite de 1831, le père de Mazenod rédigea un court commentaire dans lequel, après avoir cité ce premier article, il ajoutait:

«Les moyens que nous employons pour parvenir à cette fin, participent à l’excellence de cette fin; ils sont incontestablement les plus parfaits, puisque ce sont précisément ceux mêmes employés par notre divin Sauveur, ses Apôtres et ses Disciples, c’est-à-dire la pratique exacte des conseils évangéliques, la prédication et la prière, mélange heureux de la vie active et contemplative dont Jésus-Christ et les Apôtres nous ont donné l’exemple, qui est sans contredit, par cela même, le point culminant de la perfection que Dieu nous a fait la grâce de saisir, et dont nos Règles ne sont que le développement» [5].

Dans la deuxième partie du troisième chapitre, intitulé «Des autres principales observances», on trouve encore ceci:

«Il a déjà été dit que les missionnaires doivent, autant que le comporte la faiblesse de la nature humaine imiter en tout les exemples de Notre Seigneur Jésus-Christ, principal instituteur de la Société, et de ses Apôtres, nos premiers pères.

À l’imitation de ces grands modèles, une partie de leur vie sera employée à la prière, au recueillement intérieur, à la contemplation dans le secret de la maison de Dieu, qu’ils habiteront en commun.

L’autre sera entièrement consacrée aux oeuvres extérieures du zèle le plus actif, telles que les missions, la prédication et les confessions, les catéchismes, la direction de la jeunesse, la visite des malades et des prisonniers, les retraites spirituelles et autres exercices semblables.

Mais, tant en mission que dans l’intérieur de la maison, leur principale application sera d’avancer dans les voies de la perfection ecclésiastique et religieuse; ils s’exerceront surtout dans l’humilité, l’obéissance, la pauvreté, l’abnégation de soi-même, l’esprit de mortification, l’esprit de foi, la pureté d’intention et le reste; en un mot, ils tâcheront de devenir d’autres Jésus-Christ, répandant partout la bonne odeur de ses aimables vertus» [6].

Ayant réussi, après un long combat, à faire, dans sa propre vie de prêtre, l’unité entre l’action et la contemplation, Eugène de Mazenod prescrivit une unité semblable de but et de vie pour sa Congrégation, société de missionnaires, c’est-à-dire de prêtres imitant Jésus Christ et marchant sur les traces des Apôtres par la pratique des mêmes vertus et l’annonce de l’Évangile aux pauvres.

Cette unité de vie ressort encore dans ce même troisième chapitre alors que le Fondateur insiste sur la place à donner à l’humilité:

«C’est ainsi qu’ils parviendront à se rendre familière la sainte vertu d’humilité, qu’ils ne cesseront de demander à Dieu comme leur étant infiniment nécessaire dans le ministère dangereux qu’ils exercent. Car, ce ministère produisant ordinairement de très grands fruits, il serait à craindre que les succès éclatants, qui sont l’ouvrage de la grâce et dont conséquemment tout l’honneur doit être rapporté à Dieu, ne fussent quelquefois un piège très dangereux pour le missionnaire imparfait qui ne se serait pas exercé assidûment dans cette première et indispensable vertu» [7].

L’usage qu’Eugène de Mazenod fait du mot «missionnaire» pose un problème d’herméneutique au lecteur moderne. Ce mot a, en effet, chez lui un sens plus restreint que celui que nous lui donnons aujourd’hui. On peut le constater dans la première partie des Constitutions. Il l’utilise constamment dans le sens que lui avait donné, en 1613, le cardinal de Bérulle et, en 1617, saint Vincent de Paul: il désigne les prêtres de la Congrégation [8]. Ce n’est que plus tard qu’il utilisera ce mot pour désigner aussi les prêtres envoyés en mission à l’étranger. En donnant à sa société le titre de Missionnaires de Provence et, plus tard, celui de Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, Eugène de Mazenod avait donc à l’esprit une société de prêtres missionnaires.

En un mot, le Fondateur utilisa le mot missionnaire dans le sens qu’il avait depuis deux siècles. C’est pourquoi, dans le premier article du chapitre sur les Frères, il parle d’eux comme d’hommes qui entrent dans la Congrégation non pour être des missionnaires, mais pour sauver leur âme. Ce n’est qu’avec Vatican II et sa théologie de l’apostolat des baptisés que les documents de l’Église commenceront à parler des laïques comme des missionnaires.

Les divers ministères des membres de la Congrégation sont énumérés dans la première partie des Constitutions: les missions, la prédication, la confession, la direction de la jeunesse, les prisons, les moribonds, l’office divin et les exercices publics dans l’église. À cette époque, tous ces ministères, à l’exception de l’office divin, étaient réservés au clergé. L’office divin étant en latin, les frères ne le récitaient pas. Tous les ministères énumérés étaient donc ceux des clercs.

Qu’en était-il des travaux apostoliques? Le Chapitre général de 1824 reconnut que l’acceptation des séminaires pour la formation du clergé diocésain était contraire à la lettre plutôt qu’à l’esprit de nos Constitutions et demanda à l’unanimité que le supérieur général les modifie dans ce sens. Ce n’est, cependant, qu’en 1853 que cette addition apparut dans le texte de la Règle.

«La fin la plus excellente de notre Congrégation, après les missions, est sans contredit la direction des séminaires où les clercs reçoivent l’éducation qui leur est propre […]. Les missionnaires prodigueraient inutilement leurs sueurs pour arracher les pécheurs à la mort, s’il n’y avait pas, dans les paroisses, des prêtres saints et animés de l’esprit du divin Pasteur, chargés de paître avec un soin vigilant et constant les brebis qui lui ont été ramenées» [9].

L’édition de 1853 abrogea aussi l’interdiction absolue d’exercer le ministère auprès des religieuses, de prêcher les carêmes et de prendre en charge des paroisses. Bien que les missions étrangères aient occupé une place importante dans la vie et le ministère de la Congrégation, ce n’est pas avant 1910 qu’il en sera fait explicitement mention dans un article des Constitutions. Cette lacune fut, cependant, compensée par l’Instruction sur les missions étrangères publiée en annexe aux Constitutions à partir de 1853. Ce n’est qu’en 1928 que les Constitutions présentèrent un chapitre entier sur les points principaux de cette instruction.

L’Instruction s’adressait clairement à un institut de prêtres dont le ministère était de convertir les gens et de les conduire, par la prédication et l’enseignement du catéchisme, aux sacrements du baptême, de la pénitence et de l’eucharistie, et ainsi à la pleine communion de l’Église. En un mot, les missionnaires étaient appelés à remplir à l’étranger, dans la mesure du possible, les mêmes tâches qu’en France. Les frères ne sont mentionnés que deux fois: comme compagnons du prêtre missionnaire et comme professeurs de métiers.

Eugène de Mazenod ne considérait pas l’évangélisation des pauvres achevée tant qu’elle n’aboutissait pas à la réception des sacrements de la pénitence et de l’eucharistie. Le ministère du prêtre était donc essentiel à l’activité missionnaire. C’est ce qui ressort en premier lieu du paragraphe de la Règle sur l’administration du sacrement de pénitence:

«Nul doute donc que dans l’alternative il ne faille préférer le ministère de la confession à celui même de la parole, puisqu’on peut suppléer dans le tribunal de la pénitence par les avis particuliers que l’on donne au pénitent, au défaut d’instruction, et que le ministère de la parole ne peut suppléer à celui de la pénitence institué par le Christ Seigneur pour réconcilier l’homme avec Dieu. On ne refusera donc jamais de se rendre aux voeux des personnes qui demanderont à se confesser, soit en mission, soit hors du temps des missions» [10].

Que le Fondateur tienne le ministère sacramentel comme nécessaire à l’évangélisation, c’est aussi ce que nous révèle un fait rapporté par Mgr Vital Grandin. En raison de la coutume des Amérindiens de tolérer la polygamie et le divorce, les missionnaires n’admettaient à l’eucharistie que quelques vieillards convertis:

«J’ai entendu raconter à Monseigneur Taché qu’étant avec notre vénéré Fondateur, il lui fit cette question: «Avez-vous bien des communiants parmi vos chrétiens?» «Monseigneur, reprit le jeune évêque [il avait alors vingt-huit ans], nous n’avons encore osé admettre que quelques vieillards». «Que me dites-vous, reprit avec étonnement le Supérieur général des Oblats? Vous n’avez osé admettre que quelques vieillards et vous supposez pouvoir christianiser ce peuple! N’y comptez pas, sans la sainte Eucharistie…» [11].

Eugène de Mazenod a donc fondé une Congrégation de prêtres qui seraient missionnaires, c’est-à-dire qui iraient prêcher l’Évangile dans les campagnes de Provence afin de ramener à Jésus Christ et à la pratique religieuse les peuples pauvres et spirituellement abandonnés. Il envoya ses missionnaires en Angleterre, en Amérique du Nord, en Asie et en Afrique avec le même but, mais aussi pour prendre soin des gens qui n’avaient pas de prêtres, réunir à l’Église les chrétiens non catholiques et convertir ceux qui n’avaient jamais entendu l’Évangile. Pour Eugène de Mazenod, les Oblats devaient être plus que des prêtres ordinaires. Leur vocation était d’être missionnaires et pour l’être, ils devaient être prêtres. Mais pour répondre à leur vocation missionnaire, il leur fallait être des prêtres exemplaires et c’est pour l’être, qu’ils étaient religieux. Ces trois caractéristiques, prêtre, missionnaire et religieux sont essentielles à la Congrégation comme à chaque Oblat, ordonné ou non.

JOSEPH FABRE

Le successeur immédiat de Mgr de Mazenod, le père Joseph Fabre, comprit que sa tâche principale était de garder la fidélité au Fondateur en exigeant l’observance précise des Constitutions. Partant sans doute de sa propre expérience religieuse et pastorale, qui se limitait à son rôle d’éducateur en France, et sans nier de quelque façon la dimension missionnaire de la vie oblate, il insista beaucoup sur son aspect religieux. Nous trouvons la raison de cette insistance dans sa lettre circulaire du 21 mars 1862:

«À quoi sommes-nous appelés, mes bien chers Frères? À devenir saints, pour pouvoir travailler efficacement à la sanctification des âmes les plus abandonnées. Voilà notre vocation, ne la perdons pas de vue et appliquons-nous tout d’abord à la bien comprendre. Nous devons travailler activement, généreusement à notre propre sanctification, c’est-à-dire méditer chaque jour d’une manière plus sérieuse et plus approfondie, sur les devoirs de notre état, connaître de mieux en mieux les vertus que Dieu exige de notre âme, afin qu’elle arrive par une conduite toujours plus religieuse à la pratique de nos saintes obligations. Nous sommes prêtres, nous sommes religieux; cette double qualité nous impose des devoirs sur lesquels nous ne devons jamais nous méprendre et que nous ne devons jamais oublier. Travailler à la sanctification des autres par l’exercice du ministère extérieur, c’est une bien belle mission, mais ce n’est qu’une partie de notre sainte vocation; elle suppose la première comme son principe et la source de sa fécondité. En effet, pourrons-nous correspondre efficacement et d’une manière surnaturelle à la grâce du ministère des âmes, si nous n’avons déjà une intelligence claire, un sentiment profond de la nécessité de notre propre sanctification?» [12].

LOUIS SOULLIER

Le 8 décembre 1896, le troisième supérieur général, le père Louis Soullier, écrivait une lettre circulaire de cent vingt-sept pages intitulée Des études du Missionnaire Oblat de Marie Immaculée et adressée «à tous les religieux, prêtres ou aspirants au sacerdoce, dans la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée». Son prédécesseur, le père Fabre, avait traité en profondeur la question de la vie religieuse. Le père Soullier porta, lui, son attention sur la vie intellectuelle. Il explique ainsi le but de sa lettre:

«Or, tandis que nous écrivions ces pages, nous étions dominé par cette pensée, que la sainteté et la science sont vraiment les deux conditions essentielles et comme les deux bases de la prédication, et par cette crainte aussi que, pleinement convaincus de la nécessité de la sainteté pour le ministère apostolique, vous ne le fussiez pas autant de la nécessité de la science. C’est cette pensée et cette crainte qui nous ont inspiré le dessein de vous exposer sur la question de la science et de l’étude ce que nous croyons être l’esprit de notre vocation.

«Pour le connaître, cet esprit, il est nécessaire de nous envisager nous-mêmes sous le quadruple aspect de religieux, de prêtres, d’apôtres, d’oblats […].

«Recueillons-nous ensemble et demandons à l’Esprit, qui nous fut infusé au jour de notre oblation religieuse et de notre ordination sacerdotale, de nous faire mieux comprendre ces trois choses: la nécessité de l’étude, les objets de nos études, le caractère surnaturel que nous devons imprimer à nos études» [13].

CASSIEN AUGIER

On connaît trop bien l’importance qu’attachait le Fondateur à la récitation de l’office divin comme oeuvre de la Congrégation pour suppléer aux ordres religieux supprimés par la Révolution française, pour qu’on doive s’y arrêter. Il n’hésita pas, cependant, à demander à Léon XII la dispense de l’office divin pour les missionnaires durant le temps des missions. Le troisième successeur de Mgr de Mazenod, le père Cassien Augier, écrivait à l’occasion de la réception d’un indult semblable:

«Nous vous en ferons l’aveu, ce n’est pas sans hésitation que nous avons laissé à l’indult toute sa portée. Si nous n’avions craint de donner lieu à ces scrupules, nous aurions volontiers mis des restrictions à la dispense qu’il nous permet de vous donner, d’une manière générale. Mais ce que nous n’avons pas fait d’autorité, nous avons la ferme confiance que vous le ferez vous-mêmes spontanément, par la seule inspiration de votre piété.

Sans rien retirer de la latitude que nous laisse l’indult, nous ne saurions trop vous exhorter à ne vous dispenser de la récitation de l’Office que dans le cas où, en conscience, devant Dieu et devant les hommes, vous aurez des motifs sérieux de le faire.

En vous adressant cette pressante exhortation nous croyons répondre aux intentions de l’Église. Elle tient à la prière publique et officielle de ses prêtres comme à un des principaux éléments de sanctification pour leur âme et à une condition de fécondité pour leur ministère […].

Nous croyons aussi rester dans l’esprit de notre vénéré Fondateur. Vous savez tous quelle dévotion il avait pour le saint Office et quelle importance il attachait à sa récitation […].

Enfin, pensons aux intérêts de nos âmes. Craignons, en diminuant trop facilement la prière, de diminuer les grâces dont nous avons un si grand besoin» [14].

AUGUSTIN DONTENWILL

Après sa visite des missions oblates d’Afrique du Sud, en 1922, Mgr Augustin Dontenwill s’adressait à toute la Congrégation:

«Oui, l’on est fier d’être Oblat, quand on a pu toucher du doigt, comme nous l’avons fait, tant de preuves de la survivance de l’esprit apostolique chez les nôtres; quand on les a vus fraternellement unis, gais et actifs, travaillant allègrement dans la pauvreté et les privations, le renoncement et l’oubli d’eux-mêmes, et faisant honneur (autant que le permet leur isolement) à leurs obligations d’Oblats.

Et comme les populations évangélisées par eux nous redisaient sous de multiples formes leur attachement et leur reconnaissance pour «leurs Pères», notre coeur se gonflait d’un légitime orgueil et remerciait le Seigneur de nous les avoir conservés si fidèles à leur sainte vocation. Et cette parole de la Préface de nos Constitutions nous revenait à la mémoire: «Tels sont les fruits immenses de salut qui peuvent résulter des travaux des prêtres à qui le Seigneur a inspiré le désir de se réunir en société… s’ils s’acquittent dignement de leur devoir, s’ils remplissent saintement leur sublime vocation» [15].

THÉODORE LABOURÉ

Le Fondateur avait lui-même accepté sept paroisses, dont cinq en France. Cependant la question d’assumer l’administration de paroisses en dehors des pays de missions a fait l’objet de fréquents débats chez les Oblats. Aucun supérieur général n’a parlé avec plus d’ardeur des missions à l’étranger que le père Théodore Labouré. Pourtant il n’hésita pas à louer le travail pastoral des Oblats en Angleterre. Pour célébrer le centenaire de l’arrivée des Oblats dans les îles britanniques, il adressait, en 1941, une lettre circulaire à la province anglo-irlandaise:

«Les paroisses urbaines comme celles de Liverpool, Leeds, Leith, Londres, etc., ont progressé et leur nombre s’est accru surtout depuis vingt ans […]. En fondant une Congrégation de missionnaires, Mgr de Mazenod pensait aux pauvres de Jésus Christ. Dans son zèle brûlant pour les âmes, c’est à l’évangélisation des pauvres et des plus abandonnés qu’il a voulu se consacrer: «Evangelizare pauperibus misit me.» Ne semble-t-il pas, alors, providentiel que les Oblats de Marie Immaculée finissent par établir des fondations durables dans des villes populeuses plutôt que dans ces régions rurales où ils avaient fait leurs premiers efforts missionnaires. À Liverpool, Leeds, Londres et Leith, le travail des pères fut, dans les premiers temps de ces missions, d’exercer leur ministère dans les quartiers populeux d’une pauvreté affreuse. Je n’ai nullement besoin de vous rappeler, chers Pères et Frères, les travaux héroïques des Oblats dans les quartiers pauvres de nos nombreuses paroisses. Vous savez avec quelle générosité les Pères se sont consacrés au soulagement de la détresse spirituelle et matérielle de leurs ouailles. Poussés par la charité du Christ, ils ont aimé les pauvres et peiné pour eux, réalisant à la lettre les paroles de notre divin Maître: «Pauperes evangelizantur.» Les pauvres sont encore avec vous et vous poursuivez auprès d’eux ce noble ministère du zèle sacerdotal. C’est un apostolat dont votre province peut être fière» [16].

Se situant dans le contexte des horreurs de la deuxième guerre mondiale, le père Labouré terminait sa lettre par un appel au dépassement à l’exemple du Fondateur:

«En regardant vers l’avenir, ne devrions-nous pas nous tourner vers le Tout-Puissant en ces jours d’angoisse et de tristesse, pour lui demander encore plus de forces. Vous acceptez sans doute avec une humble résignation les privations, les dangers et les malheurs qui peuvent survenir dans vos maisons et vos églises. L’important est d’implorer Dieu non pas tant pour la préservation de nos biens matériels que pour la conservation et l’approfondissement de ce qui compte beaucoup plus: notre esprit religieux en constante fidélité à notre règle et dans une culture encore plus intense de ces vertus que notre vénéré Fondateur a toujours désiré trouver chez tous ses Oblats. Le salut des âmes confiées à vos soins et leur progrès dans les vertus chrétiennes feront toujours l’objet de vos demandes. Et finalement, comme moyen propre à atteindre cette fin, le maintien des oeuvres que vous avez établies. Priez donc souvent et faites prier vos ouailles dans vos églises et vos missions, mais surtout recherchez sans cesse, dans votre vie spirituelle, l’idéal de perfection sacerdotale et religieuse que décrivent si admirablement la Préface et chacune des pages de nos saintes Règles» [17].

LÉO DESCHÂTELETS

La coutume d’écrire des lettres circulaires qui soient de véritables encycliques a été rétablie par le père Léo Deschâtelets. Le 15 août 1951, il en adressait une à toute la Congrégation; elle s’intitulait Notre vocation et notre vie d’union intime avec Marie Immaculée. Cette lettre de quatre-vingt-neuf pages se voulait un document de base pour la vie spirituelle de l’Oblat. Après avoir établi que, dans la Règle, la deion de l’homme spirituel et apostolique comporte huit caractéristiques, le père Deschâtelets poursuivait ainsi:

«Prêtres nous sommes d’abord: «Finis hujus parvae Congregationis… est ut coadunati sacerdotes…» (art. 1). Prêtres parmi tant d’autres. Prêtres avec une inspiration spéciale, cependant, ce qui ajoute un particulier relief au sacerdoce oblat. Nous sommes faits pour redonner au sacerdoce toute sa gloire et son prestige et pour entraîner par l’exemple de notre vie tous ceux qui sont marqués comme nous du caractère sacré de l’Ordination. Le Fondateur, en jetant les bases de son Institut, songeait à la réforme et à la sanctification du clergé, tout comme il envisageait la conversion des masses, et c’est pour cela qu’il exigeait dès lors de la part de ses premiers disciples une vie sacerdotale si haute et si parfaite […].

Pouvons-nous douter que, dès le début de l’Institut, ce fut vraiment une note caractéristique du sacerdoce oblat que de se distinguer par sa ferveur, son zèle pour la conversion de toutes les âmes mais surtout des âmes sacerdotales? À notre avis, c’est un point indiscutable de nos origines […].

L’Oblat ne peut être comme les autres prêtres; il doit en être le modèle. Les grâces de sa vocation le projettent vers les sommets et font de lui, pour le sacerdoce, un entraîneur et un formateur […].

La Préface, c’est la synthèse de la Règle. Aussi bien celle-ci, en termes non équivoques, nous rappellera notre devoir de sainteté sacerdotale –verbo et exemplo – afin de relever le sacerdoce de l’état de faiblesse où il pourrait être tombé […].

Caritas sacerdotalis, non! ce mot n’a pas échappé à la plume du père de Mazenod sans d’abord avoir, comme un charbon ardent, brûlé son âme si fervente. Il est voulu. Il est le résumé de tout ce que le père de Mazenod rêvait. La charité sacerdotale chez nous doit tout imprégner, tout motiver, tout climatiser. Elle conditionne même notre mentalité proprement religieuse, au point que l’Oblat qui voudrait subordonner la grâce sacerdotale en lui à celle de sa vocation religieuse fausserait l’axe de sa vie oblate. Prêtre et religieux nous sommes et devons rester. L’un ne va pas sans l’autre si on veut être un Oblat de Marie Immaculée authentique. (Note) D’où l’on voit – exprimons cette pensée en passant – combien, pour être véritablement Oblats, nos chers Frères coadjuteurs doivent vivre dans l’union la plus intime avec la vie sacerdotale oblate. Il y a ici une mystique et une spiritualité bien à l’avantage de la vitalité religieuse et missionnaire de nos bien-aimés Frères» [18].

FERNAND JETTÉ

Le père Fernand Jetté a encouragé la vocation des frères dans la Congrégation en insistant sur le respect des divers services qu’ils rendent, qu’ils soient techniques, professionnels ou pastoraux, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos maisons. Il a aussi cherché à promouvoir leur formation humaine et spirituelle, mais il a toujours réaffirmé le caractère sacerdotal de la Congrégation.

Le 14 novembre 1974, dans son rapport de Vicaire général au XXIXe Chapitre général, le père Jetté soulignait l’évolution qui avait lieu dans la Congrégation:

«Des éléments majeurs sont en train de changer peu à peu et de façon quasi imperceptible, sans qu’on prenne le temps voulu pour les regarder en face et selon tous leurs aspects.

Pour illustrer, je mentionne deux points: le caractère sacerdotal de l’Institut, qui tend à disparaître sous la poussée du caractère missionnaire, et le rôle du Frère dans l’Institut qui tend à changer substantiellement à travers le biais de la promotion humaine du Frère.

Peut-être doit-on continuer dans cette direction? Mais alors il faudrait qu’on le fasse en pleine lumière et en tenant compte de toutes les sources, en particulier, de la pensée du Fondateur» [19].

L’année suivante, dans une conférence sur le charisme oblat, il rappelait la pensée du Fondateur:

«Un point important à noter: le charisme d’un Institut ne se réduit pas à son esprit, ou à sa mission; il inclut également sa forme de vie en ses éléments essentiels. Prêtres – auxquels peuvent s’adjoindre des Frères – missionnaires, religieux, c’est ainsi que finalement le Fondateur a voulu les Oblats» [20].

Le 27 août 1985, au congrès international des Frères, il revenait sur la question en la replaçant dans son véritable contexte théologique:

«En certains endroits, dans les années 60-70, on a eu tendance à enlever de la définition de l’Oblat le caractère sacerdotal de la Congrégation. On voulait définir l’Oblat «un missionnaire-religieux» sans plus. On avait tendance aussi à privilégier, pour la formation des futurs Oblats, même prêtres, les options séculières ou professionnelles.

Je me souviens de la réaction du père Deschâtelets, supérieur général à cette époque, de passage à Montréal: “Si l’on veut changer la nature de la Congrégation, on peut le demander au Saint-Siège, mais qu’on ne dise pas que c’est là ce qu’a voulu le Fondateur!”

Quelques années plus tard, le 3 décembre 1974, le pape Paul VI rappelait quelque chose de semblable aux Jésuites: “Vous êtes des religieux… Vous êtes aussi des apôtres… Vous êtes en outre des prêtres: voilà aussi un caractère essentiel de la Compagnie. Sans oublier la tradition ancienne et légitime de ces Frères méritants, non revêtus de l’Ordre sacré, qui ont toujours eu un rôle efficace et à l’honneur dans la Compagnie, il reste que la «sacerdotalité» a été formellement demandée par le Fondateur pour tous les religieux profès (solennels); bien à raison, car le sacerdoce est nécessaire à l’Ordre qu’il a institué dans le but principal de la sanctification des hommes par la parole et les sacrements. Le caractère sacerdotal est effectivement requis par la consécration de vos énergies à la vie apostolique, pleno sensu nous le répétons: du charisme de l’Ordre sacerdotal qui configure au Christ envoyé par le Père, naît principalement l’apostolicité de la mission à laquelle, comme Jésuites, vous êtes envoyés” [21].

C’était dire: la fin apostolique pleno sensu de votre Institut: “la sanctification des hommes par la parole et les sacrements”, exige le sacerdoce ministériel. Cela est vrai également pour nous, les Oblats, et c’est pourquoi, avant d’approuver les Constitutions et Règles, en 1982, la Congrégation pour les Religieux nous a demandé de le dire explicitement dans le texte, en ajoutant cette phrase à l’article 1: “La Congrégation est cléricale, de droit pontifical.” C’est une exigence de notre fin telle qu’elle est exprimée, par exemple, à l’article 7» [22].

CONSTITUTIONS ET RÈGLES DE 1982

Dans son Motu proprio «Ecclesiae Sanctae» du 6 août 1966, Paul VI donnait les normes d’application des décisions prises au concile Vatican II et fixait les règles qui guideraient la révision des constitutions des instituts religieux:

«L’union de ces deux éléments, spirituel et juridique, est indispensable pour assurer une base stable aux codes fondamentaux des Instituts, imprégner ceux-ci d’un esprit authentique et en faire une règle de vie. L’on évitera donc de rédiger un texte soit uniquement juridique, soit purement exhortatif» [23].

Le premier article des constitutions d’un institut religieux revêt une importance particulière en raison de l’usage d’y indiquer la fin de l’institut de même que son statut juridique dans l’Église.

C’est ainsi que le premier article des Constitutions écrites par le père de Mazenod et approuvées par Léon XII, en 1826, déclarait que les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée étaient des «prêtres séculiers». Cela doit évidemment se comprendre dans le contexte du droit canonique de l’époque qui ne considérait pas les membres des congrégations à voeux simples comme des religieux mais comme des séculiers.

Les Constitutions publiées en 1853 ajoutèrent l’expression «religieux liés par des voeux». À la suite de la parution du Code de droit canonique de 1917, qui reconnaissait les membres des instituts à voeux simples comme des religieux, les Constitutions de 1928 laissèrent tomber le mot «séculiers». Ce furent les dernières Constitutions soumises à l’approbation du Saint-Siège avant celles rédigées par le Chapitre général de 1980.

Un institut religieux approuvé par l’Église est soit de droit pontifical, soit de droit diocésain, selon qu’il a été approuvé par le Saint-Siège ou par l’évêque d’un diocèse. Avec l’approbation de Léon XII, les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée devenaient une congrégation religieuse de droit pontifical. Que la Congrégation ait été de droit pontifical, cela n’était pas écrit dans les Constitutions mêmes, mais ressortait clairement des divers documents d’approbation pontificale des Constitutions et des changements qui leur ont été apportés subséquemment.

Chaque Oblat connaît bien la joie exubérante que le Fondateur exprimait au père Henry Tempier dans sa lettre du 18 février 1826 [24]. Cette même joie, nous la retrouvons dans sa lettre à tous les Oblats, le 25 mars suivant:

«Réjouissez-vous avec moi et félicitez-vous, mes bien-aimés, car il a plu au Seigneur de nous accorder de grandes faveurs; Notre très Saint-Père le Pape Léon XII, glorieusement régnant sur la chaire de Pierre, a sanctionné de son approbation apostolique, le 21 mars de l’année en cours, notre Institut, nos Constitutions et nos Règles. Voilà donc notre petit troupeau, à qui le Père de famille a bien voulu ouvrir tout grand le champ de la sainte Église, élevé dans l’ordre hiérarchique, associé à ces vénérables Congrégations qui ont répandu dans l’Église tant et de si grands bienfaits […]» [25].

La Congrégation pour les Religieux et Instituts séculiers exigea que le premier article des Constitutions soumises à l’approbation contienne l’expression «congrégation cléricale de droit pontifical». Bien que ces termes canoniques n’aient pas existés dans les Constitutions précédentes, l’idée qu’ils expriment n’est pas nouvelle. Elle était implicitement contenue dans toutes les Constitutions déjà approuvées, vu que le premier article de tous les textes précédents parlait des Oblats comme d’une communauté de prêtres et que les divers brefs d’approbation pontificale indiquaient, par leur reproduction dans toutes les éditions des Constitutions, que la Congrégation était de droit pontifical.

C’est une Congrégation de prêtres destinés à accomplir leur ministère de prêtres comme missionnaires qu’Eugène de Mazenod a fondée et c’est en raison de sa fin sacerdotale que la Congrégation est, pour utiliser une expression canonique, un institut clérical:

«On appelle institut clérical celui qui, en raison du but ou du propos visé par le fondateur ou en vertu d’une tradition légitime, est gouverné par des clercs, assume l’exercice d’un ordre sacré et est reconnu comme tel par l’autorité de l’Église…» (Can. 588, § 2).

Dans son commentaire de l’article premier des Constitutions de 1982, le père Jetté écrit: «Le second paragraphe. après avoir rappelé le caractère clérical et universel (de droit pontifical) de la Congrégation, mentionne qu’elle est composée de prêtres et de frères qui vivent en communautés apostoliques, qui se lient à Dieu par les voeux de religion et qui participent à une même mission: “coopérant avec le Christ Sauveur et imitant son exemple, ils se consacrent principalement à l’évangélisation des pauvres”. C’est dire que tous les Oblats, frères comme prêtres, sont également religieux et évangélisateurs des pauvres. Toutefois, en raison du sacerdoce ministériel chez les uns, les activités d’évangélisation seront complémentaires et en partie différentes, ce que diront l’article 7 et la règle 3.

Un bref retour à l’histoire peut aider à mieux comprendre ces distinctions dans la vie oblate. A l’origine, Eugène de Mazenod a voulu établir une Société de prêtres qui consacreraient leur vie à l’évangélisation des pauvres, surtout par la prédication des missions et la célébration des sacrements (pénitence et eucharistie). Ces hommes étaient appelés “missionnaires” ou “hommes apostoliques”. A eux très tôt furent adjoints des laïcs, désireux de se consacrer à Dieu dans la vie religieuse oblate et de coopérer, selon leur préparation et leurs talents, à l’activité missionnaire de ces “hommes apostoliques”. Le Fondateur les acueillit avec joie et demanda qu’on les considère, non “comme des domestiques”, mais “comme des frères”, partageant notre vie et notre travail (Cf. Choix de Textes, nn. 10, 17, 18, 190).

Aujourd’hui le vocabulaire a évolué, les noms de “missionnaires”, d’“hommes apostoliques” sont donnés indifféremment aux frères et aux prêtres» [26].

FRÈRES ET PRÊTRES

L’appartenance de laïques ou de frères à un institut religieux clérical remonte à une ancienne tradition dans l’Église et ne constitue pas, de soi, une anomalie. La question qui se pose, cependant, est celle du rapport entre ministère non ordonné et ministère ordonné dans la vocation et la spiritualité oblates. Comment le frère participe-t-il au caractère sacerdotal essentiel de la Congrégation ?

En préparant le Chapitre général de 1966, les frères de Bolivie, réunis en congrès, ont répondu de la façon suivante:

«Les frères sont unanimes à dire qu’ils sont entrés dans la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée parce qu’ils voyaient la possibilité de travailler directement avec le prêtre-oblat; de remplacer le prêtre dans les tâches temporelles, afin que celui-ci soit un pasteur d’âmes cent pour cent; d’être un vrai compagnon, un appui, un confident pour l’Oblat-prêtre. À cause de cette relation étroite avec le sacerdoce, le frère Oblat a vraiment une vocation sacerdotale, ce que les frères enseignants ou hospitaliers n’ont pas» [27].

NORMES GÉNÉRALES DE LA FORMATION OBLATE

Les Normes générales de la formation oblate, publiées en 1984 par l’Administration générale, répondent à la question d’une façon positive en montrant que la prêtrise n’est pas une source de division dans la vie de la Congrégation. Elle est, au contraire, par complémentarité, une source d’unité apostolique et fraternelle entre prêtres et frères dans la mission sacerdotale commune de la Congrégation.

«En fidélité au charisme du Fondateur, le ministère presbytéral demeure un élément constitutif de la Congrégation, puisque le but de sa mission est l’évangélisation complète, qui comprend le témoignage, la proclamation de la Parole de Dieu, l’implantation et la construction de l’Église, la célébration des sacrements, en particulier ceux de la réconciliation et de l’eucharistie. Prêtres et Frères ont des responsabilités et des rôles complémentaires dans l’oeuvre de l’évangélisation (cf. C 7 et R 3, 7). La vie religieuse des Oblats et leur mission de prêtres et de Frères sont liées de façon inséparable au ministère presbytéral» [28].

«[Les Frères] ont, aussi, un lien particulier avec le ministère presbytéral en raison de leur appartenance à une Congrégation dont le sacerdoce ordonné est un trait caractéristique.

«Avec les valeurs propres à leur vocation, les Frères oblats prennent une part active à la vie de la communauté et aux oeuvres de la Province. Leur vocation ne les sépare de leurs confrères prêtres ni dans la manière de vivre, ni dans le travail. Les tâches assumées par les Frères au service de la mission dépendent de la vie et du choix de chaque Province; l’éventail en est très large et doit demeurer ouvert» [29].

MARCELLO ZAGO

Le 25 janvier 1992. en préparation du XXXII chapitre général, le père Marcello Zago, supérieur général, a adressé aux Oblats en formation première une lettre sur “Le caractère sacerdotal de la Congrégation”, dans laquelle il écrivait: «Le charisme oblat est un don que l’Esprit nous a transmis à travers un homme concret, Eugène de Mazenod. Le Seigneur a préparé un tel don par l’expérience personnelle du Fondateur, lequel a été marqué par la vocation sacerdotale. […] La mission de l’Eglise se déploie dans une grande diversité de modèles et de chemins, comme nous le rappelle l’encyclique missionnaire de Jean-Paul II [30]. Tous les chrétiens sont coresponsables dans la mission et apportent leur contribution selon l’état et le charisme propre a chacun [31]. La priorité missionnaire confiée à notre Congrégation est sacerdotale, justement parce qu’elle est orientée vers l’annonce de la Bonne Nouvelle et vers la constitution de communautés chrétiennes. Pour les Oblats, la contribution spécifique, prioritaire bien que non exclusive, à la mission de l’Eglise est “principalement l’évangélisation des pauvres» (C. 1) [32].

William H. Woestman