Les Oblats au Laos ont connu une histoire courte et douloureuse. Arrivés en 1935 dans ce pays de l’Indochine, situé entre le Vietnam et la Thaïlande, ils eurent à affronter toutes sortes de difficultés et d’épreuves : voyages difficiles, accidents nombreux et opposition sournoise. Parmi la centaine de missionnaires qui se sont dépensés dans cette région, relevons les noms de deux Québécois : les pères Jean-Paul Brouillette et Léo Plante. Ces deux Oblats, après une quarantaine d’années d’un apostolat fructueux, ont dû, comme tous les autres, fuir devant l’invasion des communistes vietnamiens, en 1975. Aujourd’hui il ne reste qu’un seul Oblat au Laos même. Il s’agit de Mgr Jean Khamse ’origine, âgé de quarante-deux ans, évêque coadjuteur de Vientiane.

Antonio ZANONI

Dans la tourmente
Un Oblat italien, le père Antonio Zanoni, réussit cependant à tromper l’ennemi durant quelques années, grâce à la connivence des Laotiens et à beaucoup d’astuce de sa part. Arrivé au Laos en 1958, ce commando du Bon Dieu est bientôt pris dans la tourmente et doit chercher refuge dans les montagnes avec un groupe de Méos pourchassés eux aussi par l’ennemi. Après une longue odyssée, ils parviennent à s’établir dans une région plutôt pauvre qui porte le nom de Ban Pha Deng. L’eau y est rare, la récolte du riz peu abondante et même la chasse peu rentable. On reste souvent des semaines entières sans manger de viande. Mais, au moins, on peut y vivre dans une certaine sécurité. Le père Zanoni peut même s’adonner à un ministère régulier. Il enseigne chaque jour le catéchisme à un groupe d’adultes. À force de courage et de prodiges d’économie, il construit une petite chapelle qui sert en même temps d’école. Il fait preuve d’un tel dévouement qu’au bout de quelques mois il a la joie de procéder au baptême de 75 adultes.

Un baptême perturbé!
La chapelle étant trop petite pour la cérémonie, la population est invitée à se rassembler en plein air pour cette fête solennelle. Deux confrères oblats sont venus prêter leur concours: le père P. Di Grazia et le frère Donato Cianciullo. Le père Zanoni se réserve la direction des cérémonies et le commentaire approprié, tandis que le père Di Grazia sera le seul à baptiser les néophytes. L’air est à la fête. Une foule nombreuse et joyeuse se groupe autour des 75 adultes recueillis, dans l’attente de ce sacrement qui les fera enfants de Dieu.

Les hommes sont baptisés les premiers. Tout se déroule dans l’ordre sauf un imprévu qui n’entre pas dans les rites liturgiques ! Quand arrive le tour des femmes de recevoir le baptême, le père Zanoni fait signe à quelques-uns de ses hommes avec qui il s’est entendu au préalable. Un petit coup de la tête voulait dire: « C’est le moment, allez tuer le buffle ! » Le buffle… normalement on le tue la veille de la fête. Mais cette fois, les villageois ont décidé de le tuer le jour même, car, disaient-ils, « nous n’aurions pas le courage d’attendre le lendemain. La tentation serait trop forte; il y a tellement longtemps que nous n’avons pas mangé de viande. »

Donc, discrètement, le père fait signe à ses hommes, mais pas assez discrètement sans doute pour des ventres affamés rendus sensibles par un jeûne forcé. C’est alors une débandade générale ! À la suite des hommes désignés qui s’éloignent en catimini, tous les nouveaux baptisés et les enfants, impatients d’assister au spectacle, se ruent vers l’enclos du pauvre buffle ! Le père Zanoni s’efforce de les retenir, mais en vain.

Des femmes réservées
Le plus admirable de cette histoire, c’est que les femmes restent sans broncher, les mains jointes et les yeux baissés, devant le père Di Grazia qui continue de verser l’eau sur leur front. Quelques instants plus tard, lorsque les « déserteurs » eurent satisfait leur curiosité, tous reviennent à leur place pour assister le plus sérieusement du monde à la fin de la cérémonie.

Vers l’heure du midi, la foule se rassemble de nouveau sur la place publique et l’on fait enfin un vrai repas à la viande! Le festin commence sous un soleil radieux mais bientôt un orage éclate et une pluie diluvienne se déverse sur les joyeux convives qui n’en continuent pas moins leur « travail important. »

André DORVAL, OMI