1. L’esprit saint chez eugène de mazenod
  2. L’esprit saint et les constitutions et règles de 1982
  3. Renouveau de l’esprit et charisme oblat

L’ESPRIT SAINT CHEZ EUGÈNE DE MAZENOD

Il ne faut pas s’attendre à trouver chez Eugène de Mazenod une présentation systématique de la doctrine théologique sur l’Esprit Saint. Le fondateur des Oblats n’est pas un théoricien de la vie spirituelle; il est essentiellement un homme d’action, un passionné de Jésus Christ, engagé de tout son être dans la mission pour le Royaume de Dieu et l’évangélisation du monde.

Il n’y a aucun doute, cependant, qu’il a vécu une relation profonde à l’Esprit Saint qu’il voyait présent et agissant au cœur de l’Église, dans les sacrements, dans la mission, dans sa propre vie et celle des autres. Il en parle à l’occasion dans ses notes de retraite, sa correspondance, son journal personnel et ses lettres pastorales. Son discours est celui d’un priant, d’un homme spirituel engagé et reflète l’enseignement théologique propre à son siècle.

Dans une étude publiée dans Vie Oblate Life en 1982, le père Irénée Tourigny a présenté le thème de l’Esprit chez Mgr de Mazenod selon l’approche historique, c’est-à-dire en suivant les diverses étapes de sa vie [1]. Dans le présent travail nous adopterons l’approche thématique, c’est-à-dire qu’à partir des textes qui nous sont parvenus concernant l’Esprit, nous tenterons, dans la mesure du possible, de reconstituer le fond de la pensée de Mgr de Mazenod sur le sujet. L’entreprise comporte des risques — comme celui de projeter sur l’auteur étudié certains liens dont il n’a pas lui-même pris conscience — mais elle vaut la peine d’être tentée. Il sera important de nous rappeler que nous n’avons pas tout ce qu’Eugène a pu écrire concernant l’Esprit et que les passages qui nous sont parvenus ont presque tous été rédigés à l’occasion d’un événement ou d’une circonstance bien concrète et limitée. Il sera nécessaire aussi de lire les textes sur l’Esprit en rapport constant avec l’ensemble de sa doctrine et sa façon de parler, par exemple, de Dieu le Père, de Jésus-Christ Sauveur, de l’Église, des sacrements, de la mission, de la Vierge Marie.

1. L’ACTION DE L’ESPRIT SAINT

Selon Eugène de Mazenod, l’Esprit Saint, troisième personne de la Sainte Trinité, est envoyé d’en haut à tout chrétien par le Verbe qui l’avait promis. Descendu sur les Apôtres et sur Marie au jour de la Pentecôte, il descend de nouveau aujourd’hui sur son Église. Il se communique à travers les sacrements, la prière et d’autres moyens tels que l’aide et l’exemple d’autres chrétiens, la lecture spirituelle, la profession religieuse.

Il cherche à établir sa demeure avec puissance dans le cœur du croyant et même il y «fait ses délices» [2]. «[…] le S[ain]t-Esprit, fécond en tout temps et multipliant ses bienfaits à l’infini, descend de nouveau aujourd’hui comme alors, accompagné de tous ses dons, dans les âmes assez heureuses pour s’être occupées de lui préparer une demeure» [3]. Il habite en plénitude l’âme et aussi le corps. Il remplit la personne de sa puissance, la revêt et parfois l’entoure «comme d’un manteau» [4].

Selon l’expression du prophète Isaïe, l’Esprit de Dieu «repose» sur le croyant pour le remplir de l’amour du Sauveur et l’envoyer évangéliser les pauvres [5].

L’Esprit ne se contente pas d’habiter les cœurs, il veut en être le «maître absolu» et il agit en multipliant ses bienfaits et en opérant des merveilles. Son action dans les personnes généreuses revêt des formes très riches et variées.

Voici quelques exemples de cette action de l’Esprit glanés ici et là dans les écrits d’Eugène de Mazenod.

L’Esprit renouvelle la personne humaine en créant un monde nouveau, un monde de lumière, de vérité et d’unité. Au temps des Apôtres il a renouvelé la face de la terre et il «opère ici-bas comme une seconde création» [6]. Son action transformante vivifie la personne, la régénère et la sanctifie. «[…] quand l’Esprit de Dieu souffle, il fait faire du chemin en peu de temps […]» [7]

À maintes reprises, le Fondateur revient sur le fait que l’Esprit du Seigneur nous inspire. Il inspire l’Église dans son ensemble et tous ses fidèles. Il inspire en particulier les décisions du Pape, qu’il a lui-même choisi comme successeur de Pierre. Tous les mouvements du cœur de la Vierge Marie sont inspirés par le Saint-Esprit puisqu’il repose sur elle et la comble de ses grâces. Parfois le Fondateur écrit à ses correspondants des phrases telles que celles-ci: «[…] c’est l’Esprit Saint qui vous a inspiré dans ce que vous me dites de si vrai […] [8]; «Suivez l’inspiration de Dieu et prouvez bien qu’elle vient de lui en y vivant d’une manière vraiment édifiante» [9].

Lui-même — cela ressort surtout dans ses notes de retraites — est bien conscient de recevoir les inspirations de Dieu et désire ardemment y être toujours fidèle.

L’Esprit Saint inspire les mouvements du cœur, les pensées, les paroles, les décisions, les moyens à prendre pour réaliser certains desseins, les résolutions. Le Fondateur confie un jour au père Antoine Mouchette: «Tu vois bien que dans les retraites, c’est l’Esprit Saint qui inspire les résolutions et c’est lui aussi qui finit par faire réussir dans les desseins qu’il a dictés» [10].

La prédication des missionnaires doit être inspirée par l’Esprit: «[…] vous convertirez les âmes avec vos discours simples, peu recherchés et seulement inspirés par l’Esprit de Dieu qui ne passe pas par les phrases arrondies et le beau langage des rhéteurs» [11].

Mentionnons quelques autres manifestations de l’action de l’Esprit. Il est un Esprit de vérité; il donne sans cesse ses lumières et ses clartés à ceux qui les lui demandent. Il embrase du feu de son amour ceux sur qui il descend et les remplit de l’amour du Sauveur Jésus Christ. Il vient prier dans leur cœur «par des gémissements ineffables», selon la parole de saint Paul aux Romains [12]. À certains moments, il «redresse» avec puissance ce qui a besoin d’être relevé. Enfin, nous y reviendrons plus loin, l’Esprit projette dans la mission au service du Royaume de Dieu à l’imitation de Jésus Christ.

2. LES DONS DE L’ESPRIT

Quand l’Esprit descend sur une personne — plus particulièrement à la confirmation et dans le sacrement de l’ordre — il est toujours accompagné de ses dons. Eugène connaissait bien la doctrine théologique des dons du Saint-Esprit qui était répandue de son temps. À quelques occasions dans ses écrits, il montre l’impact concret de ces dons dans sa propre vie et dans la vie des chrétiens et des missionnaires oblats.

Déjà en 1811, durant son séminaire à Saint-Sulpice, il avait prononcé une conférence au Grand Catéchisme sur le don de crainte. Il parle non pas de la «crainte servile» mais «[…] de cette crainte filiale, don précieux de l’Esprit Saint, don que vous avez reçu de sa main libérale et qu’il ne vous reste qu’à cultiver soigneusement dans vos âmes» [13]. C’est une disposition habituelle qui permet à la personne de se tenir devant la Majesté de Dieu dans le respect, la soumission à ses volontés et l’éloignement de tout ce qui peut lui déplaire. Eugène décrit ensuite les effets que produit ce don qu’il voit comme le fondement de tous les autres.

Le don de force est communiqué au moment de la confirmation, mais de façon plus marquée encore dans les ordinations: sous-diaconat, diaconat, sacerdoce, épiscopat. La force qui vient de l’Esprit est indispensable devant les difficultés du ministère.

Nous trouvons dans une lettre du Fondateur au père François Le Bihan, missionnaire en Afrique du Sud, un autre exemple des dons de l’Esprit qui s’actualisent dans le travail de la mission: «J’avoue qu’il ne doit pas être facile d’apprendre la langue de vos Cafres, mais vous savez que nos missionnaires participent toujours un peu au miracle de la Pentecôte. Invoquez donc bien le Saint-Esprit pour qu’il supplée à ce qui ne vous fut pas tout à fait donné le jour de votre confirmation. Vous reçûtes alors le germe de la science qui doit actuellement se développer en vous pour le service de Dieu et le salut des âmes» [14].

Le don de piété est mentionné dans une lettre au père J. B. Molinari à Ajaccio. «[…] demandez instamment à Dieu le don de la piété qui vous manque, lui écrit-il. Pietas ad omnia utilis est; avec la piété vous acquerrez tout le reste […]» [15] Enfin le don de sagesse est nommé avec le don de force dans un mandement du 20 mars 1848 [16].

3. COMMENT L’ESPRIT AGIT

À partir des diverses expressions employées par le Fondateur, il est possible de déduire comment il perçoit la manière d’agir de l’Esprit.

L’Esprit intervient avec douceur et onction; ses inspirations et communications sont paisibles et douces. Il est vraiment le Paraclet, le Consolateur. À titre d’exemple, il sait parler doucement au cœur des prêtres qu’il appelle à la solitude de la retraite [17]. Il arrive que ses communications soient ressenties de façon sensible par Eugène, comme durant son ordination à l’épiscopat [18] ou, parfois, lors de l’administration du sacrement de confirmation [19].

Cela n’empêche pas l’Esprit d’agir avec force et puissance. Ses interventions sont toujours efficaces et, à certains moments, il n’y a pas moyen d’échapper à ses inspirations.

L’abondance et la plénitude sont aussi des caractéristiques de son action [20]. Comme une source intarissable, il multiplie ses bienfaits à l’infini.

L’action de l’Esprit est tout à fait gratuite et libre: «[…] Spiritus ubi vult spirat» [21]. Il choisit qui il veut pour le combler de ses dons et en faire l’instrument de ses grâces.

4. L’ESPRIT ET L’ÉGLISE

L’amour et le service de l’Église, nous le savons, jouent un rôle de premier plan dans l’expérience spirituelle d’Eugène de Mazenod. C’est la vue des maux infligés à l’Église, «ce bel héritage du Sauveur, qu’il avait acquise au prix de son sang» [22] qui a poussé Eugène à se mettre à la suite du Christ et rassembler des compagnons pour travailler à rebâtir l’Église, ravagée par la Révolution et ses suites. Il ne faut donc pas s’étonner de le voir faire un lien fondamental et vital entre l’Esprit et l’Église.

Dans son admirable mandement sur l’Église, publié en 1860, il affirme que l’Esprit Saint promis par le Sauveur est l’âme de l’Église et que c’est lui qui unit l’Église-épouse à Jésus Christ. «Aussi est-ce à elle [l’Église] que le Saint-Esprit promis par le divin Sauveur est venu s’attacher pour ne jamais se séparer d’elle, pour être comme son âme, pour l’inspirer, l’éclairer, la diriger, la soutenir et opérer en elle les grandes choses de Dieu. Magnalia Dei (Ac 2, 11)» [23]. «Cette Épouse sainte et immaculée, indissolublement unie à Jésus-Christ par le prix de son sang et par le Saint-Esprit porte dans son sein une multitude d’enfants […]» [24].

Déjà quand il enseignait le catéchisme vers la fin de son séminaire à Paris, Eugène disait qu’entre les fidèles de l’Église il existe «[…] une telle union qu’ils ne forment entre eux qu’un même corps dont le S[ain]t-Esprit est l’âme» [25]. Lors de son voyage à Alger, en 1842, il consigne dans son journal: «C’est dans ces occasions que l’on sent le prix d’appartenir à la même famille, inspirée par l’Esprit Saint qui communique son action divine à tous les membres du corps dont Jésus-Christ est le chef» [26].

Les chrétiens qui ont été baptisés dans un même Esprit deviennent les membres du Corps du Christ et reçoivent en eux l’action de l’Esprit pour vivre dans une grande unité de foi et de charité.

L’Esprit anime toute l’Église: il l’inspire, l’éclaire, il prie en elle, la dirige et opère en elle les merveilles de Dieu. Il est présent dans les sacrements de l’Église, dans sa liturgie et ses fêtes et, bien sûr, dans sa mission.

5. L’ESPRIT DANS LA PERSONNE DU PAPE ET DES EVÈQUES

On a dit d’Eugène de Mazenod qu’il a été l’homme du Pape et des évêques. Cela se comprend très bien à la lumière de ses convictions sur l’action de l’Esprit dans la personne du Pontife Romain et des évêques.

Lors de l’élection de Pie IX en 1847, Eugène fait allusion à l’Esprit consolateur qui est venu «faire son choix» du nouveau Pape, à la surprise du «monde catholique» [27]. Ce même Esprit inspire le successeur de Pierre et le guide dans ses décisions surtout quand il s’agit d’une déclaration dogmatique infaillible. En prévision de la proclamation du dogme de l’Immaculée-Conception, en 1854, l’évêque de Marseille écrit au Saint-Père et lui parle de la «décision que le Saint-Esprit mettra sur vos lèvres sacrées» [28]. Le Pape, poussé par l’Esprit, a consulté tout l’épiscopat et c’est à lui maintenant que ce même Esprit inspirera le jugement définitif. Mgr de Mazenod note dans son journal du 8 décembre 1854, en décrivant la cérémonie de la proclamation du dogme: «Alors le souverain Pontife, vraiment le summus Pontifex, afflante Spirito sancto, se levant, a prononcé le décret infaillible […] au moment où il prononçait les paroles infaillibles que l’Esprit Saint lui mettait sur les lèvres» [29].

Quant aux évêques, ils ont reçu leur autorité du Saint-Esprit lui-même et ont été établis par ce même Esprit pour gouverner l’Église. Cette conviction profonde est fondée sur une parole de saint Paul, rapportée dans les Actes des Apôtres au chapitre 20, verset 28: «Prenez soin de vous-mêmes et de tout le troupeau dont l’Esprit Saint vous a établis les gardiens, paissez l’Église de Dieu qu’il s’est acquise par son propre sang» [30]. Il se réfère à ce passage des Actes dans un discours prononcé lors de la clôture du concile provincial, le 23 septembre 1850 [31]. Il y fait de nouveau allusion dans la promulgation des statuts synodaux en 1854: «Il sera toujours mieux compris de tous que cette autorité est celle même du Saint-Esprit, qui a établi les Évêques pour gouverner l’Église de Dieu […]» [32].

Eugène croit fermement que l’Esprit Saint a inspiré les décisions des conciles de l’Église universelle et qu’il est présent et agissant aussi dans les conciles provinciaux [33].

Ces réflexions et ces quelques citations nous font mieux comprendre l’estime profonde et le grand respect qu’Eugène de Mazenod a toujours entretenus pour l’Église, épouse de Jésus-Christ animée par l’Esprit, et pour la personne du Pape et de ses collaborateurs les évêques, successeurs des Apôtres.

6. L’ESPRIT ET LES SACREMENTS

Les sacrements de l’Église sont un lieu d’accueil tout à fait privilégié, quoique non exclusif, de l’Esprit Saint. C’est en rapport avec les sacrements, surtout la confirmation et l’ordre, qu’Eugène parle le plus abondamment de l’Esprit. Le texte le plus long où il est question de l’Esprit se trouve dans sa retraite préparatoire à l’épiscopat [34], alors qu’il se dispose à recevoir une nouvelle onction de l’Esprit.

a. La confirmation

Le jeune Eugène fut confirmé à Turin en 1792 à l’âge de neuf ans par le cardinal Costa. Ses biographes rapportent un événement qui a eu lieu dans l’intervalle entre sa première communion et sa confirmation, soit du Jeudi saint à la fête de la Trinité. Ses parents avaient décidé de faire enlever par un chirurgien une loupe qu’il avait de naissance dans le grand angle de l’œil gauche. Or, quand on eût déployé devant lui les instruments du médecin, Eugène manqua de courage et se retira. «Eugène rentra tout confus dans sa chambre et, par un mouvement de ferveur, il se jeta à genoux pour invoquer notre Seigneur Jésus Christ, qu’il n’avait vraisemblablement pas prié auparavant. Nous lui avons entendu raconter qu’il s’adressa à l’Esprit Saint avec une grande confiance. Cette prière fervente fut agréable au Seigneur, car à l’instant l’enfant se leva avec un nouveau courage, et rentrant dans l’appartement du père recteur, il lui demanda de rappeler le docteur, résolu qu’il était de subir l’opération, quelque douloureuse qu’elle pût être […] La force surnaturelle qu’Eugène avait obtenue de l’Esprit Saint par sa prière ne se montra pas seulement dans la résolution de subir l’opération, mais dans le courage qui le soutint tout le temps: il ne poussa pas un cri et ne fit pas entendre une plainte» [35].

Nous constatons que, dès sa jeunesse, juste avant sa confirmation, Eugène était sensibilisé à l’action de l’Esprit et l’a prié avec confiance pour obtenir force et courage dans une situation très concrète.

Devenu évêque, le Fondateur prendra très à cœur sa mission de «donner l’Esprit» aux fidèles par le sacrement de confirmation. À la suite de la Révolution, un grand nombre de chrétiens de tout âge n’avaient pas reçu ce sacrement. «[…] nous faisons [sic] un devoir, écrit-il dans une lettre pastorale de 1844, d’aller chaque fois donner le Saint-Esprit à ceux d’entre eux qui ont négligé jusqu’alors de recevoir le sacrement de Confirmation […]» [36]. Son journal nous révèle qu’à certains jours il a confirmé un grand nombre de personnes, jusqu’à mil six cents le 27 mai 1858, trois ans à peine avant sa mort [37]. Le lundi, il prévoyait un temps pour les confirmations dans sa chapelle privée mais, de fait, il était appelé à administrer ce sacrement presque tous les jours [38].

Il semble bien, cependant, que cela ne lui était pas un fardeau mais une joie: «[…] quel bonheur n’éprouverais-je pas de pouvoir donner le Saint-Esprit à tant de pauvres âmes qui ont le devoir et le besoin de le recevoir» [39].

Parfois, Mgr de Mazenod ressent de façon sensible la douceur de la présence de l’Esprit au moment de la confirmation. Il note dans son journal du 28 février 1844: «Qu’a-t-on besoin de langues de feu pour voir, en quelque sorte, la présence du Saint-Esprit? Dans ces occasions, sa présence m’est sensible et j’en suis pénétré au point de ne pouvoir contenir mon émotion. J’ai besoin de me faire violence pour ne pas pleurer de joie, et, malgré mes efforts, bien souvent des larmes involontaires trahissent le sentiment dont je suis animé et qui surabonde dans toute la force du terme!» [40].

À l’âge de 76 ans, en 1858, il vit encore intensément les célébrations de la confirmation: «C’est, en effet, la grâce que le bon Dieu me fait quand je suis appelé à donner le Saint-Esprit. Je me considère comme un thaumaturge qui, en vertu de la toute-puissance de Dieu, opère autant de miracles que je confirme d’enfants. C’est ce qui soutient mon attention et la ferveur de mon âme pendant les heures entières que dure cette ravissante cérémonie de la confirmation générale. Elle s’est renouvelée le même jour, sur les trois heures, pour les neuf cents filles que j’ai confirmées dans l’après-dîner. Mille millions d’actions de grâces en soient rendues à Dieu le Père et à son Fils Jésus Christ, auteur de toutes ces merveilles, et au Saint-Esprit, qui se communique ainsi aux âmes pour leur plus grande sanctification» [41].

Il ne se lasse pas de faire comprendre à ceux qui s’approchent de ce sacrement la beauté et l’efficacité des dons du Saint-Esprit qu’ils reçoivent.

Il est indubitable que l’administration fréquente, souvent quotidienne, de ce sacrement, qu’il voit comme un acte d’amour de l’Esprit, a marqué la vie spirituelle de l’évêque de Marseille.

b. L’ordre

On trouve dans les textes du Fondateur un lien très étroit entre le sacrement de l’ordre et la venue du Saint-Esprit avec ses dons.

À la veille de la réception des ordres mineurs, il écrit à sa mère: «Par l’ordre de Lecteur, on reçoit la puissance de lire les Saintes Écritures et les autres livres ecclésiastiques dans l’église et la grâce du Saint-Esprit pour le bien faire» [42].

Dans une conférence prononcée le jour de son ordination au sous-diaconat, il affirme que les nouveaux ordonnés «[….] étaient comme inondés par la céleste rosée des dons les plus abondants de l’Esprit sanctificateur […]» [43].

Eugène fait souvent le rapprochement entre le diaconat et l’Esprit de force. Il écrit à sa mère, le 2 mars 1811: «Vous savez ce que dit s[ain]t Paul des chrétiens et de lui-même, qu’ils n’ont pas reçu un esprit de crainte; au contraire en recevant le diaconat, le S[ain]t-Esprit nous a été donné ad robur, c’est-à-dire pour nous cuirasser contre toute espèce de crainte et de faiblesse. C’est une liqueur fortifiante qui a été répandue à cette époque dans nos âmes et, à moins que nous n’y mettions obstacle par nos péchés, elle doit produire son effet, parce que ce n’est pas en vain que le Saint-Esprit s’est reposé sur nous» [44].

En avril 1824, il félicite le scolastique Barthélemy Bernard pour son ordination au diaconat et il poursuit: «Le zèle est le caractère distinctif du diacre, il a reçu l’esprit de force, pour lui d’abord, sa propre sanctification et la perfection de son âme, puis pour combattre les ennemis de Dieu et repousser le démon avec cette vigueur surnaturelle qui vient d’en haut» [45].

L’ordination au sacerdoce confère une certaine plénitude de l’Esprit Saint et exige une grande fidélité aux moindres mouvements de cet Esprit. Voici comment Eugène s’exprime au début de sa retraite de préparation au sacerdoce: «Puissé-je profiter de la grâce de prédilection que je reçois, et en profiter pour purifier mon âme et vider entièrement mon cœur des créatures, afin que l’Esprit Saint, ne trouvant plus d’obstacle à ses opérations divines, se repose sur moi dans toute sa plénitude, remplissant tout en moi de l’amour de Jésus Christ mon Sauveur, de manière que je ne vive et que je ne respire plus que pour lui, que je me consume dans son amour en le servant et en faisant connaître combien il est aimable […]» [46].

Mgr de Mazenod a ordonné au sacerdoce un grand nombre d’Oblats et de prêtres diocésains. Pour lui, l’imposition des mains crée un lien de paternité spirituelle avec le nouvel ordonné dans la communication de l’Esprit Saint. Dans son journal du 25 mars 1837, il évoque la première ordination qu’il a conférée: «Puis-je me rappeler sans émotion que les prémices de ma fécondité pontificale furent ce précieux père Casimir Aubert le premier à qui j’imposai les mains […] Il me semblait, dis-je, que mon propre esprit se communiquait à lui, que mon âme se dilatait dans l’effusion d’une charité, d’un amour surnaturel qui produisait à son tour quelque chose de surhumain. Il me semble que je pouvais dire, comme notre divin Maître, qu’il sortait une vertu de moi et que je le sentais […] Ce miracle s’opère à chaque ordination que je fais […]» [47].

Il n’y a pas de doute que l’ordination à l’épiscopat ait été, pour le Fondateur, un sommet dans sa relation à l’Esprit Saint. Les notes de sa retraite préparatoire le démontrent clairement. Il médite d’abord sur la réponse qu’il a donnée à la conduite de l’Esprit Saint depuis son ordination. Il exprime ensuite une confiance sans bornes en la miséricorde de Dieu en espérant que l’Esprit vivifiant qu’il va recevoir le perfectionnera pour, dit-il, «[…] que je devienne vraiment l’homme de sa droite, l’Élie de l’Église, l’oint du Seigneur, le pontife selon l’ordre de Melchisédech qui n’ait d’autres vues que de plaire à Dieu en remplissant tous les devoirs de mon ministère pour l’édification de l’Église, le salut des âmes et ma propre sanctification» [48].

Puis il s’arrête longuement sur les paroles du Pontifical: «Accipe Spiritum Sanctum». «[…] médite sur ces paroles, écrit-il, et tâche de comprendre le moins imparfaitement que tu pourras ce qu’elles signifient. Ce n’est pas comme la première fois dans le diaconat seulement ad robur, ce n’est pas encore seulement comme dans la prêtrise pour remettre les péchés ou les retenir […] C’était déjà beaucoup, c’était trop. Mais cette fois c’est pour être élevé à l’ordre des Pontifes […] c’est pour être oint et consacré in ordine Pontificali, c’est pour entrer en participation de la sollicitude des Églises, c’est pour communiquer à mon tour l’Esprit Saint pour concourir à perpétuer le sacerdoce dans l’Église de Jésus-Christ, c’est pour juger, interpréter, conserver, ordonner, offrir, baptiser et confirmer […]» [49].

«Que l’onction sacrée se répande sur toute sa personne […] Qu’il soit rempli intérieurement de la vertu de l’Esprit Saint, qu’il soit en quelque sorte comme revêtu et entouré comme d’un manteau» [50].

«Sit sermo ejus, et praedicatio, non in persuasibilibus humanæ sapientiæ verbis, sed in ostensione Spiritus et virtutis. Admirable leçon que j’aime retrouver ici après l’avoir méditée dans saint Paul et déposée dans un autre livre qui m’est cher à tant de titres» [51]. C’est une allusion très claire à une conviction familière qu’il avait consignée dans la première Règle des Missionnaires de Provence en 1818: prêcher Jésus Christ et Jésus Christ crucifié, non par une éloquence humaine mais dans la puissance de l’Esprit à l’œuvre dans notre faiblesse [52].

Le nouvel évêque ressort de cette retraite et de sa consécration épiscopale avec une conscience aiguè «d’être devenu, par la miséricorde de Dieu, tout autre que je n’étais. Je connais plus clairement mes devoirs et il me semble avoir obtenu, avec le Saint-Esprit, une volonté efficace de m’en acquitter avec fidélité. L’offense de Dieu, que dis-je? la pensée de contrister volontairement le Saint-Esprit me paraît une monstruosité désormais impossible» [53]. Ces mots expriment sans équivoque l’importance de cette expérience pour le Fondateur et la relation très personnelle qu’il entretient avec l’Esprit Saint.

c. Les autres sacrements

Les textes sur la présence de l’Esprit dans les autres sacrements sont plus rares et cela se comprend.

Le baptême est un renouveau dans l’eau et l’Esprit, indispensable pour pouvoir entrer dans le Royaume des cieux. «Nous tous qui avons été baptisés dans un même esprit [1 Co 12, 13], nous ne sommes tous ensemble avec lui que les membres de ce corps qui est le sien» [54]. «Tout le mystère de la régénération de l’homme dans l’eau et dans le Saint-Esprit (Jn 3, 5), ce mystère qui est celui de la résurrection spirituelle par le baptême est magnifiquement retracé dans les prières et les rites de cette cérémonie» [55].

On trouve au moins une référence au rôle de l’Esprit dans le mariage [56] et une sur sa présence dans le sacrement des malades qu’Eugène appelle «l’onction du S[ain]t-Esprit» [57].

7. L’ESPRIT ET LA MISSION

L’Esprit est aussi à l’origine et au cœur de la mission de l’Église. C’est là une conviction très chère au cœur du Fondateur, lui dont le charisme est essentiellement apostolique et missionnaire. Sans présenter de synthèse sur ce point, il y fait de fréquentes références dans ses écrits, soit en parlant de lui-même, soit en décrivant l’activité des missionnaires.

En regroupant ces courts passages, on peut saisir toute l’importance, pour Eugène, de l’Esprit dans la mission. On pourrait même en déduire des principes spirituels très féconds pour une doctrine cohérente sur une action vraiment spirituelle dans la vie d’un missionnaire Oblat.

À plusieurs reprises, le Fondateur évoque la descente miraculeuse de l’Esprit sur les Apôtres à la Pentecôte, pour les embraser de son amour et les projeter à la conquête du monde. Il n’hésite pas à affirmer que la Pentecôte avec toutes ses merveilles se poursuit dans le travail des missionnaires aujourd’hui. Cette certitude se retrouve chez lui dès le temps de son séminaire et sera présente jusqu’à la fin. Dans une conférence de 1811 il évoque «[…] le souvenir de la descente miraculeuse du Saint-Esprit sur les apôtres assemblés avec Marie et les autres disciples dans le cénacle». «Vous avez dû éprouver, poursuit-il, qu’il ne s’agissait pas seulement de célébrer la mémoire d’une époque glorieuse, car vous avez certainement participé aux mêmes faveurs qui furent répandues sur les disciples assemblés […]» [58].

En 1817 le Fondateur écrit au père Henry Tempier au sujet des nouveaux novices: «Ils ne doivent pas perdre de vue […] que toutes leurs actions doivent être faites dans la disposition où étaient les apôtres lorsqu’ils étaient dans le cénacle pour attendre que le Saint-Esprit vînt en les embrasant de son amour leur donner le signal pour voler à la conquête du monde, etc.» [59].

Plus tard en constatant les merveilles opérées par les missionnaires en Amérique, à Ceylan, en Afrique et ailleurs, il écrit au père Le Bihan: «[…] vous savez que nos missionnaires participent toujours un peu au miracle de la Pentecôte» [60].

Le Fondateur encourage le père Pascal Ricard, qu’il a désigné pour les missions de l’Orégon: «Je ne vous dis rien de ce qu’a de magnifique aux yeux de la foi le ministère que vous allez remplir. Il faut remonter jusqu’au berceau du Christianisme pour trouver q[ue]lque chose de comparable. C’est un apôtre auquel vous êtes associé [il s’agit de Mgr Blanchet] et les mêmes merveilles qui furent opérées par les premiers disciples de Jésus-Christ se renouvelleront de nos jours par vous, mes chers enfants, que la Providence a choisis parmi tant d’autres pour annoncer la bonne nouvelle […] C’est là le véritable apostolat qui se renouvelle de notre temps» [61].

Il est en admiration devant l’apostolat du père Henri Faraud à la Rivière-Rouge: «Mais aussi quelle récompense dès ce monde en considérant les prodiges opérés par la vertu de votre ministère. Il faut remonter jusqu’à la première prédication de s[ain]t Pierre pour retrouver quelque chose de semblable. Apôtre comme Lui, envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle à ces nations sauvages, le premier à leur parler de Dieu, à leur faire connaître le Sauveur Jésus, à leur montrer la voie qui conduit au salut, à les régénérer dans les s[aintes] eaux du baptême, il faut se prosterner devant vous tant vous êtes privilégié parmi vos frères dans l’Église de Dieu pour opérer ces miracles» [62].

L’Esprit qui est descendu sur saint Pierre et les Apôtres au début de l’Église pour les lancer à la conquête du monde continue de remplir le cœur des Oblats d’amour et de zèle pour annoncer l’Évangile et accomplir des merveilles aujourd’hui. La Pentecôte continue tous les jours dans le ministère des missionnaires. Ces derniers contribuent à faire advenir la création nouvelle de l’Esprit qui renouvelle la face de la terre.

Ces considérations rejoignent une idée maîtresse du Fondateur, à savoir que les Oblats sont des «hommes apostoliques» qui marchent sur les traces des Apôtres, leurs premiers pères [63]. «Sur les traces des Apôtres»: cela signifie imiter leurs vertus, mais aussi comme eux recevoir l’Esprit de Pentecôte. «Ils doivent savoir que leur ministère est la continuation du ministère apostolique et il ne s’agit de rien moins que de faire des miracles» [64]. En 1819 le Fondateur écrit au jeune prêtre Joseph Augustin Viguier pour l’inviter à se joindre aux Missionnaires de Provence: «Le missionnaire étant appelé proprement au ministère apostolique doit viser à la perfection. Le Seigneur le destine à renouveler parmi ses contemporains les merveilles jadis opérées par les premiers prédicateurs de l’Évangile. Il doit donc marcher sur leurs traces, fermement persuadé que les miracles qu’il doit faire ne sont pas un effet de son éloquence, mais de la grâce du Tout-Puissant qui se communique par lui […]» [65].

Il exhorte les missionnaires du vicariat de Colombo devant les difficultés de leur ministère: «Vous êtes destinés à être des apôtres, nourrissez donc dans votre cœur le feu sacré que le Saint-Esprit y allume» [66].

Voyons maintenant plus en détail de quelle façon l’Esprit agit dans le ministère d’Eugène et des Oblats.

L’appel à la vocation apostolique est un choix gratuit provenant de la seule miséricorde de Dieu. Parfois Eugène fait le lien entre cet appel et l’Esprit Saint. Du séminaire de Saint-Sulpice il laisse entendre à sa mère qu’il est «fortement poussé par l’esprit de Dieu à imiter la vie active de [Jésus]-C[hrist], enseignant sa divine doctrine à des peuples […]» [67]. Au cours d’une retraite en mai 1824, il note l’influence qu’a eue sur lui la lecture de la vie du bienheureux Léonard de Port-Maurice faite huit ou neuf ans plus tôt. «[…] cette même lecture […], écrit-il, m’avait peut-être communiqué sans que je m’en doutasse l’esprit qui me porta peu de temps après, c’est-à-dire trois ans environ, à suivre la même carrière, à exercer du moins le même ministère que lui […]» [68].

Quand l’Esprit appelle une personne à la vie apostolique, il lui donne tout ce qui est nécessaire. Le Fondateur rassure le père Étienne Semeria: «Ce n’est pas vous qui vous êtes appelé, Dieu vous donnera tout ce qu’il faut pour mener votre barque en bon port. Confiez-vous à sa bonté et à ses promesses, demandez-lui sans cesse la lumière de son S[ain]t-Esprit et marchez sans crainte au nom du Seigneur» [69].

L’Esprit envahit alors la personne, la remplit des dons dont elle a besoin dans le ministère, la revêt d’amour et de force pour lui permettre de surmonter les difficultés. La consécration épiscopale de Mgr de Mazenod est un bel exemple de cet envahissement par l’Esprit. Durant sa retraite préparatoire à l’épiscopat, le futur évêque attend l’Esprit vivifiant qui le «perfectionnera» et le rendra véritablement prophète, roi et pontife [70]. L’Esprit ouvre son cœur encore davantage à la dimension universelle, lui communique l’esprit du divin Pasteur. «[…] oint et consacré […], écrit-il dans ses notes de retraite, pour entrer en participation de la sollicitude des Églises […]» [71].

L’Esprit envoie ensuite la personne à sa mission, comme les Apôtres à la sortie du Cénacle. On lit dans l’Instruction pastorale sur les missions de l844 ces mots qui évoquent la devise de Mgr de Mazenod et des Oblats: «[…] on sent que l’Esprit de Dieu s’est reposé sur eux pour leur faire évangéliser les pauvres [Is 61, 1] […]» [72]. L’Esprit qui bâtit l’Église envoie les apôtres annoncer la bonne nouvelle et servir le Peuple de Dieu.

À la lumière de ces considérations il serait intéressant de relire un paragraphe clef de la Préface des Constitutions: «Que fit en effet Notre Seigneur Jésus Christ, lorsqu’il voulut convertir le monde? Il choisit un certain nombre d’apôtres et de disciples, qu’il forma à la piété, qu’il remplit de son esprit et, après les avoir dressés à son école, il les envoya à la conquête du monde […]» [73]. Il est possible que le Fondateur, en écrivant ces mots, ait perçu le lien qui existe entre «l’esprit de Jésus-Christ», c’est-à-dire sa façon de penser, d’aimer et d’agir, et l’Esprit Saint, envoyé par le Sauveur à ses disciples après sa Résurrection [74].

La puissance de l’Esprit demeure présente tout au long du ministère et dans ses diverses activités. L’Esprit pousse les prêtres à proclamer la Parole avec puissance, à rompre le pain spirituel à la place même de Jésus Christ, à faire connaître combien le Sauveur est aimable, à dire sans cesse la Parole qui est esprit et vie, et capable de vivifier ceux qui l’accueillent [75].

Il inspire et conduit en tout: dans l’administration du baptême et des autres sacrements, dans les divers combats de la vie quotidienne, dans toutes les facettes du ministère.

C’est à lui qu’il faut attribuer la fécondité de la vie missionnaire. La vertu de l’Esprit sanctificateur «s’est manifestement attachée au ministère de ces hommes chargés d’accomplir un grand dessein de miséricorde» [76] et c’est ce qui explique les fruits de leur travail et les merveilles qui se produisent.

Eugène de Mazenod dans sa jeunesse a pu profiter du ministère spirituel d’un véritable apôtre lors de son séjour à Venise. «Pourrai-je jamais, écrit-il dans ses souvenirs de famille, remercier assez Dieu infiniment bon de m’avoir procuré un tel secours précisément à l’âge le plus scabreux de la vie, époque décisive pour moi, où furent jetés, par un homme de Dieu, dans mon âme préparée par sa main habile et la grâce de l’Esprit Saint dont il était l’instrument, les fondements de religion et de piété sur lesquels la miséricorde de Dieu a construit l’édifice de ma vie spirituelle […]» [77].

La présence de l’Esprit dans sa vie invite l’homme apostolique à agir le plus possible dans la mouvance de l’Esprit et à nourrir par la prière et la fidélité constante le feu sacré qui l’habite.

8. L’ESPRIT ET LA VIERGE MARIE

Dans une conférence prononcée à Paris en 1811, Eugène évoque «[…] le souvenir de la descente miraculeuse du Saint-Esprit sur les Apôtres assemblés avec Marie et les autres disciples dans le Cénacle» [78]. Puis il ajoute que le même Esprit descend de nouveau aujourd’hui sur ceux qui veulent bien l’accueillir, et nous pouvons ajouter: à la suite de Marie et des Apôtres.

Devenu évêque, il décrit, le jour de l’Annonciation 1837, ce qu’il a vécu lors de la première ordination qu’il a conférée, celle du père Casimir Aubert: «Il me semblait qu’avec le Saint Esprit qui descendait en lui et avec la vertu du Très Haut qui allait couvrir tout son être, car on peut appliquer à cette opération divine qui transforme en quelque sorte l’âme du nouveau prêtre en la fécondant les paroles de l’Ange à la mère de Dieu, il me semblait, dis-je, que mon propre esprit se communiquait à lui […]» [79].

Lors de l’inauguration du monument en l’honneur de l’Immaculée-Conception à Marseille en 1857, il évoque «la glorieuse image de Marie Immaculée, tenant à la main le symbole de son innocence originelle, tandis que l’Esprit Saint se repose sur son cœur pour le remplir de ses grâces et en inspirer tous les mouvements» [80]. L’Esprit de Dieu repose sur le cœur de Marie, le remplit de ses grâces et en inspire tous les mouvements.

C’est encore l’Esprit qui inspire l’Église et le Pape dans la proclamation du dogme de l’Immaculée-Conception, proclamation très chère au cœur de Mgr de Mazenod: «[…] quand le Saint-Esprit non seulement prie en elle comme toujours par des gémissements ineffables, mais encore l’inspirant et la faisant agir avec une solennité inouïe, lui accorde de décerner une magnifique et impérissable couronne à la Sainte-Vierge […]» [81]. L’évêque de Marseille affirme, dans le même mandement, que l’Esprit de Dieu qui habite en «ceux qui ont attaché leur cœur aux choses divines […] leur en donne le sens, ils connaissent le prix immense de tout ce qui est cher à la piété [c’est-à-dire ici, de l’Immaculée-Conception] […]» [82]. Il voit la parole infaillible du Pape, lors de cette proclamation, comme une «étincelle […] ou plutôt un rayon du Saint-Esprit qui, en descendant du ciel sur le Saint-Siège, se serait aussitôt étendu jusqu’à nous pour exciter tous les cœurs» [83].

9. L’ESPRIT ET LA CONGREGATION DES OBLATS

Le concile Vatican II a mis en relief le rôle de l’Esprit Saint dans les charismes et, entre autres, dans les charismes des fondateurs et des communautés religieuses. Il ne faut pas s’attendre à trouver ce vocabulaire au dix-neuvième siècle chez Eugène de Mazenod. Mais il reste qu’il attribue sans aucun doute la fondation de sa communauté à l’action de l’Esprit Saint.

Nous avons vu comment l’Esprit Saint l’a appelé à la vie apostolique et l’a préparé à son rôle de Fondateur. Il attribue la fondation de la communauté des Missionnaires de Provence à une «forte secousse étrangère»4 [84]. Le mot «Esprit» n’apparaît pas comme tel dans cette expression, mais il est clair qu’il s’agit d’une inspiration spéciale de l’Esprit Saint [85].

Il attribue aussi la rédaction de la Règle à l’œuvre de l’Esprit Saint; il se perçoit lui-même comme un simple instrument. C’est ce qu’il affirmera dans une lettre de Rome au père Tempier au lendemain de l’approbation de l’Institut par le Pape Léon XII: «Le Pape, en les approuvant [les Règles], en est devenu le garant. Celui dont Dieu s’est servi pour les rédiger disparaît; il est certain aujourd’hui qu’il n’était que l’instrument mécanique que l’Esprit de Dieu mettait en jeu pour manifester la voie qu’il voulait être suivie par ceux qu’il avait prédestinés et préordonnés à l’œuvre de sa miséricorde, en les appelant à former et à maintenir notre petite, pauvre et modeste Société» [86].

En ce qui regarde l’approbation pontificale de sa communauté, Eugène n’hésite pas à affirmer que c’est l’Esprit qui a inspiré le chef de l’Église. Dans cette affaire de laquelle dépendait le «[…] salut d’une infinité d’âmes» [87], le Saint-Esprit a agi: […] «cette résolution, personne ne lui a inspirée; je me trompe, l’Esprit Saint qui l’assiste a pu seul la faire naître dans son âme, et diriger sa volonté pour qu’il y persistât jusqu’à la fin […]» [88].

Par la suite, l’Esprit continue d’inspirer les décisions du supérieur général pour le bien de sa Congrégation. Les supérieurs sont invités à «[…] agir toujours sous l’impression de l’Esprit Saint devant Dieu […]» [89] et à maintenir parmi les Oblats «l’unité du Saint-Esprit dans le lien de la paix […]» [90].

La profession religieuse est un moment privilégié pour recevoir l’Esprit. Dans une lettre à Mgr Ignace Bourget, de Montréal, le Fondateur fait référence à la cérémonie d’oblation du père Jean-Claude Léonard: «Il paraît que le Saint-Esprit a versé à pleines mains sur le nouvel Oblat l’onction de ses plus douces communications» [91]. À un autre moment, il écrit au père Semeria: «[…] je te sais comme lui pénétré de l’esprit religieux qui a été infus dans ton âme le jour de ta profession et qui s’est développé par la grâce de Dieu et la communication du Saint-Esprit dans tout le cours de la vie religieuse» [92].

On le voit, aux yeux du Fondateur, l’Esprit est partout présent dans la vie de la Congrégation, même si cela n’est pas mentionné souvent de façon explicite.

Mgr de Mazenod emploie assez régulièrement des expressions telles que «l’esprit propre de notre Congrégation» [93], «l’esprit renfermé dans nos Règles» [94], «cet esprit intérieur qui est si nécessaire aux ouvriers évangéliques» [95] ou encore «l’esprit de Jésus-Christ» [96]. Il semble bien que l’on doive interpréter le mot «esprit» de ces expressions dans le sens de l’ensemble des dispositions, des idées, des sentiments qui caractérisent la manière d’être et d’agir d’un groupe ou d’une personne [97]. Cela ne veut pas dire qu’il faille écarter toute référence à la Personne du Saint-Esprit dans ces textes. Le lien entre «esprit» et «Esprit», troisième Personne de la Sainte Trinité est présent explicitement dans le discours de l’évêque de Marseille à la clôture du concile provincial de 1850: «Nulle part ne s’est réalisé avec plus de perfection qu’en France la réformation du concile de Trente. L’esprit surtout de cette sainte assemblée est tout vivant dans notre clergé. C’est l’esprit de Dieu lui-même qui opère puissamment pour la sanctification des élus, pour l’œuvre du saint ministère et pour l’édification du corps de Jésus-Christ [Éph 4, 12]» [98].

Enfin, ce que Mgr de Mazenod dit de l’action de l’Esprit en tout chrétien et en tout apôtre vaut aussi pour les Oblats, de même que les invitations à invoquer l’Esprit et à lui être fidèle dont nous parlerons maintenant.

10. LA PRIÈRE A L’ESPRIT

Eugène est profondément convaincu de la nécessité d’invoquer souvent l’Esprit Saint. Il le fait lui-même fidèlement et recommande aux autres cette pratique.

Nous savons qu’il a prié le Saint-Esprit souvent et de façon plus explicite au temps de sa confirmation à Turin, avant la réception des ordres sacrés, lors de la prédication des missions et avant de conférer lui-même la confirmation et l’ordre. Il aimait la fête liturgique de la Pentecôte et cherchait à s’y préparer par une prière plus fervente. Sans doute mettait-il en pratique le conseil qu’il donnait à d’autres de demander sans cesse les lumières de l’Esprit [99]. Sa «dévotion» à l’Esprit s’incarne et s’exprime dans des pratiques concrètes telles que la récitation du Veni Creator Spiritus, du Veni Sancte Spiritus et la célébration de la messe votive du Saint Esprit. À travers ces formules de prière il exprime la conscience de sa faiblesse et son besoin radical de l’aide de l’Esprit. Il est significatif de noter que la veille de sa mort, survenue le 21 mai 1861, il demande au père Antoine Mouchette de lui réciter le Veni Creator et la séquence de la Pentecôte dont c’était l’octave [100].

À maintes reprises le père de Mazenod recommande à d’autres l’invocation confiante et persévérante à l’Esprit Saint.

Aux membres de l’Association de la Jeunesse chrétienne d’Aix il demande de prier l’Esprit au début des assemblées, avant la lecture spirituelle et lors des élections.

Souvent il invite les Oblats à implorer l’aide de l’Esprit dans leurs besoins particuliers, au début des missions, lors des chapitres et des élections, en préparation des grandes fêtes liturgiques et dans toute leur vie. Le Directoire des novices, rédigé probablement entre les années 1831 et 1835, que le Fondateur a certainement approuvé et encouragé, décrit «la dévotion envers le Saint-Esprit» qui était présentée aux novices:

«Parmi les adorables personnes de la Très Sainte Trinité, ils feront profession d’un culte spécial envers le S[ain]t Esprit; c’est là une des dévotions les plus chères aux âmes intérieures et elles ont bien raison. Car comment faire un pas dans la voie de Dieu, comment comprendre quelque chose aux secrets de la vie spirituelle, si l’on n’y est initié par ce divin esprit dont le propre est de sanctifier les âmes, et qui est non seulement la source de toutes les grâces, mais encore la grâce elle-même. Ce n’est que par ses divines clartés que l’esprit de l’homme peut être éclairé sur les vérités de la Foi, ce n’est que par les flammes pures de son amour, qu’il peut éteindre les feux de la concupiscence. Mais c’est surtout, lorsqu’on veut entrer dans la vie intérieure qui doit être notre seule vie qu’on a besoin d’une assistance particulière du Saint Esprit, car lui seul peut nous y conduire, cette vie n’étant que l’établissement parfait de son règne dans une âme. La pureté de cœur, l’esprit d’oraison, le recueillement, la fidélité à la grâce, que sont-ils, sinon diverses actions de l’Esprit divin qui s’est emparé de notre âme. Les Novices chercheront donc à s’animer d’une grande dévotion envers cette adorable personne de la Très Sainte Trinité; ils désireront vivement qu’il vienne établir sa demeure dans leur cœur; ils l’appelleront par de fréquents soupirs et s’attacheront fidèlement à suivre toutes ses inspirations, se reprochant comme une faute grave la moindre négligence en ce genre. Ils aimeront à être conduits en tout par ses divers attraits et feront toujours céder les goûts et les répugnances de la nature, aux mouvements de la grâce céleste.

Quant aux pratiques extérieures en son honneur, ils auront soin de réciter avec beaucoup de dévotion le Veni Sancte Spiritus, etc., au commencement de toutes leurs actions.

Il serait bon qu’ils apprissent par cœur la prose si belle et si touchante de la Pentecôte: Veni Sancte Spiritus, et emitte cœlitus, etc. Ils pourraient en dire quelques versets dans le jour, en forme d’oraison jaculatoire et suivant les diverses dispositions de leur âme: dans la tristesse, ils s’écrieront avec l’auteur: Consolator optime, etc.; pour obtenir quelque lumière dans les doutes et l’obscurité: O Lux beatissima, etc.; et ainsi de suite pour les autres strophes.

Les Novices célébreront avec une dévotion spéciale, les fêtes de la Pentecôte; ils s’y disposeront par une préparation plus qu’ordinaire et pendant toute l’octave, il y aura un exercice particulier dans leur oratoire; pour honorer le St Esprit, lui adresser de ferventes prières, et lui demander une grâce particulière chacun selon ses besoins» [101].

Mgr de Mazenod et les premiers Oblats priaient aussi l’Esprit quotidiennement dans la liturgie et les exercices de piété. Les formules trinitaires abondent dans la célébration de l’Eucharistie, dans les formules du baptême, du sacrement de réconciliation et dans les bénédictions. Le Fondateur a voulu léguer à ses Oblats la prière du matin qu’il avait lui-même utilisée durant son séminaire à Paris. Cette prière, composée par M. Olier, est essentiellement trinitaire: elle s’adresse tour à tour au Père éternel, au Verbe, Fils de Dieu et à l’Esprit divin.

Enfin, les lettres pastorales et les mandements de l’évêque de Marseille à son clergé et à ses fidèles rappellent le besoin d’invoquer les lumières et l’assistance du Saint Esprit par des messes votives, des oraisons, la récitation du Veni Creator, et cela, lors d’événements spéciaux, de rassemblements, de synodes et de la célébration de la confirmation.

11. LA FIDELITE A L’ESPRIT

La richesse du don de l’Esprit qu’il a reçu suscite dans le cœur d’Eugène un désir d’être fidèle aux inspirations de ce même Esprit. À quelques reprises, il invite d’autres personnes à être fidèles à l’Esprit et à toujours agir sous son «impression» [102]. Mais c’est surtout son propre désir de correspondance à l’Esprit qui apparaît dans ses écrits et cela principalement à l’occasion de ses retraites.

L’Esprit veut être le maître absolu de tout; c’est pourquoi il ne faut pas le contrarier ou mettre des obstacles à son opération. Il faut éviter de «contrister l’Esprit» [103], de lui être infidèle en refusant de répondre à ce qu’il veut.

Avec son sens aigu du péché personnel, Eugène gémit sur ses propres infidélités à l’action de l’Esprit dans sa vie. D’autre part, il reconnaît qu’il a correspondu aux inspirations de l’Esprit et exprime un ardent désir de le faire toujours davantage. Il veut être fidèle aux moindres mouvements de l’Esprit pour le laisser agir librement en lui et, pour cela, il est prêt à purifier sans cesse son cœur de toute recherche de lui-même en dehors de Dieu. Voici ce qu’il écrit lors de sa retraite de 1818: «Ne serait-ce pas que j’ai contristé l’Esprit Saint jusqu’à présent, en ne répondant pas à ce qu’il veut de moi? Qu’il n’en soit plus ainsi: parlez, Seigneur, votre serviteur écoute: montrez-moi, je vous en conjure, la voie que je dois suivre, éclairez-moi de votre lumière, donnez-moi l’intelligence afin que je connaisse votre volonté et que je marche dans les voies de vos commandements» [104].

Au cours de sa retraite préparatoire à l’épiscopat en 1832, il s’examine attentivement sur sa réponse aux inspirations de l’Esprit: «[…] il me sera avantageux d’examiner attentivement la conduite de l’Esprit Saint en moi soit lors de mon ordination, soit pendant le cours de mon ministère sacerdotal, et de la correspondance d’une part, des infidélités de l’autre, aux abondantes communications de sa grâce. Je découvrirai par là le déchet occasionné par ma faute, j’en gémirai amèrement devant Dieu, et plein de confiance en sa miséricorde, j’oserai espérer que cet Esprit vivifiant qui va descendre dans mon âme relèvera tout ce que j’ai laissé dégrader, ranimera, fortifiera, consolidera, perfectionnera tout en moi […]» [105].

Visiblement inspiré au cours de sa retraite préparatoire à la prise de possession du siège épiscopal de Marseille, il exprime ainsi son abandon généreux à l’action de l’Esprit: «Il importe donc de descendre dans son intérieur pour le purifier de toute imperfection et en arracher tout ce qui pourrait mettre obstacle à l’opération de l’Esprit Saint. C’est cet Esprit divin qui doit être désormais maître absolu de mon âme, l’unique moteur de mes pensées, de mes désirs, de mes affections, de ma volonté toute entière. Je dois être attentif à toutes ses inspirations, les écouter d’abord dans le silence de l’oraison, les suivre ensuite et leur obéir dans l’action qu’elles déterminent. Éviter avec soin tout ce qui serait capable de le contrister et d’affaiblir l’influence de son pouvoir en moi» [106].

12. LES SOURCES DE LA DOCTRINE SUR L’ESPRIT

Parmi les sources de la doctrine de l’Esprit chez Eugène de Mazenod, il faut mentionner en premier lieu l’Écriture sainte. Eugène connaît bien la Parole de Dieu qu’il a beaucoup étudiée et priée; il est profondément convaincu que c’est l’Esprit de Dieu qui nous parle à travers les mots de l’Écriture. Il cite plusieurs textes concernant l’Esprit Saint, empruntés surtout aux lettres de Paul (Romains, Corinthiens, Éphésiens), à l’évangile de Jean et aux Actes des Apôtres (principalement au sujet de la Pentecôte). En plus des citations explicites on peut noter plusieurs références implicites à des passages d’Écriture sainte.

La liturgie constitue une autre source importante, en particulier les textes du Pontifical pour la confirmation et les ordres sacrés, la messe de la Pentecôte et les hymnes à l’Esprit qui ont nourri la prière du Fondateur jusqu’à la fin.

Il est inévitable que la pensée du père de Mazenod soit marquée par les auteurs théologiques et spirituels de son temps. Un regard sommaire sur le manuel de théologie du chanoine Louis Bailly, en usage au séminaire de Saint-Sulpice lors du passage d’Eugène, révèle beaucoup de similitudes avec le vocabulaire et la pensée de ce dernier [107]. Il est intéressant aussi de relever les ressemblances entre la doctrine du Catéchisme du diocèse de Marseille et de celui qui l’a promulgué en 1849 [108].

Rappelons aussi l’influence de l’École française de spiritualité, notamment par l’adoption des prières trinitaires de M. Olier.

Enfin, parmi les sources de la doctrine de l’Esprit chez Eugène de Mazenod, il ne faudrait pas omettre de mentionner l’expérience de l’Esprit dans sa propre vie et dans la vie des autres. Sa relation personnelle à l’Esprit Saint et ce qu’il observe chez les Oblats et d’autres chrétiens [109] l’ont conduit à donner un contenu plus profond et plus signifiant aux formules qu’il avait héritées de son milieu. Nous pouvons sans doute appliquer ici ce que dit Jean Leflon au sujet des études d’Eugène: «Eugène de Mazenod n’a rien d’un spéculatif; il demeurera toute sa vie un réalisateur; […] il n’ira pas de la doctrine à la pratique; ce sera, au contraire, la pratique qui lui permettra de s’ouvrir à la doctrine; il vivra celle-ci pour s’être astreint à celle-là» [110].

13. VUE D’ENSEMBLE

Le Fondateur parle relativement peu, de l’Esprit Saint; mais il est indubitable que sa relation à l’Esprit est réelle et importante, sans toutefois être «extraordinaire» ou hors du commun. L’Esprit Saint anime sa vie de chrétien, de prêtre, de missionnaire et d’évêque, et il est souvent présent à sa pensée.

Eugène perçoit l’Esprit comme celui qui est descendu sur les Apôtres à la Pentecôte et qui continue d’animer l’Église et ses membres. L’Esprit se plaît à habiter le cœur des chrétiens et agit puissamment dans leur vie. Il transforme les personnes et répand ses dons avec abondance à travers les sacrements (surtout la confirmation et l’ordre) et de bien d’autres façons. Il est l’amour et le feu intérieur à la source de toute activité missionnaire. C’est lui qui est à l’origine de la fondation des Missionnaires de Provence. Eugène recommande fréquemment l’invocation à l’Esprit et la fidélité généreuse à ses inspirations.

Pour décrire son expérience de l’Esprit, l’évêque de Marseille emprunte des concepts et des expressions liés à une époque particulière de l’histoire religieuse, mais la réalité au-delà de cette terminologie est une valeur essentielle qui appartient à la nature même de la vie chrétienne et religieuse.

L’ESPRIT SAINT ET LES CONSTITUTIONS ET RÈGLES DE 1982

Les Constitutions et Règles de 1982 reflètent bien la nouvelle sensibilité à l’action de l’Esprit propre à notre temps. On y trouve quinze références explicites à l’Esprit dans la vie de l’Oblat [111]. De plus, plusieurs autres textes peuvent être lus et approfondis à la lumière de l’Esprit Saint, comme, par exemple, ce qui concerne le discernement, la disponibilité, le charisme.

Les éditions précédentes des Constitutions parlaient très peu de l’Esprit Saint. Dans la Règle rédigée par le Fondateur en 1818, on trouve seulement les mots: «qu’il remplit de son esprit» dans le fameux Nota bene du chapitre premier de la première partie [112], et les preions concernant la célébration de la Messe du Saint-Esprit et la récitation du Veni Creator au début des Chapitres généraux et des Missions [113].

Dans la présentation des Constitutions de 1928, le Pape Pie XI écrit: «[…] au cours des siècles, selon les occasions qui se présentent et les besoins qui se font sentir, Dieu continue de fournir à son Église, de vivifier et de dilater dans son sein, des groupes d’hommes de son choix qui, émules des apôtres des premiers siècles, animés du même esprit, s’en vont, quittant leur patrie, porter la lumière du Christ dans des régions éloignées […]» [114]. Dans le texte même de ces Constitutions, on ne trouve guère plus sur l’Esprit que dans la première Règle écrite par le Fondateur [115].

Les Constitutions de 1966, profondément influencées par le Concile Vatican II, marquent un tournant important par rapport à la présence de textes sur l’Esprit Saint. Dix passages très clairs sur l’Esprit apportent à l’ensemble du texte un éclairage nouveau [116]. Ce changement dans la façon de présenter le rôle de l’Esprit dans la vie de l’Oblat a été mis en évidence par le père Maurice Gilbert dans un article publié dans les Études oblates en 1967 [117] et par les auteurs du commentaire sur ces Constitutions intitulé: Dans une volonté de renouveau [118].

1. AVANT-PROPOS

L’avant-propos des Constitutions de 1982 nous projette d’emblée au coeur même du charisme oblat: «Notre Seigneur Jésus Christ, quand vint la plénitude des temps, fut envoyé par le Père et rempli de l’Esprit «pour porter la bonne nouvelle aux pauvres […]» (Luc 4, 18-19) […] C’est cet appel qu’entendit le bienheureux Eugène de Mazenod. Brûlant d’amour pour le Christ et son Église, il fut bouleversé par l’état d’abandon du peuple de Dieu» [119]. Pour accomplir sa mission auprès des pauvres, Jésus Christ a été envoyé par le Père et rempli de l’Esprit. Les disciples de Jésus Christ: ses apôtres d’abord, et beaucoup d’autres chrétiens, dont Eugène de Mazenod et ses Oblats, ont été, eux aussi, appelés par le Père et revêtus de l’Esprit de la Pentecôte, pour être envoyés, à leur tour, à la Mission auprès des pauvres.

2. LA MISSION DE LA CONGREGATION

Les Oblats s’engagent à la suite des Douze, réunis autour du Seigneur, pour «[…] revivre l’unité des Apôtres avec lui, ainsi que leur mission commune dans son Esprit (C 3)». La mission des Oblats est oeuvre d’Esprit; elle vient de lui, elle se vit en lui et avec lui.

Le premier chapitre, sur la mission de la Congrégation, se termine par un article sur Marie Immaculée, patronne de la Congrégation (C 10). C’est le premier de trois passages qui montrent le lien qui existe entre la Vierge Marie, l’Esprit Saint et l’Oblat. On dit ici qu’elle est «docile à l’Esprit» et que cela la porte à se consacrer entièrement à la personne et à l’oeuvre du Sauveur. En elle, «les Oblats reconnaissent le modèle de la foi de l’Église et de leur propre foi». Il sont donc invités à suivre Marie dans sa docilité à l’Esprit Saint et sa consécration au Sauveur.

La règle 9 présente un exemple concret de la mission vécue dans l’Esprit: «L’action de l’Esprit peut conduire certains Oblats à s’identifier aux pauvres jusqu’à partager leur vie et leur engagement pour la cause de la justice; d’autres, à se rendre présents là où se prennent des décisions qui affectent l’avenir du monde des pauvres. En chaque cas, un discernement sérieux sera fait à la lumière des directives de l’Église et ils recevront mission des supérieurs pour ce ministère». L’Esprit conduit les Oblats et les inspire dans leur mission, ce qui suppose un discernement constant et attentif de ses appels.

3. VIE RELIGIEUSE APOSTOLIQUE

Le deuxième chapitre des Constitutions porte sur la vie religieuse apostolique. On nous rappelle que les Oblats «adoptent la voie des conseils évangéliques» (C 12). Tout de suite après, on présente «le modèle et la gardienne de notre vie consacrée»: Marie Immaculée. Comment est-elle modèle? «[…] par sa réponse de foi et sa totale disponibilité à l’appel de l’Esprit […]». Les Oblats ont donc avantage à contempler la réponse fidèle de Marie à l’appel de l’Esprit, réponse qui s’exprime dans sa manière de vivre la chasteté, la pauvreté, l’obéissance et la persévérance dans son engagement.

Le lien entre l’Esprit et les conseils évangéliques est rendu plus explicite dans les articles sur la pauvreté, l’obéissance et la persévérance (constitutions 21, 25 et 29).

La pauvreté (C 21): «Animés par l’Esprit qui pousse les premiers chrétiens à tout partager, les Oblats mettent tout en commun». L’Esprit du Ressuscité, reçu à la Pentecôte, animait les premiers chrétiens et les poussait à partager leurs biens. Le même Esprit meut encore aujourd’hui les Oblats et les invite eux aussi à tout mettre en commun dans un style de vie simple, offrant ainsi «un témoignage collectif de détachement évangélique».

L’obéissance (C 25): «Notre vie est réglée par les exigences de notre mission apostolique et par les appels de l’Esprit, déjà présent chez ceux à qui nous sommes envoyés». Cet article nous rappelle que l’Esprit est déjà présent et agissant dans les personnes à qui les Oblats sont envoyés. Il ne s’agit pas alors de leur apporter l’Esprit du Christ qu’ils n’auraient pas encore reçu, mais plutôt de leur révéler la plénitude de cette présence. L’obéissance des Oblats, qui est réponse à l’Esprit, impliquera l’écoute attentive des appels de l’Esprit à travers les personnes et les événements. Cette invitation rappelle l’attitude du Fondateur qui a perçu les appels de Dieu à travers les besoins de l’Église de son temps.

La persévérance (C 29): «Le Seigneur Jésus, «ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin (Jn 13, 1)». Son Esprit ne cesse d’inviter tous les chrétiens à la constance dans l’amour. Ce même Esprit pousse les Oblats à se lier plus étroitement à la Congrégation, en sorte que leur persévérance soit signe de la fidélité du Christ à son Père». Animé par l’Esprit, Jésus a aimé les siens jusqu’à la fin et a donné sa vie pour le salut du monde. Le même Esprit d’amour, répandu dans le coeur des chrétiens et des Oblats, cherche à reproduire en eux ce qu’il a fait en Jésus. Il leur donne force et constance dans l’amour. Il pousse les Oblats à exprimer la solidité de l’amour qu’il met dans leur coeur en se liant pour toujours à la Congrégation par le voeu de persévérance.

L’Esprit est présent aussi, bien sûr, dans la prière de l’Oblat. Nous rejoignons ici un thème fondamental de la théologie de l’Esprit, à savoir, que c’est l’Esprit qui vient créer la prière dans le coeur des enfants de Dieu [120]. «C’est en missionnaires, lisons nous dans la constitution 32, que nous louons le Seigneur selon les inspirations diverses de l’Esprit […]». L’Esprit fait jaillir la louange dans le coeur des missionnaires Oblats, comme il l’a fait pour Jésus. Nous lisons dans l’évangile selon saint Luc, au chapitre 10, verset 21: «À l’instant même, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit: «Je te loue, Père, Seigneur du ciel et la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits». Les inspirations de l’Esprit sont multiples et diverses comme le sont les situations missionnaires vécues par les Oblats.

Dans la constitution 36, le lien intime entre Marie, l’Esprit qui nous conduit et l’Oblat est évoqué pour la troisième fois: «C’est en union avec Marie Immaculée, fidèle servante du Seigneur, que, sous la conduite de l’Esprit, ils approfondiront leur intimité avec le Christ. Avec elle, ils contempleront les mystères du Verbe incarné, particulièrement dans la prière du Rosaire». L’Esprit conduit inévitablement au Seigneur Jésus Christ d’où il provient; il fait pénétrer dans les profondeurs du Mystère du Christ et dans l’intimité de son amitié. La Vierge Marie, parce que totalement abandonnée à l’Esprit, qui l’a couverte de son ombre, est entrée très avant, plus que tout être humain, dans l’intimité avec son fils Jésus. L’Oblat est invité à se laisser envahir et conduire par l’Esprit, en union avec Marie, afin d’approfondir avec elle cette intimité avec le Sauveur. En particulier, il est exhorté à contempler avec elle les mystères du Verbe incarné.

4. LA FORMATION

La deuxième partie des Constitutions traite de la formation et contient quelques textes très riches sur le rôle de l’Esprit dans la formation, première et continue, de l’Oblat. D’abord, le premier article, la constitution 45: «Jésus a formé personnellement les disciples qu’il avait choisis et les a initiés au mystère du Royaume de Dieu (voir Mc 4, 11). Pour les préparer à leur mission, il les associa à son ministère; pour affermir leur zèle, il leur envoya son Esprit. Ce même Esprit forme le Christ en ceux qui s’engagent sur les traces des Apôtres. Plus il leur fait pénétrer le mystère du Sauveur et de son Église, plus il les incite à se vouer à l’évangélisation des pauvres».

On nous rappelle d’abord que Jésus a formé personnellement ses disciples, les a initiés aux mystères du Royaume de Dieu, les a associés à son ministère et enfin qu’il leur a envoyé son Esprit, la puissance venant d’En haut, pour affermir leur zèle. Ce passage résonne comme un écho des mots de la Préface: «Que fit Notre Seigneur Jésus Christ […]?».

L’article décrit ensuite l’action de l’Esprit «en ceux qui s’engagent sur les traces des Apôtres». Il «forme le Christ» en eux, – puisqu’il s’agit de formation; il fait pénétrer le mystère du Christ Sauveur, comme lui seul peut le faire. Il introduit au mystère de l’Église, «cette Épouse chérie du Fils de Dieu» [121] dont il est l’âme et le principe de croissance. Et, dans la mesure où il introduit au Mystère du Sauveur et de son Église, il incite l’Oblat à se consacrer à l’évangélisation des pauvres. Il réalise ainsi la devise des Oblats et fait vivre les principaux éléments du charisme: la relation au Christ Sauveur et à l’Église, la mission, l’évangélisation des pauvres.

Pour bien saisir l’impact de cet article, il importe de voir la vie oblate et la formation comme un don à recevoir, une réponse à un appel. Dieu appelle, par son Esprit, et c’est l’Esprit qui forme le candidat, selon son bon vouloir [122].

Il va sans dire que l’Oblat doit s’efforcer de correspondre fidèlement, de se laisser conduire par l’Esprit qui habite en son coeur. Cette vérité est mise en relief à la constitution 49: «[…] chacun demeurant l’agent principal de sa propre croissance, il importe que tout Oblat soit prêt à répondre généreusement aux inspirations de l’Esprit, à chaque étape de sa vie». L’attitude de réceptivité et d’accueil des inspirations de l’Esprit doit se manifester de plus en plus à chaque étape de la vie de l’Oblat, qu’il soit en formation première, en pleine activité missionnaire, ou à l’âge du déclin de la vie.

La constitution 56 est une merveilleuse synthèse du rôle de l’Esprit dans la vie du novice, et même, de tout Oblat. L’Esprit vit dans le coeur du novice et le guide peu à peu dans son cheminement spirituel et oblat. Il le fait grandir en amitié avec le Christ et entrer graduellement dans le Mystère du salut par le moyen de la prière et de la liturgie. C’est encore lui qui lui donne d’écouter le Seigneur dans l’Écriture, de le rencontrer dans l’Eucharistie, de le découvrir aussi dans les personnes et les événements. L’Esprit, enfin, aide le novice à reconnaître sa présence et son action dans le charisme vécu par le Fondateur et transmis, par la suite, à ses disciples, au cours de l’histoire de la Congrégation.

La constitution 68 nous rappelle que l’Esprit est sans cesse à l’oeuvre dans le monde et qu’il renouvelle la face de la terre: «Dieu est sans cesse à l’oeuvre dans le monde et son Verbe, source de vie, transforme l’humanité pour en faire son Peuple. Les Oblats, instruments du Verbe, doivent demeurer souples et ouverts; ils doivent apprendre à faire face à des besoins nouveaux et à chercher des solutions aux questions nouvelles. Ils le feront dans un constant discernement de l’action de l’Esprit qui renouvelle la face de la terre (voir Ps 104, 30)».

L’Esprit agit, non seulement dans les personnes à qui les Oblats sont envoyés [123], mais dans tout l’univers, pour faire advenir le Royaume de Dieu, ce monde nouveau né de la résurrection [124]. Les Oblats doivent apprendre à discerner constamment cette action de l’Esprit, c’est-à-dire à reconnaître les signes de sa présence dans le monde. Cela suppose, de leur part, beaucoup de souplesse et d’ouverture.

Le discernement, dont il est question ici, est mentionné dix-huit fois dans les Constitutions de 1982 [125]. C’est une nouveauté par rapport aux éditions précédentes, sauf celle de 1966, où le mot se retrouve sept fois [126].

Cette exhortation fréquente à discerner les appels de l’Esprit, rappelle aux Oblats qu’une conversion continuelle du coeur est nécessaire, car le discernement ne va pas de soi; c’est un art qui s’apprend, peu à peu, à travers l’expérience de l’action de Dieu; c’est aussi, et surtout, un don qu’il faut demander sans cesse à Dieu. Le père Fernand Jetté décrit bien l’attitude spirituelle requise pour vivre le discernement, dans son commentaire sur cette constitution dans O.M.I. Homme apostolique [127].

5. L’ORGANISATION DE LA CONGREGATION

La troisième partie des Constitutions concerne «l’organisation de la Congrégation». Dès le début on y décrit l’esprit qui doit présider au gouvernement chez les Oblats. On y dit, entre autres, à la constitution 72: «Nous sommes tous solidairement responsables de la vie et de l’apostolat de la communauté. C’est donc ensemble que nous discernons l’appel de l’Esprit, que nous tâchons de parvenir à un consensus sur les questions importantes et que nous appuyons loyalement les décisions prises. Un climat de confiance mutuelle favorisera parmi nous l’élaboration des décisions en esprit de collégialité».

Il s’agit ici de discernement communautaire: «ensemble» les Oblats discernent l’appel de l’Esprit. C’est toute une manière d’être, de vivre et de gouverner qui est proposée ici. Le discernement, vécu personnellement par chaque Oblat, culmine dans un discernement communautaire ou une recherche commune des orientations qui porteront les fruits de l’Esprit.

La dernière phrase de cet article insiste sur une des attitudes indispensables pour le discernement communautaire: «un climat de confiance mutuelle».

La dernière référence explicite à l’Esprit se trouve dans la section concernant l’Administration générale. La constitution 111 fait la recommandation suivante aux membres de l’Administration générale: «Ils veilleront avant tout à ce que la Congrégation reste fidèle à l’élan apostolique que lui a légué le Fondateur sous l’inspiration de l’Esprit». C’est, à la fois, une reconnaissance du caractère essentiellement apostolique du charisme d’Eugène de Mazenod et une exhortation à demeurer fidèle à cet élan missionnaire que le Fondateur a légué à la Congrégation «sous l’inspiration de l’Esprit».

6. UN «SOUFFLE» NOUVEAU

Les Constitutions et Règles de 1982 ne présentent pas une théologie systématique de l’Esprit: ce n’est pas du tout leur rôle. Elles nous rappellent, cependant, que l’Esprit est présent en Jésus Christ, en Marie, dans les Apôtres, chez Mgr de Mazenod et ses disciples, dans les personnes auxquelles les Oblats sont envoyés et dans tout l’univers. Cet Esprit d’amour ne cesse d’agir et d’acheminer le monde vers sa Plénitude. Il fait pénétrer les Oblats dans l’intimité du Mystère du Christ Sauveur et de son Église; il les invite à vivre en profondeur les conseils évangéliques; il donne une puissance nouvelle à leur activité missionnaire et il les porte à louer Dieu dans leur coeur à partir de cette même activité. Les Oblats sont invités à discerner les appels et les inspirations de l’Esprit, à y être fidèles, à l’exemple de Marie, et ainsi, à vivre leur engagement missionnaire dans la mouvance continuelle de ce même Esprit.

Il est clair que les références brèves, mais pertinentes, à l’Esprit Saint dans ces Constitutions de 1982 sont comme un levain, ou encore, un «souffle» nouveau, capable de vivifier tout le livre des Constitutions. Ces passages, quand ils sont mis en pratique, contiennent le dynamisme nécessaire pour renouveler, non seulement les Constitutions, mais, aussi et surtout, la vie et la mission de tous les Oblats qui prolongent, dans l’aujourd’hui du monde, le charisme missionnaire de Mgr de Mazenod.

III. RENOUVEAU DE L’ESPRIT ET CHARISME OBLAT

1. LE RENOUVEAU DE L’ESPRIT

Notre siècle a mis en valeur de façon plus explicite le rôle clef de l’Esprit Saint dans la théologie et la vie chrétienne. On a même parlé de «retour de l’Esprit» et de «renouveau de l’Esprit». Amorcé à la fin du siècle dernier par l’encyclique de Léon XIII Divinum illud munus [128], le renouveau de l’Esprit s’est enrichi à la faveur des divers renouveaux dans l’Église (biblique, liturgique, patristique, théologique) et de l’influence de la théologie de l’Église d’Orient. Le concile Vatican II a consacré ce mouvement en renouvelant profondément la pneumatologie. Dans la seconde moitié du vingtième siècle, les livres et les études sur l’Esprit se sont multipliés et un grand nombre de chrétiens ont redécouvert avec profit l’action de l’Esprit dans leur prière et leur vie quotidienne.

Il nous semble que la fidélité au charisme du Fondateur implique, pour l’Oblat d’aujourd’hui, un désir de vivre selon sa grâce propre une profonde expérience de l’Esprit à la suite d’Eugène de Mazenod tout en sachant tirer profit des grandes richesses que nous offre le renouveau actuel de l’Esprit.

Sans vouloir présenter ici une théologie complète de l’Esprit, nous voudrions rappeler brièvement certaines perspectives qui nous semblent plus particulièrement fécondes pour mieux vivre aujourd’hui la vie chrétienne et oblate selon l’Esprit de Dieu.

De nos jours le langage sur l’Esprit s’est rapproché davantage du langage biblique. L’Esprit est vu comme le souffle de Dieu par lequel Dieu crée l’univers et l’être humain, comme l’eau qui purifie, comme le feu qui brûle, réchauffe et éclaire, comme la vie, la puissance et l’amour de Dieu à l’œuvre dans le monde. Le Nouveau Testament, sommet de la révélation sur l’Esprit, nous montre comment l’Esprit du Père est présent en Jésus Christ et au cœur de la vie des chrétiens.

Jésus est conçu par l’œuvre de l’Esprit Saint qui couvre la Vierge Marie de son ombre et la rend féconde. Au moment de son baptême dans le Jourdain, il reçoit en plénitude l’Esprit du Père; il est oint, consacré et envoyé à sa mission d’annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il se laisse conduire par l’Esprit au désert, à la synagogue et dans tout son ministère jusqu’à l’offrande libre de sa vie pour le salut du monde. Par sa Résurrection, œuvre par excellence de l’Esprit du Père, il devient lui-même esprit vivifiant et source de l’Esprit pour tous ceux qui croient en lui.

La Pentecôte fait éclater au grand jour l’effusion de l’Esprit sur l’Église tout entière. C’est l’Esprit de Dieu qui construit et anime l’Église, qui donne aux disciples de Jésus la sainteté et la communion dans l’amour. Il habite le cœur des chrétiens, intercède pour eux auprès du Père et donne à chacun de découvrir qu’il est fils bien-aimé de Dieu en s’écriant: «Abba! Père!» Il fait pénétrer dans la profondeur et la richesse du mystère du Seigneur Jésus. Auteur du monde nouveau, né de la Résurrection, il devient source de la vie nouvelle des enfants de Dieu et gage de la résurrection future à la suite de Jésus.

Le dynamisme missionnaire de l’Église trouve son origine dans l’Esprit de la Pentecôte [129]. «Le charisme apostolique, écrit le père F.-X. Durrwell, n’est pas surajouté à la grâce chrétienne, il lui est immanent. La vocation de l’apôtre se situe à l’intérieur de l’appel à la communion du Fils (1 Co 1, 9), qui est le propre du chrétien» [130].

Les sacrements sont des lieux privilégiés de l’action de l’Esprit. Par le baptême une personne est appelée à renaître «de l’eau et de l’esprit»; à la confirmation elle reçoit une plénitude d’Esprit; dans l’Eucharistie le célébrant invoque la venue transformante de l’Esprit au moment de l’épiclèse; par l’ordre un chrétien est transformé par la Puissance d’amour de l’Esprit en vue d’un service de ministère ordonné dans l’Église; l’onction de l’Esprit agit pour le bien des malades.

La puissance de l’Esprit se manifeste dans la hiérarchie de l’Église mais aussi dans toute sa dimension charismatique. Il suscite avec abondance les charismes les plus variés en vue du bien commun et aide à les vivre. Parmi ceux-ci, les charismes des fondateurs de communautés religieuses et de ceux qui les suivent occupent une place de choix. La vie religieuse est née du souffle de la Pentecôte; elle jaillit dans le cœur de certaines personnes sous la mouvance de l’Esprit. C’est pourquoi seul l’Esprit peut la vivifier et la renouveler constamment en profondeur.

2. L’ESPRIT ET LE CHARISME OBLAT

Il serait possible de passer en revue tous les éléments de la vie et du charisme oblats afin de mettre en évidence leur relation étroite avec l’Esprit.

C’est l’Esprit Saint, auteur du charisme oblat, qui sème dans le cœur d’un chrétien des grands désirs d’être Oblat et l’appelle à partager la vie de la communauté; il préside à sa formation et à son entrée progressive dans le charisme hérité de Mgr de Mazenod. Il le centre sur Jésus-Christ, sa relation filiale au Père, la Croix et la Résurrection. Il fait grandir le désir de suivre, à la manière des Apôtres, le Christ, consacré par l’Esprit pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il enrichit son activité missionnaire de la fécondité des fruits de l’Esprit.

Il ouvre le cœur de l’Oblat aux besoins du monde entier, à l’exemple de son Fondateur. Il lui donne de lire avec sagesse les «signes des temps», de discerner les appels les plus urgents du temps présent et de reconnaître l’action de l’Esprit non seulement dans le cœur de tout être humain mais aussi dans l’histoire humaine, dans les cultures et dans les religions [131].

L’Esprit est encore celui qui crée la communion des personnes et rend possible le témoignage d’une communauté apostolique unie et rayonnante.

En communiquant le charisme à un Oblat, l’Esprit prend possession de sa personne et de ses dynamismes profonds, le met résolument à la suite du Christ et lui donne de pouvoir vivre avec joie les conseils évangéliques, le rendant ainsi plus disponible au service de la mission. C’est encore l’Esprit de la Pentecôte qui inspire la prière apostolique de l’Oblat et ses célébrations liturgiques et lui donne de découvrir la belle et profonde unité de sa vie d’homme apostolique.

Enfin, l’Esprit qui a sondé les profondeurs de Dieu ouvre les yeux et le cœur de l’Oblat au mystère de la Vierge Marie. Il lui fait voir en elle un modèle de docilité à l’action et aux inspirations de l’Esprit, et d’accueil du Sauveur et de son œuvre. Il lui donne aussi de considérer la Vierge Marie comme une Mère, toujours présente avec tendresse à sa vie d’Oblat, à ses joies et souffrances de missionnaire.

L’Esprit qui a saisi Eugène de Mazenod pour susciter dans l’Église un nouveau charisme missionnaire continue aujourd’hui de brûler le cœur des héritiers de son charisme dans une Pentecôte sans cesse renouvelée.

Robert Michel