La Cavalerie du Christ est l’expression traditionnelle utilisée pour désigner les Oblats qui ont exercé leur ministère en parcourant à cheval le Texas et le nord du Mexique, à partir de la fondation de la mission en 1849 jusqu’à la création de la province oblate en 1904. Cette expression s’est étendue aux Oblats qui ont fait leur tournée pastorale à cheval jusque vers 1914, époque où l’usage de l’automobile s’est répandu dans le sud du Texas.

Durant la première période, de 1849 à 1851, trois prêtres, un frère et un scolas­tique desservirent Brownsville et la région. Dans la seconde période, de 1852 à 1883, trente prêtres et huit frères prirent soin d’une centaine de ranchs à partir de trois centres missionnaires: Brownsville, Roma et La Lomita; ils ont par moments desservi, au Mexique, les paroisses de Matamoros, Ciudad Victoria et Aguale­guas. Pendant la troisième période, de 1883 à 1904, un nombre restreint d’Oblats couvrirent les mêmes territoires du Texas en y ajoutant Eagle Pass et San Antonio.

Le père Pierre-Yves Kéralum peut être considéré comme un missionnaire typique de la seconde période. Il faisait, dans la vallée du Rio Grande, une tournée à cheval qui rejoignait cent vingt ranchs. Le père Jean-Baptiste Bretault, qui exerça son ministère principalement au cours de la troisième période, visitait cent quatre-vingts ranchs le long du golfe du Mexique et dans la brousse à l’intérieur du pays. Ces tournées d’une durée habituelle de six semaines ou plus, se faisaient en portant la soutane et la croix, en dépit de la chaleur désertique. Dans une lettre du 15 octobre 1867 au père Achille Rey, le père Jean-Marie Jaffrès écrivait: «Vous connaissez déjà, sans doute, notre tenue de campagne au Texas. Figurez-vous d’abord un cheval, pièce essentielle et, comme nous disons modestement par ici, la moitié du missionnaire; si vous voulez nous voir de bonne humeur, choisissez-le bon, il ne vous en coûtera pas davantage. Donnez-lui de robustes harnais. Je sus­pendrai avec respect au pommeau de la selle les saintes huiles et tout l’accessoire pour l’administration des sacrements; de l’autre côté, une gourde, où je renouvel­lerai, à chaque occasion, ma provision d’eau, fera le pendant; une sorte de valise, en forme de besace, tombera sur les flancs de la monture, et contiendra la pierre sacrée, le calice, le pain et le vin d’autel; en un mot, tout ce qui est nécessaire à la célébration de la sainte messe, et, de plus, quelques objets à l’usage du missionnaire; enfin, un vêtement sacerdotal et une cou­verture roulés achèveront l’équipement […]» (dans Missions, 7 (1868), p. 320-321).

Pendant toute cette époque de la Cavalerie du Christ, l’immense majorité des gens étaient des pauvres et des Mexico-Américains. Le père Bernard Doyon décrit ainsi la visite d’un mission­naire dans un de ces humbles ranchs: «L’arrivée du padrecito dans un ranch lors d’une de ses rares visites était un événement important pour toute la colonie. Le missionnaire ne descendait pas de cheval sans d’abord qu’on le lui demande. Cela aurait été manquer aux règles de l’étiquette. Il aurait été encore plus impardonnable pour un ranchero de ne pas inviter le prêtre à descendre de cheval. On offrait alors au prêtre des galettes de maïs, des haricots et une tasse de ce qu’on appelait du café […] Sans perdre de temps, le missionnaire se mettait à visiter chaque demeure, invitant tous les gens à assister aux offices du soir. Si l’après-midi n’était pas trop avancé, il appelait les enfants à une séance de catéchisme […] Lorsque la nuit tombait et que les ouvriers étaient revenus du travail, les fidèles se rassemblaient dans la hutte la plus grande pour y réciter le rosaire et chanter un de leurs cantiques préférés après chaque dizaine. Suivaient une instruction sur la doctrine chrétienne, peut-être quelques baptêmes ou même une cérémonie de mariage […] Et quand, tard dans la nuit, son ministère terminé, le prêtre cherchait un peu de repos, après avoir parcouru vingt-cinq, trente et même cinquante kilomètres à cheval, il devait le prendre dans la même pièce où il venait de prêcher. Comme il n’y avait habituellement pas de lit, il s’enroulait dans sa couverture et s’étendait sur le sol en terre avec sa valise ou sa selle pour oreiller […] Le lendemain, à l’aube, le père se levait et sonnait vigoureusement sa cloche pour réveiller tout le monde. Après la prière du matin et un sermon pour rappeler les devoirs du chrétien, il disait la messe pour les gens entassés autour de lui […] Après un maigre petit déjeuner fait ordinairement de galettes de maïs et de haricots, le missionnaire partait pour le prochain ranch à quelque trente ou cinquante kilomètres plus loin répéter le même programme» (Doyon, Bernard, The Cavalry of Christ, p. 130-131).

Les Oblats de la Cavalerie du Christ furent mêlés aux événements tumultueux des débuts dans l’histoire de la vallée du Rio Grande: l’absence de loi sur la frontière, les guerres civiles dans les deux pays, la fièvre jaune et les ouragans. Sept d’entre eux sont morts entre 1853 et 1862, ce qui fit s’exclamer à Mgr Eugène de Mazenod: «Cruelle mission du Texas» (lettre au père Augustin Gaudet, le 26 novembre 1858).

Le père Kéralum fut le plus célèbre des membres de la Cavalerie du Christ. Il avait été architecte en France avant d’entrer chez les Oblats. Envoyé par le Fondateur au Texas en 1852, il dessina les plans de l’église néo-gothique de l’Imma­culée Conception (aujourd’hui la cathé­drale) de Brownsville, en 1856, et des premières églises de Laredo, Roma, Santa Maria et Toluca. Mais, dans la vallée du Rio Grande, on se souvient de lui surtout comme du missionnaire perdu. Un jour qu’il suivait une piste longue de cent dix-huit kilomètres avec la vue affaiblie, il disparut dans la brousse au nord de Mercedes en 1872. Les récits ne manquè­rent pas sur cette disparition jusqu’au jour où, dix ans plus tard, on retrouva son corps sous un acacia; sa selle était restée suspendue à une branche et rien n’avait été volé. Cette mort mystérieuse, proba­blement due au manque de nourriture, est entrée dans le folklore de la vallée.

Selon les calculs du père Paul-Émile Lecourtois (voir Manuscrit, chapitre 19, archives de la province du sud des États-Unis), le père Jules Piat a passé le tiers de sa vie à cheval. Chaque année, à partir de Roma, il passait cent cinquante jours sur les pistes. Selon les mêmes calculs, le père Doyon a pu écrire: «On dit que, en vingt-cinq ans, les pères Piat et Clos ont parcouru à cheval au moins trois cent mille kilomètres, soit une distance égale à sept fois le tour de la terre à l’équateur. Pour réaliser cet exploit, ils devaient faire à eux deux, en moyenne, mille kilomètres par mois, soit chacun seize kilomètres par jour à cheval.»

À l’âge de quatre-vingts ans, le père Jean-Marie Clos disait que lui et son cheval étaient vieux d’un siècle: lui avait quatre-vingts ans et son cheval, vingt. Le père Jaffrès a dit un jour: «Demain je dois faire soixante milles [cent km] à cheval avant de retrouver ma bonne humeur et de rassembler quelques idées.» Le père Piat aimait répéter: «Je veux être un saint, mais un saint à cheval!»

William Watson, o.m.i.