1. Le contexte
  2. Chronique du voyage
  3. L’acte de visite de la province d’Angleterre
  4. Réflexions

On peut constater par les lettres de Mgr de Mazenod au père Tempier la vive impression qu’il ressentit lors de sa pre­mière visite en Angleterre en juin-juillet 1850. Il laissa aussi un «souvenir» sous la forme d’un «Acte de visite ». Nous nous proposons de mettre au clair le contexte de la visite, d’établir autant qu’il est possible la chronologie du voyage, d’ajouter quelques détails provenant d’autres sources, et enfin de faire quel­ques réflexions.

Le contexte
Mgr de Mazenod n’avait pas réussi à s’éloigner de Marseille en 1849 pour visiter quelques communautés et des amis en France et pour aller à Paris par affaires. Il y réussit finalement le 27 mai 1850 lorsqu’il quitta Marseille avec l’intention de continuer le voyage au-delà de la Manche jusqu’en Angleterre et si possible jusqu’en Irlande. Le père Casimir Aubert vint expressément d’Angleterre dans le but de l’accompagner. Le père Aubert était le supérieur majeur des Oblats d’An­gleterre avec le titre de visiteur. Le père Bellon avait reçu du Fondateur le titre de provincial, même si la mission d’Angle­terre n’était pas encore une province.

Le motif de cette visite, écrit le père Rey, était «de se rendre compte par lui-même de la situation des établissements qui lui donnaient les plus douces espé­rances «(Rey II, 339). Une de ces «douces espérances» était de voir la mission s’étendre en Irlande où les Oblats n’avaient pas encore réussi à obtenir l’autorisation épiscopale pour une mis­sion. On espérait qu’une visite du Fonda­teur aiderait à faire avancer cette affaire. Cependant, autant que ces «douces espé­rances» une autre affaire procurait de sérieuses inquiétudes: l’achat en 1848 de la propriété d’Ashbourne. Le père Daly avait contracté une dette énorme pour cet achat et avait engagé la propriété de Pen­zance, qui était à son nom, comme cau­tionnement. Un scandale désastreux était à craindre.

Chronique du voyage

Départ le 27 mai

Mgr de Mazenod était très occupé à Marseille et se plaignit d’avoir été inca­pable de se bien préparer pour ce voyage. Avec le père Aubert, il voyagea à travers la France, l’Allemane et la Belgique, il visita Notre-Dame de l’Osier, Lyon, Besançon, Strasbourg, Carlsruhe, Man­heim, Francfort, Wiesbaden, Mayence, Cologne, Aix-la-Chapelle, Liège, Bruxelles, Anvers, Bruges et Ostende où il prit le bateau pour Douvres le 17 juin et arriva à Londres le 18 juin. Il fit par bateau le trajet de Douvres à Londres. Il fut béni par une belle température.

Londres: 18-22 juin

Il voyagea incognito et habita dans une chambre au troisième étage de l’hôtel Sablonière. Celle-ci avait été décrite en 1816 comme maison française où une table d’hôte, pour ceux qui aiment la cui­sine française et la conversation fran­çaise, fournit l’occasion d’être satisfait à un prix comparativement modéré. L’hôtel était situé aux numéros 30-31 du côté Est de Leicester Square; il fut démoli en 1869. Mgr de Mazenod fut scandalisé lorsqu’il dut payer 50 francs pour 4 nuits et quelques repas. Ses journées furent très remplies, grâce au père Aubert qui connaissait bien les moyens de transport de Londres. Il dîna chez Lord Arundel, plus tard Duc de Norfolk, où il rencontra Mgr Timon, évêque de Buffalo. Lord Arundel lui fit faire quelques visites, en particulier au Parlement. Il rencontra le «célèbre Newman et les Oratoriens» qui faisaient le service d’une chapelle où «je célébrai la messe ». C’était aux numéros 24 et 25 de la rue King William, Strand, où Newman avait fondé une maison en 1849, non loin de l’hôtel Sablonière.

Les pères Cooke, Ortolan et Denny disent comment Mgr de Mazenod visita l’extrême Est de Londres. Dans ce contact avec la condition des pauvres, il entendit un appel pour fonder une mission oblate dans ce quartier de Londres. Il fut déçu de ne pas rencontrer Mgr Wiseman, vicaire apostolique du district de Londres, afin d’examiner la possibilité pour les Oblats de prendre en charge l’église française de la ville. Il n’y avait pas encore de mission oblate à Londres bien qu’on en proposait une dans les faubourgs, ce qui n’intéres­sait pas beaucoup le Fondateur. Il n’est pas surprenant que Wiseman n’ait pas été capable de rencontrer alors le Fondateur. Il venait d’apprendre confidentiellement qu’il serait créé cardinal au consistoire de septembre et qu’il ne retournerait pas à Londres. Il quitta en effet l’Angleterre le 16 août. À Londres, Mgr de Mazenod reçut un paquet de lettres du père Tempier, traitant d’affaires oblates.

Maryvale: 22-29 juin

Le 22 juin, l’Évêque voyagea par train vers Birmingham où il devait dîner avec Mgr Ullathorne, vicaire apostolique du district du Centre, mais une mésentente sur l’heure des trains gâcha ce plan et les deux évêques ne purent se rencontrer que pendant une demi-heure. Ceci eut lieu à la gare de la rue Curzon, ouverte en 1838. C’est en voiture que Mgr de Mazenod alla à Maryvale qu’il aima et fit son quartier général pour le reste du voyage. Le père Bellon y était le supérieur. Le 23 juin, Monseigneur répondit aux lettres reçues du père Tempier et alla visiter Oscott, le nouveau séminaire construit sur les des­sins d’Auguste Pugin, non loin de Mary­vale. Il a été impressionné. Il rencontra encore Mgr Ullathorne le 24 juin lorsqu’il assista à la distribution des prix à Oscott. Il dîna avec lui le 28 et ils allèrent en­semble visiter la nouvelle cathédrale Saint Chad, autre construction d’Auguste Pu­gin. Il remarque qu’il vit pour la première fois un peu de pluie en Angleterre. Ils visitèrent aussi ce qui semble un «maison de refuge» tenue par des Sœurs. Cela l’a encore impressionné. Il visita le «magnifique château» de Lors Shrews­bury à Alton et la maison de retraite de St. Wilfrid à Cotton, comté de Stafford, dont les Oblats avaient refusé la direction et où les Oratoriens avaient leur noviciat. Il célébra la messe «dans la magnifique église gothique bâtie par Lord Shrews­bury dans un village.» Il trouva que la dépense avait été exagérée. C’était selon toute probabilité l’église Saint Giles, à Cheadle, un des chefs-d’œuvre d’Auguste Pugin. Cheadle et Alton sont à peu de distance d’Ashbourne où il alla sans doute, mais on en sait rien.

Everingham et Manchester: du 29 juin au 6 juillet

Everingham se trouvait dans le district de Yorkshire où Mgr Briggs était vicaire apostolique. Le Fondateur ne semble pas l’avoir rencontré à cette occasion. Le 29 juin, il quitta Maryvale par train et, alors qu’il était en route pour Evering­ham, il fit une excursion à la cathédrale d’York. Il demeura avec la communauté du prieuré d’Everingham pendant trois jours, ce qui lui aura permis de visiter Howden et Pocklington desservis par les Oblats. Le père Robert Cooke était le supérieur. Mgr de Mazenod rencontra et dîna avec William Maxwell dans sa mai­son et célébra la messe dans l’église. Le père Perron avait été enterré près de cette église en 1848. On est surpris de constater que le Fondateur ne fait aucune allusion à cela dans ses lettres. Il écrivit encore au père Tempier le 1er juillet. Il lui annonça qu’il n’irait pas en Irlande «parce que je n’ai aucun des nôtres à visiter et que je ne vois pas qu’il soit nécessaire de me mon­trer pour faire avancer nos affaires dans ce pays. »

Il commençait peut-être à sentir la fa­tigue après avoir tellement voyagé. Il partit le 2 juillet pour Manchester où le père Aubert était le supérieur. Le 4 juillet il posa la première pierre de l’église que les Oblats voulaient construire dans le district. Mgr Guigues, évêque de Bytown, qui visitait lui aussi l’Angleterre, vint voir le Fondateur à Manchester.

La visite de Liverpool: 6-9 juillet

À cet endroit, le père Jolivet fut son hôte. La visite de Holy Cross à Liverpool semble être le clou du voyage. Mgr de Ma­zenod en décrit les détails dans sa lettre au père Tempier le 10 juillet. C’était, dit-il, un «genre de merveille ». Il a été impres­sionné par le travail que ses hommes faisaient dans cette nouvelle mission et fut profondément ému par la foi des fidèles. Là, il apprit par le père Tempier que sa visite en Angleterre était mal interprétée par ses ennemis qui l’accusaient de visiter des Français exilés pour faire avancer un complot politique. Ceci renforça sa décision de ne pas aller en Irlande et de hâter son retour. Liver­pool était dans le district de Lancashire où Mgr George Hilary Brown était vicaire apostolique. On ne sait pas s’ils se sont rencontrés.

La visite d’Aldenham: 9 juillet, pour quelques jours

Aldenham était dans le district de Mgr Ullathorne. Le Fondateur fut l’hôte de Lady Granville dans son château d’Alden­ham Hall, maison ancestrale de la famille Acton. Lady Granville était la mère de Lord Acton, le fameux historien catho­lique. Il visita la communauté oblate, écrivit une lettre au père Tempier le 10 juillet, confirma 26 personnes et reçut un jeune marié dans l’église catholique. Il y rencontra encore Mgr Guigues.

La visite de Penzance: 16-20 juillet

Nos informations sont très limitées sur ses activités pendant quelques jours. Par Birmingham et Bristol, il alla à Penzance, dans le district Ouest d’Angleterre où Mgr William Hendren était vicaire aposto­lique. On ne sait pas si Mgr de Mazenod l’a rencontré. Il arriva à Penzance le 16 juillet, confirma 32 personnes et reçut deux personnes dans l’église; une d’elles était la cousine germaine de l’ex-premier ministre, Sir Robert Peel. Monseigneur fit une excursion au Mont Saint-Michel, beau site de l’endroit

Retour à Maryvale: 20-22 et 23 juillet

Monseigneur retourna à Maryvale en passant par Camborne, Falmouth, Ply­mouth, Taunton et Bristol. Il se proposait à son retour de voir Ambrose Philipps et de faire une ordination à Maryvale le 25 juillet. Mais il vint directement à Maryvale et avança l’ordination au 21 juillet. Le 22, il écrivit son Acte de Visite de la province. Son travail étai fini. Il hâtait son départ. Il écrivit encore au père Tempier le 20 juillet, dernière lettre écrit au cours de son voyage en Angleterre.

L’acte de visite de la province d’Angleterre
(Écrits oblats I, t. 3, p. 199-208)

Dans ses «souvenirs» à la province, Mgr de Mazenod exprime la satisfaction d’avoir rencontré les Oblats dans ce beau royaume d’Angleterre. Par-dessus tout, il exprime ses remerciements à Dieu pour l’opportunité missionnaire offerte aux Oblats et la façon dont ses hommes ont répondu au défi. Il les exhorte à rester fidèles à leur vocation qui est la garantie d’une heureuse continuation de la mis­sion. Il passe ensuite en revue les com­munautés oblates qu’il a visitées. Mary­vale est une communauté de cinq prêtres, sept scolastiques, cinq novices de chœur et deux frères oblats qui mènent une vie remarquable d’observance régulière et de ferveur. Les pères font le service non seulement des catholiques de Maryvale mais aussi d’Ashbourne. Aldenham est une fervente communauté de trois pères et de deux frères dont l’apostolat est fructueux et s’étend à Bridgenorth, Wen­lock et Middleton. À Everingham il y a une fervente communauté de quatre prêtres, deux scolastiques et un frère. Leur apostolat s’étend à Pocklington et Howden. Penzance est le berceau de notre Congrégation en Angleterre, avec exten­sion à Camborne et Helston. La popula­tion est passée d’une douzaine de mauvais catholiques à plus de. deux cents cin­quante dans une forteresse protestante. Il ne fait pas de commentaires sur Man­chester. À Liverpool il y a une communauté de trois prêtres et deux frères oblats qui font un «bien incal­culable» parmi les pauvres. Au sujet de Penzance, Manchester et Liverpool, où les Oblats sont très occupés, il ne dit rien de l’esprit religieux de ces communautés. Il revient cependant sur le thème de la fidélité à la grâce. Il reconnaît qu’il y a des difficultés spéciales dans leur vie missionnaire à cause de la nature de leur travail, leur petit nombre et leur éparpil­lement, la culture des gens, mais il insiste pour que cela ne soit pas un empêchement à la fidélité à la Règle et à la vie régulière, à l’oraison du matin et du soir et surtout à la messe quotidienne. Il insiste sur la nécessité de l’esprit et de la pratique de la mortification et de la pénitence. Ils sont appelés à combattre le Fort armé dans un de ses plus redoutables retranchements et qu’il leur faut rien moins que la force même de Dieu pour triompher. «À ce sujet, écrit-il, je vous ferai observer que le temps est venu d’attaquer l’erreur directement, non seulement par la prière, mais par la prédication. Vous n’êtes point appelés à conserver timidement comme jadis le petit nombre de fidèles qui au milieu de la plus cruelle persécution n’avaient pas plié le genou devant Baal. Aujourd’hui, il s’agit de reconquérir l’empire enlevé à Jésus-Christ par une attaque incessante de toutes les erreurs qui divisent l’ennemi et qui l’ont réduit à n’avoir plus pour lui que la force du nombre et celle de la protection du bras séculier. L’hérésie sent sa faiblesse et demande en quelque sorte grâce; elle ne demanderait pas mieux que de vivre en paix avec vous; à ce prix, elle ne vous inquièterait pas […] C’est par la prédi­cation accompagnée de la prière, que vous porterez la lumière dans les esprits…» Le bon exemple de leur vie régulière sera une autre arme. Il joute un paragraphe sur un point particulier de pratique pastorale et insiste sur l’importance d’entendre les confessions, surtout celles des femmes, dans les confessionnaux sous peine d’encourir un interdit; il termine par sa bénédiction paternelle.

Loughborough, les 22, 23 et 24 juillet

Il se dirige ensuite par train vers Loughborough pour demeurer comme prévu chez Ambrose March Philipps et sa femme Laura, on ne sait exactement si c’est à Loughborough ou à Grace Dieu. Les Oblats avaient quitté Grace Dieu deux ans auparavant.

Retour à Londres et départ: du 24 au 27 juillet

Le 24 juillet, il quitta Loughborough pour Londres où il resta deux jours. Il ne rencontra pas encore Mgr Wiseman, mais vit Newman et les Oratoriens. Il alla pro­bablement encore chez eux pour célébrer la messe. Il apprit que les Maristes seraient chargés de l’église française de Londres. Le 27 juillet, il partit pour Douvres où il s’embarqua pour Calais, quelques jours en avance sur son programme.

Réflexions
Mgr de Mazenod avait 68 ans quand il fit ce voyage ardu, c’était une réalisation considérable. Il avait réuni ses hommes et fait une forte impression de gracieuse noblesse chez les divers dignitaires qu’il rencontra. Il apparaît clairement par le ton de son Acte de visite que ce voyage a été une grande consolation pour lui comme missionnaire et fondateur. Ses qualités humaines brillèrent. En énumérant les motifs de ce voyage dans son Acte de visite, il met l’élément «personnes» avant l’élément «administration ». «Je suis venu» dit-il aux pères et frères de la Congrégation en Angleterre, dont il connaissait déjà quelques-uns pendant qu’il en vit d’autres pour la première fois, «dans le but de vous rendre visite malgré mon grand âge ». Il est étonné par l’étendue et l’agitation de Londres. Il aime la beauté de la campagne anglaise et de l’architecture des églises visitées, il est captivé par les voies ferrées pour leur confort et les rapides moyens de transport. Dans ses lettres il n’est jamais question du problème de la langue bien qu’il ne connaisse pas l’anglais. Il est agréable­ment surpris de l’accueil qui reçoit dans un pays protestant et aussi de la tempéra­ture. Il refuse de voir des difficultés qui auraient diminué la consolation qu’il reçoit.

Cependant, il voit plus en profondeur. Il prémunit ses hommes contre la tactique du diable et, en ses propres mots, il fait sienne l’observation de Wiseman selon laquelle le temps est venu pour les catho­liques d’Angleterre de sortir des cata­combes et de vivre pleinement leur foi, en plein air, sans compromis. L’application de cela dans les circonstances était pour les Oblats d’observer leur règle surtout en matière de jeune. Il leur a aussi signalé l’importance de la prédication. Cet appel annonce ce qui sera une réponse héroïque de la part d’une nouvelle équipe de prédicateurs. On peut apercevoir à travers ces remarques ce qui a dû être le thème de beaucoup de ses conversations avec les Oblats. Ils ont sûrement parlé également de l’importance d’aller travailler dans les villes. C’était la pensée du Fondateur avant son voyage et elle continua par la suite. Il écrit au père Aubert le 19 novembre 1850: «Nous devons viser à nous établir dans les grandes villes et non dans les campagnes isolées. »

On doit remarquer que le Fondateur ne parle pas dans son Acte de visite du travail fait à Manchester par l’ex-père Daly et, d’une manière inquiétante, il garde le silence sur Ashbourne. Les mesures qu’il a pu prendre à ce sujet demeurent inconnues. Le problème ne fut pas résolu au cours de sa visite. Dans une lettre du 29 octobre 1856, écrite au père Pinet, le Fondateur déclare «Nos pères d’Angleterre sont pleins de vertus et de talents, mais ils ont absolument inca­pables de gérer les affaires.» Sans doute ce jugement provient des impressions qu’il a reçues lors de sa visite de 1850.

En conclusion, alors qu’il n’a pas vu quelques personnes importantes et que, préoccupé par ses affaires à Marseille, il ait abrégé sa visite, celle-ci a été importante pour la province. Quand le Chapitre général du mois d’août 1850 a décidé de créer des provinces dans la congrégation, la province anglaise en fit partie et fut constituée par le supérieur général en conseil, en avril 1851.

Michael Hughes, o.m.i.