1. À Vico, Corse (1840-1847)
  2. À Ceylan (1847-1868)

Naissance à Colla (Italie), le 7 février 1813
Prise d’habit à Saint-Just, le 1er mai 1829
Oblation à Saint-Just, le 1er mai 1830 (no 39)
Ordination sacerdotale à N.-D. du Laus, le 19 septembre 1835
Ordination épiscopale à Marseille, le 17 août 1856
Décès à Marseille, le 23 janvier 1868.

Étienne Semeria est né à Colla, dio­cèse de Vintimille, Italie, le 7 février 1813, d’une famille où la piété était héré­ditaire. Deux de ses oncles étaient prêtres et une tante était religieuse capucine. Dès ses premières années, il se distingua par l’extrême douceur de son caractère et son application à l’étude. À 16 ans, il avait terminé sa rhétorique et commença en­suite le noviciat à Saint-Just, le 1er mai 1829. C’est là également qu’il fit son oblation le 1er mai 1830.

La Révolution de Juillet 1830 s’an­nonçait très anticléricale. Le père de Mazenod, en repos en Suisse, acheta une propriété à Billens et appela auprès de lui les novices et les scolastiques. Étienne commença là l’étude de la théologie qu’il continua à Marseille de 1833 à 1835. Les scolastiques suivaient les cours au grand séminaire de Marseille mais demeuraient alors au Calvaire, sous la direction du père Casimir Aubert. Dans son compte rendu sur les oblats, le 20 avril 1834, celui-ci écrivait: «Magnan et Semeria tiennent sans contredit le premier rang pour leur régularité et la bonté de leur caractère.» Étienne Semeria dut à une étude approfondie des rubriques et des cérémonies le surnom que ses confrères lui donnèrent de «Gavanti», barnabite italien (1569-1638), auteur de l’ouvrage Thesaurus sacrorum rituum…

Il est ordonné prêtre par Mgr Eugène de Mazenod à Notre-Dame du Laus, le 19 septembre 1835, et est immédiatement chargé de l’œuvre des Italiens au Cal­vaire, succédant ainsi au père Albini, parti depuis peu pour la Corse. À l’été 1837, Mgr de Mazenod permet au père Semeria d’aller dans sa famille à l’occa­sion de la mort de son père. Le 1er juillet, il écrit dans son Journal: «Cet édifiant religieux, n’ayant pas reçu de réponse à la lettre par laquelle il demandait une pro­rogation de quelques jours à la permis­sion que je lui avais accordée de passer jusqu’à la Saint-Jean dans sa famille désolée par la mort de son père, est retourné à Marseille sans vouloir se per­mettre la moindre interprétation. Il s’agis­sait pourtant d’attendre son frère médecin qui doit servir de père et de conseil à cette nombreuse famille d’enfants, pour s’aboucher avec lui sur les intérêts com­muns de tous ces orphelins. Voilà de la vertu, voilà un exemple à citer pour qu’il soit imité! Mais rien ne m’étonnera jamais en fait de régularité de la part de cet enfant de bénédiction. Je veux qu’on sache qu’il ne m’a jamais donné depuis sa plus tendre enfance le moindre sujet de plainte, pas un moment d’inquiétude ou de chagrin. Qu’il soit béni et qu’il croisse tous les jours de vertus en vertus!»

En 1838, le père Telmon, que le père Guibert ne veut plus en Corse, reçoit son obédience pour le Calvaire. Le Fondateur le nomme premier assesseur. Il écrit dans son Journal, le 1er août: «Quel plaisir d’avoir à faire à des hommes comme le père Semeria. C’était lui qui avait cette place. Douceur, humilité, simplicité, joie sincère, approbation sans effort. Voilà des vertus que cet ange pratique en toute occasion.»

À Vico, Corse (1840-1847)
La mort du père Albini à Vico, le 20 mai 1839, attriste beaucoup le Fondateur. Il pense un moment que c’est la fin des missions paroissiales qui portent tant de fruits en Corse. Au début de 1840, il nomme le père Semeria supérieur à Vico. La communauté est formée du supérieur, des pères A. Gibelli, J. J. De Veronico, D. Luigi et de quelques frères. Dans une trentaine de lettres, que Mgr de Mazenod écrit alors au père Semeria, deux thèmes reviennent sans cesse et lui causent beau­coup de joie: le succès des missions, l’union et la charité fraternelle qui rè­gnent dans la communauté. Au sujet des missions, il écrit par exemple, le 16 octobre 1841: «Toutes les fois, mon cher père Semeria, que je reçois de vos lettres, il faut que je commence par adresser à Dieu les plus vives actions de grâces pour tout ce qu’il daigne opérer par votre ministère. Cette fois je conviens qu’il faudrait encore redoubler de recon­naissance pour les merveilles de cette belle mission de Zicavo, c’est en verser des larmes de joie. Je vous vois d’ici entouré de tous ces hommes de sang qui deviennent des agneaux à votre voix, les poignards leur tombent des mains, ils se pardonnent, ils s’embrassent. Oh que c’est beau! Et cette réponse touchante: «que leurs armes étant chargées pour tuer leurs ennemis, maintenant qu’ils n’en avaient plus, il était juste de les décharger en votre honneur», mais c’est sublime!» Mêmes réflexions le 4 août 1842: «Quoi­qu’il en soit, avouez mon petit père que le bon Dieu vous gâte bien. Il se sert de vous pour déployer sa puissance et sa plus grande miséricorde, et votre saint ministère est partout accompagné des plus abondantes bénédictions. Je vous en félicite et n’ai pas besoin de vous rappeler que vous devez en rendre à Dieu d’inces­santes actions de grâce!»

Mais la bonne conduite et l’entente parfaite des pères et frères de la commu­nauté lui font particulièrement plaisir. Il le dit souvent et de diverses façons, par exemple: «Soyez béni vous, mon bien cher père Semeria, et vous mon bien cher père Gibelli. Non jamais ni l’un ni l’autre n’avez contristé le cœur de votre père» (19 novembre 1840). «Vivez heureux, mes chers enfants, dans votre précieuse communauté. Vous ne sauriez croire le bonheur que j’éprouve en apprenant l’union et la cordialité qui règnent parmi vous. Ah! que mon esprit est au milieu de cette portion si chère de ma famille! Vous faites ma consolation et ma joie, que le Seigneur vous comble de ses bé­nédictions. Je vous presse tous contre mon cœur» (27 décembre 1841). En 1843, le Fondateur craint d’envoyer le père Carles à Vico «où règne la paix sous la douce et paternelle gouverne de notre angélique père Semeria.»

Une fois, Mgr de Mazenod mentionne un défaut chez le supérieur de Vico. En 1843, il doit envoyer le père Carles comme professeur de philosophie au grand séminaire d’Ajaccio et sait que l’évêque fera des difficultés. Il charge le père Semeria de voir Mgr Casanelli d’Is­tria et de le convaincre d’accepter le nouveau professeur: «Il faut savoir prendre du caractère à propos, écrit-il, et, quoique avec respect, savoir soutenir une bonne cause, des résolutions sages. Je vous rappelle ces choses parce que je crois nécessaire de vous prémunir contre un défaut qui est l’effet de votre excessive timidité.»

Les travaux et les succès du père Se­meria en Corse sont ainsi résumés dans sa Notice nécrologique: «La ressem­blance de son dialecte maternel avec celui de la Corse a pu faciliter son suc­cès; mais ce qui lui assura ce succès, ce qui lui mérita la confiance générale du clergé, et qui fut la cause de l’enthou­siasme qu’il excita et de l’entraînement qu’il produisit, ce fut l’ensemble de ses vertus apostoliques, sa piété, son zèle, son dévouement, son oubli de lui-même, son tact délicat, sa prudence consommée…»

À Ceylan (1847-1868)
C’est au cours de l’été 1847 que, à la demande de Mgr Horace Bettachini, coadjuteur du vicaire apostolique de Colombo, Mgr de Mazenod accepte d’en­voyer quelques Oblats à Jaffna. Il n’hésite pas, semble-t-il, dans le choix du père Semeria comme supérieur de cette mis­sion, mais craint de mécontenter Mgr Casanelli d’Istria en lui enlevant celui qui, après le père Albini, est devenu un apôtre connu et aimé. Il lui annonce cette décision par une lettre plutôt solennelle: «Vous savez, écrit-il le 7 octobre, quel sacrifice nous impose le Maître de la Vigne en nous appelant à travailler dans une île où 1 500 mille gentils attendent la lumière de l’Évangile que le Vicaire de Jésus-Christ nous charge de faire luire à leurs yeux et où 150 000 chrétiens pres­que abandonnés réclament aussi le secours de notre ministère; c’est une mission infiniment délicate pour plu­sieurs raisons, et il me fallait un homme éprouvé comme le père Semeria pour la lui confier en tout repos de mon âme. C’est là le sacrifice que le bon Dieu a exigé de nous et j’ai dû le faire avec joie dans la ferme confiance du bien immense qui doit en résulter…»

Le père Semeria reçoit son obédience le 21 octobre 1847. À la fin de l’année, après trente sept jours de traversée, il est déjà rendu à Ceylan avec les pères Louis Marie Keating, irlandais, Joseph Alexan­dre Ciamin, niçois et le frère Gaspard De Steffanis, gênois. Trois autres mission­naires partent en 1849 et deux 1850; en quinze ans (1847-1861), trente trois Oblats quitteront la France ou l’Angle­terre pour Ceylan.

Les premiers problèmes que doit affronter le supérieur sont nombreux: opposition des quelques prêtres goanais de la région de Jaffna, préventions des six Européens (deux Bénédictins espa­gnols, un Oratorien italien et trois prêtres diocésains lombards), aucun projet à long terme de l’évêque qui, courant au plus pressé, dispose des Oblats comme des autres prêtres et les disperse dans di­verses missions, les change même sou­vent de postes, etc. Dans la Notice de Mgr Semeria, Mgr Bonjean énumère plu­sieurs autres souffrances du supérieur: «l’épreuve d’un climat écrasant, les inva­sions fréquentes du choléra, les fatigues des voyages, la nourriture spéciale à laquelle l’estomac dyspeptique du père Semeria ne se fit jamais bien, les diffi­cultés de la langue pour un homme déjà d’un certain âge, celles propres au minis­tère de ce pays, l’échec de plusieurs en­treprises, etc., enfin, tout un faisceau de lourdes croix. Il suffit, du reste, d’avoir connu l’horreur de ce saint homme pour tout ce qui avait l’ombre d’une offense de Dieu, sa charité qu’un mot, un regard contristait, son zèle pour sa mission et son dévouement pour la congrégation, la timidité de son caractère, l’hésitation qui en résultait chez lui, les scrupules qui torturaient cette âme si droite et si pure, pour comprendre combien il dut souffrir. Seul, sans pouvoir s’ouvrir entièrement à personne, il passait souvent de longues nuits d’insomnie, pleines d’inquiétudes et d’alarmes…»

Il se confie cependant à Mgr de Ma­zenod qui, de 1848 à 1860, lui écrit au moins trente sept longues lettres. En 1851, la congrégation de la Propagande demande au Fondateur d’envoyer aussi des missionnaires à Mgr Bravi, sylvestrin italien, depuis peu coadjuteur de Co­lombo. Quatre jeunes Oblats lui arrivent, contre son gré. Il exige qu’ils n’aient pas de relations avec leur supérieur de Jaffna et insiste pour qu’ils cachent leur croix oblate et leur appartenance à la congré­gation. Ceci complique encore la position du père Semeria qui, dans ses lettres, parle plus de ses problèmes que de l’apostolat des Oblats. Mgr de Mazenod l’invite d’abord à la prudence et à la patience, mais il emploie bientôt un autre langage. Il lui écrit, par exemple, le 17 janvier 1850: «Il ne me conste pas que vous…fassiez grand-chose, et c’est encore à la pointe de l’épée! Je cherche en vain dans vos lettres quels sont vos travaux. Jusqu’à présent vous ne m’avez parlé d’aucune conversion, et franchement je n’ai consenti à envoyer des missionnaires à Ceylan que dans l’espoir de les voir employés à la conversion des âmes.»

Le père Semeria s’efforce par la suite de donner plus de nouvelles, au moins sur la nature de ses travaux à Jaffna où il est curé et secrétaire de l’évêque. Au mois d’avril 1850, il écrit: «Il faut que nous soyons décidés à être presque des martyrs de patience. Le bien que l’on réalisera ici, de longtemps ne sera pas très apparent; mais vouloir traiter les Indiens comme les Européens serait s’exposer à tout gâter… Néanmoins, le bien peut se faire et se fera. Jaffna en fournit une preuve. Quand les prêtres goanais y exerçaient le ministère, les chrétiens les plus fervents se confessaient à peine à Pâques, et ces fervents étaient rares, maintenant nous avons quotidien­nement, dans notre église, une trentaine de communions. Auparavant, on n’y conservait même pas la sainte Réserve, actuellement, plusieurs personnes visitent régulièrement, chaque jour, le très saint Sacrement… Autrefois il était impossible de réunir les enfants pour le catéchisme, depuis deux ans, j’y réussis, et à ces ré­unions assistent spontanément de grandes personnes… En peu de temps, j’ai baptisé de soixante à soixante-dix adultes.» Trois ans plus tard, il écrit: «Je crois plus fa­cile, quelquefois, de convertir un peuple idolâtre, qui souvent est soudainement touché des vérités inconnues qu’on lui annonce, que de régénérer des demi-chrétiens ayant abusé des lumières de la grâce. Cependant, si nous ne pouvons pas nous flatter d’avoir fait tout le bien que nous désirions, le changement opéré dans les idées et la conduite de beaucoup de nos chrétiens est, j’ose le dire, vraiment merveilleux. Quelqu’un qui eût connu, il y a cinq ou six ans, la ville de Jaffna, aurait certainement grandement raison de louer le Seigneur, s’il examinait l’énorme différence qui existe entre les chrétiens d’alors et ceux d’aujourd’hui…»

En 1856, le père Semeria est nommé coadjuteur de Jaffna et est ordonné évêque par Mgr de Mazenod, le 17 août 1856, dans la chapelle du scolasticat de Montolivet, à l’occasion du chapitre général. Dès qu’il rentre à Jaffna, en 1857, il devient vicaire apostolique après le décès de Mgr Bettachini le 26 juillet. Il met immédiatement en exécution quelques projets formés à son arrivée à Jaffna dix ans plus tôt. D’abord il com­pose une équipe de missionnaires (les pères Constant Chounavel, Jean Le Bes­cou et Ch. Bonjean) dont il prend souvent la direction parce que, dit-il, il est le seul Oblat à Ceylan qui ait prêché des mis­sions en France et qui connaisse la mé­thode traditionnelle de la congrégation. Ces missions se révèlent bientôt aussi fructueuses qu’en Europe et au Canada. Il s’occupe également d’un autre point im­portant de ses projets: l’ouverture d’écoles et même d’un séminaire dans le but de former des catéchistes et des prêtres. Il fait venir les Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux pour diriger les écoles de filles et ouvrir des dispensaires. Comme évêque, Mgr Semeria fait aussi construire six ou sept églises, de même que plu­sieurs chapelles et presbytères. D’après son Rapport au chapitre général de 1861, le nombre de chrétiens dans le diocèse de Jaffna s’élève alors à 55 000, répartis en 240 communautés.

Mgr Semeria a surtout le don de se faire aimer de ses collaborateurs. Mgr Bonjean écrit à ce propos: «Parfois peut-être un peu strict pour les autres, comme il le fut constamment pour lui-même, cet excellent supérieur sut toujours faire accepter de bon cœur ce qui, venant d’un autre, eût semblé oné­reux. C’est que sa main était délicate, et ses procédés toujours aimables; c’est qu’il ne brusquait rien, et que sa patiente cha­rité attendait toujours le moment oppor­tun; c’est qu’il savait apprécier la diversité des humeurs et des caractères, et s’y adapter. «Oh! si l’on savait, m’a-t-il sou­vent dit, reconnaître ce qu’il y a de bon dans chaque homme, l’encourager, le développer, se moins préoccuper au contraire des défauts inséparables de notre pauvre nature, on trouverait les hommes bien plus dociles, bien plus sympathiques; on les rendrait aussi bien meilleurs. Il y a peu d’hommes dont on ne puisse tirer quelque parti, si on sait les bien prendre.»

Le vicaire apostolique vient en Eu­rope pour assister au Chapitre général de 1867. Il se propose de repartir le 25 janvier 1868, après avoir visité les familles de ses missionnaires. Il arrive au Calvaire le 29 décembre, très enrhumé. Le 15 janvier, il a des frissons. On cons­tate une fièvre catarrhale. Survient une complication de mouvement biliaire. Il meurt le 23 janvier à l’âge de 54 ans, 11 mois. Les funérailles ont lieu, dans la cathédrale, le 24, présidées par Mgr C.P. Place, évêque de Marseille. Son corps repose dans le caveau des Oblats au cimetière d’Aix.

Mgr Bonjean termine la Notice par ces mots: «Petit enfant, étudiant, novice, religieux, prêtre, missionnaire, évêque, Mgr Semeria fut toujours le même: un doux et humble saint. Il laisse à notre petite société le trésor de ses exemples. À nous, ses enfants de Ceylan, avec le bien précieux de son cher souvenir, il laisse l’héritage de ses vertus et de ses œuvres.»

Yvon Beaudoin, o.m.i.