«C’est ce prêtre don Bartolo, écrit Mgr de Mazenod dans ses Mémoires, mort ensuite en odeur de sainteté, qui m’a instruit dans la religion et inspiré les sentiments de piété qui ont préservé ma jeunesse des écarts sur lesquels tant d’autres ont eu à gémir, faute d’avoir rencontré les mêmes secours» (Écrits oblats I, t. 16, p. 38). Et Mgr Jeancard témoigne que le Fondateur des Oblats parlait souvent de don Bartolo en soulignant que c’est grâce à ce saint prêtre qu’il avait acquis des principes solides en ce genre.

Bartolo Zinelli naquit le 12 avril 1766 à Venise, dans une famille aisée et pieuse; deux fils seront ordonnés prêtres. Le jeune Bartolo s’adonna avec ferveur à la piété et aux études. Ordonné prêtre, il s’employa au ministère de la prédication et à l’enseignement du catéchisme aux enfants. De caractère affable et très sensible, il s’était acquis la confiance même du patriarche de Venise qui le consultait dans les affaires difficiles. Quatre mois après le départ d’Eugène de Mazenod pour Naples, il entra le 5 mars 1798 dans la Société des Pères de la Foi, prélude à la restauration des Jésuites.

Il fit sa profession religieuse le 21 juin 1799 à Hagenbrunn, en Autriche. De là, il fut appelé par le supérieur général Nicolas Paccanari à Vienne pour l’aider dans la prédication d’une mission dans l’église italienne. Revenu en Italie, il se consacra entièrement à la prédication des missions et des retraites. Il commença par Notre-Dame de Lorette. Et, pendant un an et demi, il parcourut le pays en prêchant et en confessant avec un grand succès. Mais il présuma de ses forces. Tombé malade, il dut se retirer dans le couvent de Saint-Sylvestre au Quirinal à Rome. Sa maladie fut longue et douloureuse. Muni des sacrements des malades, il s’endormit calmement dans le Seigneur le 3 juillet 1803, à l’âge de 37 ans. Il fut enseveli dans l’église du même nom, sous l’autel du Saint-Sacrement (Archives générales S.J., Paccanaristae 8, Societas Fidei, Catalogi 1797-1805; no 538, Ruolo dei Morti). Lors de travaux d’aménagement, son tombeau fut déplacé; aujourd’hui on n’en trouve plus de trace.

Véritable homme de Dieu, très attaché à la Société, d’une humilité profonde, d’une charité ardente, il se distingua surtout par son zèle. Bien qu’il fût parfois travaillé par des scrupules, ceux-ci ne réussirent pas à rétrécir son champ de conscience au confessionnal et dans la direction des âmes. En somme, conclut le nécrologe de la Société, homme de Dieu et vrai fils de la Compagnie, il n’avait d’autre pensée que la gloire de Dieu et le salut des âmes.

«La cause de sa béatification aurait été commencée depuis longtemps, écrit le père de Mazenod au père Courtès, le 6 décembre 1825, si la Société dont il était membre n’avait été dissoute, à cause de l’inconduite de son chef, ce fameux Paccanari, qui a si mal fini après avoir bien commencé […] Dieu n’a pas voulu apparemment glorifier son serviteur ici-bas. S’il eût été tout à fait Jésuite, ces bons pères se seraient donné un peu plus de mouvement» (Écrits oblats I, t. 6, p. 216).

Le frère de don Bartolo, don Pietro, qui n’était alors que diacre, tenait aussi compagnie au jeune Eugène à Venise. Né le 18 mars 1772, il suivit son aîné dans la Société des Pères de la Foi. Plus tard, il devint secrétaire du Père général et mourut à Padoue le 11 juin 1806, à l’âge de 34 ans.

La première rencontre d’Eugène avec don Bartolo fut organisée par don Milesi, curé de la paroisse de Saint-Sylvestre, où Eugène venait pour servir la messe à son grand-oncle Charles-André de Mazenod. Un jour que Eugène s’amusait à la fenêtre de sa maison, parut de l’autre côté don Bartolo et lui dit: Ne craignez-vous pas de perdre votre temps? Hélas, répondit Eugène, c’est bien à regret, mais que puis-je faire? Je suis un étranger, sans livres à ma disposition. Eh bien !, répliqua don Bartolo, je me trouve précisément dans la bibliothèque, où se trouvent beaucoup de livres latins, italiens et français. Cela disant, il détache la barre qui tenait les volets de la fenêtre, y place un livre dessus et le fait passer à travers une étroite rue d’environ 1,50 m.

Après avoir lu le livre, Eugène, sur le conseil de son père, se rendit chez don Bartolo pour le remercier de son bon geste. «Eh bien !, conclut celui-ci, tu vois cette belle bibliothèque, tous ces livres sont aussi à ta disposition.» Don Bartolo montra ensuite à Eugène son cabinet de travail où il étudiait avec son frère don Pietro et lui dit: Tu peux prendre ici la place de mon frère cadet qui est mort. Eugène ne se possédait pas de joie. Eh bien! tu peux commencer dès demain (Écrits oblats I, t. 16, p. 39-40).

Depuis ce jour jusqu’à son départ pour Naples en novembre 1797, Eugène se rendit régulièrement chez la famille Zinelli pour y étudier et pour y prier. Il trouva chez donna Camilla et ses fils des exemples de travail, de piété, de charité et une affection chaleureuse qui lui firent beaucoup de bien. Mais il fut surtout conquis par don Bartolo, par sa grandeur d’âme et son savoir-faire. Celui-ci devint pour Eugène un ami, un grand frère expérimenté, délicat et prudent. À cet âge difficile du passage de l’enfance à l’adolescence, Eugène eut le bonheur de trouver en don Bartolo un guide qui console, qui soutient et qui fait monter dans la voie difficile de la perfection chrétienne.

Don Bartolo traça à son disciple un règlement assez strict. Y entraient: prière du matin pendant quinze minutes, participation à la sainte messe, récitation de l’office de la sainte Vierge ou du chapelet, lecture spirituelle. Après la sainte messe, Eugène se rendait chez les Zinelli et y étudiait jusqu’à midi. Après, il rentrait pour le dîner chez les Mazenod. L’après-midi était réservé à la promenade. Don Bartolo et Eugène visitaient surtout les églises, où ils s’arrêtaient quelques minutes pour prier. En rentrant, Eugène continuait à étudier jusqu’au souper, qu’il prenait chez les Zinelli. On récitait ensuite en commun le chapelet et la prière du soir. Ce n’est que vers onze heures du soir qu’Eugène regagnait sa famille, toujours accompagné par le domestique des Zinelli.

Eugène se confessait tous les samedis chez don Zauli, ancien Jésuite. Il communiait tous les dimanches, la communion quotidienne n’étant pas alors admise. Vivant avec ce prêtre, Eugène voulut naturellement le suivre dans sa sainte vocation. À l’objection de son grand-oncle Charles-André que, de ce fait, la famille des Mazenod s’éteindrait, il répliqua: «Ne serait-ce pas un grand honneur pour notre famille de finir par un prêtre!» Plus tard, dans une lettre au père Tamburini, datée du 2 octobre 1855, il ajoute que c’était une vocation missionnaire: «Je n’avais que douze ans quand Dieu fit naître dans mon cœur les premiers et très efficaces désirs de me vouer aux missions pour travailler à la conversion des âmes» (Écrits oblats I, t. 11, p. 285). Et dans ses mémoires, Mgr de Mazenod affirme que s’il était resté à Venise plus longtemps, il aurait suivi son saint directeur dans la Société des Pères de la Foi (voir Écrits oblats I, t. 16, p. 41-42).

Malheureusement, cette vocation en herbe n’a pas su résister à la crise de jeunesse. Elle commença à s’estomper à Naples et disparût dans les années 1800-1805 pour faire place aux ambitions de gloire terrestre. Don Bartolo essaya par ses lettres d’enrayer la crise en faisant rappeler à Eugène «ses sentiments» de Venise et en lui suggérant de le suivre dans la Société de la Foi. Mais en vain! Eugène dans sa dernière lettre à don Bartolo, datée du 4 novembre 1801, répond fraîchement à son ancien maître: «Je ne suis plus enfant, je suis devenu homme!» Et il passe sous silence la suggestion de suivre don Bartolo dans sa vocation sacerdotale et religieuse (voir Rey I, p. 44).

Plus tard, dans les années 1805-1807, cette vocation en herbe, endormie dans le subconscient, poussée par la grâce de Dieu, se réveillera et se transformera en une vocation adulte de prêtre-missionnaire des pauvres. Eugène l’affirme dans sa correspondance avec sa mère. Citons par exemple la lettre du 28 février 1809: «C’est à présent le cas d’appliquer ce que je disais à l’âge de 14 ans, et que vous me rappelâtes un jour: quelle est la famille, royale même, qui ne serait pas très honorée de finir en la personne d’un prêtre!» (Écrits oblats I, t. 14, p. 119).

Le plus grand mérite de don Bartolo Zinelli a été de former l’âme d’Eugène, de semer dans son cœur le désir du sacerdoce, et par suite de donner à l’Église un fondateur de congrégation religieuse, un évêque et, finalement, un saint canonisé.

Jósef Pielorz, o.m.i.