L’homme aux aurores boréales

Portrait du P. Joseph BARIL, OMI
 
 

Le père Joseph Baril est arrivé dans les missions du Nord en 1952. Il témoigne aujourd’hui de la vie heureuse et bien remplie qu’il a vécue auprès des autochtones.

Il y a des personnes qui gardent un éternel air de jeunesse. Et pourtant, elles n’ont pas subi de chirurgie plastique. C’est comme si le temps n’avait pas de prise sur elles malgré le fait qu’elles vieillissent comme tout le monde. Cette jeunesse semble prendre sa source dans un cœur simple et débordant d’amour. Est-ce à dire que l’amour est comme une sorte de fontaine de Jouvence? C’est ce qu’on serait porté à penser en rencontrant le père Joseph Baril, o.m.i.

Le père Baril n’est pas un géant et il porte très bien ses 83 ans. Cet homme est encore alerte et plein d’esprit. Il sillonne encore quatre fois par année le Nord afin de remplacer les missionnaires ou visiter les postes qui n’ont plus de prêtre. En plus de faire tout cela, il vient d’écrire un petit livre qui contient une partie de ses mémoires de missionnaire.

Le désir de vivre la vie missionnaire a pris racine dès l’enfance du jeune Joseph Baril, originaire de Saint-Narcisse-de-Champlain, en Mauricie. C’est après avoir lu le livre Apôtres inconnusracontant la vie des frères oblats dans le Nord que le jeune Joseph, alors âgé de dix ans, a reçu la piqûre des missions auprès des indiens. Il a même dû lutter contre la volonté de sa mère qui désirait qu’il entre au collège des Franciscains, parce que cette dernière faisait partie du tiers ordre de saint François.

Fils d’un père cultivateur, le jeune Joseph Baril se rappelle avoir éprouvé un réel sacrifice lorsqu’il quitta la terre paternelle pour poursuivre ses études au Séminaire de Trois-Rivières. « J’avais grandi sur cette terre et je peux dire que j’aimais la terre et le travail agricole. La ferme a été une belle école. Les travaux manuels ne me fatiguaient pas. J’étais prêt à me lever l’été à quatre heures du matin pour aller faucher. J’ai pu développer, à cette époque, toutes sortes de capacités non étrangères à la vie humaine. Il faut dire qu’un poète sommeillait en moi. Je me laissais charmer par les levers et les couchers de soleil. Les arbres de la forêt semblaient me dicter des messages. D’ailleurs, je me sens toujours à l’aise dans le bois. »

Un jeune missionnaire enthousiaste
C’est à la mission de Central Patricia, chez les Ojibway de la Baie James, que Joseph Baril reçut son baptême de vie missionnaire. C’est par un été, ni chaud ni froid, que le jeune missionnaire est allé travailler à la construction d’une petite église et d’une résidence au lac Saint-Joseph. Les missionnaires de ce temps-là devaient être prêts à effectuer toutes les tâches manuelles liées à l’évangélisation. Joseph se souvient qu’il était infatigable. Il se rappelle les longues distances qu’il parcourait en canot, à pied et en raquettes, en hiver.

Quelques-unes de ces randonnées auraient pu lui coûter la vie. Un jour, Joseph Baril avait promis à un indien d’aller célébrer la messe à son campement situé à dix kilomètres du village. « J’étais prêt à m’y rendre en début d’après-midi. Les frères m’ont convaincu d’attendre que le train de tracteurssoit prêt. Les préparatifs se sont prolongés, de sorte que le trainest parti à 16 heures. Une heure plus tard, je les quittais pour aller rejoindre le camp. Hélas, la noirceur tombait déjà. Je suivais les indications mais cette grande rivière forme un delta à son embouchure. Il est très difficile de s’y retrouver à travers toutes ces îles. Je ne savais plus trop où je me trouvais. Il me fallait faire du thé. J’étais entouré d’aulnes. Ce bois n’est pas bon pour faire du feu. Je savais que les frères avaient bûché pas très loin. J’ai retrouvé l’endroit et j’ai pu faire bouillir de l’eau. Il faisait-35 degrés. Je décidai de retourner au village et j’entrai au presbytère à minuit. Le père Alain m’a accueilli, tout en me disant que le fils de l’indien lui avait dit que sa surprise aurait été grande si j’avais trouvé le campement de son père, parce que lui-même n’arrivait pas toujours à s’y retrouver. Je me souviendrai toujours de ce voyage vers nulle part, dans la nuit étoilée. »

Joseph Baril n’avait pas paniqué. « J’ai été quelquefois intrépide. Je suis optimiste de nature et ce trait de caractère m’a sans doute aidé à plusieurs reprises durant ma vie. » La vie avec les indiens était bonne. « Ils nous acceptaient avec respect. Cela faisait déjà presque cent ans que nous étions auprès d’eux. Ces hommes n’avaient pas les mêmes habitudes que nous. Cela pouvait représenter un choc culturel à surmonter. Je garde cependant d’eux le souvenir d’hommes et de femmes qui vivaient une vie chrétienne très convaincante. Il n’était pas rare de passer plusieurs heures au confessionnal dans un petit village. Ils étaient fidèles à bien distinguer les péchés. Je crois qu’ils avaient reçu une éducation chrétienne marquée par le jansénisme. »

Le froid n’a jamais affecté la vie de Joseph Baril. Il se décrit comme un homme bien ajusté à l’hiver et au froid. Les longues nuits d’hiver dans les contrées nordiques ne lui déplaisaient pas. Il y voyait même un avantage parce que le rythme des activités était moins intense.

Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis cette époque et les relations avec les autochtones ont été modifiées. La question des agressions physiques et sexuelles dans les écoles résidentielles pour les indiens fait aujourd’hui la manchette. Joseph Baril a vécu dans deux de ces écoles et il dit avec fermeté et conviction qu’il n’a jamais été témoin de telles actions de la part de ses confrères. Il raconte qu’il a été littéralement soulevé de sa chaise lorsqu’un jour il a entendu aux nouvelles que ses confrères oblats dans l’Ouest avaient demandé pardon pour les agressions commises envers les Amérindiens. « Nous en avons discuté fortement entre nous lors d’une réunion. D’autres confrères partageaient mon opinion. J’avais le sentiment d’avoir fait partie d’un groupe de mécréants. C’est une question qui est réellement difficile. Je ne sais pas où sont les vraies réponses. Je rencontre encore des indiens et je suis très bien accueilli. Les indiens ont la réputation d’être fidèles lorsque le contact est fait. Ils viennent me voir le 15 août au Cap-de-la-Madeleine. À un moment donné, je crois qu’il faut accepter de faire la paix. »

Un missionnaire nouveau genre
Joseph Baril parcourt maintenant des milliers de kilomètres par année pour remplacer des missionnaires et pour visiter des villages où il n’y a plus de prêtres. « Je suis devenu un missionnaire itinérant, un prêtre qui est pasteur d’une Église sans église. » Chose assez curieuse, le père Baril est défenseur de l’œcuménisme. Il se sert même d’églises anglicanes pour rassembler les catholiques des villages visités. Il n’hésite pas à dire qu’il aime prier avec eux lorsque l’occasion se présente.

Étant maintenant entré dans la dernière étape de sa vie, étape qu’il espère voir se prolonger, le père Baril avoue que plus il avance en âge, plus sa foi se fait humble. « Mes contacts avec des membres de d’autres Églises chrétiennes m’ont fait découvrir que Dieu est pour tout le monde. La foi est un cadeau que l’on est appelé à développer. Les relations que j’ai entretenues avec d’autres croyants ont conforté ma foi. »

Pourquoi Joseph Baril a-t-il donné Mes aurores boréalescomme titre à son livre? « C’était mon secret! Je peux maintenant le révéler. On ne voit pas souvent des aurores boréales. Mais, c’est un spectacle grandiose lorsqu’elles apparaissent dans le ciel nordique. On ne se fatigue pas de les regarder et on voudrait qu’elles soient toujours là. Elles sont devenues pour moi l’image de ma rencontre avec Dieu. Il ne se manifeste pas souvent et lorsque cela survient, souvent à l’improviste, on voudrait que ça dure. J’ai compris que le Dieu que j’aimais était le Dieu de Jésus Christ. Je peux le prier facilement. Je peux aussi l’oublier et retourner vers lui parce qu’il m’attend. Un jour, Dieu m’est apparu comme étant très proche de moi. Et sa présence n’a pas cessé de se manifester. Je l’en remercie. » Sur ces mots, des larmes lui sont montées aux yeux.

Jérôme Martineau
Notre-Dame du Cap, novembre 2004, p. 14-15