1. Fondation (1854-1856)
  2. Le «trio de Roma »: père Clos, frère Charret et compagnons (1867-1907)
  3. Le père Régent et ses compagnons (1907-1938)
  4. La mission permanente du district depuis 1938
  5. Nouvelles et vieilles méthodes

Fondation (1854-1856)
Quand Mgr de Mazenod a envoyé de nouveau les Oblats à Brownsville en 1852, Mgr Jean-Marie Odin pensait surtout à la population mexicaine qui vivait dans les «ranches» et les villages situés le long du Rio Grande entre Brownsville et Laredo, sur une distance de 200 miles en ligne droite, mais plus du double si l’on suit les méandres de la route le long de la rivière. En attendant d’avoir plus de missionnaires, Mgr Odin demanda au père Jean-Marie Gaye, l’Oblat qui parlait le mieux l’espagnol, de visiter les «ranches» et les villages en amont de Brownsville, même si possible jusqu’à Laredo. Avec l’arrivée de deux autres Oblats venant de Galveston, en mars 1853, le père Gaye fut capable d’aller à Laredo à la demande de l’évêque et d’y passer un mois pour prêcher une mission et aider un prêtre français à peine arrivé comme pasteur de cette ville très mexicaine. À son retour vers Brownsville, le père prit deux mois pour voyager lente­ment et administrer les sacrements aux fidèles des petits villages et villes, y com­pris Roma et «Rio Grande City» dans le comté de Starr. Il a ainsi inauguré ce qui a ensuite été connu au sud Texas comme la «piste oblate ». Au cours de ces visites, les Oblats de Brownsville furent d’accord pour y inclure le comté de Starr dans leur premier territoire missionnaire.

Le père Gaye fit en janvier 1854 une autre longue visite depuis Brownsville jusque dans le comté de Starr. Au mois de mai, sans doute parce que la maison de Brownsville avait reçu un autre Oblat, le père Gaye fixa sa résidence à Roma, une fondation qui n’a peut-être pas été approuvée formellement par les supérieurs de France. Le ville de Roma fut choisie puisque c’était un terminus de bateau et donc de commerce avec le Mexique et également située plus au centre le long de la rivière. Il y resta seul jusqu’à l’arrivée du père Pierre Kéralum en mai. Celui-ci y fut envoyé pour cons­truire une église et permettre au père Gaye de visiter les «ranches» et les villages pendant que l’autre demeurerait à la mission.

Au début de 1855, un Oblat de Brownsville mourut pendant une épidémie et des demandes de pères arrivaient en outre du Mexique. Le père Verdet décida alors d’aller personnel­lement en France pour demander d’autres missionnaires. Le père Gaye retourna alors à Brownsville, sans doute pour ren­forcer la communauté fort réduite, et laissa le père Kéralum seul à Roma. Le conseil général imposa une autre solu­tion: plutôt que d’envoyer d’autres pères, on quittera la maison de Roma dès que Mgr Odin y trouvera un remplaçant. Comme Roma se trouve à 100 miles de Brownsville en ligne droite, et beaucoup plus en remontant la rivière par bateau ou par la route, le conseil comprit que cette distance rendait impossible la vie de com­munauté. Puis, en quittant Roma, on pourra mieux répondre aux besoins de Brownsville et de Galveston. À son retour en juillet, le père Verdet fit connaître cette décision à Mgr Odin qui répondit ne pas pouvoir trouver un remplaçant avant le printemps suivant. Le père Kéralum fut rappelé à Bronwsville en octobre, rempla­cé par le père de Lustrac. Lorsque ce père fut nommé à Galveston à la fin de janvier 1856, le père Kéralum retourna à Roma jusqu’à l’arrivée d’un prêtre diocésain en juin.

Le «trio de Roma »: père Clos, frère Charret et compagnons (1867-1907)
Lorsque les Oblats furent chassés du Mexique, une décennie après, leurs regards se tournèrent naturellement vers le district de Roma. Il y avait là un minis­tère auquel ils étaient habitués et que plusieurs d’entre eux connaissaient. Ce district était maintenant plus vaste. Il comprenait les comtés de Starr et de Zavata. Il s’étendait tout le long du Rio Grande jusqu’au vieux village de San Ignacio, sous Laredo. L’évêque du Texas fut très heureux d’offrir aux Oblats la mission de Roma et l’administration générale approuva «très volontiers» à cause du surplus d’Oblats à Brownsville et de la continuité du territoire. À cause de cette continuité, les Oblats de Browns­ville et de Roma décidèrent de faire de La Lomita «el topadero» ou point de ren­contre entre le territoire des deux missions plutôt que la ligne de démarcation entre l’est et l’ouest comme par le passé. La Lomita était un «ranche» avec une petite chapelle et une résidence dans un vaste terrain légué à la congrégation en 1861. Comme ce site était plus près de Roma que de Brownsville et appartenait aux Oblats, même si, se trouvant dans le comté de Hidalgo, il faisait partie de la mission de Brownsville, cette partie du comté fit aussi partie du district élargi de Roma.

En mars 1867, les pères «José Maria» Clos, Jean-Marie Jaffrès et le frère «Pedrito» Charret s’établirent à Roma. Le père Clos était déjà mission­naire saisonnier le long des frontières mexicaines. Il était arrivé en 1861 et avait travaillé au Mexique. Le père Clos et le frère Charret restèrent à Roma pendant quarante ans. Le père Jaffrès les accompa­gna pendant les premières treize années. Plus tard, le père Clos disait du père Jaffrès: «J’avais un aide sur qui je pouvais compter; pendant les années qu’il resta avec moi il ne recula devant aucune difficulté; son cœur de Breton ne connais­sait qu’une chose: conquérir des âmes.» En commençant la visite de leur vaste district, les deux pères constatèrent bientôt que c’était trop pour deux missionnaires. Ils écrivirent directement en France pour demander du secours. À la fin de l’année, deux pères arrivèrent au Texas, destinés à Roma. Un fut cependant placé à Brownsville en septembre 1869 et l’autre ne fut pas très utile. À cause de cela, le père Joseph Rieux, assistant de la plus petite mission du district de Aguale­guas, à 40 miles de Roma dans l’état Mexicain de Nuevo Leòn, vint aider chaque année pour des périodes allant jusqu’à huit mois.

En juillet 1880, le père Jaffrès et le troisième prêtre à Roma ont transféré leur résidence à Rio Grande City pour inaugurer là le nouveau centre missionnaire qui comprenait ce qui avait fait partie de la moitié Est de la mission de Roma. À Roma, le père “Julio” Piat, récemment ordonné en France, en 1879, est devenu l’assistant du père Clos en 1881. Il restera là 27 ans. Les pères Clos, Piat et le frère Charret devinrent connus comme «l’heureux trio de Roma ». Le ministère oblat au Texas changeait, mais laissa après 1883 le district de Roma comme l’essence et l’expression mythique du ministère de la «cavalerie du Christ ». Ce titre fut donné aux missionnaires qui voyageaient à cheval, par le directeur de la Catholic Extension Society» en 1911, lorsqu’il prit la fameuse photographie sur laquelle apparaît le père Piat, un des derniers survivants de la première généra­tion d’Oblats.

Pendant au moins une décennie, la continuation du ministère des Oblats le long du Rio Grande a été sérieusement mise en question par l’administration générale, d’où la stagnation matérielle de son développement. En 1883, on annonça aux pères qu’ils demeureraient et pouv­aient agir en conséquence. En 1885, la mission du district de Roma comptait environ 6500 personnes, surtout des catholiques mexicains. Les trois princi­paux villages de Roma, San Ignacio et Randado comprenaient chacun environ 600 personnes. Ces trois villages for­maient plus ou moins les trois coins du territoire de la mission qui avait la forme d’un étroit triangle renversé, avec Roma à la base et les deux autres situés à environ 55 miles au nord-ouest et au nord de Roma. Le ministère s’étendait à tous les «ranches» le long des trois côtés du triangle. La seule chapelle hors de Roma était San Ignacio, étant donné la pauvreté du pays et des visites peu fréquentes des pères. La plupart des familles évitèrent l’école gratuite anglaise de Roma et préférèrent payer ce qu’ils pouvaient pour avoir des professeurs de langue espagnole dans des écoles privées.

En 1887, les Oblats ont construit un couvent pour les Sœurs de la Charité du Verbe Incarné qui enseignèrent à l’école publique, mais les Sœurs durent quitter en 1897 parce qu’elles tenaient à garder leur habit religieux à l’école. Vers 1900, les Oblats eurent des chapelles à Randado et dans trois autres «ranches» en plus de San Ignacio. Après le décès du père Clos et du frère Charret en 1907, le district de Roma comprenait toujours la moitié ouest du comté de Starr et tout le comté de Zapata, avec au moins 80 «ranches» à visiter. Une chapelle avait alors été construite à Salineño. Tous étaient Mexi­cains, sauf quelques familles, étaient catholiques et parlaient espagnol. Les Oblats étaient heureux de constater qu’il n’y avait que des mariages religieux.

Le père Régent et ses compagnons (1907-1938)
Après le décès du père Clos, le père Piat fut pour peu de temps curé de Roma, mais une génération de jeunes pères prit bientôt la relève. En 1904 le père Régent fut envoyé à Roma pour aider les vieux pères Clos et Piat; leur exemple et son expérience l’ont conduit à déclarer «j’aime les missions, la vie des «ranches ». En 1908, le père Piat partit et le père Régent devint curé. Avec lui, Roma et ses missions eurent de nouveau un pasteur qui demeura longtemps et qui s’identifia à la mission pendant des décennies. Souvent, par manque de personnel, il resta seul pour tout le district. Les provinciaux et les assistants généraux dans leurs visites louent le père et ses rares compagnons parce qu’ils gardent «intacte la haute réputation que Roma s’est acquise comme étant le théâtre incessant du zèle le plus intrépide de la part de tant des nôtres depuis 60 ans. »

Une des premières choses faites par le père Régent fut de souhaiter le retour des Sœurs de la Charité de Verbe Incarné en 1910. Les Sœurs de la Miséricorde les remplacèrent bientôt. Quand en 1913-1914 la révolution mexicaine fit fuir les gens et des prêtres, la population du district augmenta, mais le clergé mexicain aida temporairement dans l’activité pasto­rale. Le père Régent fit remarquer que les marchands continuent leurs habitudes invétérées du commerce de contrebande le long de la frontière internationale, cette fois avec la collaboration des carrancistas révolutionnaires. Au cours de cette pé­riode un prêtre, encore à cheval, visitait la chapelle la plus éloignée de San Ignacio une fois par mois, il y passait une semaine pour faire le catéchisme et prêcher.

En 1926, on construisit une autre chapelle à Falcòn, le long de la rivière de l’autre côté du comté de Zapato. Vers 1928, les conditions socio-économiques avaient réduit de moitié les «ranches» et les petites villes de la mission de Roma. Ils n’étaient plus que 40 ou 50, mais s’étendaient encore sur tout le territoire. Quand il pleuvait, il n’était pas possible de voyager en auto sur les mauvaises routes. À cause des mauvaises routes, le missionnaire visitait Randado un fois par mois, Zapata et San Ignacio deux fois par mois. Avec l’arrivée des autos, le prêtre ne s’arrêtait dans les «ranches» que pour célébrer les mariages. Les Sœurs n’enseignaient plus seulement dans les écoles publiques de Roma, mais aussi à Los Saenz à la demande des autorités. En 1938, le père Régent, à contre-cœur, quitta Roma. À son départ, tout le district était pratiquement catholique, sans église protestante.

La mission permanente du district depuis 1938
Les limites du district de Roma ne changèrent pas entre 1880 et 1940; cela explique la pauvreté relative et le peu de développement socio-économique. En 1940, le petit village de Randado à l’ex­trême nord de la route des missionnaires passa à un autre district, laissant sur cette route isolée seulement le ranch de El Sauz et de Guerra ou Colorado. Au même moment, on forma une première paroisse entre Roma et Laredo, comprenant un territoire beaucoup plus vaste du comté de Zapata, à l’exception des chapelles de Lopeño et de Falcon, près du comté de Starr. Les deux prêtres de Roma demeurèrent responsables des vieilles chapelles de Los Saenz, Saliñeno, Falcòn et Lopeño. Au cours des années suivantes ils construisirent une chapelle à Escobares (1945) entre Roma et Rio Grande City et déplacèrent les chapelles de Lopeño et Falcòn (1954-1955) à cause de la cons­truction du réservoir de Falcòn. Le père Paul Lewis, curé de 1938 à 1946, fonda les Catéchistes de Saint Jean Bosco, congrégation religieuse diocésaine, pour enseigner le catéchisme et s’occuper de services sociaux. Ils aidèrent à étendre le ministère dans les villages dispersés. Grâce au travail des pères et de leurs collaborateurs, en 1955 toute la commu­nauté de Roma, Los Saenz et des villages en aval étaient presque entièrement composés de Mexicains catholiques. Plus tard la mission n’eut plus ses religieux catéchistes et des ministres protestants commencèrent leurs visites. Il y eut même pour la première fois des chapelles protestantes. À Lopéño les protestants furent très actifs. Le vieux missionnaire Carmelo Gagliardoni réagit en appelant du Mexique des Sœurs catéchistes qui pendant deux mois firent un important travail de porte à porte. Il fit aussi cons­truire une chapelle à Falcòn Heights et acheta une vieille école publique à La Rosita et Frontòn pour en faire des centres religieux. Au cours de ces années, beaucoup de personnes étaient devenues des travailleurs agricoles migrants qui allaient travailler plus au nord au cours des mois d’été. À leur retour pendant l’hiver, on célébrait une messe deux fois par mois dans des communautés éloi­gnées, mais aussi les dimanches dans les cinq chapelles, et en semaine dans les six autres stations. Ces messes en semaine étaient une autre innovation du père Gagliardoni. Il veilla aussi à ce qu’il y ait une classe de catéchisme chaque semaine à tous les endroits.

Les efforts du père Gagliardoni pour renforcer la spiritualité des gens furent habilement augmentés par le jeune père Hendrick Laenen à qui fut confié le ministère dans les chapelles et les stations éloignées. Il réussit à valider beaucoup de mariages contractés seulement devant les autorités civiles. Il s’efforça aussi de faire participer davantage les gens aux offices dans les communautés plus nom­breuses. Il célébra la messe chaque dimanche à Los Saenz. Ce père arrivait de la rude mission de Tehuantepec au Mexique et trouva que «Roma était une vraie mission: beaucoup à faire, sans savoir comment le faire; quantité d’incommo­dités, beaucoup d’ignorance et peu de coopération et de résultats, en un mot encore un vrai travail missionnaire. »

Nouvelles et vieilles méthodes
En 1960 le père Maurice Buckley, le nouveau curé, continua la rénovation spirituelle avec quelques nouvelles méthodes. Il introduisit le mouvement «cursillo» avec l’aide du père Gus Petru, donna pendant l’été des cours sur la vocation religieuse et l’enseignement du catéchisme avec l’aide des Sœurs missionnaires de Notre-Dame de la Victoire, il commença des clubs d’étude et obtint de l’école publique des temps libres pour des classes de catéchisme et de bible que lui-même et ses collaborateurs firent à l’école secondaire.

Lorsque le diocèse de Brownsville fut détaché de celui de Corpus Christi en 1965, les deux chapelles de Lopeña et de Falcòn dans le comté de Zapata et la station éloignée de Guerra dans le comté de Jim Hogg, toutes hors des limites du diocèse de Brownsville, furent enlevées de la juridiction de Roma. Deux années après, suite à l’augmentation de la popu­lation entre Roma et Rio Grande City, Escobares et La Rosita formèrent une paroisse indépendante qui comprenait El Sauz au nord. Ces modifications ont enlevé au district de Roma toutes les stations éloignées, lui laissant seulement les stations et les chapelles près de l’auto-route au tiers-ouest du comté de Starr.

Étant donné le récit qu’on vient de faire, il n’est pas étonnant que parmi les Oblats, depuis le début, Roma et ses missions aient laissé une réputation un peu mythique et d’un monde à part et différent. Cela semble avoir été le charisme spécial des Oblats choisis qui sont tombés en amour avec ce ministère et les gens de cette «mission unique» d’une paroisse qui a maintenu ses caractéris­tiques et ses défis pendant un siècle et demi, même si les gens et les Oblats ont réussi à obtenir d’importants change­ments. Dans les années 1980 et début 1990, le père Roy Snipes a apporté un fort souci de célébration de cet héritage des «ranches» sur la frontière du Mexique et un élan de jeune cow-boy qui a contribué à redonner de la vigueur à la vie de communauté. Il a rencontré la dernière version du comté de Starr, où règne toujours la pauvreté, le commerce fron­talier, la culture de la contrebande, «un environnement de pauvreté et d’impuis­sance, parmi des gens honnêtes, engouf­frés dans une culture d’absence de lois, de corruption publique et de trafic de drogues.» Le père Snipes affronta ouvertement la culture insidieuse de la drogue et promut une alternative parmi la jeunesse à travers un fort engagement ecclésial, comme les servants de messe adultes, les drames liturgiques, le scou­tisme, des projets de services communau­taires, tout en encourageant la surprenante forte tradition de Roma d’envoyer sa jeunesse dans les universités. Roma, avec ses chapelles communautaires de Los Saenz, Frontòn, Saliñeno et Falcòn Heights, dans un des plus pauvres comtés des États-Unis, demeure «un véritable champ missionnaire ».

Robert E Wright, o.m.i