1. L’apostolat des Oblats au Saguenay
  2. Départ du père Honorat en 1849

En arrivant au Canada en 1841, les Oblats ont d’abord travaillé dans le dio­cèse de Montréal. Mgr de Mazenod et le père Honorat désiraient cependant faire un établissement dans le diocèse de Qué­bec, riche en vocations. Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal, suggéra d’attendre une demande de Mgr Joseph Signay, archevêque de Québec. Celui-ci fit appel aux Oblats en 1844 pour rem­placer deux prêtres malades, mission­naires auprès des Amérindiens. Au cours de l’été, le père Médard Bourassa accom­pagna l’abbé Etienne Payment pendant près de deux mois dans la visite des Amérindiens le long de la rivière Saint-Maurice et le père Pierre Fisette accom­pagna l’abbé François Boucher dans sa visite de trois mois des Indiens de la Côte-Nord du Saint-Laurent à l’est de Québec.

Mgr Signay proposa ensuite un éta­blissement à Saint-Alexis, près de la Grande-Baie, au Saguenay, dans le but d’exercer le ministère auprès des Indiens du Saguenay et de la Côte-Nord, des bûcherons et des colons du Saguenay. Le 15 octobre 1844, le père Jean-Baptiste Honorat, supérieur, et trois Canadiens, les pères Médard Bourassa, Pierre Fisette et Flavien Durocher remplacèrent le curé Charles Pouliot. Ils trouvèrent à Saint-Alexis une pauvre petite chapelle et un presbytère dont on terminait la construc­tion. La région du Saguenay comptait alors environ 3000 habitants, surtout des bûcherons qui travaillaient pour M. William Price (1789-1867), anglais établi au Canada et qui avait le monopole du commerce du bois au Saguenay.

Depuis longtemps la Compagnie de la Baie d’Hudson avait le monopole sur le commerce des fourrures dans tout le Nord du Canada. En 1837-1838, la Com­pagnie céda à un groupe de Canadiens, la Société des Vingt-et-un, le droit de cou­per sur son domaine 60 000 billots de pinières. Les coupes terminées, la Société des Vingt-et-un mit en culture, sans auto­risation, les terrains dégagés. En 1842, cette Société, très endettée, vendit à bas prix ses droits et ses neuf moulins à scie à M. Price qui déjà achetait le bois et le vendait à l’Angleterre. Il devint ainsi maître du marché du travail, des salaires et des prix, dans la région. Cette même année 1842, le gouvernement reconduisit le bail concédé à la Compagnie de la Baie d’Hudson mais spécifia qu’il ferait arpenter les terres pour les vendre aux colons. Les terres agricoles le long du fleuve Saint-Laurent étaient toutes ex­ploitées, il fallait ouvrir à l’agriculture la région du Saguenay où les terres étaient très fertiles.

L’apostolat des Oblats au Saguenay
Dix Oblats demeurèrent au moins quelque temps à Saint-Alexis de 1844 à 1853: J.B. Honorat de 1844 à 1849, F. Durocher de 1844 à 1853, M. Bourassa et P. Fisette de 1844 à 1846, André Marie Garin en 1845-1853, Eusèbe Durocher en 1846-1848, Charles Arnaud en 1849-1852, Eugène Cauvin en 1849-1853, Horace Pinet en 1849-1853 et Louis Babel en 1851-1853.

Presque tous ces pères passaient les mois d’été en voyages pour visiter les Indiens. Quelques-uns y allaient aussi l’hiver, surtout pour se familiariser avec la langue montagnaise, pendant que d’autres visitaient alors les bûcherons dans les chantiers (Voir article: Chantiers).

Le père Honorat demeura souvent seul pour exercer le ministère auprès des colons de Saint-Alexis, de Saint-Alphonse, de Chicoutimi, du Grand-Brûlé et d’autres localités naissantes où le père pensait déjà à la construction de chapelles (Voir Carte du Saguenay). Il visita la région en 1845 et constata aus­sitôt que la population était esclave de M. Price et de ses collaborateurs. Il résuma ses impressions en 25 notes qu’il envoya aux autorités. Il alerta ainsi le père Bruno Guigues, son supérieur religieux, les évêques de Québec, les autorités civiles et les journaux qui gardaient tous le si­lence sur la situation à cause de bienfaits reçus. Le père signalait de nombreuses injustices: journées de 12 heures de tra­vail, salaires de famine des bûcherons, payés avec le système de bons qui n’avaient de valeur que dans les magasins de M. Price, gaspillage de la forêt, ap­propriation des terres, vente à prix élevé des planches de rebut et des croûtes que les nouveaux colons devaient acheter pour construire leurs cabanes, etc.

Les interventions du père furent connues de M. Price et surtout de ses lieutenants sur place, en particulier Marc Simard autour de la Grande-Baie et Peter McLeod à Chicoutimi. Ceux-ci firent des difficultés au père Honorat qui voulait acquérir des terrains pour y construire des chapelles. À Chicoutimi, localité où les colons étaient nombreux et où ils se réunissaient, McLeod s’opposa en 1845 à la construction d’une chapelle, Mgr Turgeon, coadjuteur à Québec, et M. Price, durent intervenir et McLeod consentit enfin à la construction d’une chapelle à condition que le curé ne soit pas un Oblat. Le père Honorat, qui vou­lait établir la Congrégation à Chicoutimi, localité plus importante que Saint-Alexis et plus près des Indiens, renonça à son projet. L’abbé Jean-Baptiste Gagnon fut nommé desservant.

En 1846, le père Honorat décida de créer une colonie libre au Grand-Brûlé. De grands espaces avaient été ravagés par le feu en 1841 sur un plateau le long de la rivière du Moulin en amont de Chicoutimi. La terre était fertile et le défrichage déjà fait. Il voulut d’abord y avoir une chapelle et choisit un terrain dans ce but. Quand il commença les travaux, M. Marc Simard l’en empêcha disant que le terrain lui appartenait comme droit de premier occupant. En 1847, l’affaire fut soumise à un arbitrage. Le père Honorat fut évincé et condamné aux frais. Une cinquantaine de colons vinrent aussitôt s’établir au Grand-Brûlé où le père Honorat acheta quelques terres pour les Oblats et fit construire un moulin à scie et un moulin à farine. Il prêta de l’argent aux pauvres colons qui arrivaient et fit ainsi beaucoup de dettes qu’il espé­rait remettre avec les revenus des mou­lins et des terres.

Départ du père Honorat en 1849
Par son activité dans le domaine so­cial, le père Honorat se fit des ennemis. On écrivit contre lui à l’archevêque de Québec. L’abbé Gagnon lui-même, que le père Honorat considérait un ami, parla contre lui lors d’un voyage à Québec. Déjà en 1845, Mgr Signay invita le père Guigues à rappeler le père Honorat. Celui-ci serait alors parti avec plaisir; il désirait vivre en communauté. Le père Guigues refusa.

En 1849, Mgr Turgeon fit pression auprès de Mgr Guigues, devenu évêque de Bytown, pour que le père Honorat soit éloigné du Saguenay. On ne voulait pas déplaire à M. Price et surtout, suite à des calomnies, on disait que le père Honorat avait perdu la confiance des fidèles qui ne se confessaient plus à lui. Au cours de l’été, Mgr Guigues lui demanda de quitter le Saguenay et le père obéit aussitôt. Il s’expliqua auprès de Mgr de Mazenod, le 21 octobre 1849, en disant, entre autres: «Faisant tout en moi pour protéger auprès de qui de droit, par les moyens que 1’évêque lui-même m’avait indiqués, j’ai tâché de protéger le faible contre le fort, et avant que j’aie réussi en tout, la jalou­sie de ceux qui auraient cependant voulu qu’on eût pu en dire autant d’eux m’ayant poursuivi de diverses manières, la fai­blesse de l’autorité craignant de choquer ces jaloux, a jugé plus à propos de cher­cher à m’éloigner, au risque que rien n’arrive à bon terme pour le pauvre peuple au moment de la conclusion… J’ai certainement réussi pour le bien des faibles, puisque voilà bien trois ans qu’on s’établit là avec des avantages qu’on n’a nulle part ailleurs. De cette manière il se forme une paroisse de gens libres et qui ne travaillent que pour eux, sur les plus belles terres de la contrée.»

Le père Flavien Durocher fut supé­rieur à Saint-Alexis de 1849 à 1853. Il continua l’apostolat du père Honorat auprès des fidèles de Saint-Alexis et des localités environnantes. Il ouvrit quelques écoles. Horace Pinet, encore scolastique, demeura pendant ce temps à Saint-Alexis pour régler les affaires financières de la maison. Les Oblats devaient en particu­lier à M. Price 12 360 francs. Le père Durocher écrivit à Mgr Baillargeon, à Québec, le 30 août 1862: «Une voie facile pour nous tirer d’embarras était de lui céder nos propriétés. Nous ne vou­lions pas d’une transaction que nous regardions comme un malheur pour la paroisse de Laterrière (le Grand-Brûlé). En 1854, les terres et les moulins de la congrégation au Grand-Brûlé furent vendus pour une somme modique à M. Jules Gauthier. Les Oblats avaient quitté le Saguenay l’année précédente pour s’établir dans la ville de Québec d’où ils pouvaient plus facilement, par bateau, visiter les Indiens de la Côte-Nord, du Saguenay et du Lac Saint-Jean.

Yvon Beaudoin, o.m.i.