1. Missionnaire à la Rivière-Rouge
  2. Évêque à 27 ans
  3. Intérêt et action de l’évêque pour le développement du pays, de l’Église de l’Ouest et de son diocèse
  4. Relations avec les Oblats
  5. Décès

Naissance à Rivière-du-Loup (Bas-Canada), le 23 juillet 1823
Prise d’habit à Longueuil, le 5 octobre 1844
Ordination sacerdotale à Saint-Boniface, le 12 octobre 1845
Oblation à Saint-Boniface, le 13 octobre 1845 (no 146)
Ordination épiscopale à Viviers, France, le 23 novembre 1851
Décès à Saint-Boniface, le 22 juin 1894.

Alexandre Taché est né à Fraserville (Rivière-du-Loup), le 23 juillet 1823, troisième enfant de Louise Henriette de Labroquerie et de Charles Taché, officier militaire puis marchand, familles illustres apparentées, entre autres, à Louis Jolliet, découvreur du Mississippi, Pierre Gaultier de Varennes de la Vérendrye, découvreur de l’Ouest canadien et sainte Marie Marguerite Dufrost de Lajemmerais d’Youville, fondatrice des Sœurs de la Charité de Montréal.

Alexandre n’a pas trois ans lorsque son père meurt le 12 janvier 1826. Madame Taché quitte alors la Rivière-du-Loup et vient demeurer à Boucherville chez ses parents. À la mort de ceux-ci, en 1832, avec son frère Joseph-Antonin et ses enfants, elle laisse la maison du village pour s’établir à la campagne, au manoir Sabrevois (de La Broquerie).

En septembre 1833, Alexandre entre au petit séminaire de Saint-Hyacinthe. Ses maîtres le dépeignent comme un garçon «un peu pétillant, taquin même, discuteur, au fond très bon, plein de cœur autant que d’esprit, se distinguant entre tous par le respect, l’affection et la reconnaissance envers ses professeurs.» Ses études clas­siques et philosophiques terminées, il entre au grand séminaire de Montréal le 1er septembre 1841. En se rendant à la cathédrale, le 3 décembre, fête de saint François Xavier, il voit les six premiers Oblats arrivés la veille. Il écrira plus tard à ce propos que ses yeux s’attachèrent, avec une attention particulière, sur leurs figures et leurs croix d’Oblats. «Il est des regards qui ont une influence marquée sur toute une existence; celui que j’arrêtai alors sur les pères Honorat et Telmon n’a pas peu contribué à toute la direction de ma vie.»

Sa théologie n’est pas terminée lors­que Mgr Ignace Bourget le nomme régent au collège de Chambly (1842-1843) puis, en janvier 1844, professeur de mathéma­tiques au séminaire de Saint-Hyacinthe. Le 5 octobre 1844, Alexandre commence son noviciat à Longueuil. Le père Jean-François Allard, maître des novices, le juge très favorablement. Il écrit à Mgr de Mazenod: «Le frère A. Taché, d’une des familles les plus distinguées du pays, jouit au dehors d’une réputation de talent bien assise: mémoire heureuse, esprit droit, jugement solide, pénétration peu com­mune, facilité d’élocution. Toutes ces qualités sont relevées par une sagesse, une excellente éducation, une politesse ex­quise qui le feront briller dans toutes les sociétés. De plus, il possède l’humilité et la prudence, ne parlant qu’avec beaucoup d’à-propos.»

Missionnaire à la Rivière-Rouge
Au début de 1845, Mgr Joseph Norbert Provencher, vicaire apostolique de la Baie d’Hudson et de la Baie James demande des Oblats au père Guigues qui hésite. Le 24 mai, Mgr de Mazenod donne à celui-ci l’ordre d’accepter et d’envoyer deux mis­sionnaires à la Rivière-Rouge. Il désigne «Pierre Aubert à qui, écrit-il, vous join­drez un des Canadiens que vous destiniez aux Sauvages.» Le frère Alexandre s’offre aussitôt comme compagnon; il le fait entre autres pour obtenir la guérison de sa mère alors gravement malade. Les deux missionnaires et deux Sœurs Grises partent le 25 juin dans un canot de la Compagnie de la Baie d’Hudson et arri­vent à Saint-Boniface le 25 août, après 62 jours de voyages. Déçu à la vue de ce jeune novice, Mgr Provencher aurait dit: «Ce sont des hommes qu’il nous faut, et on m’envoie des enfants!»

Le vicariat apostolique est très vaste avec environ 3600 Blancs, 12 000 Métis, fixés surtout le long de la Rivière-Rouge, et 60 000 Amérindiens qui vivent de chasse et de pêche dans le Nord-Ouest. C’est auprès de ceux-ci que le frère Taché est d’abord destiné à travailler. Mgr Provencher l’ordonne diacre le 31 août, prêtre le 12 octobre, âgé seule­ment de vingt-deux ans. Le lendemain, le père fait son oblation. Mgr de Mazenod écrit au père Aubert, le 21 février 1846: «C’est beau de faire ses vœux sur-le-champ de bataille en face de l’ennemi que l’on vient combattre de si loin.» Le 23 décembre 1846, dans une lettre à Mgr Bourget, il écrit encore: «J’ai reçu des nouvelles de la Rivière-Rouge. Le père Aubert et le père Taché m’ont écrit, le dernier, une lettre charmante. Il a fait sa profession et a dit sa première messe le 13 octobre. Ils sont heureux l’un et l’autre dans leur position. Ils vont établir une mission à 300 lieues de Saint-Boniface, dans l’Île-de-la-Crosse.»

Le père Taché passe une partie de l’hiver à Saint-Boniface et l’autre à Baie-Saint-Paul où il étudie les rudiments de la langue sauteuse. Le 8 juillet 1846, il part avec l’abbé Laflèche pour fonder la mis­sion de l’Île-à-la-Crosse. Ils passent l’hiver au poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson et étudient le cri. L’abbé La­flèche travaille ensuite auprès des Indiens proches du poste de traite et le père Taché se charge, au cours des étés de 1847, 1848, 1849 et 1850, des longues courses apostoliques au Lac Caribou et au Lac Athabaska. Le 25 mars 1847, Mgr de Mazenod écrit au père Guigues: «Je gémis de voir un si jeune père, à peine sorti du noviciat, séparé de tous les nôtres à une si grande distance.»

Évêque à 27 ans
En 1847, Rome érige le vicariat apostolique en diocèse du Nord-Ouest, ou de Saint-Boniface. Mgr Provencher vieillit et cherche un successeur. L’abbé Laflèche refuse cette charge parce qu’il souffre de rhumatismes. Mgr Provencher propose donc le père Taché. Il prie les évêques du Canada de soumettre son projet au Saint-Siège. À son insu, le 24 juin 1850, Rome nomme le jeune père évêque d’Arath et coadjuteur de Mgr Provencher. Il apprend cette nouvelle en janvier 1851. Mgr de Mazenod dira en 1851 qu’il n’a pas été consulté; pourtant il avouait à Mgr Bourget, le 16 avril 1850, qu’il était prévenu des dispositions de Mgr Provencher à l’égard du père Taché, mais il pensait plutôt abandonner ces missions pour envoyer les pères «défri­cher des champs plus fertiles […] Ce sont, écrit-il, quelques petites tribus, excessi­vement éloignées les unes des autres, où la présence du missionnaire ne donne lieu qu’à quelques discours et à très peu, infi­niment peu de conversions […] Pour la Rivière-Rouge, je me sens découragé. Il n’y a pas de mission plus pénible et plus difficile et elle me paraît bien insignifiante».

Au mois de décembre 1850, le Fon­dateur écrit au père Taché pour lui dire qu’il doit accepter d’être évêque mais il doit venir se faire ordonner par Mgr l’évêque de Marseille. «Vous profite­rez de cette circonstance, lui écrit-il en­core le 19 janvier 1851, pour vous identi­fier avec les frères que vous ne connaissez pas et pour faire votre pèlerinage au tom­beau des saints Apôtres.»

Mgr Taché arrive à Saint-Boniface le 4 juillet 1851, se met en route pour Mar­seille et, le 23 novembre, est ordonné évêque à Viviers par Mgr de Mazenod, assisté de Mgr Guibert, o.m.i., et de Mgr Prince, coadjuteur de Montréal. Il choisit comme devise épiscopale: Pin­guescent speciosa deserti. Le lendemain, le Fondateur écrit au père Faraud qu’il a nommé Mgr Taché vicaire des missions et ajoute: «Mon cœur est si plein de joie, si dilaté de bonheur qu’il doit s’étendre jus­qu’à vous […] Quel digne sujet vous nous avez envoyé pour représenter votre mis­sion! Tout le monde est enchanté de lui et moi, le vieux patriarche de notre nom­breuse famille, je l’aime comme si j’avais toujours vécu avec lui.»

Après l’ordination, Mgr Taché se rend à Rome, obtient deux audiences du pape Pie IX et revient à Saint-Boniface en juin 1852 après un arrêt à Marseille et à Londres. Il demeure coadjuteur jusqu’en 1853 et réside à l’Île-à-la-Crosse d’où il continue à visiter les missions indiennes. Mgr Provencher meurt le 7 juin 1853. Mgr Taché devient évêque de Saint-Boniface mais passe encore une année dans le Nord et visite plusieurs missions le long de la rivière Saskatchewan. Il arrive à Saint-Boniface en septembre 1854 et prend officiellement possession de son siège épiscopal le 5 novembre. La ville ne compte encore que 2 000 habi­tants dont la moitié catholique. Son clergé est formé de quatre prêtres diocésains et de dix Oblats dont deux frères. Il fait ve­nir les Frères des Écoles Chrétiennes pour diriger l’école commencée par son prédé­cesseur. Les Sœurs Grises ont déjà ouvert une école pour filles et s’occupent d’un hospice pour orphelins et vieillards. Il établit aussitôt quelques paroisses non loin de la ville. Ses relations avec les Oblats sont d’abord assez difficiles. Le père Bermond, économe du vicariat, accueille les nouveaux missionnaires et les prévient tous contre l’évêque qu’il ne cesse de critiquer. Le 2 juin 1855, Mgr de Mazenod écrit à Mgr Guigues qu’il croit le père Bermond «inguérissable» et se pro­pose de le retirer de cette mission malgré l’expérience qu’il a acquise. Le 8 novembre suivant, il ajoute: «J’ai si bien endoctriné les derniers missionnaires que j’ai envoyés à la Rivière-Rouge qu’ils ont été inaccessibles aux préventions que ce père ne craignait pas de leur insinuer dès l’instant de leur arrivée […] Ne penses-tu pas qu’il serait à propos de rappeler ce père Bermond que je regarde comme une véritable pierre d’achoppement. Sa conduite à l’égard de l’excellent évêque est indigne à mes yeux. Toutes ses pré­ventions ont à mon jugement le caractère de la calomnie. Mgr Taché a été admirable de sagesse, de modération, de générosité, je trouve sa conduite héroïque.»

Intérêt et action de l’évêque pour le développement du pays, de l’Église de l’Ouest et de son diocèse

Mgr Taché a exercé une intense acti­vité dans plusieurs domaines. On ne peut en signaler ici que quelques-uns.

Le pays. L’Acte britannique de l’Amé­rique du Nord qui créait la confédération canadienne a été signé en 1867 et comp­tait les provinces de Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Québec et Ontario. En 1870, le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest sont annexés à la confédéra­tion. Mgr Taché craint cette annexion qui amènera beaucoup d’immigrés surtout protestants et de langue anglaise alors que jusque là les catholiques étaient aussi nombreux que les protestants. L’article 133 de l’Acte reconnaît deux langues officielles, l’anglais et le français. La question de l’éducation est laissée à chaque province. Mgr Taché obtient une administration scolaire séparée pour les catholiques et les protestants comme dans la province de Québec.

En 1869, sans consulter la population, des arpenteurs arrivent dans la région et changent toute la disposition des terres. Louis Riel installe un gouvernement provisoire en décembre et soulève les Métis. Le gouvernement canadien rap­pelle d’urgence Mgr Taché qui prend part au concile du Vatican. L’évêque arrive en mai 1870 et joue un rôle de pacificateur, contrecarre les agissements d’Américains qui invitent les Métis de la colonie à se joindre aux États-Unis, et obtient du gou­vernement canadien une amnistie aux habitants de la Rivière-Rouge qui dépose­ront les armes et accepteront de rester loyaux envers la Couronne britannique.

Au cours des années qui suivent, il encourage une société de colonisation et essaie de susciter un courant migratoire catholique et francophone pour maintenir l’équilibre culturel. Dans le but de faire connaître le pays, il avait déjà publié, en 1869, son Esquisse sur le Nord-Ouest de l’Amérique. Il est peu écouté dans la pro­vince de Québec où beaucoup de Canadiens-français émigrent alors vers la Nouvelle Angleterre, plus proche et jouis­sant d’un climat moins froid.

Après 1880, la population protestante et de langue anglaise dépasse beaucoup celle des catholiques. En 1890, le gouver­nement de Thomas Greenway, en dépit de ses promesses, fait adopter deux projets de loi qui restructurent le département de l’éducation et abolissent le système de l’enseignement public catholique et pro­testant. L’évêque et ses amis essaient en vain d’obtenir du gouvernement fédéral la non-reconnaissance du nouveau régime scolaire. Les nouvelles écoles non-confes­sionnelles sont alors en fait la continua­tion des anciennes écoles protestantes et de langue anglaise, désormais obligatoires pour tous. Mgr Taché écrit d’importants articles de journaux contre ces lois, articles qui ébranlent l’opinion publique, mais rien ne change. Il meurt en 1894 sans avoir réussi à réaliser son projet d’un pays formé d’un juste équilibre entre les catholiques et les protestants et entre les deux langues. Jean Hamelin écrit dans le Dictionnaire biographique du Canada: Mgr Taché «a vainement défendu l’idée d’une synthèse politique harmonieuse des deux grandes traditions à l’origine du Canada actuel. Il a été vaincu.»

L’Église de l’Ouest canadien. Mgr Taché se rend compte que son diocèse est beaucoup trop vaste. En 1857, il fait un second voyage en Europe. Il s’arrête à Marseille pour consulter Mgr de Mazenod sur le choix d’un coadjuteur qui résidera à Edmonton dans l’ouest du diocèse. Ils s’entendent pour proposer le père Vital Justin Grandin, nommé par le pape le 11 décembre 1857. En avril-mai 1862, il obtient la création, dans le Nord, du vica­riat apostolique d’Athabaska-Mackenzie, confié à Mgr Henri Faraud, o.m.i. Le 22 septembre 1871, Saint-Boniface est érigé en archidiocèse avec comme suffragant le diocèse de Saint-Albert, créé le même jour, et les vicariats apostoliques d’Athabaska-Mackenzie et de Colombie-Britannique. En juillet 1889, Mgr Taché préside le concile provincial de Saint-Boniface au cours duquel, entre autres, on propose que le vicariat apostolique de Colombie-Britannique soit érigé en dio­cèse et que le diocèse de Saint-Albert soit divisé.

Le diocèse de Saint-Boniface. Après les divisions de 1863 et de 1871, l’évêque entreprend une action méthodique pour évangéliser les Amérindiens de son dio­cèse, en établissant les missions de Saint-Laurent, Fort-Alexandre et Qu’Appelle. Il regroupe les Blancs et les Métis. Le nombre de paroisses, qui est de 15 en 1870, passe à 40 à sa mort. Chacune a une école catholique confiée surtout aux religieuses. En 1898, le diocèse compte 34 prêtres diocésains, 32 pères Oblats et 14 frères, quelques Jésuites et Chanoines Réguliers de l’Immaculée Conception.

Relations avec les Oblats
Mgr Taché restera toujours en bons termes avec les Oblats. Il ne réussit à prendre part qu’à deux Chapitres géné­raux, ceux de 1861 et de 1867, mais entretient une importante correspondance avec les autorités de la Congrégation. On conserve de lui quelques centaines de lettres adressées à une quinzaine d’Oblats, en particulier au père Fabre, supérieur général, au père Sardou, économe général, au père Antoine, provincial de l’Est du Canada et à Mgr Faraud. Il reste vicaire des missions de 1851 à 1887.

Décès
La peine causée par l’insuccès de ses luttes pour la justice scolaire aggrave, après 1890, la maladie qui le minait lente­ment. Il meurt le 22 juin 1894 et est inhu­mé dans la cathédrale de Saint-Boniface.

Yvon Beaudoin, o.m.i.