1. Sion avant l'arrivée des Oblats
  2. L'arrivée des Oblats à Sion
  3. Un long travail de construction (1853-1903)
  4. De 1903 à 1946: le retour des Oblats et les guerres
  5. Les cinquante dernières années

C’est en 1850 et pour répondre à une situation d’urgence que les Oblats sont arrivés à Sion. Ils y restèrent quelques mois, puis revinrent définitivement en 1853. Cette maison est donc une des plus anciennes de la Congrégation et son histoire est particulièrement riche. Sion est d’abord un sanctuaire marial à l’histoire plus que millénaire, un des plus importants de l’Est de la France. Son développement doit beaucoup aux Oblats et ils en ont toujours la charge. Tour à tour ou simultanément, Sion a aussi été juniorat, noviciat, scolasticat, maison missionnaire, maison provinciale de la province du Nord…

Notre-Dame de Sion (AG).

Notre-Dame de Sion (Bernad).

La colline de Sion-Vaudémont se trouve dans le Nord-Est de la France, en Lorraine, à une trentaine de kilomètres au sud de Nancy. Cette butte calcaire qui culmine à 545 mètres s’étend en demi-cercle sur près de cinq kilomètres. Elle s’élève brusquement de 200 à 240 mètres au-dessus de la plaine qui l’environne de tous côtés. Bien plus, les deux signaux que sont le monument Barrès et la tour de la Vierge attirent immédiatement l’attention. De la colline, on aperçoit à l’œil nu plus de quatre-vingts villages.

À l’extrémité sud-ouest se trouve le village historique de Vaudémont, où s’est dressé pendant cinq ou six siècles le château-fort des comtes, ancêtres des ducs souverains de Lorraine et donc, de par le mariage, en 1736, de l’impératrice Marie-Thérèse avec le duc François, ancêtres de la famille impériale des Habsbourg-Lorraine. À l’extrémité nord-est, à 495 mètres d’altitude, le sanctuaire de Notre-Dame de Sion et quelques maisons forment le village de Sion. Un peu plus bas, on trouve le village de Saxon, niché dans le creux de la colline. Ces deux villages, distants de moins d’un kilomètre, forment la petite commune de Saxon-Sion (80 habitants en 1990).

Historiquement, Sion appartenait au diocèse de Toul, devenu au concordat de 1802 le diocèse de Nancy. Administrativement, c’est le département de Meurthe-et-Moselle. Mais Sion n’est qu’à quelques kilomètres du département des Vosges, qui constitue le diocèse de Saint-Dié. Cette petite région de Lorraine porte le nom de Saintois ou Xaintois, la bourgade de Vézelise est un des centres historiques de la région.

Sion avant l’arrivée des Oblats
À l’époque gallo-romaine, et probablement antérieurement, l’emplacement actuel de Sion était occupé par un sanctuaire païen dédié à la déesse celtique du commerce, Rosmerta, ainsi qu’à Mercure. Plusieurs vestiges en témoignent. Le premier vestige chrétien est une inion funéraire parlant de la résurrection, qu’on date du cinquième siècle. On peut en conclure qu’à cette époque le sanctuaire païen est devenu chrétien.

La première mention écrite de Sion remonte à 955, dans un document de l’évêque de Toul. On la retrouve en 986; l’évêque saint Gérard fait don de l’église à la collégiale Saint-Gengoult de Toul et assure ainsi sa desserte régulière. C’est plus d’un siècle avant les Croisades. La dénomination de Sion n’est donc pas liée à Sion-Jérusalem, mais au pagus seiuntensis, pays du Saintois, ou de Sion, mentionné dès la fin du VIe siècle. L’Ecclesia Seiuntensis est mentionnée dans une bulle de 1106 du pape Pascal II.

Cette petite église profita grandement de la dévotion des comtes de Vaudémont, puis des ducs de Lorraine. Le comte Henri III construisit entre 1320 et 1330 ce qui est le chœur actuel de la basilique. La statue ancienne de Notre-Dame, une Vierge allaitante, est datée aussi du 14e siècle. Dès cette époque, Sion est le sanctuaire national de la Lorraine alors indépendante, attirant aussi la dévotion populaire. Les récits de miracles sont nombreux.

Entre 1626 et 1629, le duc François confie le sanctuaire aux religieux Tiercelins et leur construit un couvent, qu’occuperont plus tard les Oblats. Les documents de l’époque parlent de «l’église de l’Immaculée Vierge». Plusieurs confréries sont érigées. En 1741, Stanislas Leszczynski, l’ancien roi de Pologne devenu duc de Lorraine, pose la première pierre de l’actuelle basilique. L’évêque de Toul la consacre en 1749. En 1766, la Lorraine est rattachée à la France…

Les Tiercelins furent dispersés par la Révolution française et la statue de Notre-Dame fut brisée. Le culte fut rétabli progressivement; un prêtre dessert l’église entre 1797 et 1817. Puis c’est de nouveau le quasi-abandon, à l’exception d’un pèlerinage organisé en 1825 par Mgr Charles de Forbin-Janson, évêque de Nancy, au cours de la grande mission diocésaine.

C’est en lien avec Mgr de Forbin-Janson et son coadjuteur Mgr Menjaud que trois frères prêtres, les frères Baillard, s’intéressèrent à Sion. Ils acquirent le couvent en 1837 et développèrent sur la colline de multiples œuvres. Léopold Baillard relance notamment la petite congrégation enseignante des Frères de la Doctrine chrétienne dont l’évêque l’a nommé supérieur général, Mais le zèle apostolique, réel, des trois frères les conduit à des dépenses folles, ce qui entraîne un grave conflit avec leur évêque. En 1850, les trois frères se lient à un visionnaire apocalyptique normand, entraînant aussi dans leur secte les religieuses qui vivent avec eux, ainsi que des gens du village… Au cours de la messe dominicale du 8 septembre 1850, Léopold annonce en chaire la fondation de l’œuvre de la Miséricorde dont le centre est Sion… Quelques jours plus tard, les trois frères sont suspens, puis interdits par l’Évêque…

L’arrivée des Oblats à Sion
Il nous faut revenir quelque peu en arrière. À l’automne 1847, Mgr de Mazenod envoyait à Nancy le père Toussaint Dassy, comme premier supérieur de la maison qu’il venait d’y fonder, à la fois maison missionnaire et noviciat. Assez rapidement, le père Dassy s’intéresse à Sion, exprimant très nettement sa préférence pour une maison à la campagne (Mgr de Mazenod lui a écrit que nous sommes établis pour les bourgs et les villages) et encore plus pour un sanctuaire de Marie. Au moment de leurs difficultés financières, les Baillard avaient d’ailleurs cherché s’ils pouvaient vendre Sion aux Oblats. Nos archives conservent de nombreux documents et échanges de lettres de cette période. L’enthousiasme du père Dassy semble un moment partagé par sa communauté et surtout par les novices. Mgr de Mazenod donne son accord pour qu’on avance dans ce sens, puis brusquement le père Tempier écrit à Dassy qu’il ne faut plus penser à Sion. Dassy, meurtri, écrit alors une longue lettre de justification, dure pour le père Tempier… On ne connaît pas les raisons profondes du revirement du Fondateur; il semble cependant qu’en plus des évidents problèmes financiers, des membres de la communauté de Nancy aient écrit à Marseille pour mettre les autorités de la Congrégation en garde contre l’enthousiasme excessif de leur supérieur. Dassy écrit dans le Codex historicus de Nancy en date du 17 mars 1849: «Notre Révérendissime Supérieur général tranche aujourd’hui la question de Sion d’une manière contraire à nos projets… Tout est donc conclu… Le bon Dieu ne nous voulait pas à Notre-Dame de Sion: que sa volonté soit faite.»

À l’automne 1850, peu après le scandale donné par les Baillard, Mgr Menjaud, l’évêque de Nancy, qui a été en janvier l’hôte de Mgr de Mazenod à Marseille, a directement recours au père Dassy et aux Oblats pour faire face aux dérives et desservir provisoirement Sion. Le père Dassy accepte avant de pouvoir recourir à Mgr de Mazenod. Le 11 novembre 1850, il accompagne à Sion le jeune père Louis Soullier, ordonné en mai. Il est prévu que le père Soullier et le père Jean-Baptiste Conrard, ordonné en octobre, alterneront à Sion dans des périodes de trois semaines à un mois.

Les conditions de vie et de travail pastoral à Sion furent extrêmement difficiles pour les deux jeunes prêtres qui y sont envoyés à tour de rôle. Ainsi pour se trouver un logement, pour faire face à l’hostilité d’une partie de la population, pour entrer en possession de l’église et de la sacristie… Le Fondateur reprocha au père Dassy son imprudence: Comment choisir de laisser un jeune père isolé et dans de telles circonstances? «Nous n’étions pas dix, nous n’étions pas cinq, nous étions un», aimait à redire plus tard le père Conrard. Mais Mgr de Mazenod fut vite conduit à reconnaître la qualité du travail accompli à Sion. Le père Dassy et l’évêque auraient souhaité que les Oblats puissent poursuivre. Mais les ordres du Fondateur étaient formels. Quand les Oblats se retirèrent en juin 1851, la secte se débandait, la grosse majorité de la paroisse avait été réconciliée avec l’Église. Les pères Soullier et Conrard avaient parfaitement répondu aux espoirs mis en eux.

Les curés des environs sont alors chargés par l’Évêque de poursuivre l’œuvre entreprise… Mais tout le monde se rendait compte qu’il fallait à Sion une présence non seulement occasionnelle mais permanente. On ne sait pas bien dans quelles conditions Mgr de Mazenod accepta le retour des Oblats. «J’ai consenti enfin à établir les nôtres à Sion», écrit-il dans une lettre à Dassy en date du 5 janvier 1853. L’Évêque avait acquis un presbytère et entrepris les démarches pour que Sion devienne paroisse. Le 25 septembre 1853, le père Eugène Dorey, supérieur de Nancy, prenait possession de l’église de Sion et le père Conrard en devenait le premier curé. La paroisse de Saxon-Sion fut officiellement érigée le 1er janvier 1855.

Un long travail de construction (1853-1903)
Les dix premières années de la communauté oblate sont marquées par la fragilité. Sion est une résidence dépendant de la maison de Nancy. À l’exception du père Conrard, il est difficile d’obtenir un personnel stable. Le père Conrard se trouve parfois seul ou voit se succéder l’un après l’autre des compagnons. Leur travail ne se limite pas au sanctuaire ni à la paroisse qui ne retrouve que tardivement la sérénité (Léopold Baillard mourra à Saxon en 1883 réconcilié avec l’Église in articulo mortis grâce à la patiente fidélité du père Jean Cléach ce qui met fin à us trente ans de désordres). Un rapport de 1863 indique que chez le père Conrard, les « fonctions pastorales ne sauraient attiédir l’ardeur du missionnaire». Les Oblats de Sion restent des missionnaires itinérants qui prêchent aussi dans la région.

Notre-Dame de Sion (Bernad).
La visite à Sion de Mgr de Mazenod le 9 juillet 1856 est un réconfort pour les Oblats. Mais les documents conservés laissent entendre qu’à diverses reprises les supérieurs ont voulu retirer les Oblats, ce qui soulevait les protestations de l’évêque de Nancy. La visite canonique du père Florent Vandenberghe, en novembre 1863, celle paternelle du Supérieur général, le père Fabre, le 6 août 1864, suivie de l’érection de Sion en résidence autonome par rapport à Nancy marquent la fin des hésitations. Le père Joseph Zabel devient supérieur dans le courant de 1867, alors que la province pense développer Sion qui compte trois pères et deux frères.

Ce qui frappe le plus pour cette période, c’est la reprise des pèlerinages. Les Lorrains, guidés par leurs curés, reprennent la coutume des pèlerinages paroissiaux qui sont aussi facilités par la construction de la ligne de chemin de fer. Pour la première fois aussi dans l’histoire de Sion, les évêques de Nancy (successivement Mgr Darboy, futur archevêque de Paris, Mgr Lavigerie, futur archevêque d’Alger, cardinal et fondateur des Pères Blancs, Mgr Foulon enfin) s’intéressent à Sion et donnent au pèlerinage sa place dans la pastorale diocésaine. En 1868, l’évêque rachetait le couvent alors abandonné et en faisait don aux Oblats. Ce qui ouvrait de riches perspectives d’avenir.

Un autre événement décisif fut le projet de construction à Sion du monument diocésain commémoratif de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Le père Soullier, devenu supérieur de Nancy en 1855, en fit la proposition, immédiatement soutenue par Mgr Menjaud. Mais les difficultés s’accumulèrent, tant administratives qu’architecturales ou financières. Les travaux traînèrent pendant dix-huit ans… Il faut citer ici tout spécialement le père Donat Michaux, le «véritable restaurateur de toutes choses à Sion», selon le père Zabel. Grâce à son zèle infatigable, des fonds suffisants sont enfin recueillis qui permettent l’agrandissement de l’église et la construction de la tour monumentale que surmonte la statue de la Vierge (au total 53 mètres de haut). Mais la guerre franco-allemande de 1870-1871, suivie de l’occupation allemande et de l’annexion par l’Allemagne d’une partie importante de la Lorraine, bouleverse à nouveau les programmes.

Enfin le 10 septembre 1873, sous la présidence du cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, en présence d’une dizaine d’évêques dont Mgr Grandin et du père Soullier, devenu assistant général, l’ensemble est inauguré solennellement et la statue de Notre-Dame de Sion est couronnée. On parle de 30 000 pèlerins ce jour-là, dont près de 1500 prêtres, et au total de près de 70 000 pèlerins pour les festivités qui durent toute la semaine. Dans le sanctuaire, un petit monument commémoratif confie à Notre-Dame la souffrance de la Lorraine désormais traversée par une frontière: «Ce n’a me po tojo!» Ce n’est pas pour toujours, en patois lorrain. La Lorraine se trouvait réunie ce jour-là autour de Notre-Dame de Sion. Cette fête couronne aussi l’œuvre de reconstruction entreprise depuis vingt ans par les Oblats. Elle restera emblématique du caractère à la fois religieux et patriotique du sanctuaire.

Les trente années qui suivent sont, pour les Oblats, les années majeures de Sion. À l’œuvre du sanctuaire s’ajoutent le juniorat, puis aussi le noviciat des frères. Plusieurs provinciaux du Nord choisissent Sion pour résidence. Parmi eux le père Achille Rey, dont on dira que «dans son cœur, si on l’ouvrait après sa mort, on trouverait l’image de Notre-Dame de Sion». La communauté oblate est en conséquence la plus importante de la province (entre 20 et 30 profès?) et, si l’on compte aussi les junioristes et les postulants, elle rassemble souvent plus de cent personnes. Le soutien financier de la province, du provincial et aussi des vicariats de mission permet à la maison de formation de faire face à ses besoins. «Il y a de quoi se perdre dans les mille détails de diverses œuvres disparates réunies dans la même maison «, écrivait en 1891 dans son rapport de visite le père Cassien Augier, futur Supérieur général. De 1867 à 1899, la communauté ne connaît que trois supérieurs, les pères Zabel, Conrard et surtout Charles Brulé, resté en charge pendant vingt et un ans, de 1878 (prêtre depuis vingt-cinq ans et ancien oratorien, il fait son noviciat à Nancy de 1877 à 1878 et est nommé supérieur de Sion six jours après son oblation) jusqu’à sa nomination comme provincial en 1899. Les frères tiennent une grande place dans la communauté, mais elle est rarement explicitée.

L’idée d’un juniorat à Sion apparaît pour la première fois au Chapitre de 1867. L ‘achat du couvent et l’armistice de 1871 permirent une timide ouverture du juniorat le 13 novembre 1871. Pendant une trentaine d’années, il restera l’œuvre majeure de Sion. La grave crise des lois anti-congrégations de 1880 eut pour conséquence la fermeture du noviciat de Nancy, la brève tentative de juniorat à Schönau, en Suisse, puis les fondations aux Pays-Bas. Sion apporta sa contribution à ces fondations, mais survécut à cette première tempête. Les documents soulignent le caractère familial de la vie au juniorat, mais aussi la compétence du père Brulé comme supérieur. Plusieurs professeurs de Sion poursuivirent leur carrière à l’université d’Ottawa ou reçurent une obédience pour les missions. Les junioristes, dont le nombre peut atteindre 70 ou 80, venaient de toute la France; beaucoup étaient originaires de la Lorraine annexée et aussi de l’Alsace. Il est frappant aussi de relever l’importance que tient dans la vie du juniorat la perspective des missions étrangères (visites des missionnaires, y compris des évêques, pièces de théâtre sur les missions, musée missionnaire, départs missionnaires…). L’étude reste à faire de la part, majeure à notre avis, qu’a tenue le juniorat de Sion dans l’histoire des missions oblates. Bien des missionnaires du Canada, de Ceylan, d’Afrique du Sud, du Basutoland, voire même des fondateurs de ce qui sera la Namibie, y ont été formés.

Le noviciat des frères semble avoir eu une histoire plus difficile. Les documents sont plus rares. Il ne semble pas que la province (la Congrégation?) ait eu à cette époque, pour les frères, un programme réfléchi de formation. Les maîtres des novices, qui sont souvent les économes locaux, se succèdent rapidement; certains ne sont en charge que quelques mois. On compte beaucoup sur les frères profès pour la formation professionnelle des plus jeunes. Fondé en 1874, le noviciat trouvera son équilibre une dizaine d’années plus tard. Mais à lire les notices nécrologiques des frères, ceux des missions comme ceux qui ont travaillé en Europe, par exemple dans les maisons de formation, on s’aperçoit qu’un bon nombre de ces apôtres inconnus, venant principalement de Lorraine et d’Alsace, ont fait leur noviciat à Sion et ont mené par la suite une vie religieuse missionnaire remarquable bien que cachée. Ici aussi l’étude reste à poursuivre.

Le nombre des pèlerins s’est considérablement accru tout au long de cette période. La fréquentation du sanctuaire a été relancée par les fêtes de 1873. Chaque année, en septembre, on les commémore par une neuvaine mariale, à laquelle il n’est pas rare que participe un évêque missionnaire oblat. On compte entre 10 000 et 12 000 pèlerins pour la neuvaine de 1889, près de 15 000 pour celle du 25e anniversaire en 1898… Mais l’année compte aussi d’autres grandes journées de pèlerinage. L’habitude se prend que les enfants de la communion solennelle accompagnés de leurs parents viennent à Sion le lendemain de leur fête pour se consacrer à Marie. Sur l’initiative de l’évêque de Nancy, Sion accueille, le 23 juin 1901, 15 000 hommes du diocèse, pour une journée animée par le père Jean-Baptiste Lemius, alors supérieur de Montmartre. Rappelons que la communauté est toujours accueillante pour les prêtres de la région, même si Sion ne peut que trop rarement fournir des prédicateurs et des missionnaires pour les paroisses.

De cette période date un certain nombre d’aménagements, réalisés souvent par les frères aidés par les junioristes. Mentionnons le Calvaire et sa Croix de Jérusalem, le monument de saint Joseph, les abris pour les pèlerins, le magasin d’objets de piété, le musée qui rappelle la vocation missionnaire des Oblats (les missionnaires anciens de Sion le fournissent en objets exotiques…). À lire les documents, on garde l’impression que malgré sa complexité, grâce aussi aux qualités du supérieur et au soutien de la province, la communauté de Sion réussit assez bien à maintenir l’unité entre ses différentes missions et notamment un lien très fort avec les missions étrangères.

Ce sont les lois anti-congrégations religieuses qui mettront fin à cette riche période de Sion. Le père Jules Falher est alors le supérieur. Devant les menaces, les junioristes ont été envoyés aux Pays-Bas et en Belgique, la communauté a été progressivement réduite. Plusieurs fois la population des alentours vient soutenir les Oblats et s’opposer aux forces de l’ordre. Mais le 13 août 1903, le père Falher et le frère Auguste Jacquet sont expulsés par la force publique et la maison mise sous scellés…

De 1903 à 1946: le retour des Oblats et les guerres
C’est un ex-Oblat originaire du diocèse de Nancy, le père Charles Vigneron, que l’Évêque charge de Sion au lendemain de l’expulsion des Oblats. Le couvent peut être racheté par une Société civile et maintenu au service du sanctuaire; en 1907 et 1908, il abrite le petit séminaire diocésain, chassé de Pont-à-Mousson. Mais tous regrettent les Oblats. Ainsi, en juin 1904, lors de l’ordination épiscopale du Vicaire apostolique du Natal, Mgr Henri Delalle, à Nancy dont il était originaire, tant l’évêque de Nancy que le Supérieur général, le père Cassien Augier, disent leur certitude du retour de jours meilleurs. En 1908, le père Edmond Thiriet est invité à prêcher la neuvaine, premier Oblat à revenir sur la colline. En octobre 1908, le père Marie-Joseph Bazin, un Oblat, devient curé de Sion en tant que prêtre diocésain. En 1910, l’abbé Paul Huriet, Oblat lui aussi, le rejoint. Leur appartenance oblate n’était pas manifestée. Officiellement, ils sont du clergé diocésain dont ils ont fait partie. Mais c’est bien dans le dessein de réintroduire les Oblats à Sion que l’évêque les a choisis pour cette mission. «Ces deux chapelains, zélés, dévoués, travaillant de concert, se complétant l’un l’autre, très sympathiques au clergé et très connus des fidèles, valurent toute une communauté et, sous leur impulsion, le pèlerinage grandit encore», écrit Martin, l’historien de Sion qui les a bien connus. Il semble qu’assez rapidement, ils ont été rejoints par des frères.

À cette époque, les pères Thinet et Huriet prennent l’initiative d’organiser à Sion des retraites fermées, sous la responsabilité des Sœurs du Cénacle. Il faut signaler aussi la parution en 1913 du roman de Maurice Barrès La Colline inspirée, qui contribua puissamment à faire connaître Sion, à travers le récit très romancé de l’aventure des frères Baillard. Le roman s’ouvre par l’inoubliable: «Il est des lieux où souffle l’esprit…»

La guerre de 1914-1918 marque très fortement Sion, comme toute la région. Le front franco-allemand se trouve à une trentaine de kilomètres de la colline, d’où l’on entend le bruit du canon et aperçoit les lueurs des tirs. Le père Huriet est mobilisé, mais reste attentif à rendre, selon ses possibilités, service à Sion où le père Bazin se retrouve souvent seul pour faire face à des besoins multiples. Les pèlerins, souvent les soldats eux-mêmes cantonnés dans la région (on en compta 700 un jour de septembre 1916), viennent se mettre, eux et les leurs, sous la protection de Notre-Dame. Le couvent donne l’hospitalité à des orphelins et à des vieillards évacués de Nancy. Citons Mangenot: «Le pèlerinage de Sion a été pendant la terrible guerre de 1914-1918 un lieu de consolation et de réconfort pour tous ceux qui y ont imploré avec confiance Notre-Dame; il a aussi été un foyer de courage patriotique.»

La victoire entraîne la réunification de la Lorraine et le retour de l’Alsace à la France. 1873 et le couronnement avaient été célébrés dans la douleur de la séparation. Il convenait que Sion fête l’unité retrouvée de la patrie et en rende grâce à Notre-Dame. En 1919, on a pu ôter les crêpes de deuil attachés aux bannières de Strasbourg et de Metz. Mais la grande fête a lieu le 24 juin 1920, avec la participation de six évêques dont celui de Strasbourg, ainsi que de nombreuses personnalités et d’environ 25 000 pèlerins alsaciens et lorrains. L’évêque de Strasbourg salua en Marie la Reine immortelle de la France, la remerciant de ce qu’elle avait fait pour le pays lorrain, tandis que l’évêque de Nancy remerciait le Dieu des années d’avoir donné la victoire.

Ce fut une grande journée d’Union sacrée. Martin ajoute: «Pour la seconde fois, sur la colline du Saintois, battaient le cœur de la grande patrie; Sion était sacré sanctuaire national français…»

Cette fête avait été préparée par là parution quelques mois auparavant d’un ouvrage historico-critique sur Sion et son histoire presque bi-millénaire. L’auteur, Eugène Mangenot, est surtout connu comme co-fondateur du Dictionnaire de théologie catholique. Son ouvrage sur Sion est irremplaçable encore aujourd’hui.

Sous la responsabilité du père Huriet, le rayonnement de Sion s’étend encore. On estime à presque 50 000 les pèlerins venus pour les célébrations de septembre 1923, marquant le cinquantenaire du couronnement. De mars à octobre, les pèlerinages de paroisses, de groupes, de familles se succèdent à Sion. L’usage des automobiles, puis des autocars facilitent considérablement les déplacements. Pour la neuvaine, qui devient bientôt la Quinzaine, ce sont des trains spéciaux qui amènent les pèlerins au pied de la Colline… Sion continue aussi à offrir chaque année un programme de retraites.

Au père Huriet Sion doit l’intérêt pour une pastorale plus spécialisée, préparant ce qui sera l’Action catholique. Vicaire à Nancy au lendemain des expulsions, il avait fortement contribué à la mise sur pied d’une Union catholique du personnel des chemins de fer. Il y conserva des responsabilités régionales puis nationales jusqu’à sa mort. Chaque année, le pèlerinage à Sion de cette Union, avec ses drapeaux et ses bannières, marque la vie du sanctuaire, de même que le pèlerinage de l’Union catholique des métallurgistes. Sion devient aussi le lieu de rassemblement du groupe du Saintois de l’Union catholique de la France rurale; trois ou quatre fois par an, entre cent et deux cents agriculteurs se réunissent à Sion pour entendre une conférence sur les problèmes agricoles, réfléchir sur leur vie à la lumière de l’Évangile, souvent avec l’aide du supérieur, et participer à la messe du pèlerinage. Ces groupes donnent une visibilité à l’Église, à une Église où les laïcs commencent à s’affirmer. Les Congrégations mariales de jeunes filles de la région se retrouvent aussi plusieurs fois à Sion. Le 27 septembre 1925, ce sont plus de 700 jeunes des quatre départements lorrains appartenant à l’ACJF (Association catholique de la Jeunesse française) qui sont réunis en congrès sous la présidence de Robert Schuman, le futur président du conseil.

Une autre initiative du père Huriet est appelée à durer. En 1922, pour préparer les fêtes des cinquante ans, il lance la publication mensuelle d’un bulletin de Notre-Dame de Sion. Le bulletin maintient en lien avec Sion les pèlerins dispersés dans les paroisses et entretient la dévotion à Notre-Dame. Mois par mois, une chronique permet désormais de connaître les activités du pèlerinage. Le bulletin deviendra par la suite trimestriel. La parution de janvier 2000 porte le no 457.

Les informations manquent malheureusement sur la vie de la communauté à cette période. Celle-ci est maintenant reconstituée, mais il lui serait imprudent de s’afficher comme telle. Les documents publics parlent des chapelains de Sion et, pour les frères, des collaborateurs des chapelains, mais jamais des Oblats. Les lois anti-congrégations restent en vigueur…

En 1925, pour des raisons qui restent obscures (on peut penser que, du point de vue du provincial, Sion est trop devenu l’affaire personnelle du père Huriet, d’autant plus que les villageois en ont fait leur maire), le supérieur reçoit une obédience pour Paris et le père Edmond Thiriet est nommé pour lui succéder. Le père Thiriet semble avoir continué à donner beaucoup d’intérêt aux tâches dans lesquelles il était engagé antérieurement, notamment sa revue mensuelle La Bonne Nouvelle. Il souhaitait fonder à Sion un centre de formation pour futurs frères, qui, semble-t-il, n’eut pas grand recrutement. Son décès en 1927, moins de deux ans après son arrivée sur la colline, vient brutalement interrompre son supériorat.

Le père Aimé Schauffler est alors nommé supérieur, il le restera pendant six ans, et directeur du pèlerinage. Il conserve cette dernière charge six autres années sous le supériorat du père Auguste Guiteau. À lire le bulletin et les rares autres sources, on a l’impression que le père Schauffler renoue avec le dynamisme du père Huriet. Il y a les célébrations plus solennelles du pèlerinage et notamment la Quinzaine; il y a aussi la vie ordinaire et l’accueil des groupes, des paroisses ou des personnes; les retraites continuent, elles aussi, avec régularité. La Quinzaine est réorganisée de telle façon que les différents groupes de paroisses: Nancy, Lunéville, Toul, Saint-Nicolas de Port, le Saintois, etc. mais aussi les diocèses de Saint-Dié, de Verdun et de Metz ont chacun leur journée. La fréquentation reste importante et encore plus les dimanches. D’une façon habituelle, les évêques diocésains sont présents chaque année… En 1929, un petit groupe de 80 immigrés polonais est mentionné pour la première fois à Sion. En 1937, ils se retrouveront 150. Le premier pèlerinage de la colonie italienne date de 1935. Plus que ses prédécesseurs, le père Schauffler insiste sur le caractère marial du pèlerinage. On lui doit l’idée des «Colombes de Notre-Dame», qui sont un genre de confrérie pour les enfants. Beaucoup de parents inscrivent leurs enfants parmi les Colombes, à qui on donne un diplôme, puis bientôt un insigne. Le père Schauffler est aussi le fondateur du musée ou plutôt de la galerie mariale, qui présente aux visiteurs un ensemble de statues et d’images de Notre-Dame, provenant de toute la France ou d’autres pays.

Le père Schauffler était membre du Comité français des Congrès marials. Il en organise un à Sion du 29 juin au 2 juillet 1933. Près de 70 000 personnes y sont réunies en quatre journées, dont 40 000 le dimanche pour la messe présidée par le Nonce apostolique, Mgr Maglione. L’évêque de Nancy y annonce que, par Lettres apostoliques du pape Pie XI en date du 25 juin 1933, l’église de Sion reçoit le titre de Basilique mineure.

Vers 1929-1930, la mise en vente des deux hôtels de la colline permet aux Oblats d’en faire l’acquisition, afin d’en rendre la gestion plus conforme au but spirituel du pèlerinage et de les mettre vraiment au service des pèlerins. Cette acquisition se fait en partie sous le couvert d’une famille de Vézelise, amie de l’économe général d’alors, le père Edmond Dubois. La législation française ne permettait guère la transparence pour les propriétés des religieux et nos archives, incomplètes, gardent la trace de malentendus entre les différentes instances, dont le provincial mis parfois devant le fait accompli. Les travaux de réparation se révèlent plus coûteux que prévu… Mais désormais les hôtels accueilleront congrès, retraites, pèlerins… En 1939, les Sœurs de Marie Immaculée, fondées à Marseille par le père Dassy, prendront la gestion de l’hôtellerie.

Il est donc plus facile d’accueillir des groupes à Sion. Parmi ceux qui viennent régulièrement, il faut noter les jeunes agriculteurs lorrains, qui formeront les premières équipes de la JAC, ainsi que les Semeuses de Lorraine, ancêtres de la JACF. Sion accueille aussi pour une journée le Congrès national de l’ACJF en 1929, celui de la Fédération nationale des Etudiants catholiques en 1931, des groups de Scouts, des jeunes de la Ligue patriotique… Sion apporte ainsi sa contribution à l’organisation du laïcat chrétien.

Du point de vue de la communauté, le fait important est la présence à Sion de 1929 à 1937 des scolastiques de philosophie de la province du Nord. Leur nombre oscille entre vingt-cinq et quarante. Il semble que plusieurs scolastiques ont eu à Liège de grosses difficultés de santé (plusieurs même sont décédés de tuberculose). Sion offrait des conditions plus saines de vie. Mais les renseignements sur la vie du scolasticat sont très partiels, mis à part l’aide occasionnelle qu’ils apportent au pèlerinage. De 1937 à 1939, le noviciat de la province du Nord leur succédera, avec comme maître des novices le père Alexandre Audo. Vingt et un novices font leurs premiers vœux en 1939. À la présence des scolastiques est lié le souvenir des visites que leur faisait le maréchal Lyautey, retiré dans un village voisin jusqu’à sa mort en 1934. Il fréquentait assez régulièrement le pèlerinage, participait aux processions… On retient de lui le mot adressé aux jeunes Oblats, ses petits moines comme il les appelait « Sans des gens comme vous, des gens comme moi n’existeraient pas».

La communauté est donc redevenue importante. En 1934, Sion compte dix Pères, dont des professeurs et aussi des missionnaires de missions paroissiales Mgr Cénez, ancien vicaire apostolique du Basutoland, fait désormais aussi partie de la communauté. Il résidera à Sion jusqu’à sa mort en 1944. Les frères profès sont au nombre de neuf. Mentionnons parmi eux le vieux frère Félix Viossat, illustre par son travail au Sacré-Cœur de Montmartre – il avait le charisme d’attirer les dons pour la basilique parisienne – et qui mourra le 7 septembre 1935 à 96 ans.

La déclaration de guerre en septembre 1939, la réquisition de la maison par les autorités militaires et la mobilisation du maître des novices obligent les novices à quitter Sion. Sion n’accueillera plus d’autre institution de formation.

C’est le père Jean Champion qui est nommé supérieur de Sion en 1939. Il le restera jusqu’en 1948, soit toute la période de la guerre, de l’occupation allemande, de la libération et de l’immédiat après-guerre. La communauté partage les soucis et les difficultés de toute la population. La vie du sanctuaire en subit le contrecoup. La Quinzaine de 1939 doit être annulée. Pour celle de 1940, on organise un garage de bicyclettes. Le nombre de participants est évidemment réduit. Le bulletin paraît irrégulièrement, remplacé dans les dernières années par les brèves pages de Sion communique et par l’almanach Ta Montagne. Le temps est celui de la prière; le supérieur présente Sion comme «le champ de bataille suprême de la prière lorraine». On essaie aussi d’organiser pour les hommes des journées de prière, du samedi après-midi au dimanche après-midi avec un temps prolongé d’adoration nocturne…

Comme son prédécesseur, le père Champion insiste sur la dévotion mariale populaire. En avril 1942, la paroisse d’Housséville, au pied de la colline, accueille solennellement la statue de Notre-Dame de Sion pour la clôture de la mission et la reconduit procession­nellement le lendemain. La même année, le père Champion prend l’initiative d’aller chercher à l’abbaye d’Igny, près de Reims, la statue de Notre-Dame de Boulogne qui s’apprête à parcourir les routes du Grand-Retour. Du 22 au 28 juin, elle est reçue dans quatorze paroisses des alentours de Sion. D’avril à juin 1944, c’est «le Christ et Notre-Dame de Sion qui prennent la route et qui, à pied et non sur des chars, portés sur les épaules des hommes et des jeunes gens» passent dans 160 paroisses de la région. Des Oblats de Sion «font entendre la parole de Dieu en toutes cérémonies, dirigent les chants et la récitation des prières. Tandis que l’un est en chaire, l’autre est au confessionnal…» Du 5 au 12 août 1945, la statue de Notre-Dame est reçue à son tour triomphalement dans plusieurs villes de la Lorraine libérée: Metz, Sarrebourg, Phalsbourg…

La fête majeure de Sion dans l’immédiat après-guerre est celle du 8 septembre 1946 qu’on dénomme la Journée de l’Unité française. 80 000 personnes, dit-on, dont le général de Lattre de Tassigny, un ministre, plusieurs évêques se retrouvent à Sion «pour célébrer Notre-Dame et la remercier de la remise de l’Alsace et de la Lorraine à la France». Célébration plus intime celle du 28 juillet 1946, le départ de douze missionnaires, ceux de la première équipe oblate, pour le Cameroun-Tchad. Le supérieur de la mission est le père Yves Plumey, membre de la communauté de Sion comme missionnaire. Il a tenu à ce que la session-retraite préparant le départ et animée par le père Albert Perbal se fasse sous la protection de Notre-Dame de Sion. Les liens de Sion avec les missions étrangères en sont renouvelés.

Les cinquante dernières années
Cet article sur Sion ne peut qu’être succinct pour les cinquante dernières années. Sion reste avant tout et essentiellement le sanctuaire de Notre-Dame, avec son rythme propre, d’une saison à l’autre, d’une année à l’autre. Dans les années 50, la Quinzaine rassemble des foules impressionnantes de pèlerins, plus de 50 000 certaines années. Ces chiffres ont nettement baissé depuis quelques années, pour de multiples raisons; oins de pèlerinages collectifs, plus de pèlerinages personnels ou familiaux. Le calendrier scolaire a été modifié. Les chrétiens de tradition, qui faisaient l’essentiel des pèlerins de la Quinzaine ont vieilli ou même ont quitté notre monde. La dévotion à Notre-Dame a pris d’autres formes…

Déjà en 1970, l’équipe d’animation de Sion, dirigée alors par le père Louis Henry, cherchait à faire le point sur «le pèlerinage dans l’effort missionnaire d’aujourd’hui» et ces réflexions ont été publiées dans Missions. De cette période datent les célébrations pénitentielles qui ouvrent les journées de pèlerinage, spécialement durant la Quinzaine. Elles unissent la célébration collective et les confessions individuelles. Les Oblats cherchent alors aussi la collaboration des laïcs, notamment par l’Association des Amis de Sion.

Les célébrations des dimanches de l’année et celles des fêtes, où les Oblats s’efforcent d’offrir une liturgie soignée, remplissent régulièrement la basilique, qu’il s’agisse de la messe de 11 heures ou de celle de 18 heures. La voiture laisse désormais toute la place aux initiatives personnelles ou familiales. En outre, le thème récurrent, touristes ou pèlerins, mériterait une longue réflexion. Beaucoup de gens passent sur la Colline, entrent dans la basilique, font brûler un cierge, adressent à la Vierge une courte prière, chacun à sa manière…

Des grandes fêtes méritent une mention spéciale. Le 10 juillet 1966, une Journée européenne marque le bicentenaire du rattachement de la Lorraine à la France. Le cardinal Tisserant préside la concélébration, entouré d’une quinzaine d’évêques de divers pays voisins. Pour le centenaire du couronnement de la Vierge, le choix est fait de trois célébrations majeures, chacune autour d’un des thèmes de l’année. Le 15 août, c’est la fête de Marie. Le 7 septembre, on célèbre Marie, Reine de la paix, en inaugurant le monument de la paix, à l’entrée du domaine du sanctuaire. Des délégations d’Allemagne, de Belgique et du Luxembourg ont rejoint les délégations françaises… Le mot réconciliation est au centre de la Journée. Enfin, avec la participation de l’évêque de Nancy, de Mgr Plumey et du Supérieur général, le dimanche 7 octobre est la journée des missions.

Il faut noter aussi l’importance qu’ont prise les pèlerinages spécialisés. Celui des Italiens a duré pendant quelques années, celui des Polonais (3 000 pèlerins en 1951, entre 5 000et 6 000 en 1962) garde son rythme annuel, entretenu par les Oblats de la Vice-Province de France-Benelux. Depuis une vingtaine d’années, les Portugais (ils sont 10 000 en 1981) viennent chaque année se rassembler en pèlerinage à Sion. Il en est de même des gitans. À ces groupes plus typés, il faut ajouter le pèlerinage annuel des anciens prisonniers de guerre, à l’époque de la Quinzaine.

Assez fréquemment, le diocèse de Nancy a choisi Sion pour des rencontres de tout ordre, qu’il s’agisse des pèlerinages d’étudiants organisés à la manière de Chartres (700 étudiants en 1960), des retraites sacerdotales, de journées d’action catholique, des pèlerinages de Foi et Lumière (handicapés mentaux) de la Fraternité des malades, de Vie montante (le mouvement des personnes du troisième âge), des Jubilés des prêtres… Un CPM (Centre de préparation au mariage) a fonctionné à Sion pendant de nombreuses années.

Faut-il aussi mentionner des traits plus anecdotiques? Citons quelques hôtes illustres. On aime rappeler que le 11 juillet 1949, au lendemain du Congrès eucharistique de Nancy, le nonce apostolique, alors Mgr Roncalli, le futur Jean XXIII, vint visiter Sion, accompagné du cardinal Tisserant. Le 19 mai 1980, la salle à manger de l’hôtellerie abrita le banquet organisé par le Président de la République Giscard d’Estaing, qui avait invité autour de lui et de son épouse tous les habitants de Saxon- Sion et de Vaudémont. Une mémorable coupure du courant électrique, provoquée par des paysans protestataires, mit en émoi les services de sécurité et donna l’occasion au frère Marcel Guillaume, le sacristain, d’aller chercher des cierges et d’éclairer ainsi les plus hautes autorités de notre République…

Divers chantiers ont été menés à bien. Trois supérieurs de Sion doivent être particulièrement mentionnés, les pères Louis Devineau, Émile Brief et Michel Berche. La restauration de la basilique a fait l’objet de plusieurs tranches de travaux. Il y eut d’abord la réorganisation du chœur: reconstruction de l’autel majeur en utilisant une ancienne table d’autel en pierre découverte sur les lieux et son déplacement pour permettre de célébrer face au peuple, nettoyage du chœur pour dégager la construction du XIVe siècle, mise en évidence de la statue de Notre-Dame dans une abside dépouillée de ses décorations surannées, puis réfection de la toiture, des peintures et de l’éclairage électrique. Une salle du couvent, proche de la basilique a été aménagée en Chapelle du pardon, qui est utilisée pour des assemblées moins nombreuses, notamment les jours ordinaires. La construction d’une Chapelle des lumières entre la basilique et le couvent apporte une solution digne et pratique aux problèmes que posaient les cierges de dévotion. Ces travaux ont pu être réalisés grâce à l’appui de la commune (la basilique, étant église paroissiale, est considérée comme bâtiment communal), mais aussi grâce aux collectes annuelles auxquelles répondent de nombreux amis de Sion.

Dans les années 30, les Oblats avaient fait le choix de devenir propriétaires des hôtels, afin que leur gestion soit entièrement au service du pèlerinage. Pendant une quinzaine d’années, jusqu’en 1955, les Sœurs de Marie immaculée assurèrent la gestion de l’hôtellerie. Pendant trois ans, les Sœurs de la Providence de Portieux rendirent le même service, puis à partir de 1959, une petite équipe d’Oblates Missionnaires de Marie Immaculée prit le relais. Pour celles-ci, Sion était la première fondation en Europe. Le départ de ces instituts, par manque de personnel, obligea à trouver des solutions toujours marquées par le provisoire. La gestion des hôtels, tout comme celle du magasin d’objets de piété, pour lequel un nouveau bâtiment a été construit, a souvent posé des problèmes délicats.

Il faut ici mentionner les gros efforts accomplis au début des années 50 par le père Marcel Pajot, «contre vents et marées, avec une belle obstination et grâce à des concours gracieux exceptionnels», et par ses successeurs. L’hôtellerie, comme on commence à l’appeler, est entièrement réorganisée avec, au rez-de-chaussée, des salles à manger et, aux étages (en même temps qu’à l’étage supérieur du couvent) l’aménagement de chambres nombreuses. Ainsi en 1967, Sion peut mettre à disposition des hôtes 104 chambres avec au total 207 lits. Ce qui permet désormais de recevoir pour des séjours de courte durée groupes de retraitants ou congrès, ou encore familles ou personnes isolées, dans des conditions d’accueil familial modeste.

Ces aménagements permirent le développement à Sion des retraites et récollections. Ainsi en 1957, Sion a accueilli 1634 personnes pour des retraites de trois jours et 708 personnes pour des récollections de fin de semaine. La retraite de trois jours pour les malades (ils sont 180 en 1956) mérite d’être mentionnée. À partir aussi de 1955, Sion devient un lieu d’accueil pour les retraites de communion solennelle des enfants de toute la région. Plus d’un millier d’adolescents sont accueillis certaines années (1250 en 1975). Ces retraites sont souvent animées par des Oblats de la communauté. Malheureusement, le renforcement de la législation sur la sécurité des bâtiments recevant du public obligea à de nombreux et coûteux aménagements, puis rendit les locaux inaptes à cet accueil.

Pour aider le lien entre les aspects religieux et culturels, une salle a été aménagée dans les anciens ateliers en vue de la présentation d’audiovisuels sur Sion, réalisés principalement par le père Gaston Delaunay. Une autre salle de la ferme est devenue un lieu d’expositions pendant la période d’été, grâce à de nombreuses collaborations.

En 1979, par accord entre Mgr Bemard, évêque de Nancy, mère Marie-Paul de la Trinité, ancienne abbesse des Clarisses de Vandœuvre, et les Oblats, les Clarisses ont fondé le «Rameau de Sion» dans l’ancien presbytère à proximité de la basilique. On y voyait le moyen d’assurer sur la colline une présence de prière dépassant les possibilités de la communauté oblate. Mère Marie-Paul souhaitait aussi faire revivre la tradition des ermitages présente dès les origines chez François et Claire d’Assise. Après une période d’expérimentation, le Rameau obtint du Saint-Siège un statut définitif. Sion, qui reste le centre, est à l’origine de plusieurs fondations, en France, en Hongrie et en Roumanie. Le Rameau, où les Clarisses accueillent chez elles pour la prière, notamment l’office du matin et du soir (elles participent normalement à l’eucharistie du pèlerinage), est rapidement devenu un des éléments majeurs de Sion.

Pendant une vingtaine d’années, de la fin de la guerre jusque vers 1965, la communauté oblate comprenait aussi un groupe (entre quatre et huit) de missionnaires prédicateurs de missions paroissiales et de retraites. On en avait souvent rêvé pour Sion et cela avait été partiellement réalisé dès avant la guerre. Grâce à un nombre assez abondant d’ordinations sacerdotales oblates dans l’après-guerre, ce ministère se développa considérablement. Le bulletin de Sion publie des listes de travaux des pères de la maison. Les missions sont prêchées d’abord dans les environs, puis assez vite les missionnaires participent aux missions générales de ville ou d’agglomération avec leurs collègues des autres maisons missionnaires oblates ou d’autres instituts.

Dès leur arrivée à Sion, les Oblats avaient la charge de la paroisse de Saxon-Sion. En 1953 la paroisse de Vaudémont, à l’autre extrémité de la colline, leur était aussi confiée. Les Oblats furent par la suite appelés à répondre à la forte diminution du nombre de prêtres diocésains en prenant progressivement en charge d’autres paroisses des environs, soit à titre de curés, soit à titre de modérateurs d’une équipe pastorale composée de laïcs. Tout en acceptant de rendre service au diocèse et en étant heureux de trouver un emploi sacerdotal à des Oblats prenant de l’âge, les Oblats y voyaient aussi l’occasion de resserrer la communion ecclésiale avec les prêtres diocésains dont la charge s’alourdissait aussi, la communion aussi entre la Colline et les églises et paroisses de la plaine. Tout récemment, le diocèse de Nancy a procédé au regroupement des petites paroisses. Ainsi la nouvelle paroisse à laquelle Sion appartient a reçu le nom de Notre-Dame en Saintois et regroupe une bonne trentaine d’églises ex-paroissiales.

La communauté oblate a évidemment pris sa part à ces diverses évolutions, en en ayant parfois l’initiative ou en répondant aux demandes du diocèse. Elle a participé aux évolutions de la province oblate, à celles de l’Église en France. Dans les années 50, le visage de la communauté était plutôt traditionnel. Elle comprenait aussi un bon nombre de frères qui assuraient les services, ferme, jardin, ateliers, sacristie, magasin d’objets de piété, services communautaires. Ce visage a bien changé. Malgré la diminution en nombre, malgré le vieillissement, les Lorrains savent qu’à Sion il y a une communauté d’Oblats et que les Oblats assurent fidèlement le service du sanctuaire, Ils restent une des références de la région.

L’orientation des Oblats vers les missions étrangères s’est manifestée en de multiples occasions et de manières très diverses tout au long de ces années. C’est évidemment la présence des missionnaires dans les célébrations et, en premier, lieu celle de Mgr Plumey. En 1982, le père James Cooke, assistant général originaire de Sri Lanka, prêchait la Quinzaine et, en 1996, pour les cinquante ans du départ des Oblats au Cameroun-Tchad, c’était un Camerounais, le père Joseph Djida.

Plusieurs Oblats de la communauté ont eu des obédiences pour les missions étrangères. En 1955, le frère Alexis Guémené recevait une obédience pour le Laos. Il y fut tué le 4 juin 1961, sans qu’on n’ait jamais su si la balle qui l’a atteint l’avait visé ou si c’était seulement un accident. D’autre part, la communauté oblate a souvent eu parmi ses membres, prêtres ou frères, d’anciens missionnaires revenus du Laos, du Cameroun ou du Tchad. Le père Jean Verhaeghe, supérieur de 1991 à 1997, était un ancien du Laos; le père Serge Cuenot, nommé supérieur en 1999, est un ancien du Cameroun et du Tchad.

Sion a accueilli des réunions oblates de toutes sortes: retraites provinciales, congrès ou assemblées de province, réunions européennes. Mentionnons, en 1976, la réunion des Oblats français qui avaient dû quitter le Laos; au cours de cette réunion fut engagée la fondation d’une mission dans l’île de Bornéo, en Indonésie. En 1990, Sion accueillait huit jeunes Oblats du noviciat interprovincial de Velaines pour la célébration de leurs premiers vœux, au cours de la messe dominicale, un dimanche de la Quinzaine. En février 1991, Sion accueillait le Supérieur général et le Conseil général au complet, en session plénière pour deux semaines… Très fréquemment ce lien avec la Congrégation et avec les missions est explicité au cours des célébrations du pèlerinage.

À parcourir les rapports, documents, articles du bulletin, etc., des trente dernières années, l’impression reste que Sion est en pleine recherche, comme toute la société et avec toute l’Église. En même temps, le sanctuaire vit, des pèlerins de toutes sortes le fréquentent, beaucoup disent la place que Sion continue à tenir pour leur santé spirituelle, pour leur foi. L’Esprit souffle toujours sur la Colline. Mais les questions sont nombreuses. Quel sera l’avenir? Comment le dessiner? le préparer? Avec quelles personnes? Avec quelles ressources? La complexité de Sion en fait à la fois la difficulté et la richesse…

Quelques traits majeurs ressortent de cette longue histoire. Notons-en trois. Sans que le mot soit employé, l’inculturation de la foi et de l’Église est frappante. Sion a été le sanctuaire d’une société paysanne jusque dans les années 1950. Sion a vécu les émotions patriotiques du peuple lorrain, aidant à les transformer en prière. Dans la société du début du troisième millénaire, la même tâche semble s’imposer. Mais comment l’accomplir?

Sion a toujours vécu fortement du lien avec l’Église locale, évêques, prêtres, religieuses, laïcat, du diocèse de Nancy, mais aussi des diocèses de Saint-Dié et de Metz.

La forte personnalité de quelques supérieurs a marqué et peut-être construit Sion. Mais l’œuvre a été réalisée par une communauté. D’abord celle des Tiercelins, puis celle des Oblats. On ne peut oublier les nombreux apôtres inconnus, prêtres et frères, du culte de Notre-Dame et du service de l’Évangile, sur la colline et aux alentours.

Les récentes démarches engagées avec le diocèse de Nancy et avec le conseil général du département de Meurthe-et-Moselle sont fidèles à ces perspectives.

Michel Courvoisier, o.m.i.