Vlastimil Kadlec, OMI

« À mesure que grandit entre eux la communion d’esprit et de cœur, les Oblats témoignent aux yeux des hommes que Jésus vit au milieu d’eux et fait leur unité pour les envoyer annoncer son Royaume. » (Constitution 37)

« Très proches des gens avec lesquels ils travaillent, les Oblats demeureront sans cesse attentifs à leurs aspirations et aux valeurs qu’ils portent en eux. » (Constitution 8)

« La voie à suivre pour redonner l’espérance et opérer un renouvellement, c’est la proximité, c’est la culture de la rencontre. » (FT 30)

La proximité. Encore… De nouveau… En lisant un texte du pape François ou en écoutant un de ses discours ou une de ses homélies, il m’arrive souvent d’avoir l’impression de les connaître déjà ; ses paroles produisent en moi une sorte de familiarité : « Cela, je le connais déjà. C’est très oblat ! » Il en est de même de la nouvelle encyclique du pape François, la 3e de son pontificat après Lumen Fidei en 2013 et Laudato Si en 2015, encyclique intitulée Fratelli tutti (Tous frères) et publiée le 4 octobre 2020. Il me semble avoir devant les yeux un texte oblat ou un document capitulaire un peu plus vaste. C’est pour cela que je veux centrer ma réflexion précisément sur ce qui unit, à mon avis, le texte du pape à notre charisme oblat, sur ce qui rend le pape François un peu oblat et fait de nous, membres de la famille oblate, des hommes et des femmes du pape. Je ne veux pas prendre en considération tous les aspects concrets et même innovateurs que ce document pontifical apporte ni présenter la structure de l’encyclique mais plutôt faire une petite réflexion sur ce que l’on peut trouver comme arrière-plan, comme fondement des pensées du pape exprimées dans Fratelli tutti et de même comme arrière-plan et fondement de notre mission oblate. En tant que base de notre vie et de notre mission c’est, d’ailleurs, un aspect commun à tous les missionnaires oblats indépendamment de la diversité des contextes et des cultures où nous vivons et travaillons, des ministères que nous sommes appelés à accomplir.

La proximité. Avec la publication de cette encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale on voit notre charisme « ré-approuvé » et reconfirmé de la part du pape comme un charisme moderne, pas seulement vivant et viable mais même vivifiant. Cette nouvelle lettre du pape confirme la bonne direction de notre mission exprimée dans les documents de nos derniers Chapitres Généraux. Evidemment elle confirme notre mission auprès des pauvres, des plus abandonnés, des derniers, des exclus, des marginalisés, des plus appauvris, des vulnérables, des migrants, des réfugiés, des fragiles, des faibles : catégories que l’on peut trouver toutes dans Fratelli tutti et spécialement dans le 2e chapitre – où le pape présente la parabole du bon Samaritain comme la base évangélique de ses réflexions, le récit par lequel nous devons nous laisser interpeller.  Le pape résume lui-même ses réflexions en un seul mot : les blessés (FT 69).

Mais notre service pour les plus pauvres n’est qu’une conséquence, conséquence de qui nous sommes et de comment nous vivons. C’est le fondement, c’est le cœur de notre être oblat et de notre faire en tant qu’oblats. La nouvelle encyclique du pape François nous fait retourner à nos racines. Et ce fondement, j’ose l’exprimer avec le mot « proximité », une proximité oblate. De fait, nous ne sommes pas proches parce que nous sommes missionnaires mais nous sommes missionnaires parce que nous sommes proches.

Le mot « proximité » et ses formes apparentées se trouvent dans Fratelli tutti plus de 50 fois !  Et de plus, l’encyclique contient beucoup d’autres mots qui expriment le même concept : accueil, hospitalité, fraternité, amitié, écoute…

La proximité, c’est même le mot que l’on a touché et souligné providentiellement pendant notre dernier Interchapitre quand on faisait l’évaluation des trois premières années passées après le Chapitre Général de 2016 et quand on réfléchissait sur les défis auxquels nous devrons faire face à l’avenir.

Le Congrès sur le Charisme oblat, tenu à Rome en 1976, a présenté neuf mots-clés qui expriment notre charisme. Ces mots sont devenus fondamentaux pour la rédaction de nos Constitutions et Règles de 1980 – 1982. Plus de 40 ans ont passé. Nous vivons le même charisme dans des circonstances bien changées, dans un monde qui change vite et dramatiquement. Notre monde est différent, ses urgences et ses besoins sont différents, la pauvreté est différente ; nous missionnaires oblats nous aussi sommes différents, de même que la famille oblate. Le don de l’Esprit Saint que notre Fondateur a obtenu pour l’Eglise et pour le monde et dont nous avons hérité, nous, ses disciples actuels,  ce don est toujours le même mais, en tant que don de l’Esprit Saint, il vise à s’incarner d’une nouvelle façon dans nos conditions contemporaines. Depuis le début du pontificat du pape François, les structures ecclésiales changent et nous découvrons de nouveau l’essence missionnaire de l’Eglise et donc une ouverture radicale que l’on a oubliée de temps en temps dans notre Eglise. La nouvelle encyclique du pape est la dernière expression de ce mouvement.

à la lumière de cette voie, aujourd’hui exprimée d’une manière toute spéciale par le document Fratelli tutti, et prenant en considération la vie oblate des dernières décennies, vie soutenue par notre charisme décrit dans nos Constitutions et Règles, nous pourrions chercher à redéfinir notre fondement charismatique en le résumant avec le mot « proximité ». A mon avis, c’est la proximité, la capacité de se faire proche, qui lie notre charisme et le nouveau document pontifical.

La proximité est un aspect qui a été toujours oblat et ne cesse de l’être, même aujourd’hui. Chaque fois que l’on parle des oblats – où que ce soit – on mentionne notre esprit de famille, notre hospitalité, notre accueil, notre attitude ouverte envers tout le monde. De temps en temps on a tendance à ne pas le prendre au sérieux, on considère, peut-être, cet aspect-clé de notre charisme trop « light », en comparaison des grandes et profondes spiritualités. Mais il ne s’agit pas d’une proximité banale, d’une sympathie pour les autres. Ce n’est pas un simple humanisme. En réalité, il s’agit d’une mystique. C’est le pape François lui-même qui utilise ce mot pour indiquer ce que nous oblats appelons proximité : « Très proches des gens… ». Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium le pape parle de la mystique du vivre-ensemble (EG 87), de la fraternité mystique (EG 92) et de la mystique de nous approcher des autres (EG 272). Les mêmes concepts, le pape les reprend dans sa nouvelle encyclique.

La proximité de Saint Eugène de même que celle du pape François est :

1)  une proximité due au fait d’avoir tous un même Créateur (FT 57-62) : la fraternité universelle qui « vise à inclure tous les hommes uniquement en raison de la condition humaine de chacun, car le Très-Haut, le Père qui est aux cieux, fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (FT 60). Il nous est impossible de ne pas penser ici aux Instructions du carême données par Saint Eugène à la Madeleine : « Vous êtes les enfants de Dieu, les frères de Jésus-Christ (…) vous êtes, en quelque sorte, des dieux ». C’est la base pour pouvoir reconnaître la même valeur et la même dignité de tout être humain (FT 106, 107).

2)  une proximité trinitaire et baptismale : nous sommes tous créés par un Dieu qui existe d’une manière relationnelle, par un Dieu qui est famille de personnes, communion. La vie de Dieu consiste en inclusion de l’autre. Dieu existe parce qu’il inclut l’autre en lui-même. Et nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de ce Dieu-communion, « origine et modèle parfait de toute vie commune » (FT 85). De plus, nous chrétiens, nous avons reçu la participation à cette vie relationnelle de Dieu dans le baptême où, par le don de l’Esprit Saint, nous avons obtenu la participation à la vie filiale, donc à la relation entre le Père et le Fils. Et c’est cette nouvelle vie qui nous pousse à être proches. Le pape François exprime ce fondement trinitaire et christologique de notre proximité dans les paragraphes 85 et 86 et il le résume en disant: « Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité se trouve dans l’Évangile de Jésus-Christ. C’est de là que surgit pour la pensée chrétienne et pour l’action de l’Église le primat donné à la relation, à la rencontre avec le mystère sacré de l’autre, à la communion universelle avec l’humanité tout entière comme vocation de tous » (FT 277).

La proximité entre nous est donc un aspect chrétien et, plus encore, tout simplement humain. Mais nous, en tant qu’oblats, nous avons cette proximité dans notre ADN, nous l’avons reçue en héritage, Eugène de Mazenod nous en a fait cadeau. C’est propre à nous, nous la possédons dans une mesure charismatique, nous en avons une « dose » en plus.

Cette proximité nous la vivons tout d’abord à l’intérieur de nos communautés et ensuite cette vie de communion, cette vie fraternelle devient d’une façon toute nouvelle un moyen d’évangélisation, de notre mission, parce que le monde a un grand besoin de savoir comment être proche, comment être ensemble et il n’y réussit pas. Notre vie oblate de communion (qui ne correspond pas forcément à la vie communautaire où l’on peut se retrouver physiquement proche mais pas frères (FT 12) ; elle peut devenir de cette façon-ci un signe fort et éloquent d’espérance pour le monde actuel qui souffre de la rupture des relations à tous les niveaux de la vie, elle peut devenir un signe de l’amour universel de Dieu pour chacun de nous dont personne n’est exclu. Même le fait que nous, dans nos communautés, vivons avec les personnes complètement diverses (d’origines différentes, de langues et de cultures différentes) fait partie du témoignage que nous rendons, en tant que personnes consacrées au Royaume de Dieu, où tout le monde est appelé à entrer. Ainsi l’expérience décrite par le pape dans le 2e chapitre de l’encyclique, cela veut dire l’attitude de proximité du bon Samaritain, elle peut s’adresser en premier lieu à notre vie communautaire (tout spécialement à nos communautés de formation) où nous sommes invités à faire l’option de base pour nous : « nous faire proches, devenir un prochain pour les autres, franchir toutes les barrières… » (FT 81). Et nous, je le répète, nous savons être proches, nous savons rencontrer un autre, nous savons construire les communautés « où l’on se sent vraiment à la maison, d’où personne n’est exclu » (FT 230), « mettre au centre de toute action (…) la personne humaine, sa très haute dignité et le respect du bien commun » (FT 232), « nous savons penser et agir en termes de communauté » (FT 116), nous savons « constituer un nous“ (FT 17), nous savons voir les invisibles (FT 73). Et tout cela n’est pas dû à notre perfection mais c’est un don reçu en héritage.

C’est cette fraternité et proximité parmi nous qui a un grand impact sur notre ministère parce que la vie de communion est elle-même notre mission, puisque c’est là où l’on peut rencontrer Dieu qui est communion. La vie de Dieu se reflète dans l’amour parmi nous, dans notre vie en commun. Donc c’est la communauté oblate qui peut devenir de cette manière le lieu où la vie de Dieu se manifeste, la vie relationnelle, communionale. Nous, en tant qu’oblats, nous ne renseignons pas les gens sur l’amour de Dieu, nous leur faisons faire l’expérience de cet amour. Je le répète : nous ne sommes pas proches parce que nous sommes missionnaires mais nous sommes missionnaires parce que nous sommes proches.

La nouvelle encyclique Fratelli tutti du pape François nous aide, sans aucun doute, à reconnaître et à identifier mieux les champs de notre mission, les visages concrets des pauvres d’aujourd’hui (chapitre 1) ; elle nous pousse à prendre un engagement plus fort et plus décisif, en tant que famille oblate (et surtout nos laïcs associés) dans le domaine politique, de la protection de l’environnement, de la doctrine sociale de l’Eglise ; elle nous porte à renforcer nos efforts dans notre vie communautaire interculturelle (FT 142-150), dans notre ministère du dialogue interreligieux… mais, à mon avis, elle vise surtout à nous concentrer sur l’essentiel : sur notre vie de communion, afin que la communauté oblate puisse être un lieu « qui nous permet de surmonter les inimitiés et de prendre soin les uns des autres » (FT 57), un lieu où c’est « l’amour qui brise les chaînes qui nous isolent et qui nous séparent, en jetant des ponts ; un amour qui nous permet de construire une grande famille où nous pouvons tous nous sentir chez nous ; un amour qui a saveur de compassion et de dignité » (FT 62), un lieu où vivent les personnes « qui prennent en charge la douleur (…) et celles qui se penchent en reconnaissant l’homme à terre » (FT 70), où « on donne son temps » (FT 63), un lieu qui peut faire partie de « l’Eglise qui sert, qui sort de chez elle, qui sort de ses temples, qui sort de ses sacristies, pour accompagner la vie, soutenir l’espérance, être signe d’unité, pour établir des ponts, abattre les murs, semer la réconciliation » (FT 276), où nous savons « faire le don de la proximité » (FT 63) et de cette façon « proposer à tous les frères et à toutes les sœurs un mode de vie au goût de l’Evangile » (FT 1).